Anonyme [1649], L’ESPERANCE DES BONS VILLAGEOIS, Et leurs resioüissances publiques sur les heureux progrez des armées Parisiennes: Conduites par Messieurs les Princes de Conty, de Beaufort, d’Elbeuf, & autres grands Seigneurs. , françaisRéférence RIM : M0_1278. Cote locale : A_3_49.
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L’ESPERANCE DES BONS VILLAGEOIS
Et leurs resioüissances publiques sur les heureux progrez
des Armées Parisiennes : Conduites par Messieurs
les Princes de Conty, de Beaufort, d’Elbeuf
& autres Grands Seigneurs.

IL faut croire pour certain & il est tres veritable, que l’amour
& la generosité ont beaucoup de sympathie & correspondãce
l’vn auec l’autre, l’espreuue que i’en ay faite me sert de témoins
pour prouuer mon dire. La Renommée m’ayant fait entendre que
la veille de la Chandeleur, vne troupe Mazarinique auoit voltigé
vers Brie-Comte-Robert, ie demeuray beaucoup estonné, craignant
que quelque troupe de ses larrons & brigands ne portassent
& le feu & les fers impitoyables iusques à Soulars, petit village éloigné
de Brie seulement d’vne lieuë & demie, d’autant qu’en ce
lieu, la premiere geniture que Dieu m’a donnée y est nourrie &
alimentée. La crainte que i’auois dis-ie, de perdre ce petit enfançon,
causa que plusieurs pẽsees s’emparerent de ma personne,
l’vne me faisoit voir que desia les Ennemis s’estoient saisis d’vne
des auenuës dudit Village : l’autre me representoit le feu qui consumoit
desia vne partie des demeures & petite cabane de ce lieu
qui ne sont couuertes que de chaume ; mais celle qui me choque
le plus, c’est qu’il me sembla voir ce qu’autrefois i’ay veu dans ces
tableaux & figures qui nous representent l’execution cruelle du
commandement impitoyable du traistre Herode : ie m’imaginois
voir de ces tyrans & meurtriers qui prenoient la nourrice de mon
enfant, & luy arrachoient mon petit poupon de son sein pour la
violenter & luy rauir son honneur ; Il me sembloit, dis-ie, voir
ces tyrans cruels & impitoyables tirailler mon cher enfant d’vn
costé & la mere ou nourrice de l’autre, sans se soucier aucunement
du pardon que ma nourrice leur demandoit sans qu’elle les
eust aucunement offencez, ny des larmes qui tomboient de ces
yeux, ny encores des cris, des pleurs & des larmes de ma chere geniture,
ce fust ce sujet, ce fust l’amour paternel qui fit donner vn

