Anonyme [1649], L’INIVSTE AV THROSNE DE LA FORTVNE, OV LE FLEAV DE LA FRANCE. , françaisRéférence RIM : M0_1695. Cote locale : C_5_60.
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L’INIVSTE
AV
THROSNE
DE LA
FORTVNE,
OV
LE FLEAV
DE LA FRANCE.

A PARIS,
De L’Imprimerie de NICOLAS IACQVARD, ruë
Chartiere, prés le Puits Certain, au Treillis vert.

M. DC. XLVIIII.

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L’INIVSTE
AV
THROSNE
DE LA
FORTVNE
OV
LE FLEAV
DE LA FRANCE.

LA puissance des Roys est si sacrée & si
absoluë & leurs Majestez dignes de venerations
si profondes, qu’on n’en sçauroit
violer les respects, sans en mériter les
chastimens ; leur authorité pareille à vn
torrent impetueux renuerse tout ce qui
luy nuit ; ce sont des organes du Tout-puissant & des

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Deytez terrestres, qui ayant esté establis pour commander
les peuples, & pour representer ici bas le pouvoir vniversel
de celuy qui nous les donne, doivent disposer de
nos biens & de nos vies, selon que la Iustice, la Prudence
& la magnanimité qui les doivent accompagner en
ordonnent. Si quelque fois nous voyons ces divines conseilléres
leur suggérer des sentimens au desavantage de
nostre repos, n’en accusons point leur innocence : mais
croyons que nous sommes veritablement criminels, &
cherchons nostre faute dans nos actions, dans nos paroles
ou dans nos pensées. Il est vray que la flatterie sous
vn faux masque de verité y tient place au rang des vertus
les plus esclatantes, & s’est vn vice si fort suiuy à
la Cour, que la vertu ny paroist pas dans vne plus haute
estime : Aussi cette damnable passion, qu’a produit l’avarice
attire apres soy des évenemens si funestes, qu’elle se
fait autant detester des Sages, que suivre & affectionner des
escervelez. La France n’auroit point encor eu sujet de
detester ses caprices depuis le Regne de son ieune Mars,
aupres de qui les années n’ont point donné place à ce
Boute-Feu des Estats ; Si nostre malheur n’eust attiré
à soy tout ce que cette Syrenne a de fart & d’artifice
pour former d’vne masse d’Argile le plus parfait ouvrage
de la fortune ; & le plus grand exemple de son inconstance.
Ce Flateur ambitieux par ses sortilléges & meschancetés
aussi haut monté que iamais l’ambition ayt élevé
personne, sembloit du sommet de son Throsne de grandeur
cimenté du sang & de la substance de mille peuples,
ne pas apprehender mesme la collére d’vn Dieu iustement
irrité, tant les honneurs & les dignités aveuglent
vne ame basse & grossiére ; il estoit le grand dépositaire
de la fortune, c’estoit par luy qu’elle agissoit entierement,
mais envers des personnes d’aussi bonne espece & d’aussi
basse estoffe que luy ; & celui que peu de temps auparavant

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on avoit veu rompre la teste à vne femme de ses flateries
importunes, se voit lui-mesme le but de celles de mille
avares & ambitieux courtisans de sa faveur. Mais la fortune
& la flaterie seules bazes de sa grandeur ne seroient
pas inconstantes & trompeuses comme elles sont, si elles
l’eussent laissé iouïr d’vn repos qu’il ostoit à tout le monde,
il estoit temps qu’il en sentit les traverses comme il
en avoit gousté les faveurs ; & tout ainsi qu’vn Champignon
d’vn iour, à qui l’Aurore a donné l’estre, & que les
vespres détruit, il estoit à propos que sa destinée n’eust
pas vn establissement plus stable ny mieux asseuré.

