Anonyme [1649], DISCOVRS D’ESTAT OV VERITABLE DECLARATION des Motifs, qui obligerent LOVYS LE IVSTE, Roy de France & de Nauarre, à rompre la paix qui fut faicte en l’an 1596. Entre HENRY IIII. son tres-honoré pere, & PHILIPPES II. Roy des Espagnes. OV SE VOIT LE NOMBRE DES places & des Principautez, que les Espagnols ont deuant ce temps la & du depuis vsurpées à ceste Couronne. , françaisRéférence RIM : M0_1108. Cote locale : C_7_35.
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DISCOVRS DESTAT
OV VERITABLE DECLARATION
des Motifs, qui obligerent LOVYS LE
IVSTE, Roy de France & de Nauarre,
à rompre la paix qui fut faicte en l’an 1596.
Entre HENRY IIII. son tres-honoré
pere, & PHILIPPES II. Roy des Espagnes.

OV SE VOIT LE NOMBRE DES
places & des Principautez, que les Espagnols ont deuant ce
temps la & du depuis vsurpées à ceste Couronne.

A PARIS,
Chez FRANÇOIS NOEL, ruë Saint Iacques au
Colomnes d’Hercules.

M. DC. XLIX.

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DISCOVRS D’ESTAT
OV Veritable declaration des Motifs, qui obligerent
Louys le Iuste Roy de France & de
Nauarre, à rompre la paix qui fut faite en
l’an 1596. Entre Henry IIII. son tres-honoré
pere, & Philippes II. Roy des Espagnes.

OV

L’AMBITION de l’Estat d’Espagne
est si extreme, que la conqueste
de tour l’vniuers, quelque grande
qu’elle puisse estre, n’est pas capable
d’assouuir l’ardente passion
qu’il à de commander vniuersellement par
tout, tant il est possedé de c’est insatiable desir
de regner par toute la terre habitable. C’est
ce qui a fait dire à quelques Espagnols des
plus extrauagans que tout le monde ensemble

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n’estoit pas vn Empire proportionne au merite
de leur Souuerain, & que si Dieu n’estoit
pas Dieu, que le Roy d’Espagne le seroit, si
l’estre infiny se pouuoit communiquer à la
creature mortelle & perissable. Ce n’est pas
d’auiourd’huy que ceste nation si outrageuse
à Dieu & aux hommes, à donné subiet à la France
de rompre auec elle, & qu’elle a fait ce
qu’elle à peu pour la reduire aux termes qu’elle
desiroit, & pour s’emparer de ceste illustre
Monarchie : S’est il iamais presenté occasion
sortable à ses desseins, qu’elle ne luy ait vsurpé
ce qu’elle à peu, sous des pretextes qu’elle
coloroit à sa fantaisie ? Si bien qu’à la fin elle
l’auroit insensiblement despouïllée de tous
ses plus beaux Estats, si elle ne se fut opposée
à ses desseins, & si elle n’eut porté ses armes
dans le pays ennemy pour se faire raison, elle
mesme de ce qui luy appartenoit auec tant de
Iustice. C’est par ce moyen qu’elle a sçeu à ses
despens, que les François n’estoient pas des
peuples à souffrir continuellement ses trahisons,
& moins à s asubiettir a ses tyrannies.
Monsieur de Villeroy, en presence de Henry
IIII. ne dit il pas au Patriarche de Constantinople,
lors qu’il faisoit la premiere ouuerture
de la paix, entre ces deux puissantes
Couronnes, que l’Espagne ne pouuoit iamais

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esperer de la faire auec la France, si elle ne
luy restituoit tout ce qu’elle luy auoit pris iusques
à la moindre place ? Ne repartit il pas encore
aux Ministres du Duc de Sauoye, lors
qu’ils luy dirent que le Roy d’Espagne passeroit
en Italie, pour deffendre l’heritage de ses
neueux : que c’estoit ce que la France desiroit,
que s’il falloit rompre il estoit asseuré que la
cause estoit iuste, & que la partie en seroit
mieux faicte ? Le Prince qui ne veut pas rendre
d’vn franc-cœur ce qu’il possede, auec iniustice,
quoy qu’il y soit obligé sur peine d’estre
eternellement puny, comme si c’estoit
le moindre des hommes, n’est pas moins funeste
à ses Estats qu’aux celestes felicitez de
son ame. Qui ne rend pas à chacun ce qui
luy appartient, n’est pas moins redeuable à
Dieu qu’à la creature, selon les meilleurs casuistes
du monde. Mais laissons ces especes de
meditations à leur propre synderese, & venons
à l’intelligence de ce que i’ay promis au titre
de ce libelle. Il faut sçauoir que l’Histoire de
Naples & de Sicile, verifient assez que Henry
I. aprés s’estre chargé de conseruer Guillaume
fils naturel de Robert, Duc de Normandie
dans son inuestiture, fut contraint
d’armer & de se mettre en campagne, pour le
deffendre contre Roger, Robert, Guischard,

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& Guillaume de Montreueil Princes Normans,
pretendans que ce Duché leur appartenoit :
si bien qu’aprés les auoir deffaits, il les
contraignit de vuider le pays, & de s’embarquer
auec quantité de noblesse Danoise ; où
aprez s’estre signalez en plusieurs rencontres.
Ils aborderent les vns en Sicile, & les autres
en Calabre, Prouinces qui estoient en ce temps
la subiettes aux Grecs, & aux Sarrasins, dont
ces Genereux Princes les chasserent : Et si estans
establis, ils prirent la qualité de Ducs
de Sicile & de Calabre, iusques à Roger deux
auquel le Pape Horé donna le titre de Roy de
Naples, & de Sicile.

