Anonyme [1649], L’INTEREST DES PROVINCES. , françaisRéférence RIM : M0_1714. Cote locale : E_1_26.
SubSect précédent(e)

L’INTEREST
DES
PROVINCES.

Celuy quia dit que les petites choses deuiennent
grandes par l’vnion, & que la concorde
conserue les Estats, au lieu que la
diuision les ruine & les destruit, n’a rien proferé
que nous n’ayons veu de nos yeux, & ne puissions
tesmoigner par les maux que nous ressentons tous
les iours. Dion escrit en son histoire, que le Roy
Mithridates fut d’es plus accomplis pour gouuerner
vn Estat, soit en paix, soit en guerre : mais qu’il
fut en tres-grand danger de se perdre, faute de considerer
que ny le nombre des armées, ny les fortes
places ne seruent de rien au Souuerain, s’il n’a l’amitié
des peuples, & que mesmes il est d’autant
plus en danger de sa personne, qu’il est craint, &
redouté de ses sujets. Pour rendre vn Estat asseuré,
le Prince doit traiter les hommes comme hommes,
& non pas comme des bestes qu’on dompte au lieu
d’appriuoiser.

Ce fut vne belle parolle que le meilleur de nos

-- 4 --

Roys Louys douziesme, surnommé le Pere du
Peuple, profera quand on lui voulut persuader qu’il
deuoit auoir des gardes à l’entour de sa personne
Royale. Qu’ay-je fait, dit-il, à mon peuple pour le
craindre ? A Dieu ne plaise que ie veuille regner
qu’en conseruant le bien de mes subjets, & cela
estant, qu’est-il necessaire d’autres gardes. Mais
quelle estrange catastrophe ? ceux qui ont vsurpé
l’authorité Royale sont paruenus à vne telle insolence,
de nous vouloir faire acroire qu’il n’y a
nulle difference entre l’vsurpation & la souueraineté
legitime, entre les tyrans & les Roys, entre les
subjets & les esclaues. On peut, disent-ils, fauoriser
l’injustice pour maintenir l’authorité du
Roy. Et si les Magistrats se veulent opposer à l’oppression
& à la violence des fauoris, c’est vn crime,
c’est vne rebellion, qui ne se doit point pardonner.
Certainement il y va de la conscience des Magistrats
& des peuples de remedier à de si grands desordres,
& il n’y a aucunes loix qui puissent nous
dispenser de faire la guerre à ceux qui les ont toutes
violées.

 

Il y a desia long-temps que la France souspire
sous le joug d’vne rude tyrannie. Plusieurs de ceux
qui estoient obligez par honneur, par deuoir, &
par interest de s’y opposer, en ont esté eux-mesmes
les complices.

Quelle honte pour toute la France, que beaucoup

-- 5 --

de ceux qui estoient commis à la distribution de la
Iustice, l’ont eux-mesme violée, & qu’il s’en treuue
peu qui n’ayent esté gagnez, ou pour mieux dire,
corrompus par quelques secretes pensions. On a
veu dans les Prouinces, & mesme dans la ville capitale
du Royaume des Magistrats deuenir Partisans,
donner des iugemens & des aduis, presider dans vn
Barreau & dans vn Bureau, estre chefs de la Iustice
& du Monopole Mais le bon-heur de la France a
tousiours conserué parmy tant de corruption bon
nombre de gens de bien pour la deliurer de tous ses
maux. Il y en a qui n’ont point flechy les genoux
deuant Baal, Dieu nous a laissé la semence des Iustes,
pour ne nous pas faire comme à Sodome &
Gomorrhe.

 

Ie veux qu’il n’y ait point de Cour Souueraine
dans tout le Royaume, qui n’ait esté ou seduite par
des promesses, ou esbranlée par des menaces ; mesmes
de ceux qui se sont voulu opposer trop ouuertement
à la tyrannie, on a veu les vns acheuer la vie
dans l’exil, & le poison a malheureusement auancé
la mort des autres. Quoy plus ? on a voulu faire
mourir sur des eschaffauts ceux qu’on n’a peu corrompre
sur leurs sieges. Mais lors qu’il sembloit
que tout fut perdu, tout a esté gagné. On a veu reluire
le secours du Ciel, & tout vn peuple par vn
instinct diuin, plustost que par son propre mouuement,
prendre les armes contre la violence, & faire

-- 6 --

peur à ceux qui s’estoient rendus effroyables par
leur puissance.

 

Certainement nous pouuons dire comme Themistocles,
perieramus nisi periissemus, nous eussions
pery, si nous n’eussions esté perdus. Iamais la France
n’eust esté retirée de cette infame seruitude, où elle
a trempé depuis tant d’années, si on luy eust donné
tant soit peu de relasche pour respirer. Iamais
nous n’aurions eu la pensée de nous vanger de tant
de maux que nous auons soufferts, si on ne nous eut
ietté dans le desespoir. Si ceux qui gouuernent l’Estat
se fussent contentez de nous tondre sans nous
escorcher, de nous succer sans nous deuorer, nos
plaintes n’auroient point passé le murmure, nous
nous serions contentez de souspirer, sans faire entendre
plus loin nos sanglots & nos gemissemens :
mais il a fallu esclater quand nos maux sont venus
à l’extremité. Quelle imprudence à ceux qui ont
allumé cette guerre ciuille, de mettre au hazard leur
honneur, & ioüer à perdre leur authorité pour satisfaire
à leur colere.

