Anonyme [1652], L’INVENTAIRE DES SOVRCES D’OV LES DESORDRES DE L’ESTAT sont emanés, qui sont, I. La Religion deschirée par les Schismes; descriée par ses Predicateurs; & par les mauuais exemple des grands. II. Le Chaos des trois Estats: le desreglement du Clergé; la decadance de la Noblesse, & le luxe du peuple. III. Le crime sans punition dans les personnes publiques. IV. La pauureté mesconnuë par les Prestres, & l’abondance de biens recherchée. V. La Politique desbauchée par le commerce des fourbes. , françaisRéférence RIM : M0_1731. Cote locale : B_10_31.
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L’INVENTAIRE
DES SOVRCES
D’OV LES DESORDRES DE L’ESTAT
sont emanés, qui sont,

I. La Religion deschirée par les Schismes ; descriée par
ses Predicateurs ; & par les mauuais exemple des
grands.

II. Le Chaos des trois Estats : le desreglement du Clergé ;
la decadance de la Noblesse, & le luxe du peuple.

III. Le crime sans punition dans les personnes publiques.

IV. La pauureté mesconnuë par les Prestres, & l’abondance
de biens recherchée.

V. La Politique desbauchée par le commerce des fourbes.

M. DC. LII.

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L’INVENTAIRE
DES SOVRCES.

Cevx qui ne raisonnẽt sur les desordres du
tẽps que par les principes de la Politique
vu gaire, ne trouuent point de plus prochaines
causes à ces pernicieux effets, que celle qu’ils
empruntent de la mes intelligence des grands,
& de la diuision des sujets d’auec leur Souuerain :
La Fronde accuse les Mazarins ; les Mazarins
deposent en reuanche contre la Fronde ; les
passionnez pour le maintien de la Royauté, iugent
que les sujets manquent d’obeïssance ; les
sujets protestent que la tyrannie des Ministres
rend le ioug Royal insuportable ; Les ennemis
de M le Prince luy donnent trop d’ambition ; ses
Partisans accusent la France d’ingratitude ; Les
independans ne veulent point que les Parlemẽs
se meslent des affaires d’Estat, Les Parlemẽs pretendent
qu’il ne peut point ester d’affaire qui
ne releue de son authorité ; Le Clergé ne cesse
d’inuectiuer contre le peu de respect que la Noblesse
luy porte, la Noblesse respond que le Clergé

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n’est plus dans cette simplicité Chrestienne
qui le rendoit autrefois si venerable dans l’esprit
des Grands : Ainsi nous ne voyons pas moins de
sentimens que de partis : & cette grande diuersité
a fondé la reflection de ceux qui vont puiser
toutes les sources des remuëments de la France
dans les schisms d’Estat.

 

Mais comme ce seroit estre tres mauuais Philosophe,
que de contenter sa curiosité sur la recherche
des tempestes, de la seule connoissance
des vents : aussi ne pensay je pas que ceux-là
soient trop bõs Politiques, qui n’alleguent pour
toute raison des troubles de la Monarchie, que
la seule desvnion des grands, sans tacher de percer
plus auant, pour apprendre les motifs qui les
ont diuisez, ou du moins les causes qui peuuent
estre comme les constellations secretes de ces
malheureuses influences fatales à la tranquillité
des Estats : C’est là dessus que ie pretẽds satisfaire
à la curiosité de mes lecteurs, apres vne tres exacte
recherche que i’ay fait de tous les tragiques
ressorts qui font ioüer depuis tant d’annees les
pernicieuses machines de nos mauuais destins
contre le repos de la France.

I’emprunte la premiere cause de ces troubles
du mespris general qu’on fait de la Religiõ, dont
les Docteurs ne sõt que Sophistes : õt ses propres
Partisans ne sont passionnez qu’en apparence :

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dont les peuples sont rebutez par le mauuais
exemple des Grands : dont les veritez ne sont
estalées dans les cheres que par des Politiques
mondains ; & dont la profession n’est exercée
qu’auec honte.

 

Ie presupose neantmoins auant que d’étaler
les preuues de ces propositions, que la Religion
est le veritable fondement de tout le gouuernement
Politique ; & qu’à moins que d’en accompagner
toute la conduise, il est impossible de la
faire reussir au gré de ceux qui en sont les intelligences.
Apres l’authorité de tous les plus illustres
Legislateurs des Republiques que i’ay pour
garants de ceste verité, ie la fortifie en suite par
vne raison ce me semble assez convainquante,
que i’emprunte de la fin [1 mot ill.] gouuernement,
qui n’est autre que de soumettre des peuples
à la disposition Souueraine des Loix auec
vne dependãce [1 mot ill.] que personne ne s’en
puisse dispenser, sans [1 mot ill.] à mesme temps
les peines qui sont ordonnées contre les infracteurs :
Il est euidẽt que ceste soûmission si respectueuse
que les Loix exigent pour les Souuerrains,
marque en eux quelque chose de plus
qu’humain, qui les approchat en quelque façon
de la Diuinité, les fait regarder auec ceste differãce
aueugle de tous ceux qui leur sont soumis.

Ie demande maintenant s’il n’est pas impossible

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[1 ligne ill.]
vne soûmission aueugle, se puisse en aucune
façon se cõseruer sans le secours de la Religion,
laquelle venãt à ietter le scrupule dans les consciences
par l’apprehẽsion d’en courir les disgraces
des loix qui sont cõme les decisiõs de l’Eternité,
maintient les peuples dãs le respect inuioble
qui leur est deub, sans permettre iamais que
par vn se dispense de leur obeït, qu’auec le déplaisir
de n’auoir violé la Sainteté : Comme nous
voyons ordinairement que les peuples qui n’õt
point de Religion, n’ont point de Loix, parce
que ne se pouuant pas que les vns se soûmetent
naturellement à la disposition des autres par la
creance qu’vn [1 mot ill.] qu’il n’en est pas de plus
grand que soy disant necessairement se seruir ou
du pretexte, [1 mot ill.] la Religion pour les appriuoiser
soubs le ioug par [1 mot ill.] de quelque apparence
de Diuinité, & les faire [illisible.]

