Anonyme [1652], L’INCONNV A LA REYNE. Où elle est suppliée, de chasser le Cardinal Mazarin, & monstré la necessité de son exil par des raisons infaillibles, & inneuitables, à cellefin d’auoir la Paix Generalle. , françaisRéférence RIM : M0_1693. Cote locale : B_16_25.
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L’INCONNV
A LA
REYNE. Où elle est suppliée, de chasser
le Cardinal Mazarin, &
monstré la necessité de son
exil par des raisons infaillibles,
& inneuitables, à cellefin
d’auoir la Paix Generalle.

A. PARIS,
Chez MARTIN BELEY, Marchand Libraire,
demeurant proche le Puy-Certain.

M. DC. LII.

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L’INCONNV A LA REYNE.
Où elle est suppliée de chasser le Cardinal
Mayarin, & monstré la necessité de son exil
par des raisons infaillibles, & inneuitables
a cellefin d’auoir la Paix Generalle.

MADAME,

Chaques traicts de plume, que i’employe pour vous
escrire cette Lettre, sont autant de pretieux momens
pour nostre salut ; s’y vous prenez la peine de connoistre
qui ie suis par la lecture d’vne demie heure. Et si
vous faites reflexion serieusement sur la cause des troubles,
que vous auez souffert dãs le pretexte que l’on vous
à allegue iusqu’à present, pour esuiter la suitte de nos miseres
auec la mesme authorité de laquelle on s’est seruy
pour esloigner la Paix, & faire passer Vostre Majesté
pour l’ennomie du repos, apres auoir donné des témoignages
si authentiques du contraire à vos peuples.

Ie ne desire qu’à vous monstrer visiblement quel est
le sujet des calamités presentes, à celle fin que Vostre
Majesté y remedie s’il luy plaist, puisque c’est d’elle que
despend toute nostre fortune. L’autheur de nos maux
est le Cardinal Mazarin, & ie crois que Vostre Majesté,
verra pour plusieurs raisons qu’il est tres expedient qu’il
soit chassé hors du Royaume, de peur que tout le peuple
ne se sousleue, & que l’esmotion ne s’enracine plus
auant parmy vos Sujets.

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Si Vostre Majesté rappelle quatre on cinq cours du
Soleil elle verra, que le Cardinal Mazarin haissant naturellement
les François, ou qu’ayant dessein de se
maintenir leur premier Ministre, il a non seulement negligé
la Paix, qu’and il l’a peu faire, mais encor augmenté
la Guerre par malice plutost, que par industrie.
Vostre Majesté sçait assez, pourquoy il a arresté vos
conquestes du costé de Catalogne : & pourquoy il a fait
perdre des armées entieres pour satisfaire a sa vengeance,
& à son auarice : Elle n’ignore pas que ses demandes
impertinentes lors des traittez de Paix estoient autant
de moyens pour la differer, parce que le trouble fait la
necessité de sa charge.

Pourquoy a-il fait emprisonner Messieurs les Princes,
que parce qu’ils commançoient à reconnoistre ses
perfidies ? les violences cachées dont il vse sont des
crimes à ceux qui s’en plaignent. Ceux qui estoient à
l’armée, qui commandoient pour accroistre la Monarchie,
& qui prodiguoient leur sang pour son salut n’ont
eu dans leur retour pour triomphe que la prison. Ceux
qui demeuroient à la Cour estoient des trop bons
phoenix pour luy : les vns & les autres ont esté mal-traittez,
& il n’y a eu d’assurance que pour les Mazarins.

Sans doute ce Ministre vous a representé qu’ils faisoient
de trop grands progrés, les vns par leurs conseils,
les autres par leur courage, & que l’authorité, auec le
credit, s’emparant des coeurs qui leur obeissoiẽt. Il pouuoit
arriuer à la Monarchie, quelque bréche dãgereuse à
reparer. Cela eust esté bon parmy des Italiens, cela eust
esté de recepte parmy la decadence des Romains qui
faisoient pour lors tout aussi-tost des nouueaux Empereurs
que l’argent auec quelque magnanimité leur auoit
éblouy les yeux, mais chez des peuples sousmis de tout
temps à leur Souuerain, dans vne Regence si bien commencée
& sur le point que V. M. deuoit rendre au Roy
la moitié du monde pacifique : & l’autre preste à tresbucher
sous ses lauriers : falloit-il vser de precautions si

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falloit-il recompenser des exploits si heroiques par vn traitement
si rigoureux ? falloit-il outrager des Princes qui
auoient affermy la Couronne vn million de fois ? En fin falloit-il
animer le peuple contre eux, & contre leur liberté
mesme ? c’est le commerce iournalier de ce traistre, lequel
en baisant mesme, perd ceux ausquels il fait bonne mine,
c’est vn vipere bien formé.