 

Roger eut pour successeur Guillaume, surnommé
le Mauuais, & Roger mort auant son
pere, laissa vne fille vnique & legitime, & vn
Bastard nommé Tancrede : Ceste fille nommée
Constance, fut donnée pour femme à
Henry VI. Empereur, qui s’empara de ces
deux Royaumes, de Naples, & de Sicile : de
ce Mariage n’asquit Frederic II. Empereur, lequel
laissa pour heritiers Conrard, Frederic,
Conradin, & vn Bastard nommé Maintfroy, la
fille duquel appellée Constance, espousa Pierre
d’Arragon, qui est l’vnique fondement de
la maison d’Espagne, sur ces deux Couronnes.
Conrad fit mourir Frederic son frere puisné,

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auquel le pere auoit laissé par testament partie
de la Sicile : Conradin se retira en Allemagne,
& le Pape Vrbain interdit Maintfroy,
pour l’execution duquel intredit, Charles
d’Aniou, frere du Roy Sainct Louys, fut appellé
à Rome, & Couronné Roy de Naples,
& de Sicile : auec ce droit il attaque Maintfroy,
luy donne bataille & le deffait : Conradin sur
le bruit de ceste disgrace, leue de grandes forces
en Allemagne, & s’estant ietté dans la
Poüille, Charles luy vint au deuant, le mit
en fuitte, & estant pris ainsi qu’il se sauuoit
par mer, il luy fit trancher la teste, & par
ceste mort, il se vid paisible possesseur de ces
deux Royaumes.

 

Toutesfois il n’en iouït pas long-temps,
car Pierre d’Arragon son Competiteur, estant
aduerty du mescontentement que les Siciliens
auoient contre les François, pour les grandes
priuautez dont ils vsoient enuers leurs femmes,
il enuoya en Sicile vn Cordelier nommé
Iean Prochyte, pour mesnager l’occasion
qui se presentoit, de s’emparer de la Sicile. Ce
demon incarné fut de ville en ville, representant
au peuple l’insolence des François, les
droits pretendus de Pierre d’Arragon son Maistre,
le desir qu’il auoit de les secourir, lors
qu’il les verroit en estat de le reçeuoir. Auec

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ces belles paroles, il esmeut tellement les Siciliens,
assez changens de leur naturel : & d’ailleurs
passionnez de ialousie contre les François,
qu’ils se souleuerent par tout, taillerent
en pieces leurs garnisons, & tuerent vn soir
plus de trente mil hommes, deuant que les
autres eussent loisir de se reconnoistre.

 

Par c’est acte de cruauté & de perfidie,
Pierre d’Arragon fut Maistre de la Sicile, &
si maintint malgré tous les efforts de Charles
& de ses descendans, qui eurent assez de peine
à se conseruer le Royaume de Naples.

Aprez le decés de Pierre d’Arragon, Iacques
son fils ayant pris possession de ses Estats,
Espousa la fille de Charles le Boiteux, fils de
Charles d’Aniou premier, & renonça aux
droits qu’il pouuoit pretendre aux deux Couronnes
de Naples, & de Sicile : Mais la fraude
de l’Arragonois parut aussi-tost, aprés ce
traicté : Car comme Charles s’acheminoit en
Sicile, Frederic frere de Iacques, par l’intelligence
qu’il auoit auec luy, & les Siciliens, se
saisit de toutes les places de ce Royaume,
dont Charles s’estant plaint au Pape, Iacques
pour monstrer qu’il n’auoit point trempé à
ceste entreprise, promit à Charles d’Aniou son
beau-pere, de luy ayder contre Frederic :
Mais quand il fut sommé d’accomplir sa promesse,

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il s’excusa & sous-main il donna secours
à son frere. Frederic voyant que Charles s’opiniastroit,
assisté des armes Françoises au recouurement
de ce Royaume, fait la paix &
luy remet à luy, & à toute sa posterité, tout
le Royaume de Sicile, à condition qu’il en
iouïroit sa vie durant : & des que Charles l’eut
laissé en repos, il prattiqua l’Empereur Henry
VII. qui auec vne puissante armée iointe aux
forces des Siciliens, assaillit Robert II. successeur
de Charles, au despourueu, & l’eust despouïllé
de ses Estats, si la mort ne l’eust preuenu
dans vn dessein si funeste. Voilà de quelle
Foy l’Espagnol procede en tous ses affaires.

 

Sous Robert II. là maison d’Aniou fut diuisée
en deux branches, qui sont celle de Charles
Martel, fils aisné de Charles Martel, fils aisné
de Charles le Boiteux, & Roy de Hongrie :
Et celle de Robert auquel succeda, Ieanne issuë
de Charles sans Terre, decedé en bas âge.
Elle adopta Louys Duc d’Aniou son fils, & le
declara heritier de ses Royaumes. Louys passe
en Italie auec trente mille hommes : Mais auant
qu’il fut dans l’Estat de Naples, il apprit que
Charles auoit fait prendre Ieanne pour la faire
punir du meurtre commis en la personne de
son mary, qu’elle auoit fait estrangler pour
iouyr plus seurement de ses Estats, & de ses

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inclinations particulieres. Sur la nouuelle de
cette tragedie, Louys s’auance, & rencontrant
Charles à l’entrée du Royaume, luy donne bataille,
où les François estans vaincus, Louys
mourut peu de iours aprés, laissant vn fils nommé
Louys II. qui se rendit Maistre de Naples :
Mais qui en fut chassé peu de temps aprés. Boniface.
V. Pape Schismatique, Couronna la
Ladislas fils de Charles, pendant que Clement
VI. estoit en Auignon, (reconnu de la posterité
pour Pape legitime,) il inuestit Louys II.
lequel repassa en Italie, vainquit Ladislas : Mais
pour n’auoir pas poursuiuy chaudement sa victoire,
il donna loisir à son ennemy de raillier
ses forces, & de retenir les villes en son obeïssence,
ce qui rendit son voyage inutile, & le
contraignit de reuenir en France.

 

Ladislas mourut sans enfans, & Ieanne sa
sœur occupa le Royaume : Mais pour se mettre
à couuert des efforts des François, & des
censures du Pape Martin, qui l’auoit interdite,
& qui auoit Couronné Louys III. Duc d’Aniou,
elle adopta Alphonse d’Arragon, sur la
recherche qu’il en faisoit, quoy qu’il fut cousin
germain de Louys, qu’il luy eut iuré de
ne le pas iamais trauerser en la conqueste de
Naples.

Ceste Princesse entrée en deffiance contre

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Alphonse, (comme de fait il se vouloit emparer
de l’Estat, & la releguer dans vn Cloistre)
elle ietta les yeux sur Louys, le fit son heritier,
& luy mort adopta derechef René son frere, &
peu aprez ceste adoption il deceda, laissant sa
succession à disputer entre René & Alphonse,
qui demeura le plus fort, ayant surpris René
dans Naples par vn Canal.