 

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Apres ce discours ie reprens mes propositions,
pour monstrer que le mespris de la Religion est
vne des principales causes des grands desordres
qui broüillent auiourd’huy les affaires de cét
Estat, & ce mespris ie le remarque en premier
lieu dans les deffenseurs mesme de la Religion,
c’est à dire dans les Docteurs du temps, qui en
étalent auiourd’huy les veritez auec plus de curiosité
que de zele ; & qui bien loin de faire subsister
le Christianisme dans vne certaine simplicité
la diuersité de leurs opinions qu’on admire.
moins ceux qui sçauent bien faire, que ceux qui
sçauent subtilement disputer. N’est-il pas vray
que la veritable Religion est Monarchique, puis
qu’elle ne peut subsister que par la seule vnité de
creance ; & que deslors qu’elle vient à se diuiser
en plusieurs partis, ou bien elle se détruit par sa
propre curiosité, ou bien elle ne subsiste du
moins que dans le party, qui a le bon heur de
demeurer dans la verité, si toutesfois il ne s’en
separent pas plustost tant qu’ils sont par les extrauagances
surpefluës de leurs curiositez.

Pour moy ie fais profession d’estre Romain, &
de viure dans cette creãce, auec la simplicité du
Christianisme, I’entẽds d’vn autre costé que les
Romains mesmes sont partagez à deux sentimens
contraires ; & que Iansenius & Molina se

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sont éleues pour faire deux partis dãs la mesme
Religion, qui se perd necessairement, si toutesfois
elle ne se cõserue dans l’vnité d’vne mesme
creance : Les Iansenistes neantmoins protestent
qu’ils son Romains, les Molinistes encore dauãtage,
desquels des deux faut-il croire ? les premieres
soustiẽnent que leur croyance est orthodoxe,
Les seconds le nient : si ie me iette dans la
neutralité, ie me rends coupable dans les iugemẽs
des deux partis : Si ie me declare pour l’vn,
l’autre-proteste ; que ie suis dans le rang des reprouuez ;
ainsi quelque ferme dessein que i’aye
de proceder auec sincerité dans le choix de la
veritable creãce il faut que ie me resolue d’estre
condamné par ceux là mesme qui professent
d’estre Romains aussi bien que moy.

 

Là dessus ie raisonne de la sorte ; Le Ianseniste
soustient que le Molinisme ne vaut rien ; le Molinisme
en dit tout autant du Iansenisme ; & moy
ie soustiens que l’vn & l’autre ne valent rien, &
qu’ils sont tous deux seditieux, & Republicains,
dans l’Estat Monarchique de la Religion ; puis
qu’ils affectent defaire des parties, rompãt l’vnité
de la creance par le schisme de leur diuision ; &
qu’ils troublẽt le repos de cette saincte Monarchie,
par la diuersité des factiõs contraires qu’ils
y forment au grand preiudice de son vnité, sans
laquelle la Religion ne peut iamais subsister.

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Ce raisonnement est il à propos me dira quelqu’vn,
pourray ie bien prouuer de là, que ces
parties de la Religion ont causé ceux de l’Estat : &
que les desordres de la Monarchie, sont les funestes
effets de ces mes intelligences factieuses
qui diuisent auiourd’huy tous nos Docteurs : Il
n’en faut point douter : Puis qu’il apert par les
raisons precedents que le gouuernement Politique
ne peut reussir que par le moyen de la Religion,
qui captiue les suiets dans la dependance
des loix : il faut par consequent que ces deux Monarchies,
c’est à dire la Chrestienne & la ciuille
marchent de pair, & que la bonté de l’vne depende
absolument de la bonté de l’autre : il faut
dis ie que l’vne patisse des desordres de l’autre,
que la sainte ne soit point diuisee pendant que
la ciuille se conseruera dans l’intelligence ; que la
ciuille reciproquement ne soit point dans le repos,
pendant que la saincte sera trauersee par les
contradictions de ses partis.

En effet n’est il pas probable que les diuersitez
des parties qui se forment dans la Religion, sont
les auancoureurs de ceux qui se formerõt infailliblement
dans les Estats : & qu’il n’est pas possible
que deux diuerses Religions ou deux diuerses
cabales dans vne mesme Religion, ne disposent
les esprits à se mutiner contre l’vnité du
gouuernement Monarchique [1 mot ill.] puis que dans

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nostre supposition, la bonté de ce dernier est vn
effet de la bonté du premier, & qu’il n’est point
de plus grand motif pour soûmetre les peuples à
l’obeissance des loix, que celuy qu’on emprunte
de la Religion.

 

Ainsi ie pense que pour faire rejoinder la diuision
des subjets auec leur Souuerain, il seroit
expedient que les intelligẽces de cét Estat rompissent
le cours des dãgereux monopoles qui se
forment dans la Religion par les pernicieuses vn
trigues de Iansenius & de Molina, afin que tous
ces schismes de Religion venant à se reünir par
vne aymable simplicité de creance sans se mettre
plus en peine de ces hautes veritez qui ne seruent
de rien pour la reforme des mœurs ; Les
sujets fussent inuitez par le scrupule de leur desvnion
à se rejoindre soubs l’authorité du Roy,
pour obeïr auec vne simplicité de dependance
sans se mettre en peine de mettre nez dans les
affaires d’Estat, non plus que dans ces veritez inconceuables
de la foy, dont les cutieuses autant
qu’inutiles recherches font auiourd’huy les
schisms & les reuoltes de la Religion soubs les
bannieres de Iansenius & de Molina, comme
dans l’Estat sous les estendars de la Fronde & du
Mazarin.

Si les Docteurs de la Religion ne sont que
des Sophistes, ou des Peripateticiẽs ; ie puis dire

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auec mesme raison que les Predicateurs ne sont
que des Orateurs d’Estat, ou des Rheteurs de vanité,
qui ne preschent rien moins que la vertu,
& qui contribuent plustost à faire des curieux
qu’à faire des gens de bien. Ceste mode introduite
par les demons est si pernicieuse à deux
Estats tant Chrestien que Ciuil, qu’il est bien
difficille de iuger, lequel des deux est le plus interessé
à son abolition, puis que ceste nouuelle
façõ de prescher ne tend à autre chose qu’à ruïner
la simplicité du peuple, en le rendant capable
des cõnoissances des plus esleuées ; desquelles
il n’est pas plutost esclairé qu’il cõmence à se
méconnoistre, & à vouloir mettre le nés dans
tous les affaires qui se passent ; au grand desauantage
de la simplicité ; sans laquelle il est éuident
que les Monarchies tant Chrestienne que ciuiles,
ne sçauroient subsister, puis que personne
ne doute que la curiosité & l’obeyssance ne
soient entierement imcompatibles.

