Anonyme [1652], L’OMBRE DV FEV PRINCE DE CONDÉ, APPARVE A MONSIEVR LE PRINCE SON FILS, Depuis sa sortie de Paris. , françaisRéférence RIM : M0_2592. Cote locale : C_12_35b.
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L’OMBRE
DV FEV
PRINCE
DE CONDÉ,
APPARVE
A MONSIEVR
LE PRINCE
SON FILS,
Depuis sa sortie de Paris.

A PARIS,

M. DC. LII.

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L’OMBRE DV PRINCE DE CONDÉ,
apparuë à Monsieur le Prince son Fils.

CES iours passez Chauigny estant passé
dans l’autre monde, chez les morts, il les
estonna & surprit autant de sa presence ;
que de son discours, l’vn, parce qu’il cherchoit
tous les moyẽs de viure long-temps ;
l’autre, par le recit qui leur fit des affaires
de ce Royaume, & nommément de l’estat
de la Ville de Paris, des desseins & de la conduitte de Monsieur
le Prince, dont il pouuoit parler pertinemment, parce
qu’il estoit le consident & le depositaire de ses pensées,
& qu’il esperoit par son traitté rentrer dans le Ministere de
la Cour. Ce qui obligea feu Monsieur le Prince de Condé
à prendre congé de la Compagnie, & sur tous du Grand
Maistre des morts, pour venir remettre en memoire à
son fils, ce qui luy auoit dit tant de fois viuant & mourant.
Donc l’ayant treuué de nuit dans vne tres grande inquietude,
plûtot assoupi qu’en dormi, il s’apparut à lui, & lui dit.

Prince mon fils, ne soyez point surpris de me voir, ie le
suis plus que vous, de vous treuuer en l’estat où vous
estes reduit. Ie ne sçay si ie dois souspirer auec vous de
vostre disgrace, où me plaindre à vous mesme de vous
mesme, d’auoir si tost oublié les sermens solennels que
vous m’auez fait à ma mort, de ne vous departir iamais
des interests, & des sentiments du Roy vostre Maistre.
Vous auez bien tost oublié tous le discours que ie
vous fis sur ce suiet vn peu deuant d’expirer & de partir du
monde le vous auoit dit, comme Chrestien, que Dieu
ne pouuoit benir ces desseins ambitieux, qu’il estoit le Maistre
des Puissances, qu’il falloit attendre & respecter leurs
Ordres, & que s’il empruntoit quelques bras pour punir
les Souuerains, peu de temps apres il iettoit les verges au
feu, dont il les auoit chastiez.

Comme Politique ie vous dis par ma propre experience,
plutost que par la lecture & la science des siecles passez,
que c’estoit vn vieux Prouerbe, qui ne se falloit point
ioüer à son Maistre, & que pour conseruer sa fortune & sa
Maison, il se falloit contenter de profiter des occasions, sans
en rechercher de hazardeuses, que quelquefois l’on peut

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souffrir ces tentatiues du hazard, & ces tentations de busquer
fortune, dans ceux qui n’ont rien à perdres, & qui se
treuuant dans vne mauuaise posture, ne peuuent rencontrer
vne telle conjoncture d’affaires, qu’ils ne soient toûjours
en vne meilleure assiette, & que la prison ou la mort
ne leur soit plus douce, que leur vie languissante dans
l’obscurité parmy l’esclat du monde, ou dans la necessité
parmy l’abondance des autres. Mais pour ceux qui partagent
la felicité de la terre auec les Sounerains, & qui dans
les honneurs & l’affluence de toutes choses, se font tous
les iours autant d’adorateurs que de crearures ; ils doiuent
iouyr des douceurs du bonheur de la vie, sans escouter ces
esprits inquiets, ambitieux sans sujet, qui n’ayant rien ou
pas grande chose, ne hazardent rien, & par des idées imaginaires,
forgent des Trosnes, & forment des desseins que
l’on voit auorter aussi tost qu’ils sont conceus,