 

Il a volé, & il a esté surpris, il a tyrannisé, & il a esté
chasse : le Roy l’a declaré criminel, & on l’a rappellé, moyen
de bailler lieu à toutes sortes de pretextes.

Voyla donc la Guerre allumee au milieu des Prouinces,
les Estrangers des deux partis les pillent & les desolent,
leur lubricité triomphe de nostre integrité, Voyla donc le
bon-heur que produit le Ministere du Cardinal Mazarin.
Voyla deux puissantes armées leuées dans vn mesme Royaume,
composées d’hommes de mesme Nation, de mesmes
Prouinces, de mesmes citez, de mesme sang, de mesmes
familles, tous sujets d’vn mesme Prince, portant vn mesme
nom de François, & tous ayans vn mesme titre de Chrestiens ;
leurs enseignes ont vne mesme Fleur de Lys, & ie
crois qu’il n’y a pas vn seul Soldat qui n’ait vne mesme affection
pour la conseruer : Cependant pour supporter vn proscrit,
vn exilé, & vn temeraire, tout est en combustion.
Si c’estoit pour conseruer au Roy son autorité absoluë, &
monstrer aux rebelles la peine de leur faute : il n’est pas possible
de penser de plus saintes, plus iustes, & plus legitimes
causes : Mais les voyes, & les maximes qu’on obserue à la
Cour, vous conduisent à vne fin toute contraire, à ce que
vous pretendez. Nous aymons nostre Roy comme la prunelle
de nos yeux, on luy obeyt par tout ; & de croire qu’en
perdant les biẽs de ses Peuples, de s’imaginer qu’en les rauageant,
on assujetisse les cœurs ; C’est ce qui ne se peut obtemr
dans la franchise de vos suiéts. Quand le reste de la
France, aura armé sen blablement : Quand à coups de canons
vous aurez rasé vos Villes, vos Eglises, & vos Maisons,
Quand vous aurez fait manger vostre substance, vos fruits,
& ceux des Laboureurs : foulé aux pieds de vos Cheuaux

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toute l’esperance de la prochaine recolte : Quand ce qui restera
de la fureur de la Guerre, aura esté emporté, par la
famine, & par la peste : Quand vous aurez remply vostre
pays d’Estrangers, qui changeront nostre nom, & feront
des nouuelles Armées, nouuel Estat, & nouueau Gouuernement :
Introduiront telles Religions, & telles Loix que
bon leur semblera : aurez vous, ie vous prie obtenu le restablissement
du Cardinal, pour vostre repos ? En quel lieu sera
vostre Conseil pour aduoüer sa turpitude ? En quel estat
sera le Roy, sa Couronne, son Sceptre, sa Iustice, & tout
ce bel ordre de Gouuernement conserué en France depuis
treize cens ans ? Et vostre Majesté pour lors, si elle est viuante,
sera priuée de toute liberté, sous la tyrannie de l’Estranger,
& regrettera trop tard la confiance qu’elle aura,
en dans les propos interessez du Cardinal. Vous en voyez
dé-ja les commencemens ; Il ne reste plus qu’à faire ranger
les armées en bataille, à qui que ce soit, que la victoire en
demeure les affaires seront à vn tel poinct, que le mal sera
irremediable. Vos trouppes auront d’autres ennemys à combattre,
que ceux qui leur sont opposez maintenant ; la France
est pleine d’hommes, ayans mesme volonté, laquelle
s’enflammera d’auantage par la mort de leurs compagnons.
Le party vaincu accourra aux extremes remedes : Le vainqueur
sera si insolent de la victoire que l’autorité du Roy,
les voix, & les commandemens de ses Capitaines n’auront
plus de lieu, & ne seront plus connus en son endroit. Que
Vostre Majesté se souuienne que l’ancien Estat de la France
a esté subuerty par semblables moyens à ceux dont on vse à
present. Il y a seize cens ans passez, que les Prouinces, les
Villes, & les Familles de cette nation estoient diuisées par
factions, lesquelles se maintindrent en cette maniere de
gouuernement, iusqu’à ce qu’vn party se sentant foible,
appella les Allemans à son secours, & l’autre les Romains,
les deux Estrangers firent la Guerre continuellement en
France, l’espace de quatre cens ans : Si les Guerres Ciuiles
continuent, il est à apprehender que le mesme n’arriue, &
nous verrions renouueller parmy nous, ce qui fait horreur
à la memoire.

