Anonyme [1649], L’OMBRE DE MONSIEVR DE CHASTILLON : OV, LES AVIS HEROÏQVES ET IMPORTANS DONNEZ A MR LE PRINCE DE CONDÉ. , françaisRéférence RIM : M0_2591. Cote locale : C_8_4.
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L’OMBRE
DE MR DE CHASTILLON :
OV,
LES AVIS HEROIQVES
& importans donnez
A MONSIEVR LE PRINCE DE CONDÉ

 


PRINCE dont la valeur a remply l’Vniuers
Du bruit miraculeux de tes exploicts diuers,
Toy qui souuent des morts as augmenté le nombre,
Ne sois pas estonné de voir parêtre vne ombre.
Ie te surprens au lict pour auoir plus de temps
De te donner icy des Aduis importans.
Si ton cœur genereux garde encore mon image,
Escoute mes discours, regarde mon visage,
Tu pourras reconnêtre & mes traits & ma voix,
Par ce que ie te dis, & par ce que tu vois.
I’ay seruy ta grandeur, i’ay suiuy ta fortune,
I’ay tousiours eu la peine auecque toy commune ;
I’ay pris ton interest, i’ay negligé le mien,
Et tu m’as fait l’honneur de me vouloir du bien :
Mais ie te l’ay rendu, cher Prince, auec vsure,
Contemple seulement cette large blessure ;
Et pour mieux t’asseurer si ie ne t’aimay point,
Regarde là dedans, voy iusques à quel point.

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Ne sois pas offensé du malheur que i’expose,
Ie ne plains pas ma mort, ie n’en plains que la cause ;
Et qu’il m’eût esté doux dans vn loüable employ
De répandre mon sang & de mourir pour toy :
Mais ie ne te viens pas reprocher mes seruices,
Ils te furent bien deus, pour tant de bons offices ;
Ie viens te détourner d’vn odieux effort,
Ie te l’ay dit mourant, ie te le redis mort ;
Ton party n’est pas iuste, & ta guerre est cruelle,
D’opprimer ta patrie, & de t’armer contr’elle.
Que t’a donc fait Paris ? d’où vient qu’vn Cardinal
T’oblige si long-temps à le traitter si mal ?
Bien loin de t’offenser, il a chanté ta gloire,
Et tes guerriers exploicts, d’eternelle memoire ;
Il a beny ton nom, ta naissance, ton sang,
Tes armes, ta valeur, ta maison, & ton rang ;
Il t’a donné la force, & ce bras indomtable
Qui t’a fait deuenir par tout si redoutable ;
Il t’a donné l’adresse, il t’a donné ce cœur,
Qui t’a rendu tousiours, Conquerant ou Vainqueur :
Mais souuien toy sur tout, qu’il t’a donné la vie,
Et tu veux l’affamer par vne ingratte Enuie ;
Et tu vas employer tout ce qu’il t’a donné
A le rendre funeste, horrible, abandonné ;
Tu te sers de ce bras à causer sa rüine,
Tu te sers de ce cœur à l’auoir par famine ;

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Tu te sers de la vie à luy donner la mort,
Bien loin de luy seruir de fils & de support.
Ah ! qu’il t’a fait beau voir humilier l’Espagne,
Forcer les Pays-Bas, & domter l’Allemagne ;
Ah ! qu’il t’a fait beau voir fouler ces orgueilleux,
Et ces Geants rauis de tes coups merueilleux :
Mais qu’il est déplaisant de te voir en colere
Contre la France mesme, & déchirer ta mere ;
Mais qu’il-est déplaisant de te voir auiourd’huy
Persecuter Paris, & t’aigrir contre luy :
Ne sois pas le flambeau d’vne guerre ciuille ;
Songe que Philisbourg, Norlingue, Thionuille,
Rocroy, Fribourg, Donquerque, Ypre, Furnes & Lẽs,
T’ont acquis vne estime à durer dix mille ans ;
Mais Paris seulement te l’oste toute entiere ;
Apren que ton berceau sera son cimetiere,
Et que par ta rigueur tu pers en vn instant
Cét honneur qu’on te donne & qui te couste tant.
Tu sers vn Ennemy qui veut perdre ta Ville,
Reduire encor la France aux Vespres de Sicile ;
Mettre la Monarchie & le Sceptre en danger,
Et celuy que tu sers n’est qu’vn simple Eitranger.
De grace, Grãd Heros, rentre vn peu dans toy-même,
N’abaisse pas si fort vne gloire suprême,
Et si ton interest ne peut pas te toucher,
Voy l’interest de Dieu qui te doit estre cher ;