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grand combat en ma personne ; d’vn costé l’amour paternel me
commandoit d’aller voir mon cher enfant pour le tirer de ce lieu
& le mettre en quelque endroit plus seur ; De l’autre la crainte
que i’auois d’estre surpris par ces malheureux & méchans Mazariniques
faisoit effacer cette pensée : Prends garde, me disoit la
crainte, de te mettre en chemin voyant que la campagne n’est pas
seure, car tu peux croire que si tu es pris de ces monstres d’Hircanie,
de ces traistres Siciliens, qui sacrifieront ta personne à la fureur
de leur colere, ou du moins dans le froid qu’il fait il te dépoüilleront
tout nud, comme ils ont desia fait plusieurs, qui sont
tous gelez & glacez de froid à S. Germuin en Laye, dans vn jeu de
paulme, sur vn petit de paille, sans habits ny couuerture aucune,
& par ainsi croyant sauuer celuy qui doibt estre vn iour ton heritier
tu te perdras toy-mesme, & par ainsi dire tu seras homicide
de ta personne. Dans ce combat ie ne sçauois qui emporteroit la
victoire, lors que la generosité fauorisant l’amour se vint opposer
à la crainte, luy chantant des iniures, la poussa hors de ma pensée
à grands coups de pieds, puis se tournant vers moy, me sembla
qu’il me tint ce discours ; Comment cher Florimond, veux-tu
preferer la crainte à ta valeur ? Plusieurs fois ie t’ay veu au milieu
des combats tant particuliers que generaux, n’ayant aucune
crainte, ny de la fureur d’vn grondant canon, ny du debris d’vne
meurtriere bombe & grenade, de l’impitoyable plomb d’vn
mousquet, ny mesme de la pointe d’vn acier bien émoulu : témoin
la bataille de Sedan, où ce grand Comte de Soissons finit glorieusement
ses iours ; Le siege & prise de Lens, la Bassée : Dans la mesme
année la campagne de Perpignan, la bataille de Rocroy, le
siege de Graueline, du Fort Oüatré, de Courtray, Bourbourg, Bethune,
Mardic, Dunkerque & plusieurs autres lieux où tu as paru
auec honneur, & maintenant tu te veux rendre lasche & poltron,
si tu veux cela, pour moy ie te vais abandonner : car ie ne puis faire
residence auec la poltronnerie, dautant que ie ne puis compatir
auec cette vicieuse & infame. Finissant ce discours, il me sembla
qu’il vouloit s’éloigner de moy, ce qui causa que ie luy demanday
pardon, luy promettant que ie ne donnerois iamais permission
à la crainte d’empieter sur moy ny sur mes volontez, & dés
l’heure mesme ayant faict sceller & brider mon cheual, ie montay
dessus prenant mon chemin à Soulats, ou i’appris que Monsieur
le Duc d’Elbeuf auoit fait entrer des Trouppes dans Brie-Comte

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Robert pour la conseruation de la Ville & des Habitans, tant du
dedans que des petits Villages d’alentour, arriué à Soulats, j’allay
descendre de cheual au logis de mon nourrissier, qui d’abord témoigna
d’estre bien esbahy, me demandant : Comment i’auois
eu la hardiesse de me mettre en chemin, estant bien aduerty de la
risque que l’on pouuoit courir en campagne en temps de guerre,
à cela ie ne fis aucune response : mais bien promptement, Ie luy
demanday où estoit mon fils ; & luy m’ayant dit qu’il estoit chez
vn sien voisin fort proche, i’y courus promptement, où ie rencontray
du contentement plus que ie n’en esperois, lors que i’estois
party de Paris, car ie trouuay mon enfant en tres-bonne disposition,
ce qui causa que ie demeuray en ce pais-là iusques au Mercredy
neufiesme iour de Feurier, que ie fis apprester mon equipage
pour retourner à Paris le lendemain qui deuoit estre Ieudy ; Et
pour cet effect, ie fis appareiller vn petit souper honneste pour
traitter & mon nourrissier & deux de ses voisins, tres-honnestes
personnes & digne de conuersation, lesquels se mirent apres auoir
soupé à discourir de la Guerre ainsi qu’il s’ensuit : Dis moy
vn peu, dit l’vn de ces voisins à l’autre, qu’espere-tu de la guerre :
crois-tu qu’elle durera encores long temps : Tu le voudrois bien,
dit Bouuingre à Rapio (ainsi s’appelloient ces deux Villageois)
dautant que tu vendrois le reste de ton orge & de ton blé bruiné :
Tu as bien raison, repliqua Rapio, c’est bien de mesme toy qui as
ramassé tous les poix & nois & blancs qui estoient en ton grenier
pour en affronter ces pauures Bourgeois de Paris, qui prennent
maintenant tant de peine & de fatigue pour conseruer leurs per
sonnes, & pour nous faire exempter des Tailles, Subsides & Imposts,
& quelle peine ont-il tant, dit Bouuingre, espere-tu qu’il
appelle fatigue, de porter vn mousquet sur l’espaule, vn corcelet
sur le dos pour aller garder les portes : Nenny, nenny, cela n’en va
pas là, au contraire ils s’en estiment beaucoup honorez ; Et pour
gloire, n’as-tu pas veu toy & moy qu’ils cherchẽt à ce faire braue
pour paroistre dans cette action honorable : témoin ce Bourgeois
qui l’autre iour vouloit donner vingt deux pistoles d’vn baudrier :
Tu aurois raison de dire ce que tu dis, ce fit Rapio, s’il ne sortoit
point de Paris, mais tu sçais que l’autre iour ils furent à Charéton
pour le garder, pendant que la garnison dudit lieu fut transferée
à Ville-neufue sainct George & à Brie-contre-Robert. Vrayement