 

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Vn excellent Medecin du temps passé, ayant trouué à
vn malade, vn emplastre mis par vn Chirurgien sur la main,
il l’osta, & l’appliqua sur la nucque, qui ne sentoit aucune
douleur, à dessein que la force du medicament placé en cét
endroit ; Lequel est la source des nerfs qui se distribuent aux
autres parties du corps, se communicquat plus facilement à
la partie blessée. Ainsi Vostre Majesté ne peut se conseruer
elle mesme, sans maintenir toutes ses parties : Bien que vos
sujets soient incomparables à Vostre Grandeur, & que leur
bassesse se considere par Vostre hauteur, & par vos perfectiõs ;
toutesfois Dieu vous en a constituée leur chef, & vous
n’auez la qualité de Reyne, que par vos Sujets, comme vous
ne subsistez que par l’affection, & l’obeyssance qu’ils vous
portent. Donnez leur, MADAME, vne sainte Paix,
esloignez ce pertur bateur public, ne mettez point en consideration
les offenses qui vous pourroient sembler auoir
esté particulierement commises contre vous : Proposez vous
la gloire de Dieu la premiere, puis le bien, le soulagement,
& le repos de vostre Peuple. Ce n’est point vostre particulier,
qui vous fait éstre ce que vous estes : Ce n’est que l’affection,
l’vnion, & le consentement des hommes que vous
voyez diuisez en ces deux armées. Si vous auez perdu le
cœur de vos Sujets, si la guerre détruit les corps & ruine les
biens, surquoy s’étendra vostre domination ? Quand vostre
Frãce sera reduite en deserr, quelle Reine serez vous ? & quel
éclat donnerez vous à vostre fils pour maintenir sa Monarchie ?
quand elle sera habitée par les étrangers : estimez vous
qu’ils se soúmettent à vos loix ? ne diront-ils pas que le droit
des armes leur baille l’authorité sur le pays conquis ? Quand
bien vous les rendriez vostres, comment asseurerez vous vn
nouuel estat ? en combien de temps auez vous reparé les
ruines de cette guerre ! Non, non, Madame, il n’y a esperance
qui vous puisse promettre vne couronne plus belle que
celle que Dieu vous a mise en main. Il n’y a point d’Estrangers
qui vous puissent donner plus de forces, ny plus de
moyens que vous en auez dans le Royaume de vostre fils
pour le luy conseruer. Faites donc cesser toutes occasions

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que vos suiets ont euës de recourir à ces extremes remedes,
lesquels il vaut mieux éuiter, que d’en attendre l’euenement
La trop grande faueur portee sous le nom de vostre
Royalle puissance, à vn Sicilien, la parole du Roy violée, &
de laquelle on se sert pour perdre les Princes, les charges
extraordinaires imposées sur le peuple, les forces estrangeres
appellées en ce Royaume, les pratiques & les intelligences
secretes du Cardinal auec vos voisins, lesquels sous
le pretexte de vous secourir aspirent à l’Estat, & les peurs
que le vulgaire soupçonneux s’est forgé la dessus ont esté
les étincelles pour allumer le feu, lequel vous ne pouuez
esteindre sinon en bannissant le Cardinal Mazarin, en vous
reconciliant auec vos suiets, leur monstrant à tous vn mesme
visage, les retenant par vne mesme faneur, & vne mesme
liberté, les honorant des charges également, & faisant
choix de tous les Princes du sang pour le support de la Monarchie.

 

Vostre Maiesté doit estre assurée de la sou mission de ses
peuples, les brutalitez d’vne petite populace ne doiuent pas
alterer cette clemence qui vous est naturelle, non plus que
les pernitieux Conseils de celuy qui vous anime.

Ne mettez pas en compromis vos subiets auec les mauuaises
intentions du Cardinal Mazarin, & croyez s’il vous plaist,
que ie suis des-interessé, aussi ie ne m’estime pas trop hardy,
puis qu’il y va de vostre honneur.

FIN.

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Anonyme [1652], L’INCONNV A LA REYNE. Où elle est suppliée, de chasser le Cardinal Mazarin, & monstré la necessité de son exil par des raisons infaillibles, & inneuitables, à cellefin d’auoir la Paix Generalle. , françaisRéférence RIM : M0_1693. Cote locale : B_16_25.