Anonyme [1649], L’ESTAT DEPLORABLE DES FEMMES D’AMOVR DE PARIS, LA HARANGVE DE LEVR AMBASSADEVR ENVOYÉ AV CARDINAL MAZARIN, & son succes. , françaisRéférence RIM : M0_1293. Cote locale : A_3_51.
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L’ESTAT
DEPLORABLE
DES FEMMES D’AMOVR
DE PARIS,
LA HARANGVE
DE LEVR AMBASSADEVR
ENVOYÉ
AV CARDINAL MAZARIN,
& son succes.

A PARIS,

M. DC. XLIX.

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L’ESTAT
DEPLORABLE
DES FEMMES D’AMOVR
DE PARIS,
LA HARANGVE
DE LEVR AMBASSADEVR
ENVOYÉ
AV CARDINAL MAZARIN,
& son succes.

L’Astre qui seruit a la conduite des Roys, seruit a
l’enleuement de celuy de toute la France, & il se
peut dire de cette nuit que la grandeur de nos
joyes nous en faisoit voir l’extremité. Nous nous
estions assemblées le iour d’auparauant dans le
dessein de nous resioüyr, & la faueur que nous fit
Venus d’inspirer quelques vns des siens de nous venir voir, ne
seruit par peu a nous dõner quelque s’atisfaction. Nous auions
mangé des viandes aussi friandes & bû des vins aussi delicats
qu’il se puisse gouster : Nous estions prests de nous mettre au
lit & ie m’imaginois tout ce qui se peut de plaisir entre mes
bras, quãd vn valet de celuy qui deuoit coucher auec moy vint
l’auertir qu’il vouloit luy dire vn mot d’importance ; ce qui l’aracha
de moy & ie vis bien à son retour qu’il faloit qu’il partist

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(& quoy qu’il auoit esté Roy, qu’il m’auoit promis de me faire
Reyne) qu’il ne me donneroit aucun gage de son affection.

 

Ie luy dis a dieu auec des larmes, sa bonne mine, sa haute
naissance & sa bonne chere m’auoient émû, & s’il m’eust dõné
dequoy subsister aujourd’huy ie n’aurois pas a me plaindre. Ie
me couchay & passay la nuit auec assés de quietude : mon humeur
n’est pas de m’atacher par trop au plaisir : son absence ne
me causa point de soupirs & si mon ami ne m’eust éueillée dãs
la liberté qu’il auoit d’entrer en ma chambre, ie pourrois encores
estre endormie, les premieres paroles que i’entendis de
luy a mon reueil, tout est perdu, le Roy a esté enleué, ie m’enquis
si quelques vns que ie connessois estoient sortis auec luy,
il me respondit qu’ouy des l’heure mesme ie ne d’outay point
de ma perte ie m’habille, ie dõne auis de ces nouuelles a quelques
personnes de ma connessance ie les treuuay plus surprises
que moy, i’estois sans argent & elles aussi, nous attendions
quelqu’vn dans vn si grand iour de ioye, personne ne nous vint
visiter. Il falut recourre a ce que nous pouuions auoir de hardes
nous les mîmes en gage pour auoir de l’argent dequoy auoir du
pain. Nous auons vescu iusques a present sans que nos fonds
s’il y en a nous ayent produits aucunes rentes, & n’ayant plus
dequoy toutes nous nous sommes assemblés, nous auons scû la
cause de nostre mal & auons projeté le dessein d’y remedier.

A peine cette resolution estoit formée qu’vn nõmé Bertrand
homme de confidence dans tous nos plaisirs entre au lieu ou
nous estions, il se plaignit de mesme nous fut animé par nos
resolutions & sçachant que nous voulions rompre le cours a la
necessité que pour ce il faloit supplier le CARDINAL MAZARIN,
tãt pour son interest que pour le nostre il s’offrit d’aller à sainct
Germain exposer nos pensées au Cardinal, & le supplier de
mettre fin à nos miseres.