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Qui poursuit l’innocent, attaque sa Puissance,
Puis que tousiours c’est luy qui defend l’innocence :
Et qu’ont fait tant d’enfans pour n’auoir pas du pain ?
Qu’ont fait tant de Bourgeois pour mourir tous
de faim ?
Qu’a fait le Parlement pour en prendre vengeanee,
Luy qui maintient les Roys, qui conserue la France ?
Qui tient dans le deuoir le peuple bien vny,
Et pour auoir bien fait doit-il estre puny ?
Quel grand crime ont commis tant de si saintes
Dames ?
Quel grand crime ont cõmis tant de si bonnes ames ?
Qui soûpirent sans cesse, & pleurent nuit & iour,
Pour appaiser les Cieux par des larmes d’amour ?
Mais quel crime ont commis ces Anges de la terre,
Qui dans vn triste Cloistre aux Demõs fõt la guerre,
Qui combatent tousiours & ne cessent iamais
Au milieu des combats de demander la Paix ?
Helas ! tu n’entens point pendant ta violence
Le bruit d’vn peuple émeu qui cherche sa defence,
Et qui se voit contraint dans vn mal infiny
De maudire ton cœur autant qu’il l’a beny.
Mais de quelque discours que ce cœur s’entretienne,
Dy moy, si tu le peux, quelle guerre est la tienne ?
Quel Demon t’inspira ces barbares emplois,
D’animer des François contre d’autres François ?

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On void par ce desordre vn fils contre sa mere,
Contre sa chere sœur on voit battre vn chere frere ?
Icy le cousin veut rüiner son cousin,
L’amy perdre l’amy, le voisin le voisin ;
On void icy l’amant agir contre sa Dame,
Et le mary s’armer pour combattre sa femme.
Triste confusion, deplorable malheur,
Qui me fait soûpirer d’amour & de douleur.
Quand seras-tu lassé de voir cette souffrance,
Quand seras-tu lassé de perdre ainsi la France ?
N’es-tu pas satisfait d’auoir veu tant de Bourgs
Trembler incessamment au bruit de tes tambours ?
N’es-tu pas satisfait d’auoir mis au pillage
Tous les biens qu’vn Soldat peut trouuer au village ?
Et de souffrir encor que de lâches mortels
Iettent impunément leurs mains sur les Autels ?
N’es-tu pas satisfait d’oüir tant de familles,
Plaindre l’honneur perdu des femmes & des filles ?
Crois-tu que Dieu soit sourd, & qu’il n’entende pas
Les cris des innocens qui souffrent le trépas ?
Mais crois-tu qu’il n’ait plus ny tonnerre, ny foudre,
Pour mettre desormais les coupables en poudre ;
Prince quand on est mort, on dit la verité,
Et l’ombre d’vn amy parle auec liberté ?
Tu ne dois pas trouuer ma harangue suspecte,
Puis que ie t’aime encore & que ie te respecte,

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Suy doncques mon conseil, abandonne le tien,
Et pour estre si Grand ne sois pas moins Chrestien :
C’est à toy de punir de si noires offences,
C’est à toy d’empêcher toutes ces violences,
Et que des loups armez n’agissants que pour eux,
Ne succent tout le sang d’vn peuple malheureux.
C’est â ces beaux exploits que ta troupe est habile,
Espargne au moins les champs, mais épargne la Ville
Quoy ! rüiner Paris, l’honneur de l’Vniuers,
Pour perdre en même temps tant de charmes diuers ?
Quoy ! ce puissant Paris, cét abregé du monde,
Sur qui l’authorité des Monarques se fonde ?
Ce rauissant Paris, l’agreable séjour,
Des Princes, des Beautez, & de toute la Cour ?
Quoy ! d’vn lieu le plus beau qui soit dans la Nature,
Faire vn affreux desert, vne ample sepulture,
Vn Chaos plein d’horreur, vn amas de tombeaux,
Vn séiour de serpens, de loups & de corbeaux ?
O dessein trop funeste ! ô guerre trop barbare !
Digne, non d’vn François, mais plûtost d’vn Tartare
Helas ! contente toy de l’auoir alarmé,
Sans trauailler encore à le rendre affamé.
Quel plaisir aurois-tu de le voir en tristesse.
Et ses Bourgeois trancis expirer de foiblesse ?
Quel plaisir aurois-tu qu’il se fussent nourris,
De cheuaux, & de chiens, de chats & de souris ?

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Et pourrois-tu souffrir que dans cette misere,
Vn enfant fut rosty pour sustenter sa mere ?
Ah ! si tu le pouuois, ton cœur dénaturé
Meriteroit alors d’estre aussi deuoré :
Mais ie connois le fons de ton ame guerriere,
Elle n’est que vaillante, & non pas carnassiere :
Non, le sang de Bourbon & de Montmorency
Ne t’a pas fait vn cœur à ce point endurcy,
Il se fendroit sans doute à ce triste spectacle,
Et voudroit bien alors y mettre quelque obstacle,
Fay-le quand il est temps, & ne t’obstine pas
A causer dans Paris vn general trépas ;
Crain sa force inoüye & son ardent courage,
Crain des desesperez animez par la rage,
Et quittant vn dessein qui t’est iniurieux,
Preuien les derniers coups d’vn peuple furieux.
I’entens desia du bruit, il demande la guerre,
Garde toy de la foudre après ce grand tonnerre,
Rien ne peut arrester vn si large torrent,
Rien ne peut empêcher vn feu si deuorant ;
On te void genereux, fay toy voir encor sage,
Calme par ta prudence vn si pressant orage,
Euite promptement, pendant qu’il t’est permis,
La fureur & la faim, deux puissans ennemis ;
Tu n’es pas immortel pour ta valeur extreme,
Les vaillans sont tuez, tu peux l’estre [illisible]