 

Alphonse se voyant en pleine iouyssance, &
ses enfans legitimes, il fit legitimer parle Pape
vn sien Bastard, nommé Ferdinand, qui luy
succeda du consentement de Piesecond, ennemy
des François.

Et Ferdinand succeda son fils Alphonse, qui
ne regna qu’vn an : Car voyant desia branler
les armes de France, pour la conqueste de Naples,
il resigna ses Estats à Ferdinand son fils
pour les mettre à couuert de cet eschet, sous la
fortune de ce ieune Prince.

Ce fut lors que Charles VIII. Roy de France,
fondé sur la succession faicte à Louys II. son pere,
par René, & Charles d’Aniou, entreprit ce
fameux voyage de Naples, auquel en moins de
six mois il despoüilla Ferdinand, gaigna cette
memorable bataille de Fornoüe, & se fit voye
par le fer, malgré les forces de toute l’Italie,
pour retourner en France : où si tost qu’il eut
mis le pied, le desordre & la dissolution, s’estant

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glissée parmy les garnisons Françoises,
Ferdinand qui n’espioit que l’occasion de restablir
ses affaires, se ietta dans le pays, assisté
de ses partisans, & nous osta l’honneur & le
fruict de cette belle conqueste. Ce grand Roy
touché du regret de cette perte, fit de grands apprests
pour repasser en Italie : Mais la mort le
prit en ce dessein.

 

Louys XII. son successeur traitta pour le
recouurement de ce Royaume, auec Ferdinand
Roy d’Arragon, qui auoit aussi ses pretentions
sur cet Estat, à telle condition que la guerre se
fairoit à communs frais, & les conquestes se
partageroient esgalement. L’entreprise ayant
reussi heureusement, & Frederic oncle de Ferdinand,
qui prenoit la qualité de Roy de Naples,
à cause de son neueu, estant pris & mené
en France, où il fut honorablement entretenu :
Louys & Ferdinand partagerent le
Royaume comme il auoit esté conuenu entre-eux.

Quelque temps aprés les Espagnols dresserent
vne querelle aux François, & les ayans
surpris auant qu’ils peussent mettre leurs forces
en campagne, leur osterent la plus-part des
places, sans que la religon du traicte, fait &
iuré entre ces deux Roys, peut empescher leur
violence. Ferdinand pour authoriser cet acte

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d’infidelité, obtint l’inuestiture de ce Royaume,
de Iule II. Pape, grand ennemy des François.
Louys resolu de tirer raison de cet affront,
& ayant fait de grandes leuées, Ferdinand
pour destourner l’orage, qui deuoit fondre
sur sa teste, rechercha Germaine de Foix,
niepce du Roy, & accorda qu’arriuant son decés
sans hoirs de ce mariage, elle succederoit
à la Couronnes de Naples, & aprés elle celuy
qui seroit Roy de France. Ceste conuention
ratifiée par Ferdinand, à l’entreueuë qui se fit
a Sauonne, entre ces deux Roys, fut mise à
neant, par le traicté de Noyon, que François
I. passa auec les Espagnols, par lequel ils s’obligerent
de payer pour le Royaume de Naples,
trente-mille ducats par an, & restituer
à Henry Albertle Royaume de Nauarre. Mais
la Nauarre ne fut point renduë, ny les trente
mille ducats payez. Ce qui obligea le Roy
François d’enuoyer au recouurement de Naples,
le sieur de Lautrec, qui d’abort prit la
ville de Melphes, & en suitte ayant assiegé
Naples, la contagion se mit en l’armée de
France, ou ce braue Chef mourut sans pouuoir
mettre fin à l’entreprise.

 

Il se void par ce discours que le droict que
les François ont sur ce Royaume, n’est pas
imaginaire comme le leur, & mesme qu’il n’est

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pas fondé sur les armes : Mais sur les plus equitables
regles de la Iustice. Car qui doute que
les Papes comme Souuerains des Royaumes
de Sicile, & de Naples, (ainsi que les Espagnols
le reconnoissent en leur payant le cens
annuël,) nayant peu iustement interdire Federic,
ny ses successeurs, pour les rebellions
par luy commises, & inuestir Charles d’Aniou,
à l’exclusion de Maintfroy, & de Conradin ?
Et quant ils ne l’auroient peu faire legitimement,
quel droit y pouuoit pretendre
Pierre d’Arragon, pour auoir espousé la fille
d’vn Bastard, non legitime, & consequemment
incapable de succeder à la Couronne,
veu que pour cette raison le Pape Celestin
troisiesme, refusa l’inuestiture au Bastard Tancrede.

 

D’ailleurs, les renonciations faites au profit
de Charles le Boiteux, par Iacques & Frederic
d’Arragon, l’adoption faite par l’vne &
l’autre, Reyne Ianne, de Louys premier, second,
troisiesme, & Rene Duc d’Aniou, & du
depuis encore l’accord passé entre Louys XII.
& Ferdinand de Castille ; sont ce pas des tiltres
tres-ligitimes pour valider toutes nos pretentions,
& renuerser le fondement sur lequel
les Espagnols veulent assoir vne vsurpation si
manifeste ? Que si on allegue la renonciation

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faicte par le Roy François premier, au traicté
de Noyon, il faut premierement montrer les
acquits de trente mille ducats, qui se doiuent
payer par an, depuis l’année mil cinq cens seize,
sans lesquels le Roy peut rentrer en ses
droits ; puis que ceste pretenduë renonciation
na esté que conditionnée. Et dautant que les
Espagnols produisent pour piece fondamentale,
le traitté de Cambray, en l’an mil cinq
cens vingt neuf, entre l’Empereur Roy d’Espagne,
Charles cinquiesme, & le Roy François,
par lequel il renonça aux droits du Royaume
de Naples, Duché de Milan, & Souueraineté
de Flandres : ie dis que telle renonciation
ne pouuoit preiudicier au Roy François, ny à
ses successeurs, dautant que le Royaume de
Naples, & le Duché de Milan, appartenoient
à Messieurs ses enfans, comme heritiers de la
Reyne Claude sa mere, fille du Roy Louys XII.
de l’estoc de laquelle sont procedez les droits
de cette Couronne en Italie.

