Anonyme [1652], L’INQVISITION RECHERCHANT EXACTEMENT CE QV’ON DOIT FAIRE DAN L’ESTAT PRESENT DES AFFAIRES. , françaisRéférence RIM : M0_1703. Cote locale : B_19_58.
Section précédent(e)

L’INQVISITION
RECHERCHANT
EXACTEMENT
CE QV’ON DOIT FAIRE DANS
L’ESTAT PRESENT DES
AFFAIRES.

A PARIS,

M. DC. LII.

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L’INQVISITION
Recherchant exactement ce qu’on doit faire
dans l’Estat present des affaires.

IE voudrois bien sçauoir ce que les plus sages testes
de cette Monarchie, treuuent de plus expedient
aujourd’huy pour la conduitte des affaires en
l’estat qu’elles sont presentement ; ie me figure que
l’embaras & la confusion inexplicables ou le C. les a
laissées a son depart de la Cour, leur donneroit asséz
dequoy balancer en vne conjoncture si fascheuse,
ou du moins feroit naistre vne telle diuersité de sẽtiments,
qu’il seroit encor plus difficile d’y treuuer
de quoy prendre des resolutions capables de les rétablir
dans l’ordre qu’elles doiuent auoir & pour la
tranquillité publique & pour l’auantage de tous
les particuliers de ce Royaume. O qu’il est malaysé
de cõtenter tout le monde, lors que les vns demandent
la Paix a quelque prix que ce soit, les autres
plus clairs voyants ne voyent guere de salut que dãs

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la continuation de la guerre, & les plus censez connoissants
bien que le calme ne peut reuenir ny par
l’vne ny par l’autre demandent des seuretez pour
l’Estat, pour les particuliers, pour les Princes &
pour les puissances.

 

Mais ou se peuuent rencontrer tous ces auantages
dãs vn temps auquel on n’oseroit en esperer pas
vn, n’est ce point vne belle Idée de Platon qui met
tout le bonheur d’vne Republique dans l’egalité
des conditions ; reflection qui ne peut pas subsister
mesme vn moment dans l’esprit d’vn sage Politique,
il faut bien de fondements plus solides pour
soustenir vne edifice dans lequel nous voulõs loger
le repos & le bonheur d’vne Monarchie qui n’est
guere en estat de receuoir ny l’vn ny l’autre, il faut
pourtant trauailler a ce noble ouurage dont les premiers
& plus fermes fondements sont les six propositions
suiuantes.

I. Personne ne doute que la paix a vn estat
remply de troubles, ne soit le plus grand bien
qu’il puisse receuoir pour son restablissement,
cette Diuine Fille du Ciel porte la sereuité auec elle,
& produit vne heureuse abondance par tout ou
elle se fait voir, qui donne l’accomplissement des
vœux & des souhaits de tout le monde, pour peu
que ce premier epanchement de ses graces continuë
sur vn Empire, elle le rend aussi florissant que
l’aage d’or de la Fable.

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Si donc elle se rend si souhaittable seulement
pour éloigner les maux qui nous arriuent en son
absence. Il est bien veritable que le meslange heureux
de tant de biens qu’elle renferme sont que de
trop puissant charmes pour se faire desirer encor
d’auantage & auec bien plus d’empressements il ny
a point de creature qui ne soit sensible a cette douceur,
ainsi ie ne puis pas mesme m’imaginer qu’il se
treuue persõne qui ne se porte par la seule imperuosité
de nature vers vn object si bien faisãt, & s’il s’en
trouuoit qui n’eust point cette s’ensibilité en sorte
qu’elle fust assez farouche pour fuir ce que toutes
les autres poursuiuent si ardemment il faudroit
la tenir pour vn monstre dénaturé, qu’il ne faut
point laisser viure au prejudice du bon-heur vniuersel
de toutes les autres : mais ie ne pense pas qu’il se
puisse treuuer de si nuisibles creatures. C’est pourquoy
toutes d’vn commun accord, au dire du Philosophe,
desirent le bien, à cause qu’il leur est conuenable :
& comme ie ne vois rien qui conuienne
mieux à la societé humaine que la Paix, ie conclud
que c’est ce qu’on y doit desirer d’auantage. Tous
les François lassez de tant de desastres & de desolations
passées, soûpirent apres vn si grand bon heur :
ils la demandent auec des plaintes, des larmes & du
sang : ils sont persuadez que la Royne la peut donner
& la peut partager auec eux. Cela la peut assez
obliger à leur faire ce bien, si les sentimens de la nature