 

Ceste extrauagance des Predicateurs dans la
recherche des curiositez dont ils repaissent le
peuple, est vn acheminement au peu de respect
qu’on a pour les choses sacrees, & par mesme
moyen au mespris qu’on fait de respecter les volontez
Souueraines, lesquelles se trouuant alliees
auec les precedentes, ne sont pas moins exposées

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à ressentir les outrages des curiositez de
leurs peuples.

 

Ie passe au peu de soin que les grands ont de
viure dans le respect de la Religiõ & ie dis que
ce mespris sacrilegue des choses saintes, est la
premiere cause du mespris que les peuples font
de se soumettre à leur obeisance, par la raison
plausible qu’ils ont que le pouuoir de Dieu estãt
plus souuerain sur les grands de la terre, que celuy
des grands sur les Peuples, il semble que les
grands dispensent les Peuples de leur obeïr, par
ce qu’ils se dispẽsent eux-mesmes de l’obeissance
qu’ils doiuent aux ordres de leur Souuerain.
Ce raisonnement est si veritable qu’on n’a iamais
presque veu de reuolte sous le regne des
Saincts, comme les méchans n’ont iamais regné
que dans les apprehensions criminelles d’estre
precipitez de leurs crimes par les iustes poursuites
de leurs peuples.

Faut-il maintenant prouuer que la profession
de la vertu n’est exercee qu’auec honte : & que la
pluspart du monde n’a de bonté qu’en apparence :
faut il faire voir qu’on n’est auiourd’hui honteux
que de n’estre point effronté : & qu’on ne
s’adonne Presque point à la vertu qu’a mauuais
dessein, c’est à dire pour faire plus heureusement
reüssir les souplesses sous le voile de la sincerité ;

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cela n’est pas trop euident ; & par mesme raison
il ne faut plus s’estonner des desordres qui troublent
nostre repos, puis qu’il est impossible de
conseruer la tranquillité de l’Estat pendant les
trauerses de la Religion, & de faire respecter
l’authorité Souueraine du Roy, pendant que
celle de Dieu est generallement dans le mespris.

 

Que les Sophistes Chrestiens se deportent
donc de faire naistre tant de partis, pour diuiser
l’vnité de la Religion ? Que les Predicateurs ne
soient pas si curieux de percer dans la connoissances
de ces eminentes veritez : que les grands
se resoluent de donner bon exemple, par vne
professiõ sincere & veritable du Christianisme ?
Qu’on ne rougisse plus que d’auoir eu honte de
pratiquer la vertu ? & nous verrons d’abord que
les orages de l’Estat se calmeront ; que tous les
diuisez se reüniront sous l’vnité Monarchique ;
que les apparences de tous les malheurs qui nous
menacent, auorteront enfin à la confusion de
leurs autheurs, & que la France victorieuse de
tant d’ennemis, reprendra la beauté de son premier
visage.

II. La confusion des trois Estats du Clergé, de
la Noblesse & du peuple, fera la seconde cause
des desordres qui trauersẽt le bel ordre de cette

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Monarchie : Neantmoins auant que de m’engager
à la preuue de cette verité, ie pense qu’il est
à propos de presuposer que tous les gouuernements
tant Democratiques, Aristocratiques,
que Monarchique, sont composez de ces trois
parties, du Clergé, de la Noblesse, & du tiers
Estat : & qu’il n’est pas possible que les troubles
& les desordres se glissent dãs le gouuernement,
pendant que le Schilme ne trouuera point d’entree
pour aller diuiser ces trois illustres corps : ou
que la confusion du moins ne pourra point les
pesle mesler, pour oster la subordinatiõ, ou bien
plustost la correspondance mutuelle qui doit
estre entr’eux, afin de faire rouller d’vne constante
égalité les roües de la Monarchie, par le
moyen de l’agreable concert de leur bonne intelligence.

 

Il me reste donc à sçauoir en quoy consiste
cette intelligence qui doit composer le concert
ou l’harmonie des trois Estats ; pour conclurre
puis après, que ne se rencontrant pas dans cette
Monarchie, il faut necessairement qu’on en fasse
la principale source des desordres qui troublent
sa tranquillité : sa connoissance n’en sera pas trop
difficile, si toutefois on veut considerer que le
deuoir du Clergé n’est autre que de borner son
ambition dans les termes des choses sacrees qui

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sont de son ressort, & de mettre vn bon reglement
dans la police de la Religion, sans pretendre
autrement à celle du gouuernement ciuil,
que lors qu’il y sera forcé par les debordements
de ceux qui en sont les œconomes La Noblesse
doit auoir l’intendance de tout ce qui concerne
le gouuernement Politique tant en la paix que
dans la guerre ; & le Tiers Estat ne doit pretendre
à tout rompre qu’a la faueur de l’execution
des ordes de ceux qui ont le manimẽt des affaires
ne pouuant enbriguer le commandement
qu’auec temerité, comme il feroit sans doute vn
monstre, si toute fois il pretendoit ou s’esleuer
au dessus ou du moins marcher de pair auec la
Noblesse ; tandis que cette intelligence se trouuera
dãs les trois Estats que le Clergé ne se meslera
point dans la prophane ; que la Noblesse ne
se raualera point à des choses indignes, & que le
peuple n’aura point l’ambition de s’esleuer au
dessus de la bassesse : toutes les portes des desordres
seront fermées, & les orages ne pourront
iamais bouleuerser la tranquillité des Estats.

 

Mais seroit il bien possible que cette diuine
paix peut estre auiourd’huy le Paradis de ceste
Monarchie ; puis que ce caos Politique a tellement
confondu les trois Estats ; qu’on ne sçauroit
plus, ny distinguer le Clergé d’auec la Noblesse,

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ny celle cy d’auec le peuple Si nous montons
sur la poupe de l’Estat Politique, nous y
trouuerons des Cardinaux, qui en reglent le
gouuernail ; Si nous allons dans les champs armées
nous y verrons des Archeuesques qui les
conduisent, Si nous voulons frequẽter la Cour,
les Euesques en sont les plus habiles courtisans,
Les Capucins mesmes qui le croiroient ont
mis leur longue barbe dans le gouuernement,
& les Religieux sont auiourd’huy les plus empressez
pour se mesler viuement des affaires d’Estat.

 

Voila desia vn tres mauuais commencement,
ou bien plustost vn grand preiugé de la
mes-intelligence qui doit ester entre les trois
Estats, puis que le plus religieux est dans le desordre,
& que celuy qui ne doit professer que la
saincteté, s’engage neantmoins auec tant d’impunité
dans le prophane : Mais voyons si le plus
bas est dans son deuoir : tant s’en faut qu’il se
contente de se ranger auec modestie dans les
termes de sa petitesse, qu’il pretend mesme de
le porter aussi haut que son superieur, & de ne
luy ceder en rien que dans l’idée qu’on a qu’il
n’est pas si releué que luy.