 

Ces pensées eussent esté peut estre tolerables en ma personne,
qui me voyant premier Prince du Sang, de la plus
belle Couronne du monde, sans auoir du bien pour soustenir
cette qualité aupres d’vn gran Roy, qui ne vouloit
pas agrandir ses Princes, en sçachant bien la consequence
m’obligea de recourir aux Estrangers ; & de mesnager
quelques pratiques auantageuses pour ma fortune, ce qui
m’eust esté plus pardonnable, n’ayaut pas pour lors dequoy
maintenir le rang de ma condition. Mais vous que
i’auois laissé le plus riche Prince de l’Europe, pour ne pas
dire comme le Roy vostre Maistre sans la Declation à
son Parlement touchant vostre emprisonnement, vous le
plus riche suiet du monde, quel honneur phantastique vous
a peu esblouïr de sa fausse lueur, puisque vous possedez
tous les veritables honneurs dont vous estes capable, & autant
pe biens qu’on en peut auoir pour estre content, sans
vn Royaume.

Certes, Prince mon Fils, i’ay bien de la peine à croire que
vos desseins & vos idées fabuleuses ayent autant de fondement
qu’on leur en veut donner ; ce pour ce qui est des
profusions & largesses, par lesquelles l’on gagne le cœurs
des peuples, ie ne vous ay pas veu dans l’excez, & n’ay pas
entendu dire que vos prodigalitez vous ayent fait souhaitter
quelque part pour Maistre absolu, dans la disposition de
toutes choses. Vous tenez cela de moy sans doute, qui n’ay
iamais passé pour trop libera, & pés vostre seconde campagne,

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pagne, quant l’on vous vid sur la Lesine, vos ennemis changerent
de discours, & assurẽt que vous estiés mon Fils, puis
que vous aimiez autãt ou plus l’argent que moy votre Pere.

 

Ainsi vos desseins ne reüssiront pas par vostre liberalité
& profusion, & si vous auez fait distribuer quelque argent
à de pauures artisans, & à quelque canaille seditieuse, l’on
sçait fort bien que ce n’a pas esté du vostre, & que vos armées
pretenduës ont toûjours vescu du pillage des lieux où
elles ont tout ruiné. Peut estre que vous establissez vos affaires
sur vostre generosité, mais ie vous diray que depuis
mon depart du monde, i’ay tousiours veu vostre vie & vos
actions dans l’incertitude, ie vous ay suiuy de l’œil dans
les combats, & vous ay tousiours veu hazarder beaucoup :
i’ay esté rauy que l’on vous ait attribué l’honneur & la
gloire de la Bataille de Rocroy, quoy que nous autres qui
voyons tout ce qui nous regarde, ayons bien découuert la
verité, & que Gassion en auoit fait la meilleure partie,
dont il a receu la loüange parmy nous, en arriuant icy. Pour
le dernier combat, ç’a esté vn ieu d’enfans, & les plus grossiers
ont iugé qu’il y auoit intelligence : quant vous
prenez vne ville, l’Archiduc s’empare d’vne autre, qui pour
estre degarnie de Soldats, & depourueuë de sa Garnison
que vous en auiez tirée, elle demeuroit aussi aysée à surprendre,
que celle que vous attaquiez sans defence.

Vous auez sans doute neantmoins dans l’estime des hommes
de belles qualitez pour vn grand Capitaine, mais pour
vn Roy, le Ciel qui n’a pas eu ce dessein pour vous, ne
vous les a pas données. Et sçachez que plus l’on est esleué,
plus l’on découure ses propres defauts, & que si les
Peuples ont veu quelque chose de vostre generosité qu’ils
ont loüée, ils n’ont pas laissé de reconnoistre vos passions
qui vous ont fait mespriser, & sur tout vostre ambition &
desir de vengeance qu’ils ont detestée.