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qui l’y portent, ne sont point trahis par des inhumanitez
plus que barbares. Que si la passion
auoit preualu iusqu’à ce point sur vn deuoir si naturel,
il faut luy faire sentir qu’elle ne la peut iamais
auoir pour elle qu’en l’accordant aux autres : & si
encore vne extreme fureur l’en priuoit volontairement
elle mesme, pourueu que personne n’en pût
iouïr, il ne faudroit point faire de scrupule de luy
redemander vn pouuoir qui ne deuroit plus estre à
elle apres vn abus si excessif, & luy donner malgré
ses desseins vn bien qu’elle auroit refusé à tout le
monde.

 

II. Mais il est fort croyable que la Reyne consentira
volõtiers à la Paix generale dãs le pressant besoin
qui la contraint peut estre que la desirer pour
elle mesme ; mais peut-estre est elle bien empeschee
à trouuer des moyens efficaces pour arriuer au
terme de tant de desirs : Elle void la Guerre Ciuile
allumee en tous les endroits de la France, elle se
void engagee dans vn party qu’elle a formé, ou il y
va comme elle se figure, de l’authorité Royale, de
son honneur & de tout son bien : outre que son plus
Confident Ministre & quantité de Grands du Royaume
y sont tres particulierement interessez ; mais
qui l’emportera donc, ce doit estre sans doute l’authorité
Royale : Helas ! elle s’aneantit si elle gaigne,
& elle ne sera plus rien quand elle aura mis au pillage
tous les biens de ses Sujets, & qu’elle aura acheué

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d’exterminer ceux à qui il reste encor pour dernier
de tous les biens, vne vie languissante, qu’ils
ne tiennent plus que pour vn mal intollerable,
Faut il donc qu’elle sauue son honneur par cette
Victoire : & comment pourra-t’il subsister auec
vne honte eternelle d’auoir esté la plus cruelle &
la plus inhumaine de toutes les femmes qui furent
amais ; mais il y va de tout son bien. Quel bien aura
t’elle en France, quand personne n’y en aura plus :
Non, c’est que son plus cher Ministre le Cardinal
Mazarin y est tout à fait interessé. L’interest public
qui est tout à tait contraire au sien, ne sera donc
plus de nulle consideration dans son esprit. Voilà
iustement ce que ie demandois pour conclurre que
ny le sien, ny celuy du C. ne doiuent plus estre considerables
pour le salut de l’Estat, & que ny l’vn ny
l’autre ne nous seruant plus de rien, & ne voulant
plus prendre la conduite & le soin de nos fortunes,
ils ne sont plus necessaires dans le Gouuernement,
leur procedé iustifie assez tout ce que ie viens d’auancer.

 

Il nous faut pourtant quelque personne qui prenne
la conduite des desseins de nostre ieune Roy,
qui luy donne des cõseils capables de le faire regner
sur ses Peuples, & les maintenir contre toutes les
oppressions tyranniques & estrangeres, il nous faut
quelqu’vn à qui confier l’interest du Roy & des
Sujets, leur honneur, leurs fortunes & leurs vies, ny

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la Reyne, ny le Mazarin, n’en sont capables : apres
auoir abaissé l’authorité Royale comme ils ont fait,
apres auoir mis en proye tout le bien de la France,
comme l’on sçait, & auoir enfin prostitué l’hõneur
du Sceptre François à toute sorte de bassesses, &
parmy les Estrangers & parmy les François mesme :
Il faut pour dissiper tous ces desordres que la Reyne
cede son rang à S. A. R. Chacun sçait bien comme il
est amateur de la Paix, qui contient en soy tous les
biens que nous souhaittons. C’est pour lors que la
retraitte du C. M. ne nous semblera plus vne feinte,
& que nous serons deliurez de la peur qu’il nous
donne de le reuoir bien tost r’entrer à main-armee
dans ce Royaume pour y apporter la derniere desolation.