Ie veux qu’ils n’ayent ny Religion ny conscience ;
car quels sentimens de pieté peuuent compastir
auec la barbarie ? Et qu’y a-il de plus barbare que de
vouloir perdre par la faim tout vn peuple ? d’authoriser
les meurtres, les violemens, les sacrileges, &
ce que les hommes les plus esloignez de la ciuilité
n’oseroient faire, violer la foy promise ? Mais où paroist

-- 7 --

le moindre traict de la Politique, qui deffend
à ceux qui ont le gouuernement d’vn Estat, de faire
paroistre aux yeux des sujets la foiblesse de ceux
qui commandent, & la force de ceux qui obeïssent ?
& cependant voila ce qu’ont fait les autheurs
de nos desordres. Ils ont fait venir l’Estranger pour
estre les tesmoins de nos miseres, & s’enrichir de
nos despoüilles : ils ont opposé à vne ville qui enferme
dans ses murailles 540000. combatans vne
poignée de gens pour les faire mourir de faim. Quel
aueuglement de croire pouuoir reüssir en vne telle
entreprise. Mais quelle obstination de la poursuiure,
& quelle rage de vouloir si opiniastrer ? Si
c’estoit quelque petit nombre de factieux qui eussent
pris les armes, & causé tous ces remuëmens,
on diroit qu’il y va de l’authorité du Roy de laisser
vn tel crime impuny. Si c’estoit quelque ville, ou
mesme quelque Prouince qui se fut sousleuée, on
pourroit en poursuiure la vengeance, sans hazarder
le reste du Royaume. Mais voir que la capitale
ville de France, qui vaut elle seule tout vn Royaume,
a pris les armes contre vn fauory, contre vn
tyran, qui apres auoir transporté comme vn butin
tout le bien de la France, veut faire perdre la vie
aux Magistrats quand ils ont entrepris la deffense
des peuples : voir, dis-je, que les Princes & les grands
ont embrassé son party, qu’ils en sont les chefs, &
n’ont fait aucune difficulté de donner pour gage

-- 8 --

de leur fidelité tout ce qu’ils auoient de plus cher
dans le monde ; Apres cela soustenir le party d’vn
Estranger, c’est ne se soucier que fort peu de son
authorité & de son honneur.

 

Ignorez-vous, Partisans du Mazarin, quels que
vous puissiez estre, que tous les bons François ne
soient irritez contre son gouuernement ; croyez
vous que nous puissions souffrir plus long temps ses
cruautez, ses violences & sa tyrannie ? Non, non,
& si jusques icy vous l’auez creu, parce que vous l’auez
voulu, & que vous auez esté ses complices, qui
amant-sibi somnia fingunt, nous nous laissons persuader
tout ce que nous souhaittons, desabusez-vous
pour vne bonne fois, & sçachez que toute la
France a resolu de perdre l’ennemy de son repos, &
tous ceux de son party. Qu’attendez-vous ? qu’on
vous donne la vie apres auoir merité de la perdre
par vn infame supplice, comme traistres, voleurs,
parricides & sacrileges ; Non, la France vangera tous
les affronts qu’elle a receus de vous, & lauera dans
vostre propre sang les taches dont vous l’auez soüillée,
de son deshonneur. Vous auez fait vn degast de
nos biens horrible & espouuantable, voire tel que
les plus rigoureux ennemis eussent peu faire, & les
peuples les plus criminels & abandonnez eussent
pû souffrir ; abandonnant vne place apres l’auoir
pillée, vous auez mis le feu dans les greniers, afin
de nous laisser au lieu de la farine des cendres, pour

-- 9 --

nous faire du pain. Vous auez leué vos mains sacrileges
sur nos Prestres, vous auez despoüillé nos Autels,
& ce qui fait horreur à Dieu & aux hommes, vous auez
pollué nos Temples par vos abominables paillardises.
Quoy ? Vous croyez que nous soyons si lasches de ne
tirer raison de tous ces outrages. Non, Dieu armeroit
plustost les demons contre les François, s’ils laissoient
impunis tant & de si horribles crimes.

 

Aussi l’interest de la conscience, ioint à celuy de la
generosité & de l’honneur, oblige tous les bons François
de declarer la guerre, & la faire à outrance aux
ennemis de Dieu & de l’Estat. Ouy, ils sont obligez
de joindre leurs armes, & d’vnir leurs forces pour exterminer
ces monstres, & pour vn si iuste dessein ils y
doiuent employer leurs vies, leur honneur & leurs
biens : ce sont les deux motifs principaux qui les doiuent
porter à cette genereuse entreprise, à sçauoir l’interest
de la conscience, qui les oblige à prendre la cause
de Dieu, & oster de dessus la terre les ennemis de son
nom, & les athées & les profanes, & celuy de l’Estat
ne les oblige pas moins à deffendre l’authorité du Roy
contre vn Estranger qui la chasse de son throsne, &
qui met en confusion tout le Royaume.