Qu’on aille dans les Parlemens, on n’y trouuera
Presque point que des Rosturiers, qui se

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sont esleuez auec leur argent pour acheter des
séances sur les fleurs de lys : qu’on entre dans l’Eglise,
ses plus illustres croces sont entre leurs
mains, & leurs testes qui ne sont faites que pour
porter le ioug de la seruitude sont honorées de
ses plus esclatantes mytres : qu’on voye dans la
Cour : il n’est que des potirons de terre, des fils
de Chandeliers, de Chapelliers, de Rotisseurs,
&c. qui rẽplissent les premieres places de cette
source des grands, parce qu’ils ont esté les plus
hardis pour s’y éleuer par les voyes de l’iniustice :
Qu’on frequente le commerce ; si l’on y porte
iugement par la sumptuosité exterieure, on dira
d’abord que les honnestes gens sont des Rosturiers,
& que les Rosturiers sont des Gentilshommes,
puis que l’escarlate, la soye, & l’argent ne
sont plus les marques infaillibles de la Noblesse,
& qu’il est permis à vn chacun par les loix
du luxe, de se mettre dans la posture que son
caprice ou son ambition luy pourront suggerer.

 

Puis que le Clergé & le Peuple sont dans le
desordre, la Noblesse qui tient le milieu, ne
sçauroit ester dans son deuoir quelque estude
particulier qu’elle fit pour s’y maintenir : Les
premieres charges des armées luy appartiẽnent :

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Le Clergé & le tiers Estat les luy rauissent par la
tyrannie de la saueur : Le maniment de l’Estat
luy doit ester conserué ; Les intrigues du Clergé
seront enfin en prescription d’y mettre des
Cardinaux, Il n’appartient qu’à elle seule de
donner des Courtisans à la Cour ; On y voit cependant
plus de Prelats que de Gentilshommes :
La magnificence exterieure doit ester la marque
du rang qu’elle tient dãs les Estats ; & neantmoins
nous voyons que le Peuple a tant d’ambition,
qu’il fait voir plus de pompe & de brauerie
sur le theatre du monde, que ceux là mesme
qui sont destinez par la gloire de leur condition
pour y representer les premiers personnages.
Ainsi ie pense qu’il me reste à conclurre
que les trios Estats sont pesles meslez, & que ce
Politique concert qui deuroit ester entre eux
pour faire aller d’vn beau train la police du gouuernement,
est rompu par l’ambition du premier
par la lascheté du second, par les extrauagances
du dernier, & par la confusion des trois
en general.

 

Est il donc possible que l’Estat ne soit point
bouleuersé par les orages qui trauersent auiourd’hui
son repos, puis que les parties qui en composent
le corps Politique sont dans la mesintelligence ?

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Est il possible que les respects, de la Religion
y soient inuiolables, puis que ceux qui en
sont les intendans ne se meslent que dans la Politique
profane ? Est il possible que la Monarchie
soit bien seruie, puis que ceux qui en doiuent
porter le ioug, veulent le secoüer de leur teste,
pour le mettre sur celle des commandemens ?
Est-il possible que le Royaume soit bien gouuerné,
puis que tout le monde y veut commanmander ?
Est il possible, dis ie, qu’on y puisse
iamais trouuer aucun bel ordre pendant que les
trios Estats qui le composent, seront desordonnés.

 

Que faut il donc faire à cela : le remede n’en
est pas difficille, si les malades s’en veulent rendre
capables ; C’est à dire si le Clergé se veut
cõstraindre dans le terme des choses sacrées, si la
Noblesse se roidit pour ne se raualler iamais, &
si le peuple si veut captiuer dãs la petitesse de sa
dependance. Que les Prelats laissent la Cour à la
Noblesse, & qu’ils se retirent dans leurs Dioceses,
pour maintenir la Religion dans sa pureté ;
& les suiets dans l’exacte obseruation des Loix
par les apprehensions des scrupules de cõscience ;
que la Noblesse reprenne son train, qu’elle
gouuerne les armées pour faire auorter les menaces

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de nos ennemis, qu’elle manie le timon
de l’Estat, & qu’elle marque par sa magnificence
exterieure, le rang qu’elle tient dans l’Estat,
que le peuple sçache, qu’il se destruit en voulant
commander qu’il s’abbaisse en se releuant,
que le luxe est la marque de son infamie, & l’amorce
de son oppression, que la pompe exterieure
ne fait que rendre ses chaines plus esclatantes,
& la passion de luy commander plus tyrannique ;
& que le veritable moyen de viure
en repos n’est autre que de viure auec tranquillité
dans le ioug paisible de sa dependance.

 

Si la France en pouuoit venir à ce reglement
des trios Estats, par l’vniõ pacifique qu’ils pourroient
entretenir parmy eux, & par le veritable
contentement qu’ils pourroient touuer dans les
termes de leur pouuoir, Il ne faut point douter
qu’elle ne se rendit d’abord necessaire à toute
sorte de trauerses, & que le calme ne rentrat
dans l’Estat auec la mesme tranquillité qu’il y
regnoit autrefois soubs la paisible dommination
de Henry le Grand : Mais la confusion se
ces trios membres du corps Monarchique se
trouue si meslée par les intrigues de Mazarin,
que si le bel ordre n’est pas impossible, il est du
moins parfaictement difficille.

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III. Ie veux faire passer l’impunité des crimes
pour la troisiesme cause des desordres de cét
Estat : & cela mesme auec tant de raison, que
l’Escriture sainte fait foy, qu’en punition d’vne
soule impunité Dieu chastia bien rigoureusement
autrefois toute la Tribu de Benjamain,
comme nous lisons dans l’Histoire de Lacedemone,
que les Dieux ne permirent iadis la sanglante
defaite de la iournee de Leuctre, qu’en
vengeance de l’impunité d’vn malicieux homicide
que la passion auoit fait commettre au general
de Sparte auant la bataille.

Si ie voulois prendre la source des troubles de
l’Estat dans l’impunité des crimes qui se commettent
par les particuliers, il ne faudroit plus
s’estonner que de voir si peu de desolation dans
la France, apres auoir esté les tesmoins des sacrileges,
des Sodomies, des viollemens, & des brutalitez
qui s’y sont commises, sans que la vengeance
s’en soit iamais ensuiuie : mais ie ne veux
toucher que l’impunite des crimes qui se commettent
par les personnes publiques, & qui sont
pour parler auec S. Chrisostome, les estendars
du vice, le arcenals du diable, & les phares de
l’impieté.