 

Il a voulu par la dissipation des Finances, par l’exil
la mort, ou l’emprisonnement des Princes & des
personnes de mérite, par vne puissance illégitime, &
par mille ressorts d’vne jntrigue odieuse, embrouïller &
confondre l’odre de l’Estat : Ayant les premiers Princes
à sa dévotion & sa solde, & vsurpant le pouvoir de la Régence :
que lui falloit-il davantage pour tout renverser ?
Mais son esprit lent & tardif au possible, a bien paru en
ce rencontre, n’ayant pû sortir d’vne entreprise trop delicate
pour son ame ignorante & grossiere : Car tous ses
desseins tragiques estant avortés & ses resolutions aneanties
par la sage prudence, & par la prévoyance tres-particuliére
du plus Auguste Senat qui iamais ait administré
la Iustice dans la France, il se voit descheu de toutes ses
marques d’honneur qui l’accompagnoyent, & précipite
à l’instant dans la fange & dans la bouë, d’où sa convoitise
ambitieuse l’auoit tiré : Il n’est pas encor puny au préalable
de ses vices, c’est vn criminel qui traisne son cordeau,
& quoy qu’il différe, il n’eschappe pas son supplice.
Mais voyons l’extrémité à laquelle il a réduit cét
Estat si florissant, & detestons par là sa mauvaise conduite,
ses débauches infames, son ignorance, sa flaterie
Ambitieuse, ou plûtôt ses enchantemens & sortilléges,

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& générallement toutes les belles qualités de
cette nature dont il est doüé éminemment.

 

LE PARLEMENT par vn soin au bien de l’Estat, &
par vne vigilance digne de mille loüanges ayant voulu
depuis quelques mois remédier aux abbus qui insensiblement
depuis cette Regence s’estoient glissez dans l’ordre
des finances, en recherchant ceux qui les ayant maniées
les avoient dissipées dans leurs plaisirs & dépenses particuliéres
sembloit auec l’espoir d’une paix tant souhaittée,
nous offrir vne bonace aussi grande que la tempeste qui
depuis tant d’années nous agitoit. En effet une fameuse
bataille gangnée en Flandres avec toutes sortes dauantages
& la paix d’Allemagne dans les termes d’une derniere
Conclusion, faisoient pancher toutes choses à l’accomplissemẽt
de ses souhaits, quãd au milieu des ioyes & des
réjouissances publiques pour la prospérité des armes de
nostre ieune Monarque, nous fusmes troublez par un accident
qui fut la premiére secousse de ce collosse, qui
lui-mesme avançoit sa ruine, & qui fut comme l’esclair
de la foudre dont il devoit estre écrazé : car par le seul
conseil de ce pernicieux Ministre, à la sortie du TE
DEVM chanté dans Nostre-Dame pour la bataille de
Lens, on se saisit de la persone de Monsieur de Broussel,
vn des premiers & plus anciens Membre ; de cet Illustre
Corps, que la Prudence, la Sagesse, la Doctrine, la
Iustice incorruptible & la fidélité eprouvée avoient rendu
tres-considérable, & que la passion extréme à embrasser
les interests du Peuple, a esté du depuis qualifié
du tiltre glorieux de Conservateur & Pere de la Patrie,
& rendu recommandable à toute la terre. Ce Brave Politique
espéroit que par cet enlevement privant le Parlement
& le Peuple de son plus fort appui & en aiant fait autant
de quelques autres ; il auroit meilleur marché du reste,
afin d’assurer par la son ministere, & mettre ses volleries

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& rapines à couvert des censures de la Iustice humaine :
Mais voyez les decrets merveilleux de la divine, cét expédient
qu’il estimoit le plus prompt & le plus asseuré
pour l’accomplissement de ses entreprises est celui-là mesme
qui le conduit à deux doits de sa ruïne.

 