 

S’il faut raisonner sur ce changement d’Estat, on
treuuera sans doute que la Reyne est obligée à le
vouloir par tous les motifs profanes & de religion,
que S. A. R. y est engagé par la necessité des affaites,
qui demandent vn homme pour leur debroüillement,
& qu’estant l’auantage du Roy & de tous ses
Peuples, il ne faut plus que personne y contredise,
s’il ne veut estre declaré ennemy du repos & du
bon heur de cette Couronne.

La Reyne sçait bien en conscience qu’elle vsurpe
vn pouuoit qui ne luy est point dû, autrement il
estoit inutile de declarer le Roy Majeur à 14. ans :
car ie n’en sçais point de raison, sinon que cette Declaration

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ne se fait pour oster le pouuoir de l’Estat à
la Regence ; Cependant elle le retient auec plus
d’empire que iamais, sans se souuenir du temps de
la Minorité mesme auquel elle en deuoit auoir,
Dauantage il auoit esté limité à deux voix dans le
Conseil par le Roy deffunct son mary : c’est vne
chose qu’elle n’ignore point, & toutefois elle s’est
renduë beaucoup plus absoluë que le Roy mesme,
& ne veut pas souffrir que ceux qui ont beaucoup
plus d’interest qu’elle à, cette Couronne luy represente
l’iniustice de son procedé, & luy demandent
auec trop de respect & de moderation qu’elle dõne
quelques bornes à ses ambitieuses pretensions. Ie
tombe d’accord auec elle qu’il vaut mieux qu’elle
le fasse librement & sans y estre forcée ; mais elle ne
doit plus differer dauantage à prendre vne bonne &
iuste resolution, lors que son honneur le demande,
ainsi que sa conscience l’en presse, & que la vertu
dont elle a tousiours fait tant de parade l’y oblige
tres-absolument : Elle est conuaincuë qu’vne femme
ne peut regner sans trouble en France, que la
continuation de son pouuoir est la ruïne de tout ce
Royaume, qu’il faut vn empire plus rigoureux que
celuy d’vne fẽme pour r’establir l’authorité Royale,
qu’elle a notablement abaissée que dans l’auersion
generale des Peuples, qui ont ressenti son impuissance :
Elle ne peut establir de Paix parmy eux, &
qu’il faut pourtant absolument leur donner, si l’on

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ne veut tout perdre : Elle peche contre le S Esprit.
Si connoissant toutes ces choses elle s’obstine encore
en son dessein & son peché, ne merite point
de pardon ni en ce monde ni en l’autre, qu’elle s’examine
là-dessus.

 

Mais y a t’il quelqu’vn a qui cette charge soit legitimement
deuë & s’en treuuera t’il d’egal a cet
illustre employ, châcun regarde son A. R. comme
celuy de qui l’on attend le bien que la Reine ne
nous a pu donner, on se promet qu’il sera le Restaurateur
de la France desolée, qu’il luy redonnera le
calme & luy procurera vn bonheur asseuré qui soit
de longue durée, si la Reine vouloit empescher
tant de bons effects elle seroit la plus criminelle de
toutes les femmes, & si elle ne vouloit point employer
ce moyen qui est desormais l’vnique pour
nostre salut elle feroit bien voir qu’elle seroit tout,
a fait ennemye du Roy, de l’Estat & des peuples, &
qu’elle auroit conspiré auec les Espagnols au renuersement
de cette Monarchie, en ce cas il seroit
absolument necessaire de la contraindre à se retirer
auec eux, & presentement nous auons tout droit de
conclure qu’vn Oncle François seruira mieux le
Roy qu’vne mere Espagnole.

Comme nous auons des exemples assez rescens
de ces meres ennemyes, nous en auons encor plus
dans nostre Histoire de ces Princes qui ont pris le
maniment des affaires du Roy a son plus grand

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auantage, & sans aller chercher dans la premiere
race la fidelité de Gondebault qui sauua l’Estat & la
vie de Childebert, dont le pere auoit esté assassiné
deuant Tournay par les artifices de la meschante
de Gontran Roy d’Orleans, pour le bien de Clotaire
II. Ie me contenteray d’en donner de la troisiéme
race, comme appartenant de plus pres a l’affaire
presente si l’on veut considerer la minorité de Philippe
premiere on treuuera qu’il ny eut iamais regne
plus heureux, & dans sa Majorité de plus belle
conduitte ; La France deuoit toute cette auantage à
Baudouin Comte de Flandres & Oncle du Roy qui
luy fut laissé pour Regẽt & pour tuteur par son pere
Henry premier, qui ne fit point de difficulté de
luy donner tout le maniment des affaires de France,
pource seulement qu’il estoit reconnu pour vn
besoin d’vn semblable directeur de la Ieunesse du
Roy, nous le trouuons heureusement en la personne
de son A. R La Reine refusera elle ce bien à son
fils & à tous ses peuples, qui luy demandent auec
tant de fetuantes prieres.

