Anonyme [1652], MANIFESTE DE MONSIEVR LE DVC DE GVYSE, CONTENANT LES VERITABLES MOTIFS DE LA LEVÉE d’vne Armée pour le seruice du Roy, & de Messieurs les Princes. , françaisRéférence RIM : M0_2382. Cote locale : B_8_33.
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MANIFESTE
DE MONSIEVR LE DVC
DE GVYSE,
CONTENANT
LES MOTIFS DE LA LEVÉE
d’vne Armée pour le seruice du Roy &
de Messieurs les Princes.

COMME l’on ne peut attendre
de ceux, qui sont mal informez
des affaire presentes, &
des intentions des Princes,
que des iugements qu’ils en
font de leurs iustes procedures,
& celon leur caprice & pensées, que les
plus sages & iudicieux condamnent, comme
tendante à les calomnier & à blasmer leurs
desseins quoy que iustes & raisonnables, tout
pour affermir & maintenir le seruice & l’authorité

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du Roy (qui est auiourd’huy entre les
mains des Estrangers,) comme est celuy de
Monsieur le Duc de Guyse dans la leuée des
Trouppes qu’il fait, sans en sçauoir les raisons
ny ses resolutions, qui n’ont autre but que la
Paix & le repos du Royaume qui se trouuerra
dans la Paix Generale.

 

Aussi pour détromper & desabuser les
simples, qui se laissent surprendre par l’artifice
de quantitê de personnes mesdisantes &
ennemies de leur propre repos : Il est tres a
propos de faire cognoistre au public les raisons
& les Motifs principaux de son Armement.

Premierement, il est à remarquer que pendant
la detention de Monsieur le Duc de
Guyse en Espagne, Monsieur le Prince de
Condé s’estant veu poursuiuy par le Cardinal
Mazarin auec les Armes, se seruant de l’authorité
& des forces du Roy pour le perdre,
comme est l’intention de ces Estrangers de
ruïner les Princes du Sang, & de mettre la
diuision dans la Maison Royale : Monsieur le
Prince se voyant pressé en Guyenne, desirant
entretenir le Traicté faict à Stenay entre l’Archiduc
Leopold au nom & pour le Roy d’Espagne,
Madame la Duchesse de Longueville

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sœur de Monsieur le Prince, & le Mareschal
de Turenne, tant pour moyenner la déliurance
de Messieurs les Princes de Condé, de
Conty, & du Duc de Longueville leur beau
frere (que le Cardinal Mazarin detenoit en
Captiuité, depuis le dix-huictiesme du Mois
de Ianuier de l’An mil six cens cinquante, iusques
au Mois d’Auril de l’an mil six cens cinquante
& vn,) que pour paruenir à la Paix
Generale.

 

Et sçachant que la personne de Monsieur
le Duc de Guyse luy estoit necessaire en la
conioncture des affaires presentes comme
celle de son Altesse Royale, & qu’il auoit
interest de porter les siens, enuoya en Espagne
faire Supplier sa Maiesté Catholique,
qu’en sa consideration il luy pleust faire mettre
en liberté Monsieur le Duc de Guyse, &
qu’estant libre il seruiroit beaucoup a obliger
sa Maiesté Tres-Chrestienne d’entendre
à vne Paix Generale, que sadite Majesté
Catholique a tousiours tesmoigné la desirer.

La peine ne fut pas petite a obtenir cette
grace du Roy d’Espagne à cause des raisons
d’Estat que les Ministres de sa Majesté Catholique

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mettoient en auant pour retarder sa
deliurance.

 

Toutes fois sadite Majesté Catholique considerant
que Monsieur le Prince auoit assez de
credit & de pouuoir, assisté de son Altesse
Royale & d’autres Princes de France, pour
faire par les armes conduire les affaires à la
paix generale, elle enuoya les ordres à l’Archiduc
Leopold Gouuerneur pour sa Majesté
aux Païs-bas, de renforcer l’armée de Monsieur
le Prince qui estoit en Hainault sous la
charge du Comte de Tauannes, & la confier
entre les mains de deffunct Monsieur le Duc
de Nemours, qui estoit entré dans l’interest
de Monsieur le Prince, ce qui fut fait par l’Archiduc,
qui la fit conduire iusques à la frontiere
de France : Et du depuis par vn autre ordre
de sa Majesté Catholique enuoyé à l’Archiduc
d’enuoyer toutes les forces qu’il auoit
sur pied à son Altesse Royale & Messieurs les
Princes, pour ensemblement auec leurs forces
resister aux desseins & aux intentions du
Cardinal Mazarin, & ne poser les armes que
du consentement de sa Majesté Catholique &
de Messiures les Princes, lors que la paix generale
se feroit.

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Au mesme temps sa mesme Majesté Catholique
commanda que Monsieur le Duc de
Guise fust mis en liberté, & ordonna au Comte
de Haros de le faire conduire au port saint
Sebastien, & de là par mer iusques à Bourg,
ou de mer en Guyenne auec cinq mille Espagnols,
& luy fit compter trois cent mille Patagons,
auec promesse de pareille somme
pour leuer vne armée qu’il commanderoit &
la meneroit à Messieurs les Princes pour s’opposer
aux Mazarins & paruenir à la paix generale.

