Anonyme [1649], L’ESTENDART DE LA LIBERTE PVBLIQVE. , français, latinRéférence RIM : M0_1288. Cote locale : C_7_81.
SubSect précédent(e)

L’ESTENDART
DE LA LIBERTÉ
PVBLIQVE.

C’EST vn grand auantage dans vn
Royaume, quand il s’y rencontre des
personnes, qui ne mettent leurs intentions
qu’à le maintenir ; & tout au contraire,
c’est vne affliction sans pareille, quand les particuliers
veulent tout auoir, & quand ils s’attribuent
la puissance & l’authorité de prendre
les commoditez des autres, à quelque prix
que ce soit. On a veu de tout temps de ces
meschantes harpyes, qui n’ont pas mesme espargné
les maisons des Roys, les reduisant
presque comme ce pauure Phinée, qui ne pouuoit
trouuer en sa table vn seul morceau qui
ne luy fust arraché, ou pour le moins qu’on ne
taschast de luy prendre. Mais enfin, le Ciel
ayant compassion de nostre malheur, a suscité
des Calaïs & des Zethés qui les ont viuement

-- 4 --

repoussés, & qui leur abbattant leurs visées
les ont empesché de voler plus long-temps sur
nous. La nature de ces hommes se rend d’autant
plus insupportable qu’elle ne veut de
bien à personne, bien qu’ils ne cherchent
qu’a rauir nos commoditez, ou à nous empescher
d’en auoir. La France depuis long-temps
auoit souspiré sous le puissant fardeau de la
tyrannie de plusieurs Partisans affamez, qui
se succedant les vns aux autres trouuoient
tousiours sur nos playes du sang nouueau pour
s’en rassasier aisement, comme les mouches
sur le renard de la Fable, de sorte que nos
douleurs estoient si cuisantes, que nous auions
beau secoüer, nous n’en pouuions
neantmoins faire tomber vn seul, tant ils estoient
acharnez dessus nostre peau, & tant
le sang des François leur sembloit doux &
sauoureux, estant en cela pires que les sangsues,
à qui l’on ne les doit si bien comparer,
qu’il n’y ait pourtant beaucoup de dissemblance
& de disproportion ; car bien que ces
animaux s’attachent à nos veines pour en tirer
le sang, si est-ce qu’apres qu’ils en sont
suffisamment remplis, ils laschẽt aussi-tost leur
prise, & tombent, ou de leur propre vouloir,

-- 5 --

ou se creuant par trop d’aliment : Mais les
Partisans ne disent iamais c’est assez, &
leur ventre a tãt de capacité, & est de si grãde
estenduë, qu’il ressemble à ces abysmes,
dont on ne peut iamais rencontrer le fond.
Depuis trente années qu’ils ont tousiours
eu la liberté de prendre sur nous, ils n’auoient
iamais eu la moindre intention de
cesser, si la force les y auoit contraints, encore
ne se sont-ils pas espouuantez au premier
abbord, il a fallu beaucoup de peine
pour les ranger au deuoir, ou plustost pour
les terrasser de force, & pour les faire defister
des excez, où ils estoient si accoustumez.
Leurs pratiques auoient esté si puissantes,
que les plus grands s’estoient resolus
de les maintenir, & sçachant bien qu’il
n’y auoit point de meilleur chemin pour
arriuer à ceste entreprise, que de nous rendre
odieux aux Princes, ils ont cherché toutes
sortes d’occasions pour nous faire auoir
quelque marque, & quelque apparence de
sousleuement, sçachant qu’il n’y a point de
raisons qui puissent exempter vn peuple de
blasme, quand il s’esleue contre vn Souuerain.

-- 6 --

Ils executerent leur premier dessein
pour nous faire tomber en ce poinct, quand
on enleua Monsieur de Broussel, dont l’innocence
& l’integrité paroissoient si grandes
aux yeux de tout le peuple de Paris, que
personne ne douta d’exposer sa vie pour le
retirer du danger. O ! chere innocence,
que tu as en toy des charmes, &
que tes attraits sont doux & aimables,
puis que tu as eu le pouuoir de vaincre en
vn seul moment vne si grande troupe
d’hommes, dont les affections differentes
demandoient vn suiect tout entier pour les
faire refoudre à vne si iuste deffence. Mais
que ne doit-on pas donner de loüange & de
remerciment au Ciel, qui par ses douces
influences nous a fait si tost auoir la fin de
nos maux, que nous esperions incurables, si
ce n’auoit esté la douceur d’vne grãde Reine,
qui reconnoissant veritablement nos
lãgueurs a voulu les faire cesser au plutost.
Mais si nous luy auons des obligations sans
pareilles, quelle hayne ne deuons-nous
point porter à ceux qui se seruant de sa puissance
& de son authorité, nous auoient preparé

-- 7 --

des maux, dont le moindre aspect faisoit
peur à ceux qui sembloient les plus resolus.
Mais, ô pauure peuple, combien ay-ie
veu pallir de fois ton visage, non pour
l’apprehension que tu eusses, ou pour la
crainte de quelque danger apparent, mais à
cause que tu desirois de ne pas tomber en
ces actions que tu ne faisois que par la contrainte
de tes ennemis : Mais sçais tu bien à
qui tu auois affaire, & si tu le sçais vne fois,
t’estonneras-tu de leur procede ? se sçay qu’il
est difficile de le bien sçauoir, mais si m’est
permis d’en dire la verité, ie diray que ç’ont
esté des artisans subtils, & bien entendus,
que si ie me trompe en cela, ce n’est pas asseurement
de beaucoup. Car ceux-là mesme
qui t’auoient succé iusqu’aux os, & qui
comme des autres Argonautes s’estoient
emparez de la Toison d’or que tu portois
dessus tes espaules, n’y trouuant plus à retondre,
ont voulu s’emanciper iusqu’à ce
point-là, que d’attaquer le Parlement pour
le despoüiller de la plus grande part de ses
biens, & les ietter au mesme estat où ils t’auoient
reduit. Mais quelle Iustice le Ciel