Est il de plus grande impunité que de permettre
qu’vn Ministre mette le feu aux quatre coins

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de la Monarchie, sans luy casser la teste, pour en
esteindre l’incendie, auec toute l’effusion de son
sang ? est il de plus grande impunité que de voir
saper les fondemens de la Royauté par vn Fauory,
sans le traiter d’abord en criminel de leze Majesté
au premier chef ? est il de plus grande impunité
que de voir succer à vne sangsuë estrangere
toute la sustance du peuple, sans la creuer ?
est-il de plus grande impunité que de voir piller
les trois cens millions, sans en massacrer l’autheur ?
est il, dis ie, de plus grande impunité
que de n’ordonner qu’vn simple esloignement
pour toute punition à celuy que les millions
d’incestes, d’adultaires, de paricides & de sacrileges,
rendent coupable dans toutes les Tournelles
de l’Europe.

 

Il n’est neantmoins que trop vray, que Mazarin
est coupable de la decadance de la Royauté,
de l’oppression des Princes, des miseres
du Peuple, & de la ruine de toute la France ; Il
n’est que trop vray, qu’il a succé, le Clergé,
qu’il a pillé toute la Noblesse, & qu’il a vollé
tout le tiers Estat ; il n’est que trop vray, qu’il a
despoüillé les Autels, qu’il a violé les Sanctuaires
du Temple, qu’il a prophané la Saincteté
par le pernicieux exemple de sa vie scandaleuse ;
il n’est que trop vray, que les carnages estoient
ses iouets, que les cruautez estoient ses

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passetemps, & que les iniustices estoient ses ordinaires
pratiques. Que luy a t’on fait en punition ?
il a esté condamné, à quoy, aux galeres
c’est fort peu, aux gibets, ce n’est pas assez, au
feu, l’Arest en seroit trop doux. Rien de tout
cela, il n’a esté condamné qu’a sortir de France ;
& à desemparer la personne du Roy.

 

Ne vous estonnez donc plus pauures opressez
si vous voyez des desordres apres cette impunité,
la iustice innocente n’a fait que de chainer
le Lyon qui nous doit deschirer ; elle à plutost
esguisé qu’emoussé ses griffes ; & nostre
sang dont il s’est si delicieusement repeu pendant
sept années ne luy seruira que pour irriter
desormais son appetit afin de se ioindre auec
nos ennemis pour le venir succer plus entierement :
l’Angleterre cet illustre parricide luy
tend les bras, les Princes d’Allemagne lappellent
à leur secours ; l’Espagne est sur le point de
s’en seruir pour nous trauerser, & pour cette
raison n’ay ie pas iuste raison de dire que l’impunité
des crimes est la source des desordres,
puis qu’il est asseuré qu’ẽ punissant ce ministre
le plus detestable des mortels, la France obuioit
parce seul moyen à tous les troubles que les apparences
visibles nous font desia pressentir.

Il est vray que cette impunité nous coustera

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beaucoup : Mais enfin ie pense que celle des
Intendants des Prouinces, & des partisans ne
nous fera pas moins pleurer, si les mauuais destins
de la France peuuẽt encore preualoir pour
remetre iamais les tailles en party, & la tyrannie
des impositions en leur premiere vogue : pouuoit
on nier à la iuste vengeance des peuples, la
punition de ces voleurs publics lors qu’on les a
rappellez : ne falloit il pas leur faire render cõte
du bien de la veufve & de l’orphelin qu’ils auoient
pillez : n’estoit il pas trop iuste qu’ils reuomissent
le sang des pauures dont il s’estoient
repeus, afin que leur punition seruit du moins
d’exemple à la posterité & que la iuste apprehension
d’vne semblable disgrace fut desormais
la bride des violences de ceux qui seroient admis
dans l’administration des biens de l’Estat.

 

Si les Espargnes sont vuides, que ne les remplit on dans l’abondance des partisans qui se
sont enrichis du bien du peuple & du Roy : si
le Louure n’est pas acheué par l’impuissance
que l’on à de fournir aux dispenses qui sont necessaires
pour cét effet, que ne fait on demolir
ces superbes Hostels des voleurs publics pour
mettre la derniere main à cette bastisse Royalle ;
est il necessaire qu’vn fils de Chandellier
ait trois cent mil liures de rente qu’il a volez

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public ! qu’vn Aduocat d’vn simple Presidial
ait esleué son reuenu iusques a vn million ? est
il iuste que les Sceaux qui sont les marques de la
Iustice, & les veritables characteres de la Royauté,
ayant esté neantmoins les instruments de la
plus inuisible iustice du Siecle, pour l’accroissement
de quatre vingt mil iusques à dix & sept
cent mil liures de rente : ne faudroit il pas que ce
fils de Rotisseur, qui a pillé iusqu’à quinze millions ;
que ce Sauetier qui s’est enrichy de quatre
cent mil liu. de reuenu, & tant d’autres que nous
voyons tous les iours auec desespoir, fussent obligez
par la rigueur des Loix de reuomir tout ce
fang & de faire amande honorable à Dieu, au Roy
& à la Iustice.

 

C’est en punissant les crimes des personnes publiques,
que la Iustice peut aller au deuant des desordres
qui troublent ordinairement la tranquillité
des Estats, tant par l’apprehension generalle
que ces sortes de satisfaction i’ettent dãs les esprits
des particuliers ; que par la creance qu’on fait auoir
à l’Authorité des Magistrats sur l’esperance
infaillible ou que le peuple a, que leur iustice dans
le maniment des affaires sera recompensée, ou que
leurs maluersations seront punies.

IV. Ie m’en vay toucher vne quatriesme source
de desordres, qui semblera n’estre point diferente

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de la premiere, quoy que neantmoins elle
n’ait auec elle qu’vne certaine alliance d’interest
qui les fera paroistre dissemblables en leur fin : c’est
la trop grande abondance de biens qui se trouue
auiourd’huy dans les gens d’Eglise, & que ie pretends
faire passer pour vne des plus fecondes causes
de desordres, qui sont dans cette Monatchie.
Ie ne doute pas que les Ecclesiastiques vertueux
ne tombent d’accord auec moy de la verité de ce
sentiment, mais ie me resous aussi d’estre exposé
à la censure des vicieux, qui ne manqueront pas
de me traiter d’ignorant, par ce qu’ils iugeront
que ie les choque dans la plus ardente de leurs
ambitions, & que ie les veux despouiller de tous
leurs tresors pour les donner à discretion à toute
sorte de monde.