Que si ces deux Princesses qui esleuent les Conquerans
ne vous prestent qu’vne fort petite escorte, pouuez vous
esperer quelque chose de l’affection des peuples. Ne vous
y attendez pas, comme vostre estime est desia fort partagée
dans leurs esprits, l’affection y est fort incertaine, & apres
auoir tout bien consideré, il semble que i’y descouure plus
de haine que d’amour pour vous dans la Guyenne, dans le

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Poitou & dans le Berry, peut estre l’on vous veut bien,
mais l’on ne veut point de vostre suitte, ny de vos armées
fatales aux Prouinces qui les voudront nourrir.

 

Pour Paris, sçachez que vous l’auez plustost sur pris que
gagné, & que sans les sentimens qu’il a pour son Altesse
Royale vous y eussiez fort peu reüssi Paris ne peut oublier
ces premieres ruïnes & miseres de ses lieux circonuoisins
par vostre premier siege pretendu, par lequel vous auez merité
la haine de ses peuples, sans laquelle l’on n’eut pas peut-estre
entrepris sur vostre liberté, & cette indignation &
haine cachée des peuples fut tellement descouuerte, que
si vous eussiez pû regarder aux fenestres de vostre Donjon
de Vincienne, vous eussiez veu la nuit de vostre prise & la
suiuante tant de feux esclairer ses tenebres, que vous eussiez
creu vn embrasement general de Paris, ou des réjouyssances
extraordinaires qui paroissoient iusques dans les
Bourgs & Villages, où les vins furent beus auec profusion
à la santé de ceux qui vous auoient arrestez.

Et du depuis les desordres que vous auez laissé commettre
dans tous les Villages autour de Paris, ont fait que
plusieurs ont iugé que vous auiez dessein de vous vanger
aussi bien des peuples que de la Cour Tant y a qu’il ne
faut pas prendre vostre derniere demeure dans Paris pour
amorce & pour esperance que ce peuple soit pour vous,
vous y auez tres-mal reüssi, il falloit conseruer leurs
maisons, leurs Villages & leurs biens ; au contraire quel
degast n’a t’on point fait des moissons, quelles pilleries
dans les grands chemins, & quelles voleries dans tous les
lieux proches de Paris, où vos gens ont pû mettre le pied.
Ce procedé n’a point gagné l’affection, mais plutost la hayne
de tous les gens de bien, & de tous ceux qui ont souffert
tant de pertes, & qui ont esté ruinés. La pieté a esté bannie ;
la Religion méprisée, la Iustice captiue, la liberté
prisonniere, la verité chassée. Au contraire l’impieté, le
mensonge, & la fausseté ont regné, le libertinage & le vol,
l’insolence & le meurtre : mais comme vous auez veu,
cela ne peut pas durer long temps, l’on vient à ouurir les
yeux, & on n’en remporte que du mépris, du repentir &
de la hayne.