 

L’on peut voir en tout ce que nous venons
de dire, comme l’Espagnol sous pretexte d’allience
& d’amitié, s’est seruy des Papes, des
Empereurs, & des Princes mescontens pour
faire la guerre aux François, & pour les priuer
de ces deux Couronnes de Naples & de
Sicile.

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Il a fait le mesme au sujet de Milan, qui
est auiourd’huy l’vn des Principaux estançons
de la grandeur d’Espagne. Il fut gouuerné par
les Lieutenans des Empereurs, qui estoient de
la maison des Viscontis, depuis l’an 1286. iusques
au temps de Iean Galeas, en faueur duquel
l’Empereur Venceslas l’erigea en Duché,
sous la Souueraineté de l’Empire. Ce Duc laissa
deux fils, Iean & Philippes, auec vne fille
nommée Valentine, que Louys Duc d’Orleans,
fils du Roy Charles V. espousa, ayant
apporté pour Dot le païs d’Ast. Iean & Philippes
estans morts sans enfans legitimes, leur
succession regardoit les enfans de Valentine :
d’autant que par le contract de Mariage de
Louys & Valentine, il estoit stipulé que la ligne
masculine de Galeas deffaillant, le Duché
de Milan seroit acquis à Valentine, où à ses
hoirs : Mais François Sforce, qui auoit espousé
Blanche, fille naturelle de Philippes, s’empara
du Duché, pendant que la France estoit
trauaillée par les Anglois, & les differens des
maisons d’Orleans, & de Bourgogne.

Louys XII. auparauant Duc d’Orleans estant
paruenu à la Couronne, fit tout ses efforts
pour recouurer ce Duché, patrimoine de son
ayeule, ce qui luy succeda heureusement : car
il prit Milan, & surprit Ludouic Sforce, il s’enfuioit,

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lequel mourut du depuis en France.
Par ceste prise Louys s’estant rendu maistre
de tout le Milanois, il en demanda l’inuestiture
à l’Empereur Maximilian, & l’obtint,
moyenant cent mille escus, pour le droit de
de relief ; & neantmoins ce Prince de mauuaise
Foy, s’efforça de l’oster au successeur de
Louys.

 

Aprez la bataille de Rauenes, où mourut
ce valeureux Prince Gaston de Foix, neueu
du Roy Louys, les François se voyans depourueus
de Chef, & pressez de tous costez, par
les Suisses, par les Espagnols, par les Venitiens,
& par quelques-autres nations, que le
Pape Iule II. auoit suscitées contre-eux, furent
contraints d’abandonner tout le Milanois,
forces les Chasteaux de Bresse, & de Milan,
dans lesquels ils laisserent garnison. Louys
pour recouurer cette perte, traitta auec les
Roys d’Arragon, & d’Angleterre, & ayant
fait de grands apprests. Il mourut & laissa François
Comte d’Angoulesme, heritier de sa Couronne
& de ses desseins. Ce ieune Roy prist
la qualité de Duc de Milan, comme heritier
de la maison d’Orleans, dont il estoit issu, &
ayant passé les monts auec vne puissante armée,
deffit les Suisses que le Cardinal de Lyon,
ennemy iuré des François, auoit distraits de

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nostre party, & en suitte il prit Milan & força
Maximilian de Sforce de renoncer à ses droits,
à la charge de luy donner l’entretenement d’vn
Prince en France, ce qui fut pleinement executé.

 

François son frere se retira vers l’Empereur
Maximilian, & luy fit tant de promesses, qu’il
prit les armes en sa faueur, encore qu’il eust inuesty
Louys XII. & reçeu les cent mille escus
que nous venions de dire. Ainsi l’armée Imperiale
vint assieger Milan, ou commandoit
pour le Roy Charles de Bourbon, Connestable
de France : Mais la genereuse resistance
que les François firent durant ce siege, & la
prudence de leur Chef, à descouurir les trahisons
qui se brassoient dans la place, fit retirer
l’Empereur auec grande perte de son armée,
& de sa reputation pour auoir entrepris cette
guerre contre sa Foy, & contre le deuoir nantuel,
auquel le Seigneur est obligé enuers son
vassal-lige.

L’Empereur Maximilian estantmort, Charles
d’Austriche son successeur à l’Empire, &
Roy d’Espagne, reueilla cette vieille querelle,
sous couleur de restablir François Sforce, iniustement
Spolié : Mais en effet pour se faire voye
par la à la conqueste de tout l’Italie. Ce fut lors
que Charles de Bourbon pour quelques mescontentemens

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qu’il auoit reçeus de François
I. fut gaigné par l’Empereur, qui voulant profiter
de cette disgrace, l’attira à son party pour
s’en seruir contre la France, lequel pour l’obliger
plus estroittement, & le rendre plus irreconciliable
auec son Prince, luy donna la
charge de son armée, qui marchoit au siege
de Milan. Le sieur de Lautrec qui y commandoit
pour le Roy, ayant rencontré les ennemis
à la Ricoque, perdit la bataille, & en suitte
toutes les places qu’il tenoit au Milanois, quelque
effort que peust faire l’Admiral de Bonniuet,
enuoyé par le Roy, sur les intelligences
qu’il auoit encore dans Milan. Ce qui obligea
François I. à faire vn second voyage en
Italie, où les François éclairez des yeux de
leur Prince, se porterent si courageusement,
qu’à la veuë de l’armée Imperiale, conduits par
le Duc de Bourbon, & le Marquis de Pesquaire,
ils entrerent victorieux dans Milan, & de la
ils furent assieger Pauie, Ville forte d’assiette,
& lors munie de toutes choses necessaires pour
la guerre.