 

La premiere raison dont ie pretends apuyer
cette verité, m’est fournie par la supposition
que i’ay desia fait, que la Religion doit estre la
base & le fondement, de la bonté du gouuernement
Politique : tellement que ie conclus
de là que la Religion, ne pouuant subsister
dans sa vigueur, que par le moyen des gens
d’Eglise qui en sont comme les œconomes, il
faut donc necessairement que les Ecclesiastiques
se tiennent dans leur deuoir, afin de n’estre
pas les causes de sa decadence, par la mauuaise

-- 27 --

conduite de leur deportements. Or est-il
qu’il est impossible que les Ecclesiastiques fassent
compatir ensemble la vertu & les richesses, &
qu’ils abondent à mesme temps en bonté & en
biens de fortune.

 

Si quelque opiniastre veut nier cette verité
qu’il combate les sentimens de Dieu, qui n’a basti
les fondements de la Religion que sur la pauureté,
& qui mesme n’a pas voulu que ses predicateurs
eussent la preuoyance du lendemain, pour
ne se reseruer que le soing de conseruer les graces
de Dieu en se reposant entierement sur sa bonté
de toutes les necessitez de la vie : les Euangiles, les
premiers Apostres, les premiers Papes & les premiers
Euesques me pourront dementir ; & ie suis
tout prest de retracter ma proposition, s’il se trouue
quelqu’vn d’assez ignorant qui puisse ne sçauoir
pas, que la Religion n’a iamais fleuri plus glorieusement,
que lors que les Ecclesiastiques ont
vescu dans l’amour & dans l’exercice de la pauureté.

Comment seroit-il donc possible que cette Religion
fut auiourd’huy dans sa vigueur, puis que
ses Prestres ne respirent rien tant que l’ambition
de s’enrichir, c’est à dire la Passion de n’estre les
protecteurs de la Religion qu’en apparence, &
de viure en effet dans les poursuites de la vanité la

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plus contraire à la profession, des Ecclesiastiques :
vingt cinq, trente, soixante, quatre vingts cent
mil liures de rentes, Carrosses, Pages, Gentil hommes,
mutes de chiens, & tous ces semblables
apareils ne sont ils pas incompatibles auec la
pauureté des Préstres ; & ne faut il pas aduouer
que ces richesses ouurent tous les iours la porte à
l’ambition des Grands, qui n’entrent dans l’Eglise
que sur l’esperance qu’ils ont d’y trouuer de quoy
fournir à leur auidité, pour marquer par la superbe
de leur train, le rang qu’ils pretendent tenir
dans le siecle par dessus les autres.

 

Ce dereglement est si fatal à la tranquilité des
Estats, que la Religion venant comme à se seculariser
par l’ambition de ses Prestres, & ne
pouuant par mesme raison maintenir les peuples
dans le respect des Loix, il faut necessairement
que le Gouuernement Politique en
patisse, & qu’il se ressente des alterations de
celle dont la vigueur doit ester l’ame de la bonté
de toute sa conduite : si les anciens Prelats
n’eussent esté les veritables independants de
toutes ces faueurs de la fortune, n’est il pas
vray que la Politique ne leur eut pas permis
d’afronter genereusement les Empereurs &
de porter les oracles de la verité dans les balustres
des Roys ! n’est il pas vray que toutes les

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raisons d’Estat les obligeoient de flater les vices
de leurs Souuerains, afin de les obliger en reuanche
par la lascheté de cette complaisance, de seconder
les intentions qu’ils auroient eu de trauailler
genereusement à l’agrandissement de
leur fortune. mais le mespris qu’ils faisoient de
la pompe de tout cet exterieur, leur faisoient regarder
l’authorité Souueraine dans sa superbe,
comme vn vain orgueil qui deuoit enfin s’eschoüer
à l’escueil de la Religion, & qu’il ne falloit
aucunement respecter à moins qu’elle ne se
rangeast dans le deuoir du veritable Chrestien.

 

Cette reflection me fait encore conclurre
contre l’abondance des Prelats, qui s’imposent
vne necessité indispensable de flater & de complaire
a toutes les passions des grands, par la
passion qu’ils ont eux mesme de pousser leur
fortune par leur entremise. Ce quine se pouuãt
en aucune façon sans renoncer à l’authorité
qu’ils ont de releuer aigrement les Puissances,
lors qu’elles viennent à s’oublier de leur deuoir,
il faut necessairement que celle cy s’emportent
plus impunement à toute sorte d’excez sur la
fausse creance qu’ils ont, qu’ils sont irreprochables,
puis que les Iuges des mœurs ne les censurent
point : & voila la principale source des desordres
du temps, qui n’eussent iamais troublé

-- 30 --

nostre repos, si la France eut eu quelque Ambroise,
ou quelque Bernard qui en eut estouffé
la naissance, par les obstacles victorieux qu’il eut
peu opposer aux pernicieux desseins des ennemis
domestiques de cet Estat : Mais cette passiõ
insatiable de s’enrichir, a tellement desbauché
les esprits des Prelats, qu’ils ont plustost irrité
que corrigé les mauuaises intentions des puissances,
parce qu’ils estoient eux mesmes en dessein
de se seruir de leur authorité pour le restablissement
de leur fortune : iuge qui voudra de
cette reflection.

 

V. Le mauuais vsage de la Politique, ou l’vsage
de la mauuaise Politique n’est pas vne des
moindres sources dont les troubles & les malheurs
sont sortis pour venir inonder dans cet
Estat. Les Politiques me demanderont d’abord
qu’est ce que i’entends par la mauuaise Politique,
ou par le mauuais vsage de la politique ; mais
helas l’experience de nos malheurs ne nous a
que trop instruits dans cette connoissance ; &
nous ne sommes que trop sçauans dans les souplesses
de la Cour, depuis que le plus scelerat des
mortels y a fait glisser la contagion des intrigues
Italienes pour y corrompre la candeur Françoise.