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tu l’as belle, repliqua Bouuingre, ils firent là de tres beaux
exploits, ils y coucherent seulement vne nuict, & puis ce fust tout
veritablement ; Ie peux dire que nous auons du mal cent & cent
fois plus qu’eux, tu sçais qu’il faut que nous gardions les auenuës
de nostre Village, que nous auons fait des Forts pour empescher
les Trouppes de ce maudit Diable de Mazarin, qui ne font que
voltiger icy alentour, tuant l’vn, pillant l’autre, & mesme tu sçais
comme nous sommes desia contraints de faire resserter nos filles
dans les Eglises & Chasteaux de crainte qu’ils ne tombent entre
les mains de ces Diables incarnez, qui les traittent d’vne façon
toute barbare & à la Turque. Tout ce que tu dis est beau & bon,
dit alors Rapio, mais il faut que tu sçaches que nous auons beaucoup
d’obligation aux Bourgeois de Paris, à Messieurs du Parlement :
& encores à Messieurs les Princes de Conty, de Beaufort,
d’Elbeuf & Monsieur de Longueuille, qui est allé querir du secours
à Roüen & à plusieurs autres grands Personnages, qui ont
pris les armes pour la protection du pauure peuple, qui alloit effectiuement
succomber sous le faix des Imposts, Taille, Taillons
& Subsides : Et i’espere, s’il plaist à Dieu. que bien-tost nous serons
soulagez & garentis de l’incursion & pillerie de ces petits
laronneaux de Sergens & pousse-culs, infames harpies qui gastẽt
ce qu’ils ne peuuent emporter, & qui tous les iours estoient à nos
portes pour attraper & vendre deux escuelles si nous les auions
pour payer cette diable de Taille, ce n’est pourtant pas à dire que
nous deuions esperer d’en estre tout à fait deschargez : mais, s’il
plaist à Dieu nous en serons soulagez, si Dieu par sa saincte grace
donne victoire à nos vaillans & courageux Generaux Mais à
propos, dit Bouuingre, n’ay-ie pas oüy dire que l’Armée de Mazarin
auoit pris quelques Villages alentour de Paris, & qu’ils les ont
ruynez : Cela est veritable, dit Rapio, le Mareschal de Grammont
s’est rendu Maistre de Meudon, & quelques autres Trouppes
se sont iettées, les vnes dans Palayzeau, les autres à S Cloud,
& en quelques autres endroits, où ils ont fait des actions tellement
impies & scandaleuses, que les Turcs & Barbares loings de
les executer ne les penseroient pas seulement ? Et qu’ont-ils fait,
ce fit Bouuingre, cela ne se declare point, l’expliqua Rapio : &
mais, au moins, dit Bouuingre, & puisque tu en sçais tant : Mon
cher Rapio, dis-moy vn peu, s’ils sont maistres de Charenton,

