Anonyme [1652], L’IN-MANVS DV MAZARIN. AVEC LA PRIERE DE LA Reyne faite à Nostre-Dame des Vertus, le iour de la Bataille du Faux-bourg Saint Antoine. , français, latinRéférence RIM : M0_1691. Cote locale : B_12_17.
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L’IN-MANVS
DV MAZARIN.

AVEC LA PRIERE DE LA
Reyne faite à Nostre-Dame des
Vertus, le iour de la Bataille du
Faux-bourg Saint Antoine.

M. DC. LII.

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L’IN-MANVS DV MAZARIN,
Auec la priere de la Reyne faite à
Nostre-Dame des Vertus, le iour de la
Bataille du Faux-bourg S. Antoine.

Pvis qu’il faut que le Cardinal ait toutes ses
saulces auant que partir de la France qu il a
tant de peine à quitter, apres qu’il a dit son
Exaudiat, son Confiteor, son mea culpa, son Deus
det, & son Salue Regina qui luy est fort familier, ie suis
d’aduis qu’afin de nous exempter de dire Consummatum
est, on luy fasse reciter son In manus, puis le reste se fera
selon les formes accoustumées en pareilles ceremonies.

Il est vray qu’on dit que ce n’est pas d’aujourd’huy
qu’il a fait cet acte de resignation de son ame à Dieu,
qui n’en voulut point en l’estat quelle est, & i’ay sçeu
de bonne part que la premiere fois qu’il le produisit
auec vne grimasse assez laide, ce fut le premier de ce
mois, lors qu’estant auec vne partie de son armée sur
la butte de Charonne, il vid du pauillon dans lequel il
estoit sur cette éminence auec le Roy, l’autre partie
de ses trouppes qui tournoit queuë. Il se tenoit accoudé
sur vne fenestre qui regarde vers Paris, & dont l’aspect
s’estend aussi vers Mont-martre, & comme dans
son chagrin il s’amusoit à resuer sur cette disgrace des

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siens, il vid vn grand éclair du costé de la Bastille, qui
fut soudain suiuy d’vn grand coup de foudre, qui fut
le premier coup de canon qu’on tira de cette forteresse
sur quelques vns de ses gens qui auoient eu la hardiesse
d’en approcher trop pres. Iamais homme ne fut
plus trompé que luy quand il vid cette fumée & ce feu,
à la lueur duquel apperceuant Mademoiselle en cét
endroit mesme, il creut voir l’Ange exterminateur
enuoyé du Ciel pour le perdre auec tous les siens. Ce
fut lors qu’ayant fait à demy le signe de la Croix, il
prononça d’vn ton de voix assez fort ces deux paroles,
In manus, que les echos de Mont-faucon ayant fidellement
receuës, ne manquerent de renuoyer soudain à
ses oreilles, en repettant plusieurs fois, In manus, In mauus,
In manus. En mesme temps vn corbeau venu du
costé du bois de Vincennes, se tenant haut en l’air,
croassa plusieurs fois sur sa teste, & de la s’estant allé
placer sur le plus éminent des pilliers dudit Mont faucon,
croassa plusieurs fois encore : en suite dequoy fixant
sa veuë vers la butte de Charonne, afin d’enuisager
le sieur Mazarin, qui pour lors auoit bien d’autres
pensées, il imita la corneille, qui parla du haut du Capitolle
au temps de Tybere, comme raporte Suetone,
& comme elle apres vn grand battement d’aisles qu’on
pouuoit prendre pour vne marque de sa ioye, est bene
non potuit dicere, dixit erit, c’est à dire, que n’ayant pû
prononcer distinctement que tout alloit bien, parce
qu’il parloit mal François, aussi bien que Mazarin : Il
fist seullement connoistre en latin, que dans peu de
iours tout n’iroit pas mal, ou plustost que les vœux de