C’est sans doute pour ces raisons qu’on a veu tous
les Parlemens du Royaume se declarer pour celuy de
Paris, c’est à dire pour le Roy, pour la France, pour
le bien public, & celuy d’vn chacun en particulier.
Pour ces mesmes causes on a veu, & on voit encore

-- 10 --

les villes armées, les Prouinces sousleuées, & les peuples
accourir de toutes parts pour le secours de Paris.

 

A ces mots du secours de Paris, j’estime que tous
les François se sentiront touchez des maux que cette
Reyne des Villes, & maintenant la plus malheureuse
du monde souffre dans vne infinité de peuple, que
des bourreaux veulent faire mourir de faim. Helas !
combien de personnes innocentes souffrent ? Combien
y en a-il qui ne mangent pas à demy leur saoul ?
Combien sont-ils à la veille de mourir de faim ? Dieu
a pardonné à Niniue à raison des enfans, & des simples
gens, qui ne sçauent discerner entre la main droite &
la main gauche, & a arresté le cours de sa vengeance
en consideration mesme des bestes. Quoy ! il ne se
trouuera personne qui prenne pitié de Paris, où il y a
dix fois plus de peuple, d’innocens, & d’animaux que
dans Niniue.

Quelle est, ie vous prie, la Prouince de France ?
Quelle la ville ? Quelle la personne qui ne soit interessée
en la conseruation de Paris ? C’est la clef de
la vouste, le throsne des Roys, la Mere des Arts
& des Sciences, la Nourrice des bons esprits, l’ornement
du Royaume, & l’Epitome de l’Vniuers.
Tous les hommes, pour ainsi dire, auroient part
à sa perte. Mais quel interest n’ont pas toutes les
Prouinces de France à sa conseruation ? N’est ce
point en cette ville, où toutes celles du Royaume
vont aboutir, comme les lignes de la circonference

-- 11 --

dans le centre ; c’est là où sont toutes leurs alliance
leurs commerces, & leurs correspondances. Certes
il n’y a personne en France qui ne se doiue estimer
Bourgeois de Paris, celuy-là n’est point François,
qui ne prenne part à sa prosperité, & qui ne
s’afflige de sa perte.

 

Il y a vne telle liaison, & vne si grande correspondance
entre toutes les parties du corps humain,
qu’elles ont non seulement du ressentiment les vnes
pour les autres, mais mesmes estant affligées elles
s’entredonnent vn mutuel secours ; les plus nobles
enuoyent quantité desprits aux moins nobles qui sont
offensées, & celles-cy ne font difficulté de receuoir
le coup qui estoit porté aux autres, comme nous
voyons que la main est preste à parer le coup qui
deuoit tomber sur la teste. Si le Royaume de France
est vn Corps Politique, Paris en est le chef ; Toutes
les villes & les Prouinces luy doiuent porter du secours,
si elles se veulent maintenir.

I’ay veu autresfois vne seule Prouince mettre vn
armée de vingt-cinq mille hommes sur pied en moins
de quinze ou vingt iours, & la faire marcher contre
l’ennemy pour deliurer vn Chasteau qu’il pressoit sur
la frontiere. Cette armée vint fondre sur les assiegeans,
les deffit, deliura les assiegez, & pour vn si
bon seruice la Prouince fut chargée de tailles plus
qu’elle n’auoit esté auparauant. Que veut dire, ô François,
que depuis deux mois ou plus, que Paris est

-- 12 --

assiegé, personne n’est venu pour le secourir : Quoy !
tant de villes, tant de Prouinces qui courent la mesme
fortune que nous, abandonneront elles au pillage
toutes les richesses de France ? Ignorez-vous que de la
deliurance de Paris depend la vostre, & que de sa fortune
depend, ou vostre perte, ou vostre salut & liberté ?
Ce que les ennemis nous ont fait, monstre ce
qu’ils ont dessein de vous faire, & ne croyez pas que
ceux-là pardonnẽt ou espargnent des personnes qu’ils
ne cognoissent point, lesquels comme des Malabares
ruinent leurs propres familles. S’ils ont iuré de perdre
Paris, où ie m’asseure que tous ont ou parens, ou
amis ; les vns leur pere, les autres leur mere, qui ses enfans
& sa famille : Que feront-ils d’vn pays où ils
n’ont rien à perdre, & où ils trouueront beaucoup à
gagner ?

 

Prenez donc pitié de vous-mesmes, si vous n’auez
point compassion d’autruy, tenez-vous prests pour
joindre vos armes auec les nostres, & cela estant,
vous estes asseurez que nous enuoyerons le Mazarin
& les Mazarinistes hors de France faire vn voyage
en son pays de Sicile, où l’on dit estre l’entrée de
l’Enfer.

FIN.

SubSect précédent(e)


Anonyme [1649], L’INTEREST DES PROVINCES. , françaisRéférence RIM : M0_1714. Cote locale : E_1_26.