Anonyme [1649], L’INIVSTICE DES ARMES DE MAZARIN, TESMOIGNEE A MONSIEVR LE PRINCE DE CONDÉ, PAR MONSIEVR DE CHASTILON. , françaisRéférence RIM : M0_1698. Cote locale : C_5_61.
SubSect précédent(e)

L’INIVSTICE
DES ARMES DE MAZARIN, TESMOIGNEE
à Monsieur le Prince de Condé, par Mr de Chastillon.

MONSIEVR.

Puis qu’il a pleu à la Diuine Prouidence
de disposer de ma personne, dans l’intention que i’auois
de vous seruir iusques à la mort, je me sens obligé de vous
rendre ce dernier debuoir, dont ie me serois desia acquité,
n’eust esté cette malheureuse complaisance par laquelle
ie me suis laissé surmonter, iusques à vous flatter dans
l’iniustice de vos entreprises, qui ne semblent auoir autre
but que la protection du plus infame voleur qui ait iamais
paru dans les siecles passez ; mais il est temps de leuer le
masque, & de bannir cette dissimulation trop perilleuse,
qui se rencontre ordinairement dans la Cour, & fait condescendre
la pluspart des Courtisans à des laschetez insupportables,
ressemblant par leurs flatteries & leurs belles
apparences à ces feux folets qui conduisent insensiblement
dans le precipice, & qui font que les vices les
plus enormes sont le plus souuent l’vnique objet de toutes
les loüanges dont on puisse honorer les veritables vertus.
Il est temps dis je, MONSIEVR, que ie vous declare
ce que i’ay sur le cœur, que vous pouuez voir à trauers
de ces playes, que i’ay receu à vostre seruice, vous
parler des interessé, puisque c’est dans ces derniers momens
que nous auons coustume de nous dépoüiller de
nos interests, & que la verité sort plus aisément de nos

-- 4 --

bouches, estans détachez de ces vaines promesses, qui
nous aueuglent & font que nous la déguisons, lors qu’il
est quelquefois vtile de la declarer.

 

Ie n’aurois point de regret de mourir maintenant, si ie
sçauois en mourant pour vostre seruice ne pas meriter le
reproche d’auoir porté les armes contre mon Souuerain,
pour establir la tyrannie d’vn estranger, dont les pernicieux
desseins ne tendent qu’à la ruyne de cét Estat & à la
perte du Royaume le plus florissant de l’Vniuers ; & ce regret
semble s’augmenter dauantage, lors que ie considere
que vous perseuerez dans la mesme resolution de seruir
d’appuy à ce Ministre insolent, qui s’est esleué & a establi
sa fortune, en abaissant les testes les plus hautes & les plus
considerables, & les assujettissant à son pouuoir tyrannique.
Il a cent fois espié les occasions de vous perdre, &
vous veillez à sa conseruation ; Il vous a mille fois abandonné
à la fureur de nos ennemis, desquels vous n’estes
pas eschapé sans miracle ; maintenant il vous expose à la
necessité de vos meilleurs amis & de vos bons Concitoyens,
& neantmoins vous vous portez pour amy de ce
perfide & desnaturé Suiet de son Prince : Enfin il a voulu
vous embarquer dans cette dangereuse entreprise, pour y
engager vostre reputation, & vous exposez tous les iours
vostre vie pour conseruer la sienne, qu’il a noircie par les
plus lâches actions & les plus horribles méchancetez, que
puissent commettre, ie ne dis pas des hommes, mais les
plus cruels demons de l’enfer.

On vous a veu combatre l’ennemy de l’Estat sur nos
Frontieres, reuenu victorieux & tout couuert de lauriers ;
en voicy vn qui déchire ses entrailles, & bien loin de l’en
empescher, vous voulez authoriser ses crimes, & détruire
ceux qui seroient prests de vons seconder dans vne si genereuse
entreprise.