 

Elle ne seroit rien qui n’ayr desja esté pratiqué
par vne Reine aussi vertueuse & aussi sage qu’elle :
ce fut la mere de Philippe Auguste qui apres la Regence
expirée de la minorité de son fils voyãt bien
qu’elle ne pourroit pas elle-mesme soûtenir vn

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pouuoir auquel toute la vertu d’vn homme n’estoit
pas vn trop ferme appuy, elle remit sagement la
conduitte de l’Estat & des Conseils de son fils entre
les mains de Guillaume Archeuesque de Reims,
Oncle du Roy, qui maintint la Courõne auec tout
le bonheur & tout le bon ordre que ceux qui ont
leu son Hystoire sçauent assez pour luy en donner
mille benedictions

 

Les Oncles de Charles six qui gouuernerent les
vns apres les autres les affaires du Roy Charles VI.
ne iustifient que trop le droit qu’ils ont toûjours
eu en France de prendre la direction de l’Estat pour
empescher les troubles qui n’aissent pendant le
ieune aage de ses Roys.

Charles VIII. qui ne fut declaré Maieur qu’a l’aage
de 18. ans eut aussi ses Oncles directeurs de toutes
les affaires, & l’on sçait à qu’el degré de pouuoir ils
le leuerent puis qu’il fit trembler toute l’Italie sous
la terreur de ses Armes, & qu’il merita pour sa valeur
d’estre declaré le veritable heritier de l’Empire
d’Orient, selon la volõté de Constãtin Paleologue,
qui en estoit pour lors possesseur legitime.

Que peut dire la Reine & tout son Conseil contre
l’authorité d’auantage que les Heros, & si elle dispose
les affaires du Roy à le rendre vn iour aussi
puissant Prince que tous les Roys ses predecesseurs
que ie viens de rapporter, il faut sans doute y commencer

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par vne Paix qu’elle ne doit pas plus long-temps
empescher, & par l’establissement de S. A.
Royale dans la conduite de tous ses Estats, si l’on
veut les rendre aussi florissants qu’ils ont esté quelquefois
par le passe, à la faueur des Oncles de leurs
Monarques.

 

Que si l’on a besoin d’vn Prince d’authorité & de
conseil à soustenir les affaires du Roy, & les restablir
dans leur ancienne splendeur, que les femmes
ont tousiours ternie, vn Prince conquerrant & terrible
n’est pas moins necessaire à combatre ses Ennemis,
dont le nombre & la puissance est redoutable
lors qu’on n’a point dequoy leur opposer ; La
France n’a iamais manqué de ces Heros, qui prodiguent
si genereusement leur sang pour son salut &
pour sa conseruation ; mais il est impossible de ne
douter pas qu’elle ait eu vn Prince dans toutes les
trios Races qui s’y soit porté plus courageusement
& auec plus de bon-heur que le Prince de Condé,
qu’on peut nommer tres iustement le Prince des
conquerants & des braues, les preuues de ce que ie
dis ne sont que trop communes, & ie ne puis rien
dire qui lui conuienne mieux à ce qu’il me semble,
sinon que c’est vn homme à opposer à toutes les
forces de l’Asie, & qui meriteroit d’estre employé à
reconquerir ce grand Empire, qui gemit sous la tyrannie
& sous l’vsurpatiõ du Turc, bien que le droit
de cette Couronne soit entierement du costé de

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nos Rois de France, par le choix que le dernier Empereur
Chrestien fit de Charles VIII. pour lui succeder.