LA RENOMMÉE n’eust pas plustost publié cette
nouvelle parmy le peuple, qu’aussi-tost vne troupe animée
courut aux portes du Palais où estoient leurs Majestez
pour demander avec des cris, des menaces & des
impatiences extraordinaires ceux qui leurs avoyent esté
ravis ; sur le refus ils s’echauferent tellement qu’ayant
menacé hautement de feu & de carnage cette Maison
Royalle, on sur contraint pour l’appaiser de lui promettre
ce qu’il demandoit avec tant d’instance. Cependant
le Parlement y va premierement par Députés : la Reyne
préoccupée des persuasions & faux conseils du Cardinal
paroist inéxorable, le bruit & le tumulte augmente dans
la Ville ; le Peuple prend les armes pour avoir par la force
ce que la raison ne lui peut accorder, on se fortifie,
on se barricade, quelques jours s écoulent de la sorte, pendant
lequel temps le Parlement tasche de fléchir le cœur
de la Reyne : Cette honorable Compagnie, y va derechef
en Corps ou ayant passé toute vne journée, la Reyne leur
accorde enfin la délivrance & le retour des prisonniers
qu’on avoit desja éloignez de la ville, plustost par necessité
& par maxime d’Estat, que par aucune bonne impression
qu’eussent fait dans son esprit les Raisons pertinentes
qu’ils lui alléguérent. Ce fut dans le retour de ces
Illustres Captifs qu’esclata la Ioye d’vn peuple fidelle &
reconnoissant, ce fut pour lors qu’il fit connoistre à ces
chers Libérateurs qu’il ne sçait point abandonner ceux
qui le sçavent si bien protéger. On n’eust leu pour lors
dans les cœurs & sur les visages des veritables François
aucunes marques de tristesses. Cette morne Passion en

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estoit bien loing bannie, voire de ceux mesmes qui
avoient des sujets legitimes de la graver dans leurs ames ;
Les applaudissement & les cris joyeux de, VIVE LE
ROY, retentirent en mesme temps par tous les endroits
de la Ville, parolles qui furent les oracles certains
rendus par le peuple mesme de la puissance absoluë
du Roy sur tous ses bons Sujets, & du lustre & splendeur
dont esclatera dans les douceurs d’vne longue Paix :
Cét Auguste Parlement, qui nous est marqué sous le nom
de Monsieur de Broussel qui en est vne des premiéres &
plus honorables Testes. Tout ainsi qu’vn nuage forme des
vapeurs exaltées de la terre & que la force des rayons du
Soleil a enlevées dans les airs, luy couvre quelquefois la
face dans le plus beau de sa carriére, puis estant dissipé
par ce bel Astre forme vne orageuse tempeste, & se réduit
en pluyes qui se deschargent sur la terre & en arrosent
la surface ; mais ce nuage n’est pas de durée, & si
tost que les vents qui l’accompagnent sont appaisez, le
Soleil paroist avec vne lumiére plus esclatante, & cette
eau ne semble avoir esté versée que pour embellir son visage ;
de mesme en estoit il apres ce funeste, orage, nous
goustons ce sembloit vn repos plus grand qu’auparavant.
Nous avions finy la Campagne, par cette heureuse victoire
qui nous mettoit à couvert, & le Parlement travailloit
avec diligence au Reglement des Finances, & à l’axamen
des Comptes de ceux qui les avoient maniées : Mais
le Serpent estoit caché sous les Roses, & le Cardinal si
funeste à la France se sentant coupable de la dissipation
de la pluspart des sommes immenses que le Parlement
trouvoit de manque, n’avoit garde d’attendre le coup
qui le menaçoit. Pour se faire vn rempart dans sa fuitte
de la puissance Royalle, il sçeut persuader à la Reyne sa
sortie de Paris & l’enlevement du Roy, il pratiqua tous
les Princes, & s’estant asseuré principalement de ceux du

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Sang & de la Maison Royalle, il trouve occasion de sortir
en plaine nuit, la veille des Roys lors que tout le monde
plus assoupy de sommeil qu à l’ordinaire par les réjoüyssances
de festins, ne songeoit à rien moins qu à cette
subtile évasion. Cependant il sembloit que le Soleil
d’vn pas plus précipite qu’à l’ordinaire s’avançast pour
nous faire connoistre avec le iour les mal-heurs que cette
nuit funeste nous avoit fait naistre, & l’erreur extréme
qui nous aveugloit. Vn Vaisseau à la Rade & dans vn
Port asseuré poussé dans les tenebres de la nuit d’vn furieux
& soudain Orage, qui brise cordes, avirons, lors
que le Nocher & les Matelots sont dans leur plus profond
sommeil, ne les rend pas plus estonnez quand au
réveil ils se trouvent bien loing du Port, au milieu d’vne
vaste Campagne de Mers inconnuës, & à la mercy
des ondes que furent tous nos vrais François à la nouvelle
de la sortie de leur Prince de sa bonne Ville de Paris.
Les plus sages préjugérent bien deslors tous les malheurs
& les brouilleries dont cette absence du Roy nous
menaçoit, ils connurent tout aussi-tost les perfidies &
mauvaises intentions du moteur de tous ces ressorts : mais
ce mal estoit sans remede, & c’estoit à nous de digérer
la lourde faute que nous avions commise de n’avoir pas
vengence par nos propres mains, lors que ce Scélérat
estoit à notre diposition, & dans l’enceinte de nos murailles.