 

Durant ce siege le Roy fit vne faute qui
causa la ruine de ses affaires : Car il enuoya
au Royaume de Naples, le Duc d’Albanie,
auec quatre mille Lances, & six mille hommes
de pied : ce qui affoiblit tellement son armée,

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que comme il vouloit retrancher toutes
les commoditez aux ennemis, & empescher
l’entrèe d’vn notable secours, que le Duc
de Bourbon leur enuoyoit, les Espagnols
voyans sa foiblesse, luy liurerent bataille, où
son cheual estant terracé, il fut pris, & son armée
taillée en pieces. Pour sortir de prison, il
quitta par le traitté de Madrid, le Duché de
Milan, auec le Royaume de Naples, sa Souueraineté
de Flandres, & la Bourgogne. Mais
cette renonciation ne pouuoit preiudicier à ses
successeurs.

 

Et quoy que ce grand Prince eut reçeu vn
si rude eschet, il voulut neantmoins tenter
encore vn coup de fortune. Le pretexte estoit
la deliurance du Pape, que l’armée Imperiale
tenoit assiegé dans Rome. Il enuoye en Italie
le sieur de Lautrec, qui pour tout exploits prit
Pauie, & Alexandrie : Mais l’Empereur les
ayant reprises aussi-tost, le Comte de Sainct
Paul les reprit & les saccagea. L’année suiuante
comme il se retiroit en desordre, l’armée
Espagnole conduitte par Anthoine de Leue, le
surprit, & le mit en déroute.

Ainsi les affaires du Roy estans fort descousuës
en Italie, l’Empereur donna Christine sa
niepce, fille du Roy de Dannemarch, auec le
Duché de Milan, à François Sforce, lequel

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estant mort sans enfans, le Roy en demanda
l’inuestiture à l’Empereur, qui la luy refusa, ce
qui le fit resoudre à la force, & pour l’acheminement
de son entreprise, il semond le Duc
de Sauoye son oncle, à luy donner passage par
ses terres, & pour le refus qu’il luy en fit, il
entra main-armée dans le Pied-mont, emporta
de force les meilleurs places, & força le
Duc de Sauoye à recouurir au secours de l’Empereur.

 

Le Roy, aprés la conqueste du Pied-mont,
fit quelque progrez au Milanois : Mais son entreueuë
auec le Pape & l’Empereur, moyena
vne suspension d’armes pour dix-ans : pendant
lesquels l’Empereur prenant occasion de passer
par la France, pour aller chastier la rebellion
des Gantois, promit au Roy de luy faire raison
du Duché de Milan. Et toutesfois ayant mis
ordre aux affaires des Pays-bas, il ne tint
plus conte de sa promesse : au contraire, comme
il se vid pressé par le Roy, il dit que son
frere & son Conseil, n’estoient pas d’auis qu’il
quittat vne piece si importante, pour la conseruation
des autres Prouinces qu’il tenoit en
Italie. Que toutesfois pour donner contentement
au Roy, de son authorité Imperiale, il
erigeroit la Flandre en Royaume, & la donneroit
auec sa fille à Charles Duc d’Orleans : Mais

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le temps fit connoistre que son intention n’estoit
que de repaistre le Roy de parole.

 

Il est vray que les Ministres d’Espagne colorent
leur vsurpation de quelques raisons ausquelles
il est fort aisé de respondre. La premiere
est, la renonciation faicte aux Estats de
Naples & de Milan, par le Roy François premier,
la seconde est le testament de Philippes
Duc de Milan, par lequel il institua son heritier
Alphonse Roy d’Arragon, la troisiesme
est que la clause portée par le contract de mariage
de Louys Duc d’Orleans, & de Valentine,
est nulle pour n’auoir pas esté authorisée
par l’Empereur, Seigneur Souuerain de
Milan. Pour la premiere obiection il y sera respondu
cy-aprés, pour la seconde, supposé que
la clause dudit mariage, aye lieu, comme elle
doit, Philippes au preiudice d’icelle, ne pouuoit
mourant sans hoirs legitimes, frustrer les
enfans de Valentine de la succession, ny la donner
à Alphonse d’Arragon. Mais quoy que cette
clause n’ait esté validée du consentement de
l’Empereur, lors que le contract fut passé ;
neantmoins attandu que l’Empire estoit lors
vacquant, & que les Papes pendant la vacance,
pretendant auoir l’administration de l’Empire,
il suffisoit que le Pape ratiffiat cette clause.
Et d’ailleurs, nous auons remarqué cy-deuant

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que l’Empereur Maximilian inuestit Loüis
XII. du Duché de Milan, moyenant cent mille
escus, pour le droit de relief.

 

Le Comte de Flandres, sous lequel l’Artois
est compris, faisoit partie de l’ancien Roiaume
de Lorraine, escheu à Charles le Chauue,
par partage fait auec Loüis de Germanie son
frere. Ce fut lui qui l’erigea en Comté, & en
inuestit Godefroy, surnommé Bras-de-Fer,
pour le Dot de sa fille Iudith, au lieu qu’auparauant
ce païs estoit gouuerné par Lieutenans,
appellez Grand Forestiers, du nom de
Forest, qui est vn vieil langage François, qui
signifie eaux & bois, dont ce païs estoit rempli.
Depuis le regne de Charles le Chauue
nos Rois ont ioüi plus de sept cens ans durant,
de la Souueraineté de Flandres. Et lors que
les Comtes & leurs subiets, se sont voulu emanciper,
& soustraire de l’obeïssance qu’ils leur
deuoient, ils n’ont pas espargné les forces que
Dieu leur à données, pour les chastier & pour
les ranger à la raison. Le Comte Ferdinand
pour les rebellions commises contre Philippes
Auguste, fut despoüille de ses Estats, aprés
cette memorable iournée de Bouines, où l’Empereur
Othon, & Iean Roy d’Angleterre, partisans
de Ferdinand, furent deffaits. Guy ajant
fiancé Philippes sa fille, à Edoüard le jeune

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fils du Roy d’Angleterre ; Le Roy Philippes
le Bel, pour l’interest qu’il auoit que les filles
de ses vassaux ne fussent pas mariées aux ennemis
de la Couronne, retint cette Princesse
pour la marier à sa bien-seance. Le pere s’estant
plaint à l’Empereur Rodolphe, & au Roy
d’Angleterre, ils se mirenten campagne auec
de grandes forces, contre lesquelles le Roy
ayant assemblé celles de son Royaume, & de
ses alliez, le combat se donna à Furnes, où
les François demeurerent victorieux. Et le Roy
par l’aduis de Pairs, confisca le Comté de Flandres.
Pour mettre cet Arrest à execution Philippes
enuoya Charles, Comte de Valois, à
l’arriuée duquel le païs s’estant sousmis au
Roy, Guy & ses enfans furent pris & menez
en France : Mais aprés quelques temps de prison,
le Roy leur pardonna, & les remit dans
leurs biens.