 

Le droit de commander les Armées est si naturel
à ce Prince, que tout autre qui en est en possession,
l’vsurpe visiblement sur lui, au grand prejudice de
l’authorité Royale. Il est donc tres necessaire de
reunir toutes le Trouppes de sa Majesté sous la cõduite
d’vn Chef si excellent. Et si la Reine ayme la
prosperité des Armes Françoises, elle ne doit iamais
s’opposer à cette reünion qui rend la France inuincible,
& qui est capable de lui donner l’Empire de
toutes les autres Nations : il ne faut pas que la grandeur
de la Maison d’Autriche lui reuienne à la memoire,
cette pensée est purement Espagnole, que
la seule vanité fait naistre, & qu’elle n’a iamais pu
mettre en execution, ayant la France pour riuale.
On n’a que trop veu par les heureux succez qui ont
sauué la France des fureurs Espagnoles, que la Lieutenance
generale des Armées du Roy dãs les mains
de Monsieur le Prince, estoit la chose du monde la
plus auantageuse à cette Monarchie. Pourquoy
donc la Reine s’oppose t’elle auec tant de chaleur à
de si visibles progrez, ie n’en puis que iuger, sinon
qu’on peut conclurre de là, qu’elle a l’ame plus Espagnole
que Françoise.

Mais si pour nous empescher de faire ces conclusions
& détruire du moins les pressants soubçõs

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qu’on en peut auoir, la Reine faisoit vne genereuse
retraitte en son appanage, ne verroit-on pas en vn
moment tant de factions dissipées, qui ne sont esleuées
dans l’Estat que sous ses auspices, & qui ne s’y
sont fomentees qu’à la faueur de l’impuissance du
sexe, dont la plus grande authorité n’est tousiours
que trop foible pour vn gouuernement vigoureux
tel que doit estre celuy de la Natiõ Françoise. Pour
moy ie treuue les auantages de tout le monde en
cette sage retraitte, & la Reine deuroit estre assez
bonne pour les procurer au preiudice de toute son
ambition, elle ne le fera point sans doute, & c’est
pourtant vne chose qu’elle doit faire.

 

Il y a pourtant deux inuincibles raisons de ce deuoir,
dont la premiere est que tandis qu’elle sera
dans le rang qu’elle occupe, il n’y peut iamais auoir
de Paix en France, ie le demonstre par ce raisonnement.

La Reyne se plaint qu’on en veut à l’authorité du
Roy, & maintient la sienne en soustenant celle de
son fils. Cette vnion de pouuoir lui persuade sans
doute que les Sujets ne peuuent estre parfaitement
soûmis au Roy, qu’ils ne le soient aussi à toutes ses
volontez : tandis que cela ne sera point, ils seront
tousiours des rebelles, des Cromvvels & des Ferfax :
ce sont les termes dont elle vse ordinairement.
Cependant il est impossible que cette parfaite soumission
à tout ce qu’elle voudra, entre iamais dans

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l’esprit des Peuples, autrement il faudroit ne se plus
souuenir de la Loy Saliaque, auoir oublié tous les
maux qu’elle à causez en France, temoigner vn desir
pour le restablissement du C. Mazarin auoir de
l’auersion pour son A. R. & pour le Prince de Condé
au contraire il est bien certain qu’il se treuuera
toûjours assez de monde qui se plaindront d’estre
soumis à l’Empire d’vne femme Espagnole, beaucoup
plus qui se ressentiront des playes sensibles
qu’ils ont receus tout fraichement par la Guerre,
qu’elle ne veut pas encor terminer, presque tous
qui s’opposeront au retour du C si elle le rappelle
iamais, la meilleure partie du Royaume qui aura
toujours de l’inclination pour leurs Princes, ces
mesmes Princes qui ne pourront iamais estre abbaissez
au gré de son ambition, voylà dõc toûjours
de la guerre en France, tousiours du trouble iamais
de Paix tandis qu’il y aura de l’opposition à ses volontez,
ce qui durera tout autant qu’elle sera dans
le maniment des affaires de ce Royaume.