Chacune contribua de ce qu’elle pût à ce voyage vne des
plus illustres luy fit donner vn passe-port, en sorte qu’vn peu
connû de ceux qui estoient au corps de garde, & ayant seruy
autrefois a celuy qui estoit Capitaine de cartier & en faction
sur les deux heures apres midy le iour de Vendredy abouché

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de celles qui l’enuoyoient arriua à sainct Germain sur les six
heures & au petit coucher du Cardinal Mazarin eut audience.
Il fit grandes reuerences & apres auoir baisé le bord de la couuerture
de son lit, signe qu’il tesmoignoit ce qu’il estoit il executa
sa commission en cette sorte.

 

Ie suis enuoyé de tout Paris (MONSEIGNEVR) puis qu’il n’y a
personne de raisonnable qui ne soit de celles qui m’ont deputé
deuers vous. Ie ne vous aborde pas auioud’huy comme i’ay fait
autrefois ou le seul dessein de vous produire du plaisir estoit
tout le suject de ma visite. Cette consideration ne me touche
plus, la douleur à tout occupé mon ame & pourueu que ie vous
puisse bien exprimer mes sentimens, ie croy m’estre tres bien
aquité de ma commission.

La Iustice qui donne le bransle à tout ce qui est au monde est
sans pouuoir aupres de nous, tout Paris se laisse conduire a ses
mouuemens, il n’y a que nos maisons qui n’en sont point ébrãlées
faute du droit qui n’y agit plus. Nos Dames neantmoins
qui sont amoureuses, tres sensibles dans ces sortes de mal-heurs
en ont fait leurs plaintes & si elles n’eussent apprehendé de ne
pas bien faire gouster leurs raisons à vos parties aduerses, elles
leurs auroient presenté des requestes touchant leurs miseres,
affin que ces peres du public eussant à subuenir a leurs necessités,
cõme à celles de personnes publiques Cette pẽsée fut mise
en deliberation & ne fut pas suiuie parce que la compagnée se
representa l’impuissance des vieux, la discretion des ieunes &
cet esprit de vertu qui se rencõtre dans les vns & dãs les autres
& qui se porte contre tout ce qui approche tant soit peu de la
foiblesse de la nature. Ces messieurs ainsi n’ayans pas esté crûs
capables d’efe[1 lettre ill.]uter nos plaintes d’ẽteriner nos [1 lettre ill.]equeues nous
nous sommes adressés à [1 mot ill.] que [1 mot ill.] dessein a esté bien projeté,
& s’il ne reussit, que ie suis mal-heureux. MONSEIGNEVR, nous
vous auons cõsideré en Frãce cõme vn Scicilien dont les meurs
se sont faictes à [1 mot ill.], & dont l’esprit a esté nourry dans toutes
les adresses & les cõplaisances qui se pratiquent entre les femmes,
& ceux qui se font [1 mot ill.] parfaictement hõmes nous auons
crú que vostre Eminence se souuiendroit de ces delices que