 

Loüis dernier de l’estoc des anciens Comtes
de Flandres, estant decedé sans autres heritiers
qu’vne seule fille ; Philippes de Valois,
& Iean son fils, mespriserent cette occasion de
reunir vn si beau païs à la Couronne : Car au
lieu de donner cette riche heritiere à Charles
leur fils, qui du depuis fut Roy, ils lui donnerent
en mariage Ieanne de Bourbon, la preferant
à Marguerite de Flandres, pour son excellente

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beauté ! Ce qui cousta cher à la France ; Car
Philippes dernier fils du Roy Iean, auquel il
laissa par testament le Duché de Bourgogne
en appanage, ajant espousé Marguerite, leurs
successeurs s’esleuerent contre nos Rois, & se
rendirent si puissans, qu’aians attiré les Anglois
en France, & nourri les horribles troubles
qui la trauailloient sous les regnes de
Charles sixiesme, & septiesme, il ny eut autre
moyen de chasser les Anglois, & remedier
aux ruines de l’estat, que de faire la paix auec
les Bourguignons : C’est pourquoy Loüis vnziesme
disoit qu’à tort la posterité auoit donné
le nom de Sage à Charles cinq son bisayeul,
pour auoir commis vne si lourde faute, que
de donner l’heritiere de tant de païs à son frere
desia partagé trop auantageusement : Mais il fit
la mesme faute aprés la mort de Charles dernier,
Duc de Bourgogne, en laissant tomber
les Païs-bas en la maison d’Austriche, par le
mariage de Marie, fille vnique de Charles,
auec l’Archiduc Maximilian, ce qu’il pouuoit
empescher en la donnant à son fils Charles,
où à quelque Prince de sa maison, de l’affection
duquel il eut peu s’asseurer, & qui eut eu
moins de forces que Maximilian.

 

Le Comté de Flandres estant ainsi escheu
aux Archiduc d’Austriche, ils en firent hommage

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à nos Rois, iusques à ce que le Roy
François premier ajant esté pris à la journée
de Pauie, fut contraint de passer le traicté de
Madrid, & de quitter la Souueraineté des
Païs-bas pour sa deliurance : ce qu’il accorda
derechef par le traitté de Cambray, pour la
deliurance de Messieurs ses enfans. Et c’est le
seul fondement dont les Espagnols se seruent
pour asseoir leurs pretentions sur cette Comté.

 

Mais outre ce que nul n’est obligé à l’accomplissement
d’vne promesse faite par force,
ou par contrainte, chacun sçait que c’est
vne des Loix fondamentales de cet estat, où
plustost l’vn des pieux sur lequel il est affermi,
que le Domaine de la Couronne est inallienable,
& que nos Rois, quoy qu’absolument
puissans, n’en sçauroient disposer au preiudice
de cette Loy. Moyen tres-vtile pour conseruer
sa grandeur, puis qu’il à tousiours empesché
la dissipation de cette Monarchie.

C’est pourquoy, sur l’aduis des plus fameux
Theologiens, & des plus grands Iurisconsultes
de l’Europe, veu la Loy fondamentale de
ce Royaume, & l’opposition des Estats, telle
renonciation portée par les traictez de Madrid
& de Cambray, ne porte aucune obligation,
& Charles d’Autriche demeuroit tousiours
obligé aux deuoirs de vasselage, & de

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fidellité enuers cette Couronne.

 

François premier seant en son lict de Iustice,
assisté des Rois d’Escosse & de Nauarre,
des Princes du Sang, Pairs & principaux
Officiers de la Couronne, decreta adiournement
personnel contre Charles d’Austriche,
pour respondre sur le crime de felonnie, par
luy commis contre le Roy, son Souuerain Seigneur,
& pour reparation d’icelui, voir confisquer
& reünir au Domaine de la Couronne,
les Comtez de Flandres, Artois, & Charrolois,
& autres terres d’icelles mouuantes,
dont il se trouuoit possesseur. C’est Arrest celebre
fut rendu en l’an 1536. & signifié és
frontieres des Païs-bas selon les formes anciennes.

Pour le Roussillon, ce païs fut erigé en
Comté par l’Empereur Charlemagne, lors
qu’il donna à Loüis son fils le Royaume d’Aquitaine.

Sur le declin de la race des Carliens, des
Ducs, & Comtes, qui n’estoient auparauant
que Gouuerneurs, s’estans rendus hereditaires,
les Comtes de Roussillon s’allierent par
succession de temps, auec la maison d’Arragon ;
& par cette alliance ce Comté fut vny à
la Couronne d’Arragon, sous laquelle il demeura
iusques à ce qu’il fut engagé à Loüis

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douziesme, pour la somme de trois cens mille
escus, mais la plus part des places ayans refusé
les portes aux François, le Roy les rangea
à la raison, & les contraignit à reçeuoir de
grosses garnissons.

 

Aprés la mort de Loüis, Ferdinand d’Arragon,
bien informé de la trop grande facilité
de Charles VIII. lors encore ieune, enuoya
en France vn Cordelier Espagnol, nommé
Iean de Mauleon, pour moyener la restitution
de la Comté : Ce Religieux ayant corrompu
par argent, Oliuier Maillard Confesseur
du Roy, obtint non seulement ce qu’il
desiroit : Mais aussi il fit en sorte que Charles
quitta les trois cens mille escus, pour lesquels
ce pays estoit engagé, à condition que Ferdinand
ne l’empescheroit point en la conqueste
du Royaume de Naples. Ce que Ferdinand
confirma du depuis, & le promit auec de
grands sermens, ainsi que remarque Philippes
de Comines : Neantmoins il ne laissa pas de
se liguer auec le Pape & les Potentats d’Italie,
qu’il assista d’hommes & d’argent pour trauerser
les desseins de Charles, qui se repantit par
aprés (mais trop tard,) de s’estre dessaisi d’vne
piece de telle importance.