-- 8 --

a-t-il fait paroistre contre vn dessein si pernicieux ?
Vn abysme ordinairemẽt en attire
vn second, & fort peu souuent vn malheur
arriue sans l’autre. Il y auoit desia fort
long-temps que la renommée auoit estendu
ses aisles, & que se portant par les airs,
elle faisoit oüyr ses mille bouches, sans
pourtant sonner la trompette, ie veux dire,
qu’elle murmuroit sourdement dans les
oreilles des peuples, faisant courir mille
bruits, tant de faux que de veritables. Car
comme Dieu ne punit iamais les pecheurs
qu’il ne les aduertisse interieurement de leur
mal, où comme la mer n’est iamais si tost
excitée, qu’elle ne face voir auparauant
qu’il doit venir vn orage, de mesme les
bruits d’vne populace sont volontiers les
auant coureurs du desastre qui les doit bien-tost
affliger. Il y auoit quelque temps que
des personnes vsant de l’authorité dont ils
auoient tousiours abusé, & qu’on leur permettoit
encore alors à nostre dommage,
auoient puny rigoureusement quelques habitans
de Paris, & bien que ce fust contre
toute sorte d’equite, on auoit souffert neãtmoins

-- 9 --

leur tyrannie sans en oser seulement
parler. Ces ames innocentes ont sans doute
supplié le Ciel de vouloir luy-mesme prendre
la vangeance du tort qu’on auoit fait à
leur innocence, si bien que faisant sousleuer
doucement le premier flot de l’orage, on
commença de se formaliser de ces actions
ausquelles si l’on eut permis de venir plus
loing, sans doute qu’elles eussent esté capables
de nous perdre. Mais il arriua tout autrement
que ces meschans n’auoient pretendu,
& cela neantmoins par leur propre
faute : car courant comme des aueugles, ou
plutost comme des cheuaux indomptables,
ils se sont venus ietter eux-mesmes dans le
labyrinthe, & se bruslant comme des moucherons
de la nuict, ils se sont trouuez enueloppez
dans la flame & dans le malheur. Il
n’y a point de chien si petit qui ne vueille
mordre quand on luy monstre les doits, ou
quand on luy touche la queuë, Il faudroit
qu’vn homme fust tout à fait insensible, si
se sentant frapper à coups de baston, où se
voyant interressé dans son honneur & dans
sa fortune, il ne faisoit paroistre quelque

-- 10 --

mes contentement, & ne taschoit de se deffendre,
s’il estoit possible, ou que la raison
luy permist. Car à la verité il n’est pas
tousiours licite d’vser de vangeance : par
exemple, si nostre Prince, ou nostre pere
nous vouloient frapper, il nous faudroit
contenter de nous eschapper doucement
de leurs mains, si tant estoit que nous en
peussions trouuer le chemin, & ce seroit vn
grand crime de leur vouloir apporter quelque
violence, car leurs coups ne sçauroient
iamais estre qu’honorables ; mais de permettre
que des personnes qui n’ont rien à nous
commander, & à qui la nature ne laisse aucun
droit sur nous, nous vueillent commander,
c’est auoir bien peu de courage si nous
l’endurons, & principalement quand leur
procedé tourne au detriment du Prince, &
de tout l’Estat. Et c’est contre toute apparence
de bien que ceux qui se voyent en
grande faueur, veulent tenir en suietion les
petits : car s’ils ont vn temps à regner, il en
arriue vn autre puis apres auquel ils n’ont
plus de force, & où ils se voyent tellement
abbatus, que ceux qu’ils ont iniustement

-- 11 --

offensez, peuuent se ressentir, & se vanger
d’eux. La Fable de l’Aigle & du Renard
nous le fait voir clairement : car bien que celuy-cy
ne peust atteindre au nid de son ennemy,
si est-ce pourtant que l’occasion vint
tout à propos qu’il luy rendit la pareille, par
des moyens d’autant plus inesperez, que ce
fust Iupiter mesme qui luy en fournit le
pouuoir. Le Ciel aussi n’a pas manqué de
nous prester sa faueur pour nous faire triõpher
de nos ennemis, les confondant par sa
propre force, & au contraire de nostre esperance.
Nous luy auons donc les obligations
de nostre victoire, & si nos ennemis se trouuent
à bas, & sans aucune puissance, ils doiuent
soulager leur fortune, de ce qu’ils ont
esté surmontez par sa main, à laquelle on ne
sçauroit resister, ce qu’il a veritablement
executé par vne seconde puissance, se seruant
mesme à cela des Princes, dont la generosité
plus que naturelle à bien fait paroistre
qu’ils estoient conduits à cette entreprise
par vne authorité Souueraine

 

Manibus hominum perijsse iuuabit.

FIN.

-- 12 --

SubSect précédent(e)


Anonyme [1649], L’ESTENDART DE LA LIBERTE PVBLIQVE. , français, latinRéférence RIM : M0_1288. Cote locale : C_7_81.