 

La seconde raison qui monstre qu’elle doit en
abandõner la conduitte à quelqu’vn qui reussisse
mieux qu’elle n’a fait depuis dix ou douze ans, c’est
qu’elle y treuuera tous les auantages, qu’elle ne rencontrera
iamais dans l’eminent degré ou elle s’est
esleuée, ie m’en rapporte à elle, si elle à celuy d’estre
honorée par les peuples d’estre aymée, d’estre estimée
vertueuse, enfin si son honneur est dans l’éclat

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de sa dignité & sa renommée dans la bouche de
tout le monde, si elle a toutes les satisfactions d’esprit
qu’elle peut souhaitter, si la prosperité du Roy
son fils & sa puissance sont au point qu’elle les voudroit
bien voir, & si elle fait tout le bien auquel elle
est obligée en euitant tout le mal qui luy est connu,
que plutost elle ne peut plus faire que du mal quãd
elle ne le voudroit pas, qu’elle ne peut iamais rétablir
tout le lieu qu’elle a détruit, qu’elle ne peut
plus y tenir son hõneur ny sa vertu à couuert, qu’elle
ny treuue point le repos qu’elle si estoit figurée
qu’il luy est imposible de se faire aymer de ceux
qu’elle a si mal traittez : tous lesquels auantages elle
peut encor retreuuer dans vne vie tranquille & paisible
iouïssant sans crainte des biens que son appanage
luy peut fournir, & voyant les affaires de son
fils dans la prosperité ou elle ne les pouuoit iamais
porter attendant la fin de ses jours auec vne satisfaction
incroyable de tous les costez du monde.
Rien ne luy peut donc estre plus auantageux que sa
retraitte é son Appanage.

 

Outre que par ce moyen nous voyons le C. M.
esloigné des Gõseils du Roy, qu’il a tout emeroüillez
& qu’il ne luy resteroit plus aucune esperance
de retour Mais si elle desire encore plus que iamais
de le reuoir, helas qu’elle est bien esloignée de toutes
ces raisonnables pensées pour obuier à ce malheur
est tout à fait à propos de faire & parfaire le
procez sous de graues & rudes peines, à quiconque

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fera iamais la premiere proposition de son retour
en France.

 

C’est vne verité qui ne souffre point de contestation
que celuy qui introduit dans vn estat vn ennemy
declaré, est conuaincu du Crime de leze Majesté,
& que trahissant sa patrie, son honneur, & la
foy publique qui doit à ses compatriotes, il merite
de receuoir le chastiment porté par les Loix, & doit
estre marqué d’infamie à sa posterité. Ce pere du
peuple Romaine n’épargna pas ses propres enfants
en vne pareille occasion, si tost qu’il eut appris qu’il
negotioient sous main pour le retablissement de
Tarquin le superbe, qui auoit esté chassé de Rome,
& declaré l’ennemy de la Republique, il les fit venir
en sa presence & en plaine assemblée du peuple
il les fit foüetter de verges, supplice le plus indigne
d’vn Cytoien Romain, il ne se contenta pas de ce
traitement, il fit luy mesme leur procez & Brutus
deposant la qualité de pere pour prendre celle de
Iuge inexorable, porta l’Arrest de mort contre son
propre sang, & le fit executer en sa presence.

Ce sage Politique iugeoit bien qu’il estoit tres-dangereux
de receuoir vn Ennemy puissant declaré
tel par les Arrests du Senat, & chassé honteusement
du Gouuernement qu’il croyoit lui deuoir appartenir
par succession legitime, parce qu’il l’auoit vsurpé.
Le C. M. s’estant rendu maistre de l’esprit de la
Reine, se croit bien legitimemẽt estably dãs le ministere
de tout cét Estat, & se figure que l’on luy fait

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iniustice de l’en esloigner : il ne medite rien qu’vne
cruelle vengeance, s’il se voit iamais en pouuoir de
l’exercer, & quiconque voudroit contribuer à son
restablissement, n’offenseroit-il pas le Roy, qui l’a
exilé par vne Declaration authentique : ne trahiroit-il
pas sa Patrie, de la quelle il est l’ennemy iuré : ne
seroit-il pas vn tort irreparable à tous ses Compatriotes,
qui sont vnis de volonté pour empescher
qu’il ne reuienne : enfin ne blesseroit il pas toute la
France en luy voulant rendre celuy qui est perturbateur
de son repos, & qui ne peut iamais trauailler
qu’à sa ruïne, n’ayant point de plus forte passion
pour cela que sa vangeance ; Il meriteroit dõc le supplice
des traistres, & sans doute qu’il y auroit assez
dequoy lui faire son procez & le condamner à la
mort la plus honteuse qui se puisse imaginer selon
les formes ordinaires de la Iustice. Apres cela qui
voudroit estre tenu pour Mazarin ?