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tout le monde auroient bien-tost leur accomplissement
en l’effet qu’ils souhaittoient, & qu’il leur
sembloit designer par l’augure fatal du lieu. Mais
Mazarin n’auoit il pas suiet d’estre affligé si iamais
il le fut ? Il se voyoit décheu de l’esperance
d’vn bien tres-chair, dont il auoit flatté
sa vanité curant plusieurs iours, & qui luy
auoit causé de si douces illusions, qu’il s’estoit
plusieurs fois imaginé qu’il entreroit bientost
comme vn Cesar en triomphe dans Paris ; ce
que ses amis auroient mesmes publié de tous costez.
Il auoit creu son armée tres forte en cõparaison
de celle des Princes, en iugeant par le nombre
& non par la valeur des personnes, & iugé sa partie
aussi tres bien faite dans la ville de Paris, dont
il s’estoit figuré que les portes luy seroit auuertes
quand il luy plairoit, aussi bien que fermées à l’armée
des Princes en cas de deroute de leur costé :
& bien leur prist en effet de tesmoigner vne merveilleuse
resolution dans le combat, qui feist que
l’estonnement se mesla dans la ville parmi les Mazarin,
puis qu’autrement ils eussent eu beau heurter
aux portes, auant qu’on leur eust ouuert ; le
dessein de ces traistres estant de les faire tous perir
auparauant. Il s’estoit imaginé que son armée
n’auroit pas pour son petit dejeuné, de toutes leurs
trouppes, qu’elle en feroit soudain ses choux gras,
qu’elle leur passeroit soudain à toutes sur le ventre,

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& les defferoit en deux pas vn saut : enfin que
les tenant prises comme au trebuchet ; il les auroit
bien tost à sa discretion, & que pour vaincre il
n’auoit comme Cesar, qu’a venir & voir.

 

Pour ce qui est de ceux qui auoient tenu le party
des Princes dans la ville, il s’estoit flatté de l’oppinion
qu’ils viendroient aussi tost à iubé, qu’il feroit
tirer les vns au billet & mettroit les autres en
cage, & receuroit de tous autant de satisfaction
qu’il luy auoient dit d’iniures : car pour ce qui est
des biens du peuple, il en auoit promis le pillage à
ses soldats, qui ne craignoient que de trouuer trop
à baiser en cette grande ville, où ily eust eu certes
de quoy contenter l’appetit de cinquantes armées
comme la leur.

La Reyne aussi se promettoit qu’on luy viendroit
bien tost faire l’obenigna, & qu’on luy demanderoit
publiquement pardon des irreuerences
qu’on auoit commises en parlant d’elle auec peu
de discretion & beaucoup d’emportement. Elle
osoit presumer que le Ciel seroit d’autant plus fauorable
à son entreprise que pour meriter sa faueur,
elle auoit ieusne le iour precedent, & fait
ieusner toute la Cour, auec vne entiere abstinence
de viande, excepté le Mazarin qui ne peut s’abstenir
d’en gouster, d’autant que le poisson n’est
pas son gibier. Ainsi plaine d’esperance & de
couroux, comme elle croit que la deuotion & les

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desirs de vengeance ne sont pas incompatibles
en vne Reyue qui veut ramener ses suiets sous son
obeissance par la rigueur, suiuant la suggestion de
son Pere Confesseur, dont la conscience est large
comme la manche d’vn Cordelier : Elle vint
Mardy matin, iour de la visitation de la Vierge,
faire ses deuotions à Nostre Dame des Vertus,
ayant auparauant, à ce qu’on dit, enuoyé vn carrosse
à fix cheuaux pour emmener Monsieur le
Prince en Cour, afin de le mettre en seureté, de
peur qu’il n’exposast desormais sa personne aux
coups comme il fait, auec autant de mespris de la
vie, que s’il estoit inuulnerable & immortel, ou
qu’il deust resuciter le landemain Entre sa Confession
qui fut vn peu longue, & sa Communion
qui fut telle qu’on peut iuger en la situation où
estoit son ame, se tenant à genoux deuant l’image
de la Vierge qu’elle regardoit auec des yeux penitens :
elle luy fit, dit on, vne priere tres-feruente,
& qui veritablement ne fut pas conçeuë au mesmes
termes que celle de ce deuot à la mode du
temps, qui priant Diane, au rapport d’Horace,
luy disoit auec vne soumission admirable,

 

Pulchra lauerna da [1 mot ill.] fallere, da iustum sanctumque
videri, noctem peccatis & fraudibus obijce nubem. La pieuse Reyne Anne d’Austriche en vsoit de
de meilleure ame, & de meilleure foy, comme
elle croioit, & ne laissoit pas cependant d’auoir