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vous auez goustees parmy nous, de ces delicatesses dãs lesquelles
nous auõs vescu & que vos ioyes passees & nostre mal heur
present vous donneroient quelque pitié de l’estat ou nous sommes.
Estant Scicilien nous auõs pensé que le pays vous donneroit
quelques tendresses pour nous, car il me souuient qu’vn
iour dedans vos diuertissemens i’entendois des Messieurs qui
disoient (ie ne sçay si c’estoit par flaterie) que Venus estoit neé
de Scicile & sur ce il vous prist vn grand esclat de rire, ce qui
me fit bien voir ou que la verité estoit telle ou que cette flaterie
vous estoit bien agreable : mais quand vostre naissance ne vous
donneroit aucuns bons sentimens pour nous, le long-temps
que vous auez esté à Rome, vous a pû donner les veritables lumieres
qui vous doiuent éclairer en ce rencontre. Cette ville
qui a tousiours esté la maistresse & le soleil du monde a par ses
clartés reconnû la beauté de la vie dans ce plaisir, se l’est reseruée
sans la cõmuniquer à d’autres parce qu’elles ne le meritoient
pas Pour ce les Empereurs ont faict si souuent de leurs
Palais, les lieus de leur plaisir, leurs femmes & leurs filles ont
tant obligé de consuls de preteurs & de tribuns & mesmes
aujourd’huy que Rome semble estre tout a faict changée
de face auec toute sa seuerité & son scrupule elle a authorisé ce
diuertissement ; que cette coustume est loüable qui empesche
les pechez contre nature, les viols, & les adulteres, que Solon
fit bien d’acheter des femmes d’amour pour reioüir la ieunesse
d’Athene, que Licurgue prudemment en vsa quand il n’en a
point parlé dans ses Loys Et que les peuples d’Angleterre, &
de Corinthe, honoroient bien leurs dieux lors que dans
leurs sacrifices au lieu de destruire les creatures ils s’ẽploioient
a en faire. Si ie parlois a vn homme moins intelligent & que
ieusse plus de memoire ie vous en dirois d’auantage mais vous
mesme qui auez experimenté les joyes qui se goustent dedans
l’amour, nous auons a vous faire des reproches de souffrir
nos mauuais traictemens. Vous sçauez que l’amour est vn
enfant qui ayme les succreris & les ieux & a present toutes
nos filles sont reduites a manger du pain. Cét enfant ayme fort
les Tapisseries de haute lice & les pourtraicts ie vous iure qu’il

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ne voit plus que des parois & il y a cinq iours que vne que vous
connessez fut obligée de vendre vostre pourtraict auec vne
quantité d’autres à vil pris pour auoir du pain. Cette action
quoy que necessaire me sembla honteuse & si i’eusse eu de l’argent
ie l’eusse pris pour le conseruer & le retirer d’infamie.
MONSEIGNEVR, au nom de ces illustres Dames songés au plaisir
que vous auez eu auec elles, a lestime qu’elles font de vous, a
vostre gloire & si vos soldats mal traitent tant de filles à la Cãpagne
pour assouuir leur passion ramenés les à Paris, nous en
ferons ouurir les portes a qu’elle heure que ce soit nous aurons
dequoy vous satisfaire & eux aussi, il n’y aura pas vne de ces
Dames qui n’en reçoiue beaucoup de plaisirs & dedans leur
plus mauuaises semaines elles pourront estre contentes ayant
tousiours leur Cardinal.

 

Ensuite Bertrand fit la la reuerence ainsi qu’il auoit esté instruict
& alloit faire sa ciuilité à part quand il vit Mazarin, qui
changea & s’estoit apercû de ce trouble des le temps qu’il luy
auoit parlé de reuenir à Paris, C’est pourquoy sans attendre
responce faisant vne double reuerence & bonne mine a mauuais
ieu sortit par vn escalier secret, se trouua dans la cour ou vn
Lieutenant des gardes luy demanda s’il n’auoit point quelque
lettre pour luy, il luy dit que les poulets estoiẽt trop de reserue
à Paris, pour les en laisser sortir. Trouuant ainsi tousiours quelque
connessance il passa les corps de garde les plus auancez,
tout la nuit vint à Paris, & quelques Bourgeois à la porte qui
estoient de garde reconnessans le pelerin alerent auec luy au
conclaue de ces Dames qui receurent plus de fruict de leur
visite que de leur ambassade. Et ce recit est si veritable qu’vn
de ceux de la garde qui alla faire voir la iustesse de son coup &
la force de ses armes dans la visite qu’il fit apres auoir tout sceu
de leur conducteur à pris la peine de donner cecy au public
pour faire voir l’ingratitude & l’auarice de Mazarin, qui ne se
souuient point des faueurs qu’il a receus & sans ployer la toilete
ne laisse pas de voler le bordel.

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