-- 5 --

Songez, Monsreur, aux mauuais conseils que vous ont
donnez ceux qui sont enuieux de vostre reputation, ennemis
de vostre gloire, & amis de celuy dont vous pretendez
appuyer l’iniustice, d’autant qu’ils esperent en tirer de
l’aduantage, par les recompenses desquelles on flatte ces
esprits bas & mercenaires. Songez y, dis-je, & Dieu vous
fera la grace de dessiller vos yeux, & de vous découurir
les pieges & les embusches qui vous sont dressez, & vous
fera connoistre que vous auez besoin de ses lumieres pour
vous retirer d’vn labyrinthe, dans lequel vn aueuglement
vous alloit precipiter.

Ne vous seruez pas de ces mesmes armes qui vous ont
rendu victorieux sur nos Ennemis, contre ceux-lâ mesmes
pour qui vous vous en estes si genereusement seruy. Il y
va du repos de vostre conscience, que vous troublez dans
l’iniustice du party que vous fauorisez ; il est iniuste veritablement,
puisque c’est contre vostre Souuerain en faueur
du plus grand Ennemy de sa Couronne ; il est iniuste, puisque
c’est pour opprimer la justice, & maintenir le plus injuste
de tous les hommes : il est enfin contre la raison, puis
qu’il n’a pour but que la perte & l’oppression de tous les
bons François. Vous me direz peut estre, que c’est pour
le seruice du Roy & de son Estat, puisque c’est pour celuy
de sa Mere & Regente ; mais ne voyez-vous pas que c’est
vne Mere abusée & surprise par les artifices de cet Estrãger

Quittez, quittez, Monsieur, cette dangereuse resolutiõ,
de peur qu’vn iour vous ne soyez obligé de rendre conte
deuant Dieu d’vn Royaume dont il vous a fait l’appuy, &
que vous auriez démembré par la diuision des Guerres
Ciuiles dont vous jettez le fondement. Autremẽt que ne
dira on point de vous, & que n’en dit on point desia ? que
vous auriez esté complice des crimes de cette sangsuë

-- 6 --

Sicilienne, puis qu’il semble que vous les approuuiez dás
la prise des Armes en faueur de celuy qui les a commis,
que vous auriez esté bien aise des desordres qui se sont
glissez dans cet Estat, puisque vous en conseruez l’origine ;
En vn mot, vous attirerez sur vous la haine & l’indignation
du peuple dont vous auiez gagné les cœurs, & qui
n’auoient point d’autres desirs, que de vous voir le plus
genereux, le plus sage & le plus vertueux Prince de l’Vniuers :
De plus vous laisserez de vous vne memoire odieuse
à la posterité, au lieu que vous pourriez faire autant
d’admirateurs de vos actions precedentes, qu’il y auroit
d’hommes qui blasmeroient celle cy, comme indigne
d’vn Prince le plus vaillant de toute l’Europe.

 

Croirez-vous, Monsieur, qae vostre vie seroit en seureté
parmy ceux qui demanderoient vengeãce de la mort
de leurs Peres, & du sang de leurs plus proches parents,
que la rigueur de vos Armes auroit inhumainement répandu ?
les larmes que les femmes verseroient sur les cadavres
de leurs maris ne vous seruiroient-elles pas de visibles
boureaux pour tourmenter continuellement vostre
conscience, & pour vous reprocher toutes les fois qu’elles
se presenteroient à vos yeux l’iniustice de vos entreprises ?
Ce sang ne vous feroit-il pas rougir de hóte, & ces larmes
pallir de l’horreur de ces sanglantes actions ? les dégats &
les volleries que desia vous auez permis à la pluspart de
vos soldats, n’animeroient elles pas ceux de la campagne
à maudire mille fois l’autheur de leurs miseres ? & le desespoir
ne les pousseroit-il point iusques à cette extremité de
rage & de fureur que de vouloir attenter sur vostre vie.

