Anonyme [1649], L’ONOPHAGE, OV LE MANGEVR D’ASNE. Improbius nihil est hac… gula. Mart. Ep. 51. lib. 5. , français, latinRéférence RIM : M0_2599. Cote locale : C_8_7.
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L’ONOPHAGE,
OV
LE MANGEVR
D’ASNE.

Improbius nihil est hac… gula.

Mart. Ep. 51. lib. 5.

A PARIS,

M. DC. XLIX.

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AVX SCAVANTS.

Epigramme.

 


ENfans d’Apollon & des Muses,
Sçauants dont les doctes écrits
Charmeront tous les beaux esprits,
Lors que vous décrirez les ruses
De cét affamé Procureur,
Ou plustost de cét Ecorcheur,
De qui la deuorante pance
Engloutit des viuants les animaux plus doux ;
Que si de ce Baudet vous prenez la defence,
En écriuant pour luy vous parlerez pour vous.

 

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L’ONOPHAGE,
OV,
LE MANGEVR
D’ASNE.

 


IL faut avoüer cette fois
Que Paris estoit aux abois
Bien que chacun fist bonne mine,
Puis qu’vn Procureur de la Cour,
A mangé pendant la famine
L’Asne du moulin de la Tour.

 

 


Cette Ville estoit donc sans pain.
Et tout le monde auoit grand faim,
On y faisoit fort maigre chere ;
En fin tout s’en alloit perir,
Quand pour viure on a veu le frere
Auoir fait son frere mourir.

 

 


Il estoit assez renommé
D’estre vn Procureur affamé,
Mais durant la disette extrême,
Il falloit qu’il fût enragé,
Et si chacun eust fait de même
Paris se fut entremangé.

 

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Que de Veufues, que d’Orphelins,
Que l’on auroit veu d’assassins,
Le fils auroit mangé son pere
Le cousin meurtry le parent :
Et ie croy mesme que la mere
Auroit deuoré son enfant.

 

 


Mais le Ciel quittant son couroux
Nous regarda d’vn œil plus doux,
Car s’il n’eût appaisé son ire,
Tous les Baudets estoient peris,
Et puis apres on eût pû dire,
Il n’y a plus d’Asne à Paris.

 

 


Sauuez vous Clercs & Procureurs,
Gaignez au pied Soliciteurs
Lors qu’il n’aura plus de pratiques ;
Prenez garde à vous, Aduocats,
Il vous prendra pour des bouriques
En vous voyant porter des sacs.

 

 


Marchands, Bourgeois & Artisans,
Escoliers, Docteurs & Pedans,
Allez nuds pieds, quittez vos chausses,
Afin d’éuiter le trépas,
Car il vous mangera sans sausses
S’il vous rencontre auec des bats.

 

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Menez vos Asnes, Plastriers,
Auecque ceux d’Auberuilliers,
Que ce gourmand ne les attrape ;
Courez viste, & doublez le pas,
Car mesme à la Mule du Pape
Il ne luy pardonneroit pas.

 

 


Pauures Meusniers que ie vous plains,
Puis qu’il faudra dessus vos reins
Porter le bled & la farine,
Comme des Cheuaux de Relais,
Car si l’on auoit la famine
Il mangeroit tous vos Mulets.

 

 


Fuyez la rage des ses dents,
Poёtes, Rimeurs impudents,
Vostre ignorance vous condamne,
Vos Burlesques n’en peuuent plus,
Vostre Pegase n’est qu’vn Asne,
Et tous ceux qui montent dessus.

 

 


Escriuains dont les sots discours
Que l’on imprime tous les iours,
Sont témoins de vos asneries,
L’on vous donnera des licous,
Et pour finir vos railleries,
Ce Loup vous égorgera tous.

 

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Ou bien implorez le secours
Des Mulets d’Auuergne & de Tours,
Tenez bon, consultez l’Oracle,
Vous n’irez pas tous seuls aux coups,
Car tous les Asnes du Bazacle
Ont le mesme interest que vous.