Quelles sont donc vos pretentions ? vous n’auez pas à

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vous, deux mille Soldats effectifs, c’est trop peu & si c’est
trop, trop peu pour resister aux forces d’vn grand Roy,
quand il les voudra desployer contre vous, & c’est trop
pour ruïner tout à fait le paїs où vous passés, ou bien où
vous pretendes d’estre receu, & c’est trop pour vous
acquerir la haine des peuples & de tout vn Royaume. Vous
aurez donc recours aux Estrangers, mais si vne fois ils
voyent les Communes animées à vous courir sus, ils ne
voudront pas se fier à vos peu de forces, pour entrer sur des
terres ennemies, dont ils ne sortiroient pas si aisément
quand ils voudroient, & puis pour cela vous sçauez s’il leur
faut de l’argent, car de leur abandonner le paїs au pillage
& pour leur paye, comme vous auez fait iusques icy &
particulierement autour de Paris, les peuples ne sont plus
resolus de vous souffrir. Vous irez peut-estre à Bruxelles ;
& de quel œil pensez vous qu’on vous y regarde, vous qui
les auez tant de fois battus, & qui auez esté la principale
cause de leur ruïne & de leurs miseres : l’on vous y regardera
comme on a fait le Duc de Lorraine à Paris auec horreur,
quelques mutins courront pour vous voir, mais la
meilleure & la plus saine partie voudroit vous auoir mis au
tombeau. Voila comme l’on parloit & comme l’on regardoit
ce Duc à Paris, non pas seulement depuis la tromperie
du premier voyage qu’il fit, où s’estant retiré, tous vos
sectateurs le destinoient à la mort, mais encore depuis il
n’a iamais esté regardé à Paris que comme le plus grand
fourbe & le plus insigne voleur de la terre. Et apres tout
croyez vous que l’Espagnol vous fie ses forces & mette ses
meilleures troupes entre vos mains, iamais cela ne sera, il
y a trop de raisons pour le contraire. Vous aurez donc
tousiours des troupes qui ne vous obeïront pas, des Chefs
qui auront des ordres secrets & charge de ne rien entreprendre
que selon les sentimens d’Espagne. Et iusques icy
n’a t’on pas veu que leur seul dessein a esté d’amuser les armes
du Roy, sans vouloir iamais combattre, afin que l’Espagnol
eut le loisir de faire des progrez, où il ne trouue
point de resistance. Et c’est ce qu’on dit que vous luy auez
promis & ce qui iettera vne confusion & vne honte eternelle
sur vostre front, & fera vne tache à vostre reputation
irreparable à la posterité.

 

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Vous demandez, dites vous, la paix generale, mais qui estes
vous pour cela & dequoy vous meslez vous : vous estes vn
subjet du Roy comme vn autre, vn particulier qui n’auez
que fort peu ou point d’interest à cela, & quand vous y en
auriez dauantage, vous deuez attendre cette paix des soins
de vostre Souuerain & des desseins de vostre Roy, non pas
comme vous dites pour tromper les peuples, les vouloir
forcer a y trauailler & à la faire mesme desauantageuse à sa
Couronne puis que vous voulez qu’il la fasse absolument
ou ne point desarmer. Croyez moy, mon fils, prenez d’autres
sentimens, n’acheuez point d’attirer sur vous la haine
de tout vn Royaume, l’indignation de tout vn peuple auec
lequel il vous faut viure & mourir, si vous ne voulez acheuer
le reste de vostre vie dans vn païs Estranger, comme
dans vn exil, & vous bannir vous mesme de chez vous,
de la Cour de vostre Roy, de l’agreable sejour de vostre
patrie, & de la conuersation charmante de tant de personnes
de condition qui vous honorent.

Sans mantir, n’auez vous point eu de peine ny mesme de
honte, d’entendre les progrez des Ennemis de vostre
Royaume durant ces desordres, ces Villes prises autrefois
par vostre conduite auec tant de sang respandu & tant de
biens consommez, reprises maintenant sans coup serir par
vostre diuision, i’ay presque dit par vostre adueu, puisque
vous y auez consenty. Dunkerque auoit elle si peu de
charmes pour vous, & la gloire de vostre Couronne & de
vostre patrie, vous a t’elle touché si peu que vous ayez veu
cette perte sans ressentiment ?

Mais laissons là tout le passé qui ne vous a produit que
de la honte chez les Estrangers & de la haine chez les vôtres,
pour penser solidement à mesnager vostre paix particuliere
auec vn si grand Roy & si bon Souuerain. Si vous
employez son Altesse Royale pour gagner en vostre faueur
l’esprit de sa Majesté, vous receurez plus d’honneur, de
contentement & de joye, en vous soumettant à ses Royalles
volontez, que vous ne ferez dans aucune issuë que
puissent auoir vos mal heureux desseins.

Si vous ne m’auez pas creu en mourant, croyez moy
viuant dans l’Eternité, où nous auons les iustes sentimens
de toutes choses. Ainsi dit, & disparut.

FIN.

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