 

LE ROY à qui le bas aage n’a pas encor donné
la connoissance des affaires, fut conduit à Sainct
Germain en Laye, ou toute la Cour & celle du Cardinal
arriva en mesme temps : Mais tandis que ce meschant
Homme amasse & faict venir des trouppes Allemandes,
Flamandes, Suisses, Lorraines, amies ou
ennemies pour sa seule conservation, à la ruyne de
toute la France ; qu’il destitue les places frontiéres &

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les pays de nouvelle conqueste des fortes garnisons qui
les mettoyent à couuert des attaques de l’ennemy déclaré
de l’Estat ; qu’il foule aux pieds toutes les considérations
de cette nature, pour faire tout servir & sacrifier à
sa passion.

 

Le Parlement d’autre costé qui en est averty fait des levées
d’vne puissante armée de ses Citoyens sous la conduite
d’vn Prince de Bourbon, capable de luy résister, il
n’emprunte point de forces estrangéres ; La raison &
la justice estant de son coste & combatant pour le maintient
de l’authorité Royalle. Il se trouve assez fort pour
resister à tous ses ennemis, mais à ceux-cy principalement
que l’espreuve des richesses & du pillage a attirez
iusques à ses portes vn tas de gueux & de coquins, ausquels
on a donne Passe-port pour voller & piller publiquement
par toute la France, les biens que le Cardinal
n’a pû dérober, & que sa convoitise insatiable nous veut
encor ravir iusques à la peau.

Voyla l’estat mal-heureux ou se voit à present le plus
florissant Empire de l’Europe ; chose estrange qu’vn homme
de néant, estranger, & né sujet de nostre Capital
ennemy, soit monté dans vn faste d’honneur & de grandeur
si estonnante, qu’il aille du pair avec les puissances
Souveraines, & face outrage mesme aux testes Couronnées.

Souffrirez vous, bons FRANÇOIS, qu’vn Ministre
estranger vous prescrive des Loix, & vous maistrise avec vne
tyrannie si odieuse & insuportable, non (vous ne le devez
pas, il faut persister dans vos iustes intentions, & que
vous n’ayez point d’autre parole dans la bouche si ce ne
sont des cris de VIVE LE ROY) vous qui vous pouués
vanter de commander à tant de Provinces par le seul droit
de vostre espée, qui avez autrefois vaincu les vainqueurs
de l’Vnivers, qui par tant de batailles si glorieuses & si

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signalées vous estes rendus la terreur de tous vos voisins,
lesquels ont tousjours recherché avec passion vostre
alliance glorieuse, qui avez porté vos armes victorieuses
jusques aux Terres d’Idumée, & avez fait trembler le
Croissant de l’Asie au seul bruit de vos Conquestes : Elles
impriment la peur parmy les plus éloignez, & vous avez
acquis la gloire d’estre la plus belliqueuse de toutes les
Nations. Souffrirez-vous davantage ce Crocodille qui
ne demande que vostre perte, cette Sansuë qui succe vôtre
substance, ce Vautour qui vous ronge le cœur : Non,
ie vous vois armez pour sa détruction, vous avés iuré sa
ruïne, vous vous dissillés enfin les yeux vous mesmes pour
prendre connoissance de vostre faute pour la reparer par
les efforts : c’est vn Monstre qu’il faut estouffer avant que
de luy donner le temps de poursuivre ses cruautez & ses
débris & comme sa grandeur a eu l’éclat du verre, elle
en aura la mesme fragilité. Et en suite de cette détruction
vous ioüyrez du bon-heur de voir vostre BON ROY
ainsi que vous l’avez tousjours desiré, & comme vous le
souhaitez depuis vn si long-temps.

 

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