Les Rois Louys XII. & François I. firent
tous leurs efforts pour la recouurer : L’armée

-- 29 --

que Louys y enuoya, assiegea Salce, & celle
de François Perpignan, mais les Espagnols y
enuoyerent du secours si à propos, qu’il se falut
retirer sans rien faire.

 

Pour la Nauarre. L’histoire nous apprend
que Charles troisiesme Roy de Nauarre, eut
vne fille vnique, nommée Blanche, qui espousa
Iean Roy d’Arragon, dont il eut vn fils
nommé Charles, qui fut empoisonné par
Ieanne de Castille sa belle mere, & deux filles,
sçauoir Blauche, & Leonor. Blanche espousa
Henry quatre, Roy de Castille, laquelle
estant morte sans enfans, Leonor sa
sœur luy succeda, & apporta en la maison de
Foix la Couronne de Nauarre, se mariant
auec Gaston, duquel elle eut Gaston second ;
& celuy-cy eut Phœbus, qui mourut sans enfans,
& Catherine qui espousa Iean d’Albret.
De ce mariage nasquit Henry d’Albret,
pere de Ieanne d’Albret. C’est cette
Catherine sur laquelle Ferdinand fils de Iean
d’Arragon, occupa le Royaume de Nauarre,
bien qu’elle fut sa niepce.

Anthoine de Nebrisse, Historiographe &
Domestique de Ferdinand, dit qu’Isabelle
sa femme, n’auoit pas dessein qu’il luy touchat
de si prez, que de ioindre la Couronne

-- 30 --

de Nauarre à celle d’Espagne, disant que
c’estoit vn membre separé du corps, auquel
il deuoit estre reuny. Ferdinand poussé de la
mesme ambition, rechercha tous les moyens
de s’emparer de cet Estat. Pour y paruenir,
il s’aduisa de rompre l’alliance qu’il auoit
contactée auec Louys XII. voulant faire esclore
d’vn seul coup deux grands desseins.
L’vn regardoit le Royaume de Naples, &
l’autre celuy de Nauarre : De sorte qu’ayant
enleué Naples aux François, comme est remarqué
cy-deuant, il se ligua auec le Pape
Iules second, le porte à excommunier le Roy
Louys, & tous ses alliez, & tous ses partisans,
notamment Iean Albret, duquel il
donna le Royaume au premier occupant.
Ferdinand ne demandoit autre chose : Mais
il falloit trouuer vn meilleur suiet, pour empieter
auec quelque couleur de raison sur le
bien de niepce. A cette fin il sollicite le
Royaume d’Angleterre, d’attaquer la France
par la Guyenne, luy promet de l’assister
auec vne puissante armée. Fait courir par
tout le bruit de ce dessein : Et pour le faire
croire il leue quelques troupes auec lesquelles
il fait mine de se vouloir ruër sur la
Guyenne ; Mais ce n’estoit pas la proye qu’il

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cherchoit : Car ayant demandé passage à
Iean d’Albret son neueu (dont il s’excusa,
sur se qu’il estoit vassal de cette Couronne,)
il ietta son armée dans la Nauarre, sus la conduitte
du Duc d’Albe, se saisit de Pampelune,
& des meilleurs places, auant que Iean
d’Albret peut leuer des forces pour luy resister.

 

Voila dans peu de mots les vsurpations de
l’Espagnol, qu’a tant de fois abusé de la Foy
publique, & frustré iniustement nos Rois de
leurs droits les plus legitimes, tant sur les
Couronnes de Naples, & de Sicile, que sur
le Duché de Milan, Comté de Flandres,
Roussillon, & la Nauarre, lequel n’osant à
guerre ouuerte, ny en genereux, assaillir les
François, leur à fait la guerre en Renard, se
seruant de quelques Princes mescontans, de
quelques traistes & de certains esprits corrompus
par argent ou par rebellion, pour
fomenter nos guerres ciuiles, & priuer nos
Rois de leur Couronne, comme il se verra au
discours suiuant.

Dés le commencement du regne de Henry
le Grand, lequel à cause de la Religion,
vid presque toutes les villes Catholiques de
France rebellées contre luy, & vne puissante

-- 32 --

ligue dans le Royaume, dont Charles de
Lorraine Duc de Mayenne estoit Chef, l’Espagnol
prenant l’occasion au cheueux, offre
secours d’hommes & d’argent aux Ligneurs,
pour fomenter leur rebellion contre le vray
heritier de la Couronne. Fait passer les Ducs
de Mendozze, & de Feria en France, lesquels
mettent garnison de Lansquenets, &
de Neapolitains dans Paris. Ils furent suiuis
du Duc de Parme, lequel auec son armée
prit Lagny d’assaut en presence du Roy &
de son armée. Corbeil fut pris en suitte par
l’aide de ce Duc de Parme, qui se retira puis
aprez craignant de trop rehausser les affaires
des Catholiques. Fait leuer le siege de deuant
Paris, & celuy de deuant Roüen au
Roy, afin de ruiner la France, par la France
mesme, pour mieux arriuer au dessein que
l’Espagnol auoit d’enuahir le Royaume. Le
Roy venant du costé de Paris, surprend les
Faux-bourgs. Les Espagnols qui estoient en
garnison dans la ville, se mesnageans pour
les considerations cy-deuant dittes, ne veulent
point aller aux coups, s’excusent sur ce
qu’ils n’auoient point ordre de marcher. Ce
que voyant le Duc de Mayenne, il enuoy en
Espagne faire ses plaintes des Ministres de sa

-- 33 --

Maiesté Catholique, de leurs longueurs, de
leurs contraietez, de leur dizette, d’argent,
& de ce que le secours estoit donné lors qu’on
n’en auoit presque plus affaire. La il en decouure
la cause, qui tendoit à faire vn Roy
qui fut de la maison d’Austriche, où de tenir
la France tousiours dans la diuision, pour
en auoir la meilleure partie. Ce que sçachant
le Duc de Mayenne, declare hautement
qu’il ne vouloit pas souffrir ceste tyrannie.