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comme le frere à Tampon nous le disoit hier : cela est trop veritable,
dit Rapio, que plût à Dieu que cela ne fust point, au moins
plusieurs honnestes femmes auroient cette consolation & contentemẽt
que de coucher encores auec leurs maris, qui sont morts
glorieusement les armes à la main, en maintenãt l’autorité Royale,
& deffendant vaillamment leur pain & leur patrie que ces
traistres & cruels barbares leur veulent oster : Comment, dit Bouuingre,
ils se sont doncques battus, ouy pour vray, replique Rapio ?
& y a-t’il bien eu du monde de l’Armée Parisienne qui aye
glorieusement acquis le trépas, dit Bouuingre, quand il n’y en auroit
eu que deux, ce seroit encore trop : Mais n’ry-ie pas oüy dire,
dit Bouuingre, qu’il s’estoit desia fait quelque petite charge vers
Lonjumeau & vers Bondis, cela est vray, repliqua Rapio, mais
cela est de si petite consideration, que cela ne vaut pas la peine
d’en parler ; mais disons plustost ce qui s’est passé & ce qui se passe
maintenant : il m’est à voir que ce matin i’ay entendu tirer quelque
coup de canon, ie croy que nes gens ce sont batus asseurément :
car hier le gros Nicolas nous dit qu’il auoit bien veu sortir
des Trouppes de Paris, & que l’on disoit qu’ils alloient pour faire
entrer vn grand Conuoy dans Paris, en disant ces mots, nous fusmes
estonnez qu’il s’éleua vn petit murmure dans le Village, &
puis en mesme temps plusieurs personnes tous d’vne voix s’écrierent,
Viue le Roy & Monseigneur de Beaufort, nous en mesme temps,
entendans cecy, nous nous leuasmes de table, & estant à la porte,
nous fismes enqueste d’où prouenoit ce bruit, l’on nous fist réponse
qu’vn Courier venoit de passer, lequel disoit que les Siciliens
& Mazariniques auoient voulu empescher de passer le grand
Conuoy que Monseigneur le Duc de Beaufort conduisoit à Paris,
& que pour ce faire Monsieur le Prince de Condé, luy-mesme
protecteur du fleau de la France auoit attaqué les Trouppes dudit
sieur de Beaufort, esperant les rompre promptement, & gagner le
Conuoy : mais Dieu protecteur des Lis François en auoit disposé
autrement, puisque ces gens auoient esté rompus & la plus grande
partie taillées en piece, & principalement le Regiment qui porte
le nom de l’Autheur de cette guerre Ciuile, qui est vne bonne augure
pour nous, & au contraire bien au desaduantage de ce cruel
& temeraire Mazarin. Outre cecy, on nous asseure encore que
celuy qui par le passé se faisoit nommer Mareschal de Guiche, &

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maintenant Mareschal de Grammont estoit blessé assez perilleusement,
& qu’il estoit demeuré beaucoup des Ennemis sur la place,
sans conter les prisonniers qui sont en assez bon nombre, entre
lesquels se trouue le Baron d’Alets, fils de celuy qui par cy-deuant
estoit Gouuerneur de la Prouence. Ces bonnes nouuelles causerent
beaucoup de resioüissance aux Habitans de Soulars, lesquels
beurent ce soir chacun vn coup plus que de coustume, ce que ie
fis pareillement & ceux de ma compagnie, & principalement Rapio,
qui fit deux santez à Bouuingre, l’vne du Roy Louys XIV.
Dieu-donné, & l’autre de Monseigneur le Duc de Beaufort General
des troupes Royalles de Paris, en luy disant : Et bien, Bouuingre,
suis-ie trompé dans mon esperance, ne t’auois-ie pas bien
dit, que si iusques à present nous auions eu du mal que d’ores-en-auant
nous aurions du bien, viuons en esperance, cher Bouuingre,
& allons nous reposer, car minuit approche, comme ie croy, ce
qu’ils firent, & moy aussi qui se leua bien matin le Ieudy, & montay
à cheual pour venir à Paris où ces bonnes nouuelles m’ont
esté confirmées : or comme i’auois mis en memoire tous les discours
tenus par Bouuingre : Et Rapio, i’ay bien voulu les transcrire
pour en faire part à mes amis, non que ie veüille dire que cucy
soit capable de donner du contentement beaucoup à personne
à cause de la rudesse du langage, lequel ie n’ay voulu aucunement
polir, ains dire seulement ce que i’ay entendu succinctement &
auec verité, sans oublier quatre vers composez à l’heure mesme
pat Rapio :

 

 


Viue le Roy & Monsieur de Beaufort
Viue le Roy & nostre bon support
Viue le Roy & Monsieur de Conty
Et tous ceux qui maintiennent leur party.

 

FIN.

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