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des sentiments aussi contraires à l’équité. Reyne
du ciel, disoit elle, Escoute auiourd’huy les vœux
d’vne Reyne, qui l’est d’vn des beaux Royaumes
du monde, & sois fauorable à ma priere, lors
qu’elle te solicite de m’assister, au dessein d’vne
veangeance aussi iuste que glorieuse Ie n’ay
point besoin de te dire à qui elle s’adresse, parce
que l’ange de la France que i’ay prié de te l’annoncer,
te la sans doute manifesté : mais pourquoy
ne voudrois je pas le dire icy de bouche,
puisque mon cœur te l’exprime, & qu’il se souleue
tout dans ce desir : les Parisiens se sont reuoliés,
non contre le Roy mon fils, car pour ne
point mentir, ils protestent de luy estre tousiours
obeyssans : mais contre moy, ta seruante, qui ay
l’honneur d’estre sa mere & contre le Cardinal
Mazarin, le plus deuot de tes seruiteurs, & qui
ie pense est comme moy, de la Confierie de ton
saint Rosaire. Auiourd’huy iour de ta feste, que
i’ay choisi tout expres comme on dit, à bon iour
bonne œuure, on en vient aux mains contre ces
mutins & contre les Princes leurs Chefs & leurs
Protecteurs ; ie te laisse à iuger s’il y va de mon
interest & de mon honneur. Mon Confesseur le
Reuerend Pere que i’ay fait Euesque, m’a dit autrefois
que quand ie les mettrois tous au fil de
l’espée, ie ne ferois pas vn simple peché veniel. Ie
te demande la grace que i’aye ce pouuoir, & que

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mon armée en mette auiourd’huy sur les carreaux
autant qu’il s’en pourra rencontrer dans
le champ de bataille dans les Faux bourgs, dans
la Ville mesme, où elle puisse entrer victorieuse
par ton moyen, t’asseurant que si ie puis auoir
cet auantage par ta Diuine assistance, ie t’en iray
toute ma vie, rendre graces tous les Samedis
à ton Eglise de Nostre Dame de Paris, que i’orneray
d’vn Ex Voto, d’importance.

 

Comme elle eut acheué sa priere, & finy ses
autres deuotions, elle enuoya sçauoir comment
tout se passoit dans la meslée, parce qu’elle auoit
oüy tirer plusieurs coups de canon, mesme de dedans
dans l’Eglise, & on luy rapporta qu’il y auoit
beaucoup de morts & de blessez de part & d’autre :
mais que trois de ses Regimens auoient presque
tous estez deffaits, ce qui luy feist voir que la
Vierge n’auoit non plus exaucé sa priere, que
sainte Geneuiefue exauça les vœux de ces Messieurs
qui luy demandoient la Paix, ayant les intentions
toutes armées. Elle renuoya vn autre
Messager pour sçauoir si la Ville s’estoit declarée
pour les siens ainsi qu’on luy auoit promis, &
qu’elle l’auoit esperé, & elle apprist au contraire
que le bagage de l’armée des Princes auoit eu
permission de passer au trauers pour se rendre au
Pré aux Clercs, où il estoit en seurreté, ce qui la
mit plus en peine qu’auparauant. Enfin sur les

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cinq heures & demie du soir, estant de retour à Saint
Denis, où elle auoit l’oreille au guet, elle entendit
vn plus grand coup de canon que tous les precedens,
qui estoit le premier qui fut tire de la Bastille.
En mesme temps la vois de l’Echo de Mont-Marthe,
qui respondoit à celles de Mont faucon,
luy porta les piteux accens de l’In-manus de Mazarin,
qu’elle pleura comme mort, iusqu à ce
qu’elle le reuit le soir, plus triste qu’vn bonnet de
nuict, & qui repeta plus de cent fois hei me, hei me,
ce qui cuida la faire mourir de douleur. Depuis ce
soir il ne s’est passé iour qu’il n’ait dit son In manus :
mais ie croy qu’il le dira pour la derniere fois à l’ariuée
des troupes de l’Archiduc en cette Ville,
lors que nous chanterons le Te Deum, pour le
recouurement de nos libertez.

 

FIN.

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