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Le prix n’est pas tousiours à qui s’est mieux batu,
Et bien souuent le nombre accable la vertu.
Croy moy, ren à Paris sa premiere franchise,
Sauue-le des rigueurs d’vne noire entreprise,
Tu ne serois pas mieux lors qu’il ne seroit rien,
Et le tirant du mal tu te feras du bien.
Si tu veux opprimer des villes qui soient belles,
Va forcer Amsterdam, Venise, Gand, Bruxelles,
Prend Seuille, Madrid, Naples, Florence, Anuers,
Acquiers toute l’Europe, acquiers tout l’Vniuers,
Employe en ce dessein, ton cœur, ton industrie,
Ta force, & ton pouuoir ; mais laisse ta patrie ;
Laisse ce Parlement qui n’eut iamais d’égal,
Qui regle si bien tout, & qui ne fait rien mal ;
Laisse en repos la France, & va porter la guerre
Au cruel Parlement qui regit l’Angleterre ;
Le tien est innocent, & l’autre est criminel ;
L’vn doit auoir la paix, l’autre vn trouble eternel ;
L’vn n’a qu’vn Conseil doux, l’autre l’a trop seuere ;
L’vn merite ta grace, & l’autre ta colere ;
L’vn conserue l’Estat, l’autre le fait perir ;
L’vn aime & craint les Roys, l’autre les fait mourir.
C’est là, Prince, c’est là, qu’auec toute licence,
Tu pourrois iustement exercer ta vengeance :
C’est contre ces Millors, ou plustost ces bourreaux,
Que tu deurois armer des gens & des vaisseaux ;

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Domte ces Leopars, & sois vn autre Alcide
A punir par leur mort vn si noir parricide.
Va tailler en morceaux ces Monstres inoüis ;
Venge vn Charles tüé, venge vn ieune Loüis ;
Venge de pauures Fils, venge vne foible Mere,
Qui te crie au secours dans sa douleur amere :
Ta main luy peut donner vn remede allegeant,
Et tu te vengeras toy-mesme en la vengeant ;
C’est tõ sang, c’est le sang de ton puissant Monarque,
Sers toy de sõ pouuoir, pars, va, cours, & t’embarque,
Dieu conduira ta flotte, & reglera le vent ;
Force tous les Anglois qui t’iront au deuant,
Abaisse ce Tyran que son Armée estime,
Qui fait insolemment le Prince legitime,
Ce Farfax inhumain autant que déloyal,
Qui veut pour s’établir, perdre le sang Royal ;
Mais fay perir le sien, éleue tout de testes
Vn trophée à ta gloire aprés mille Conquestes.
Romp tout ce Parlement, qui rõpant tous les droits,
Condamne iniustement ses Reynes & ses Roys ;
Condamne-le au contraire, & cherche auec iustice,
Pour vn horrible crime, vn horrible supplice :
Ren ton nom immortel à seruir vn Roy mort,
Mais sers à ses enfans de pere & de support :
Va conquerir pour eux tant de belles Prouinces,
Tu seras plus qu’vn Roy de rétablir des Princes :

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Mais rétably Dieu mesme en ce maudit païs,
Où les Saints sont brûlez & les Prestres haïs :
Fay qu’il n’ait plus le Prêche, & par tes bons exẽples,
Comme par ta valeur, ren la Messe à ses Temples.
Ainsi ta renommée ira par tous les lieux,
Tu seras estimé de la Terre & des Cieux ;
Et lors que les mortels chanteront tes loüanges,
L’Echo les redira dans la bouche des Anges.
Va ne differe plus de prendre vn tel Employ,
Il est iuste, il est grand, il est digne de toy,
Ren vn si bon office à ta haute vaillance ;
Ren aux tristes Bourgeois le calme & l’abondance ;
Aux meres leurs enfans, aux femmes leurs maris ;
Va, Londres te demande, abandonne Paris,
Quitte ce Cardinal que la colere enflâme ;
Fuy les cris des François, fuy les pleurs de ma femme ;
A ces mots la douleur m’enleue de ce lieu,
Et ie n’ay plus de voix que pour te dire Adieu.

 

ADVIS PARTICVLIER DE L’AVTHEVR
A MONSIEVR LE PRINCE.

 


TOY qui pren des senteurs & des parfums diuers,
Approche toy du Lys pendant cette Campagne,
Puis va fourrer ta main dans vn beau Gand d’Espagne,
Et tu sentiras bon au nez de l’Vniuers.

 

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