Que si vous auiez dessein de perseuerer dans cette estrange
resolution, le Roy n’auroit il pas raison dans sa
majorité de vous reprendre de vostre mauuaise conduite

-- 7 --

en ce qui concerne les affaires de cette Monarchie, qui
prennent le train de la confusion, & de vous estimer l’autheur
de tous ces desordres. Ainsi vous perdriez le fruict
des obligations dont la France vous eust esté redeuable
durant sa minorité, & elle ne perdroit iamais la memoire
des miseres dont vous la menacez.

 

Mais ie veux que toutes ces raisons ne soient pas suffisantes
pour vous conuaincre, il me semble que celle de
vous voir seul de vostre party doit emporter sur vostre esprit
vne resolution mieux digerée & moins blasmée de
tout le monde. Les Princes & les grands Seigneurs que
vous voyez auprés de vous n’y sont que par necessité ou
par debuoir : par necessité, ceux qui ont esté retenus par
des personnes gagnées & subornées par le Cardinal Mazarin :
Par deuoir, ceux là que la bien seance obligent
d’estre aupres la personne du Roy & qui ont le soin de sa
conseruation. Monsieur de Conty vostre Frere, Monsieur
de Longueuille, d’Elbeuf & autres personnes de marque
se sont iettez du costé de la Iustice connoissant bien que
vostre cause n’estoit pas bonne, & que vostre resolution de
maintenir vn Estranger n’estoit pas legitime. Tellement
que le peu d’Officiers qui vous restent ne sont aupres de
vous, qu’où pour auoir l’honneur de vos bonnes graces,
ou pour s’asseurer de leurs charges : Les soldats en fin qui
vous suiuent ne sont attirez vers vous que par l’esperance
du pillage & des licences extraordinaires que vous leur
donnez.

Ce pretexte que l’on veut anticiper sur l’authorité Royale,
& que l’on cherche les moyens d’attenter sur la personne
du Roy vient de la teste & du cerueau mal tymbré de
celuy dont vous voulez appuyer la tyrannie, & dont l’esprit
est tellement enclin au vice qu’il ne peut s’imaginer

-- 8 --

que des crimes. Les desseins du Parlement n’ont point
d’autre fin que le retranchement des abus qui se sont glissez
dans l’Estat par le moyen de ce Ministre estrãger. N’y
sont-ils pas obligez par le deuoir de leurs charges, & les
loix du Royaume ne veulent-elles pas qu’ils tirent raison
des desordres qui s’y commettent ? Et c’est pour ce sujet
que vous les voyez vnis, & que toutes les Prouinces sont
en armes pour s’opposer à la tyrannie de celuy qui est la
source & l’origine de leurs malheurs.

 

Ainsi, Monsieur, ie ne vois point que vous puissiez tirer
aucune gloire ny aucun auantage de cette entreprise,
si ce n’est la satisfaction d’estre loüé d’vn Estranger, qui
peut-estre en son ame vous mesprisera, & se vantera de
vous auoir abusé ; Vous n’en pouuez esperer que des maledictions,
l’ire de Dieu, la disgrace d’vn Roy, la haine du
peuple & l’execration de tout le monde.

Et partant, Monsieur, si vous auez encore les oreilles
ouuertes aux dernieres paroles de vostre indigne parent,
& à celuy que vous auez pû connoistre le plus enclin à
vous rendre seruice, ie vous prie de receuoit celuy-cy, qui
pour estre le dernier, ne laisse pas pourtant d’estre plus
considerable que tous les autres ensemble, puisque c’est
vn conseil salutaire qui doit mettre en repos vostre conscience
& décharger la mienne, qu’vne charité Chrestienne
obligeoit de vous descouurir ses sentimens.

FIN.

SubSect précédent(e)


Anonyme [1649], L’INIVSTICE DES ARMES DE MAZARIN, TESMOIGNEE A MONSIEVR LE PRINCE DE CONDÉ, PAR MONSIEVR DE CHASTILON. , françaisRéférence RIM : M0_1698. Cote locale : C_5_61.