 

Toutes ces propositions qui ne tendent qu’à l’establissement
d’vne bonne Paix, & qui contiennent
encore des moyens infaillibles de l’asseurer pour
long-temps à toute la France, ne souffrant point de
difficulté pour estre generalement receuës de tout
le monde, chacun en connoist assez l’importance ;
mais il faudroit quelque puissance absoluë pour en
authoriser tous les effects qu’elles promettẽt. C’est
pourquoy il est tout à fait necessaire que les Estats
Generaux, qu’on appelle le celebre Iugement des
François, prononcent sur cette matiere, il faut donc

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en conuoquer l’Assemblée dans Paris, c’est le plus
court pour terminer tous nos desordres, ausquels
ils ne peuuent donner de remede efficax qu’en executant
de poinct en poinct tout ce qui vient d’estre
proposé. Cette Assemblée des Estats a esté toujours
si puissante & si absolue, que tout ce qu’elle a decidé,
a esté tenuë sans aucune contestation : Elle a
donné des Roys qui ont esté receus auec applaudissement :
elle en a deposé qui ont esté incontinent
exilez : elle en a changé, quoy que rarement, lors
qu’elle les a veus tout à fait incapables du Gouuernement,
& comme tout cela se fait pour le bien cõmun,
tout le monde donne les mains à ce qu’elle
sait, & reçoit ses Decrets comme des choses inuiolables.
Aussi est il absolument necessaire qu’il y ait
vn commandement dans vn Royaume auquel tous
se puissent ranger & se soumettre : parce que lors
que le Roy ne parle point, il ne se peut faire que
chacun s’estimant autant que son compagnon, ne
veille faire le Roy : & par consequent que beaucoup
de maux n’arriuent tous les iours la multitude des
maistres, estant la peste & la ruine de l’Estat

 

Il n’y a dõc de puissance qui puisse empescher en
France l’Assẽblée de ces Estats, ny qui puisse resister
à ses Ordonnances. C’est à que dans vne guerre si
difficile à terminer, & pour la decisiõ des differents
meus entre la Reine mere & les PP. du Sãg, on doit
recourir, afin d’accorder le si fatales querelles : on
en doit donc faire la Conuocation pour deux principales

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raisõs, ausquelles persõne ne peut cõtredire.

 

La premiere, parce que iamais la necessité n’é fut
plus grande e Frãce, ou la destruction generale va
s’ensuiure de leurs mal heureux debats, si on y apporte
prõptemẽt ce remede, qui est l’vnique à tous
nos troubles. Et la seconde raison de cette conuocation,
c’est qu’il est tres facile de la faire, ny ayãt persõne
qui s’y puisse opposer, qu’il ne fasse voir à mesme
temps qu’il est le plus grãd ennemy du repos &
du salut de cette Monarchie Vn remede si facile &
si necessaire, nous sera t’il refusé : on n’est donc pas
las de faire mourir du monde, & la passion n’est pas
pleinement satisfaite.

Il faut pourtant presser ce secours pour le salut du
Peuple, quelque resistance qu’y apporte la Reine &
ses adherents, qui en ont desia empesché l’effect
auant l’épanchement de tant de sang en France, qui
ne seroit iamais arriué, si l’on l’auoit fait malgré
toutes ses oppositions.

Nous lisons auec estõnement dãs nostre Histoire,
que l’on punissoit de la teste celuy qui arriouit le
dernier à l’Assemblée des Estats Generaux pour apprendre
à tous les autres la diligence qu’on deuoit
apporter à cette Assemblée lors qu’il estoit questiõ
de seruir l’Estat dans ses plus grãdes necessités. Nous
pouuons bien nous preualoir de cette exemple, &
condãner hardiment tous ceux qui voudroiẽt s’opposer
aux Estats, & qui n’en veulent venir là que le
plus tard qu’ils peuuent, aymant mieux faire durer

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leur mal-heureuse & fatale domination au depend
de la vie des miserables Sujets, qui n’ont point dequoy
se parer contre cette horrible tyrannie, que
le grand ressort des Estats, qui a tousiours calmé
tous les troubles de France.

 

Charles Martel, en depit de Eudon, qui troubloit
tout le Royaume pour y maintenir son authorité,
en obtint la conuocation : & cette Assemblée ayant
prononcé en sa faueur & rebutté cét insolent Ministre,
deliura la France de sa tyrannie & la sauua de
la desolation eternelle qui apportoient les Sazarins,
introduits par ce factieux & rebelle ennemy, qui fut
contraint par apres de se ioindre à ce Prince des
François, pour combattre ceux qu’il auoit appeliez
à son secours.