Ne nous a ton pas voulu faire croire depuis

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que ce Corsaire a gouuerné les renes de la Monarchie,
que les Rois n’estoient non plus esclaues
de leurs parolles que de leurs subiets, & qu’ils
se reseruoient la liberté de se pouuoir de dire,
quelque asseurance neantmoins qu’ils donnassent
pour l’establissement des traitez : Ne nous
a ton pas voulu persuader que nos vies & nos
biens estoient dans le commandement Despotique
de nos Souuerains, & que pour cette rai.
son les subiets ne pouuoient point poursuiure
l’esloignement des mauuais Ministres qui se
maintenoient par leur faueur : N’auons nous pas
veu que la consideration de l’interest estoit la
seule dispensatrice des charges, & qu’on n’a
presque iamais rien donné par le motif ou par
le principe du merite ou de la vertu.

 

La premiere de ces maximes a mis les peuples dans le deffy des promesses de leur Souuerain,
les obligeant par mesme consequence
à ne s’attendre point à aucune sorte de traité,
dont les effets estoient dans l’incertitude ; mais
a pousser vigoureusement les affaires, pour les
terminer par force à leur aduantage : tesmoins
les Bordelois : La seconde maxime à fait voit
aux peuples qu’il auroient tousiours ce detestable
Ministre sur les bras, s’il n’en attendoient
la deffaite que de la Iustice du Souuerain, lequel

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presumant d’auoir vn pouuoir despotique sur
nos vies & sur biens, par les fausses idees de
ses flateurs, ne se fut iamais mis en estat de se defaire
de l’executeur de cette tiranique authorité,
& les a obligez par mesme raison de ne reposer
iamais iusqu’à ce qu’ils l’ayent precipité du faiste
du Gouuernement : la troisiesme maxime a deserté
les voyes de la vertu, puis qu’elle n’estoit
plus le chemin des charges & des honneurs, &
les intrigues ont esté les plus beaux exercices
des pretendans par la creance qu’on auoit, que
ceux qui sçauoient les mieux broüiller estoient
les mieux recompensez.

 

Si le demon se fut meslé de faire glisser quelque
mauuaise maximes dans le Royaume pour
y semer le schisme & la diuision, n’est il pas vray
qu’il n’en pouuoit point trouuer de plus efficace
que celles que ie viens d’estaler ; puis qu’elles
blessent les peuples dans le lien où ils sont les
plus sensibles, & que les iustes soubçons qu’elles
font apprehender du dessein de leur tirannie, ne
permet pas aux Peuples d’en voir les progrez,
sans y former des obstacles par leurs souleuements :
on n’a qu’à verifier cette verité dans les
exemples du temps, pour dire auec moy qu’elle
est indisputable.

-- 33 --

Ces trois maximes qui sont comme les fondamẽtalles
de la Politique du temps, en ont enfanté
plusieurs autres, qui mettront enfin cét Estat à la
veille de sa derniere desolation si la Cour ne se haste
d’en preuenir les funestes effets par le retour
de la Politique de nos ayeux, & des heroïques
maximes des Henris, des Philippes & des Louys :
Les fourbes introduites par ce malheureux estranger
ne sçauroient iamais compatir auec la candeur
Françoise, qui ne peut estre se parée de la bonté de
nostre Genie qu’auec des conuulsions entieremẽt
mortelles à la tranquillité de nostre repos. L’hypocrisie
est trop contraire à la sincerité que nous
auons de tout temps tesmoigné pour l’exercice
de la Religiõ : & cét esprit intrigueur auec le quel
ce broüillon à constamment trauersé le repos de
l’Estat, ne sçauroit iamais simboliser auec le naturel
heroïque des François, qui font gloire de marcher
plus rondement par les voyes de l’honneur,
& de ne fuir rien auec tant d’horreur que cesiofames
de tours des lâches, ou la vertu ne paroist iamais
que dans ses pasmoisons ou dans ses fuites.
Ce ne seroit pas vn petit auantage pour cet estat,
que de rappeller cet esprit heroyque dans le gouuernement ;
& celuy qui pourroit en exiler entierement
toutes ses maudites maximes, n’auroit
pas moins de merite pour pretendre iustement au
Ministere d’Estat ; que ce voleur Sicilien s’en rendoit

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tout les iours indigne, par les pratiques infames
de toutes ses pernicieuses maximes.

 

Apres auoir monstré que le mespris de la Religion,
la confusion de trois Estats, l’impunité des
crimes, l’abondance des richesses des Ecclesiastiques
& le mauuais vsage de la Politique, sont les
veritables causes de tous les desordres, qui ont trauersé,
qui trauersent, & qui trauerseront desormais
cet Estat, ie pense qu’il ne sera pas hors de
propos de faire voir par vne application generalle
à tous les troubles de la Monarchie, que la mes intelligence
les grands & la des-vnion des subiets
d’auec leur Souuerain, bien loin d’en estre les causes,
en sont plustost les effets ; & que ces fatalles diuisions
ne sont que les escoulements malheureux
des cinq sources que ie viens de descouurir.

N’est il pas vray que les impunitez des iniustes
emprisonnements du Duc de Beaufort, du Mareschal
de la Motte, & de la mort du Presidẽt Barillõ
dans la plus visible innocence du monde, ont esté
les preiugez infaillibles de la tirannie de Mazarin,
que tout le monde iugea d’abord deuoir estre le
fleau de la France, puis qu’il auoit assez de pouuoir
pour attenter à la vie & à la gloire des Princes sans
que la Iustice se mit en estat de luy donner sur les
doigts : Les voleries trop manifestes du sur Intendant
Emery à la veue du plus illustre Parlement de
France, n’ont elles pas fait dire à tous les Peuples

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que si ce larron d’Estat mouroit dans son lict, les
gibets n’estoiẽt plus pour les coupables ; & qu’on
deuoit desormais prendre auantage de cette impunité
pour s’emporter sans crainte à tous les excez
que l’ambitiõ pourroit suggérer à vn chacun :
qui est ce qui a reuolté les esprits des Gasçons que
la seule impunité des violences de leur Gouuerneur,
lequel à cru n’estre point obligé de moderer
ses brutalitez, parce qu’elles estoient authorisees
par le premier Ministre d’Estar, & que la Cour ne
se disposoit pas à les empescher ? ne sçauons nous
pas que l’effroyable attentat de la detention iniuste
des trois plus illustres Princes de la Monarchie,
entreprise & executee sans passion, a allumé
le feu aux quatre coins de l’Estat pour y consommer
celuy, que la Iustice espargnoit apres le comble
de tous ses crimes.