 

Ceste declaration fut cause que les Espagnols
n’enuoyerent qu’vne partie du secours
à regret, & qu’ils s’amuserent à traitter
auec les particulieres & les Peuples.

Le Duc de Mayenne cherchant vn remede
à ce mal public, tient les Estats de son
party, lesquels assemblez, les Espagnols y
proposerent de faire vn Roy de la maison
d’Austriche : proposition qui s’accordoit à ce
qu’il en auoit desia descouuert, ou au deffaut
de celuy-la, vn de la maison de Lorraine,
pour luy donner l’Infante. Le Duc de Mayenne
ne s’opposa pas seulement à l’vne & à
l’autre de ces propositions, mais encore [1 mot ill.]

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ses premieres protestations, qu’il obeïroit
au Roy, s’il vouloit aller à la Messe, &
reconnoistre celuy de qui la benediction Pontificale,
luy deuoit ouurir la porte de l’Eglise.

 

Le Roy ayant donné la paix à ses peuples,
ne songeant plus qu’à faire de beaux
Reglemens, conuoque vne assemblée de Notables
en la ville de Roüen, l’an mil cinq
cens nonante sept, pendant laquelle l’Espagnol
ayant veu ses desseins perdus ; par la bonne
correspondance du Roy, & de tous ses
subiets, surprend au mois de Mars la ville
d’Amiens, qui fut aussi tost assiegée par le
Roy, & reprise au mois de Septembre ensuiuant,
aprés quoy l’Espagnol luy demanda
la paix qui se fit à Veruains l’année suiuante.

L’an 1600. le Roy ne pensant plus qu’à
ioüir des delices de la paix, l’Espagnol qui
nous enuioit ce bien, se ligue auec le Duc
de Sauoye, & l’affermit en sa resolution, de
ne pas rendre au Roy son Marquisat de Salusse,
pour par ce moyen tenir la porte d’Italie
fermée aux François. Sur cette resolution
le Roy se rend à Lyon, leue vne puissante

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armée, sous la charge du Comte de
Soissons, donne la Lieutenance à Monsieur
de Lesdiguiers, & au Duc de Biron. Aprez
cela sa Maiesté s’auance vers la Sauoye, y
prend les meilleures places, & elle alloit
reduire le Duc de Sauoye à la raison, sans
que le Comte de Feruentes, qui auoit ordre
d’Espagne de l’assister osast paroistre.
De maniere que le Duc de Sauoye fut contraint
de faire la paix en donnant la Bresse pour
le Marquisat de Salusse.

 

Du depuis & durant le regne pacifique
de ce grand Monarque, l’Espagne n’auoit
elle pas coniuré sa perte par le moyen du
Duc de Biron, par l’infidelité de l’Hoste, &
par l’entreprise de Merargue sur Marseille.
Ce qui le fit resoudre en l’an mil six cens dix,
a faire vn grand armement pour se venger de
ces outrages : mais ces desseins furent esuanoüis
par la mort deplorable d’vn si grand
Prince.

La feu Reyne mere desirant affermir vne
bonne paix entre ces deux Couronnes, en renouuella
l’allience par vn double Mariage.
Ceux de la Religion pretenduë & Reformée,
se declarerent aprez ouuertement, ce qui

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obligea le feu Roy treiziesme, d’heureuse
memoire à prendre les armes pour maintenir
son authorité, ce qui fut cause de la guerre
qu’on commença de leur faire, & qui dura
depuis l’an mil six cens dix-neuf, iusques
à mil six cens vingt-neuf, au grand regret
de l’Espagnol qui eut bien desiré qu’elle eut
duré dauantage, lequel n’auoit pas laissé à
son ordinaire de les assister d’hommes, d’argent
& de belles promesses, ainsi qu’il fut
verifié par le Parlement de Tholouze par l’interrogation
de ceux qui trempoient à ceste
perfidie.

 

Durant le siege de la Rochelle, l’Espagnol
ioint auec le Duc de Sauoye, se declara
contre le Duc de Mantouë, pour le
despoüiller de ses Estats ; parce qu’il estoit
François, subiet & vassal du Roy de France :
Du depuis ils firent entrer les Imperiaux
en Italie, qui prirent & ruinerent la ville de
Mantoüe, & la guerre se continuant, l’Espagne
suscita Albert VValstein Generalissime
des Armées Imperiale, à prendre
Moyenuic, qu’il fit fortifier à dessein
de faire par la vne iruption en Champagne.

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L’an mil six cens trente deux, la Reyne
mere, & quelques temps aprés Monsieur
le Duc d’Orleans s’estans retirez à
Bruxelles, furent suscitez d’armer, & Monsieur
à leur persuasion entra en France auec
vne puissante armée, où il fut ioindre le
Duc de Mont-morency, lesquels deuoient
estre encore assistez d’vne armée de douze
mille hommes, que l’Espagnol tenoit
sur les frontieres du Roussillon toute
preste.

Qu’elles offres ne firent ils pas à Sainct
Marc, pour le diuertir d’vne fidelité incorruptible.

Tant de sortes d’vsurpations, & tant de
sortes de perfidies, dont les Espagnols se
sont seruis pour reduire la France aux abbois,
obligerent le feu Roy a se resoudre à
leur faire la guerre, les aymant mieux auoir
pour ennemis découuerts, que pour dés amis
si funestes.

N’enleuerent ils pas encore L’Archeuesque
de Treves, Electeur de l’Empire,
auec toute sorte de mauuais traittemens,
pour s’estre mis sous la protection du Roy de
France.

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Voila dequoy confondre ceux qui disent
que la France à mis la guerre par toute la
Chrestienté, & qu’elle a rompu auec l’Espagne
sans cause legitime.

FIN.

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Anonyme [1649], DISCOVRS D’ESTAT OV VERITABLE DECLARATION des Motifs, qui obligerent LOVYS LE IVSTE, Roy de France & de Nauarre, à rompre la paix qui fut faicte en l’an 1596. Entre HENRY IIII. son tres-honoré pere, & PHILIPPES II. Roy des Espagnes. OV SE VOIT LE NOMBRE DES places & des Principautez, que les Espagnols ont deuant ce temps la & du depuis vsurpées à ceste Couronne. , françaisRéférence RIM : M0_1108. Cote locale : C_7_35.