Le mesme remede employé pendant la prison du
Roy Iean fut si efficax, qu’il dissipa toutes les vaines
pretensions des Anglois, qui s’imaginoient desia tenir
la Couronne en leur disposition : outre que la
Reine Ieanne, veufue de Charles le Bel, par ses soins
& sa bonne conduite, appaisa la Guerre Ciuile qui
s’alloit allumer entre le Dauphin, & Charles de
Nauarre : Cette bonne Princesse les gaigna tous
deux sans auoir pris aucun party, & les porta à la
Paix, qui fut tres profitable à tout le monde : Rare
exemple d’vne Reine pour le temps present, qui
n’auoit point d’autre employ dans l’Estat que celuy
d’appaiser les factions & les querrelles. Nous
en souhaitterions aujourd’huy vne pareille ; mais

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à son defaut, il faut recourir à ce qui peut guerir la
playe que nous vient de faire vne autre Reyne.

 

Nous voyons nostre Roy entre les mains des Estrãgers,
la Reine authorise cette detension, leur donne
tout pouuoir sur l’esprit du Roy & sur les Estats, &
nous ne sçauõs que trop la nouuelle cõjuratiõ qu’ils
ont faites au depart du C. M. ce miserable Italien se
dit arrogãment le restaurateur des Roys, il promet
au Roy d’Angleterre de le restablir en son Royaume,
& dit qu’il veut rétablit auparauant celuy de Frãce,
pendant qu’il le ruïne & desole son Estat par toutes
sortes de violences sur ces belles forfanteries, il ourdit
vne mal heureuse guerre ciuille qui va durer
plus de cent ans en ce Royaume, il a fait vne estroite
alliance auec les Milords, Germain, & Mõtaigut,
qu’il a establis dans le Conseil du Roy comme principaux
Ministres & pour confident de la Reyne, de
l’esprit duquel il abuse impunement, il leur a fait iurer
solemnellemẽt dans leur assemblée pernicieuse
de contribuer tous les moyens qu’ils sçauront de
continuer la guerre, & d’employer tous les artifices
dont ils se sont seruis pour embraser l’Angleterre &
detruire la Royauté en cette Isle infortunée : ils se
diuisent toutes les charges & tous les biẽs des sujets
du Roy, & pour n’auoir que des Estrangers dans sa
de premier Ministre, la tenant desormais trop basse
pour luy dans le pernicieux dessein qu’il à d’empieter
sur tous les droits de la Couronne, qu’il tient

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comme en tutelle, & par le moyen de la Reyne qui
fauorise tous leurs damnables desseins. Cependant
que ce chef des factionnaires s’en va leuer de nouuelles
Troupes pour les rauages qu’il pretend faire
& qu’on abuse le peuple dans la credulité de son
esloignement.

 

Que si l’on oppose bien tost les Estats Generaux
à cette ligue pour la dissiper nous allons tõber entre
les mains de nos ennemis, dont la tyrannie se rẽdra
épouuãtable. Il est impossible de preuenir tous
ces maux qui nous menacent encor de nouueau,
qu’en prenant les resolutions d’abbatre tous ces factieux,
de donner retraite à la Reyne en son appanage,
le pouuoir qu’elle vsurpe à son A. R. le commandemẽt
des Armée au Prince de Condé, & faire
sans differer le procez au C. M. à tous ceux qui se
treuueront engagez auec obstination dans les interests
criminels & injustes ; estãt infaillible que l’execution
de toutes ces choses qui est au pouuoir des
Estats Generaux, remettra le Roy sur son Trosne &
en pleine liberté de regner sur ses peuples qui jouïront
d’vn calme asseuré sous la bonne conduitte de
son A. R. & sous les triomphants efforts du Prince
de Condé, à repousser les Ennemys ialoux de nostre
bon heur hors des limites de cette Monarchie.

FIN.

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Anonyme [1652], L’INQVISITION RECHERCHANT EXACTEMENT CE QV’ON DOIT FAIRE DAN L’ESTAT PRESENT DES AFFAIRES. , françaisRéférence RIM : M0_1703. Cote locale : B_19_58.