 

Quand ie diray que le Iansenisme & le Molinisme,
ont disposé les Peuples à la desvnion d’auec
leur Souuerain ; par les commencements du
Schisme que leur diuision a fait naistre dans la Religion
Romaine, ie pense que ie n’auanceré que
ce qui a esté confirmé par le sentiment de tous les
Politiques, par la raison qu’ils ont eu d’asseurer qui
n’estant rien qui vnisse tant les esprits que la conformité
des mesmes sentimens touchãt la mesme
Religion, il n’est rien qui les diuise tant & qui les

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dispose à la sedition que la diuersité des opinions
que les Docteurs font naistre dans leur premiere
creance : & certainement i’en puis encore confirmer
la verité par l’experience qu’vn chacun peut
auoir de sa propre conscience, qui ne luy permer
sans doute pas de secoüer le ioug de l’obeïssance
Monarchique & Politique, pendant que l’vnité
de la Religion le luy fait respecter, à raison de
l’alliance que cette derniere a auec la premiere,
comme estant ou son original ou son premier
modelle.

 

Ie ne pense pas qu’on me puisse nier que la
confusion des trois Estats n’ait porté le desordre
dans la Monarchie, puis que tout le monde est
conuaincu, que leur bel ordre & la tranquillité
publique sont freres & soeurs, & qu’en se confondant
ils portent necessairement le chaos Politique
dans l’Estat, dont ils sont les parties totales :
N’est il pas vray que si les Prelats se tenoient
dans leurs Dioceses sans se mesler des affaires
d’Estat, ils pourroient maintenir les Peuples dans
le respect inuiolable qu’ils doiuent à leur Souuerain,
par la grande authorité que ces Souuerains
des consciences ont sur les esprits pour les rendre
capables de toutes les maximes qu’ils veulent
leur inspirer ; C’est cette raison qui fit dire autrefois
a Louys douze que Bertrand Guilleragues

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Euesque de Toulouse luy rendoit plus de
seruice dans son Diocese, par le soin qu’il prenoit
de maintenir ses diocesains dans l’obeïssance, que
tous les autres Euesques qui estoient pour lors en
Cour par les conseils & les aduis qu’il s’ingeroiẽt
à luy donner pour le gouuernement de son Estat :
ainsi ie pense que la Reine ne gaigneroit pas peu
pour reünir toutes les diuisions du Royaume, s’il
renuoyoit les Prelats dans leurs diocese, à la reserue
de ceux que la necessité des affaires ne peut pas
dispenser de se tenir en Cour pour le reglement
Chrestien de sa maison Royale.

 

Pendant que le Peuple se tiendra dans cette arrogance
exterieure, qu’il ne se contentera pas de
la petitesse de son dernier rang, qu’il voudra marquer
par la pompe & par la magnificence des habits,
celuy que son ambition luy voudroit faire tenir
dãs l’Estat, il n’est pas possible qu’il puisse porter
le ioug de l’obeissance sans murmurer ; & que
cette idée imaginaire que sa propre ambition luy
donne de ce qu’il n’est pas ; luy permettre de respecter
les ordres de son Souuerain, sans en examiner
premieremẽt la valeur, ce qui ne se eut qu’auec
vne breche entierement mortelle à l’obeissance,
qui ne peut pas estre inuiolable à moins que
les commandemens ne soient receus auec vne
aueugle soumission : C’est pourquoy nous lisons

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dans Suetone que Cesar ne fut pas si tost paisible
possesseur de l’Empire Romain, quoy que sous le
tiltre de dictateur, qu’il deffendit au Peuple l’escarlate
& la soye, par la maxime qu’il auoit commune
auec tous le Politiques du monde, que cette
pompe exterieure l’ébloüit, & qu’il ne peur pas
s’imaginer qu’il soit né pour le seruage puis qu’il
peut porter les marques de ceux qui commandent :
vne Declaration du Roy sur ce suiet ne seroit
pas mal à propos.

 

Si les gens d’Eglise n’estoient pas si riches ils en
seroient plus gens de bien ; & l’Estat sans doute
moins incommodé, ie n’en dis pas dauantage sur
ce sujet de peur de faire bruit, pour passer à l’vsage
de la mauuaise Politique, que ie donne pour la
source intarrissable des desordres qui bouluerseront
incessamment cét Estat, iusqu’à ce qu’on en
ait exilé cet esprit de fourberie, pour y rappel le
celuy de la candeur Françoise. N’est ce pas à r ai
son de l’idée que les Bordelois auoient que la premiere
maxime du Mazarin estoit de ne tenir iamais
sa parole, qu’ils ne voulurent iamais entẽdre
à aucune sorte de traité pendant que le Roy estoit
à Libourne, & qu’ils prirent le dessein de porter
les affaires dans cette extremité ou nous auons
pleuré, de voir l’authorité Royalle presque reduite
aux abois : N’est ce pas par l’apprehension de ces

-- 39 --

mal heureuses maxime de fourberie que le Mazarin
faisoient tegner à la Cour, que la Prouence
s’est veuë reduite à la veille d’vne guerre ciuille,
par la creance qu’elle auoit qu’il falloit se meffier
de toutes les compositions qu’elle pourroit faire
auec ce mal-heureux Ministre.

 

Si ie pouuois icy rapporter tous les exemples qui
fortifiroient mon dessein, sans importunité, ie
m’estendrois sur toutes les particularitez des diuisions
de l’Estat pour monstrer que la mauuaise Politique
en a esté la seule cause : Mais il me suffit de
sçauoir que personne ne l’ignore point ; & de dire
pour conclurre ce discours que l’esprit de fourberie
est le boutefeu des seditions parmy les francs ;
& qu’il n’est rien de plus choquant à leur esprit,
que lors qu’ils considerent qu’on se sert du pretexte
de leur propre sincerité, pour les fourbe plus
heureusement. Cette façon d’agir est pour l’Espagne
ou pour l’Italie, ou l’on n’a iamais gouuerné
que pour monopoles, & par intrigues ; Mais la
France fait profession d’vne trop heroïque generosité
pour pouuoir faire compatir ce malheureux
commerce de fourbes auec l’œconomie de sa conduite.

FIN.

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Anonyme [1652], L’INVENTAIRE DES SOVRCES D’OV LES DESORDRES DE L’ESTAT sont emanés, qui sont, I. La Religion deschirée par les Schismes; descriée par ses Predicateurs; & par les mauuais exemple des grands. II. Le Chaos des trois Estats: le desreglement du Clergé; la decadance de la Noblesse, & le luxe du peuple. III. Le crime sans punition dans les personnes publiques. IV. La pauureté mesconnuë par les Prestres, & l’abondance de biens recherchée. V. La Politique desbauchée par le commerce des fourbes. , françaisRéférence RIM : M0_1731. Cote locale : B_10_31.