 

 


La Procureuse est en danger,
Il l’a pourroit aussi manger,
Si la faim quelque iour le presse,
Excitant ses boyaux goulus ;
Il croira que c’est vne Asnesse,
Quand il sera monté dessus.

 

 


Parisiens où est vostre cœur,
De souffrir que ce Procureur
Vous traitte comme des canailles,
Qu’il ait vos Citoyens meurtris,
Car estant né dans vos murailles,
Cét Asne est enfant de Paris.

 

 


Prenez les armes, vangez-vous,
Et luy donnez cent mille coups,
Dépeschez tost, vous l’auez belle,
Maintenant qu’on est en repos ;
Si la guerre se renouuelle,
Il vous mangera iusqu’aux os,

 

-- 7 --

 


On dit que le braue Samson
De la maschoire d’vn Asnon
A sçeu tres-vaillamment combattre,
Et défaire les Philistins,
Mais ce Procureur en a quatre,
Dont il tuёra tous ses voisins.

 

 


D’vne seule Caïn cruel
En assomma son frere Abel,
Ainsi que disent les Histoires ;
Pourquoy faut-il donc que ce Chien
Se soit seruy de deux maschoires,
Afin de deuorer le sien ?

 

 


Par tout se trouue des méchans,
A la Ville aussi bien qu’aux Champs,
Qui sont plus malins que le Diable,
Pour commettre mille delits,
Mais pour écorcher son semblable,
Ce Procureur est encor pis.

 

 


On dit qu’il a changé son nom,
Qu’il n’est plus qu’vn pauure pieton,
Pour auoir mangé sa monture,
Et que sa femme & Fagotin,
N’ayans point d’autre nourriture
En ont fait bien souuent festin.

 

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Mais qui l’auroit iamais pensé,
Que ce Procureur insensé
Eust fait cét horrible carnage !
Plaideurs cessez vos differens,
Fuyez ce méchant dont la rage
N’a pas épargné ses parens.

 

 


Sa femme dit qu’il est prudent,
D’auoir serré le curedent,
Qu’il cherit comme des merueilles,
Pour faire auec elle la paix,
Et qu’il a gardé les oreilles,
Qu’il monstre à tous ceux du Palais.

 

 


Du sang il en fit du boudin,
Qu’il enuoya par Fagotin
A tous ceux de son voisinage ;
Et de la peau vn bon tambour,
Afin d’animer le courage
De tous les grands Clercs de la Cour.

 

 


Il est vn fort bon ménager
De tout ce qu’il n’a peu manger,
Mesme des choses les plus ordes ;
Veu que des boyaux les plus longs
Il en a fait faire des cordes,
Pour seruir à des violons.

 

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Ce bel Asne estoit si parfait,
Qu’on dit que Midas l’auoit fait,
Il ne demandoit rien qu’à rire ;
Et parloit si haut & si clair,
Que s’il eût appris à escrire,
Il eût esté le Maistre Clerc.

 

 


Dis moy donc, Monstre plein de fiel,
Procureur barbare & cruel,
Infame & vilain Onophage,
Loup affamé plus que brutal,
Pourquoy exerce-tu ta rage
Contre cét aimable animal.

 

 


Tes sens contre toy reuoltez
Te bourellent de tous costez,
Ta conscience te gourmande,
Le sang de ton frere épanché
Demande à tous que l’on te pende,
Afin de punir ton peché.

 

 


Puis i’écriray sur vn Tableau,
Cy gisent dessous ce Tombeau
Deux gros Asnes qui par enuie
Les vns pour les autres sont morts ;
Ils estoient deux pendant leur vie,
Et maintenant ce n’est qu’vn corps.

 

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AVX LECTEVRS.

EPIGRAMME.

 


DE ce fratricide execrable,
Les vrays témoins sont Fagotin,
Et tous les mangeurs de boudin,
Ce Discours n’est pas vne fable ;
C’est pourquoy ie croy que mes Vers
Luy mettront l’esprit de trauers,
Car tout le monde le condamne,
Que si cét écrit voit le iour,
Vn chacun dira que son Asne
Auoit des amis à la Cour.

 

FIN.

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