C’est la resolution qu’a prise Monsieur le
Duc de Guise de rendre ce deuoir à Monsieur
le Prince, auquel il se tient obligé de sa liberté,
n’ayant aucune intention que celle de
Messieurs les Princes d’entretenir la guerre
en France, ny d’entreprendre aucune chose
cõtre le seruice du Roy ny le repos de l’Estat,
au contraire qu’ayant joint ses armes auec
celles de son Altesse Royale, & de Messieurs
les Princes, & des Princes de sa Maison, trauailler
conjoinctement à deliurer sa Majesté
des mains des Anglois, des Italiens & Sauoyards,
qui la tiennent en captiuité, gouuernent
l’Estat comme il leur plaist, & qui sont

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les premiers Ministres & les Chefs de ses Cõseils,
au tres-grand preiudice de son Altesse
Royale & de Messieurs les Princes du Sang,
& qui ont le plus grand interest à maintenir
l’authorité Royale, conseruer & deffendre
l’Estat auquel ils sont nez, sans comparaison
plus que les estrãgers qui ne cherchent que sa
ruine & le démembremẽt du Royaume, auec
cette proposition que fait Monsieur le Duc
de Guise d’employer ses armes, ses biens, sa
propre vie, & celles de ses freres, parens &
amis pour vne cause si iuste, raisonnable &
honorable, voire necessaire, comme pour
auoir la paix generale, ainsi qu’il s’est obligé
à sa Mjesté Catholique, & qui ont esté les motifs
principalement de sa deliurance.

 

Declarant que l’armée qu’il leue ne sera
composée que de François au nombre de
quatre à cinq mille hommes, sans se seruir
d’aucuns estrangers, ayant laissé dans Bourg
les cinq mille Espagnols venus d’Espagne
auec luy pour garder ce port, qui demeure
comme en ostage à sa Majesté Catholique
iusques à la paix generale, afin de ne donner
ombrage de son dessein à personne de croire
qu’il veuille employer l’Espagnol en France

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pour ayder à la ruiner, ce qui est cause qu’il ne
s’en veut point seruir. Ce qu’il a declaré à sa
Majesté Catholique, & qui a approuué son intention,
n’estant bien content que ses subjets
Espagnols naturels soiẽt emploiez à la guerre
contre les François.

 

Auec l’Armée de Monsieur le Duc de
Guyse se doiuent ioindre partie de celle
de Monsieur le Prince de Conty, & que le
Colonel Balthasar-la-Commanderie, pour
venir ensemble joindre l’armée de Messieurs
les Princes, veu que la guerre ne se continuë
pas en Guyenne comme auparauant, apres le
partement du Comte de Harcourt pour aller
à Brissac Monsieur le Prince de Conty est le
plus souuent à Bordeaux aupres Madame la
Princesse sa belle-sœur, & le Duc d’Anguien
son Nepueu. Pour l’armée du Comte de Harcourt
elle ne fait pas grand progrez, sous la
conduite du Marquis de sainct Luc, plusieurs
soldats s’estoient allez rendre cy-deuant à
l’armée nauale du Duc de Vendosme pendant
la guerre qu’il faisoit au Comte Dugnon, qui
est à present terminée sous pretexte de conduire
cette armée nauale au secours de Dunquerque,
laquelle n’a eu le temps d’y aller auant
sa prise.

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Cette armée de Monsieur le Duc de Guyse
lors qu’elle sera iointe à celle de Messieurs
les Princes, la sera monter à pres de trente mil
hõmes, celle de Monsieur de Guyse est composée
de quinze cents cheuaux, & de trois à
quatre mille hommes de pied, auec six canõs,
sans y comprendre les volõtaires du païs, qui
l’ont tousiours suiuy depuis son retour en
France : cette grande armée obligera les Mazarins
à la Paix, pour n’auoir assez de forces
pour continuer la guerre, ny argent pour la
faire subsister.

Ains la crainte d’vne guerre estrangere
dont la France est menacée du costé d’Angleterre,
les Anglois voulant se seruir de nostre
guerre ciuile pour en profiter, sçachant bien
que nous ne sommes pas en estat de leuer de
grandes armées pour leur opposer ; si ce n’est
lors que la Paix sera establie au Royaume, &
que les forces du Roy espanduës en tant d’endroits
se pourroient vnir pour leur resister en
cas qu’ils missent pied à terre, où ils ont tousiours
esté battus par les François, & ne pouuant
auoir aucun aduantage que sur la mer,
où ils sont puissans en vaisseaux & nombre de
Matelots.

Le Cardinal Mazarin, qui en deux fois

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vingt quatre heures a nouuelles de tout ce
qui se passe en France, semble n’auoir l’esprit
porté à la Paix, non plus que le Conseil qu’il a
donné au Roy, & est plus enclin à continuer la
guerre qu’à conclure la paix qu’il croit luy
estre preiudiciable & à ses adherans, qui ne se
trouueroient asseurez en France si la guerre
estoit finie, & les Arrests donnez contre eux
executez, comme il arriueroit par le changement
qu’il se feroit aux Conseils du Roy, au
lieu des Ministres estrangers qu’il y entretient
pour y fomenter ses mauuaises intentions qui
tendent tousiours à la ruyne du Royaume, de
ses peuples, & singulierement de la ruyne de
Paris, contre laquelle il a vne auersion incroyable
à laquelle il ne veut point demordre
tant qu’il aura moyen de luy nuire, & qu’il
aura la quantité d’adherans qui embrassent
passionnément son party sans se cacher.

 

Ce Cardinal ne s’est pas retiré hors de
France pour n’y plus retourner, puis qu’il fait
tout son possible pour leuer vne armée capable
de le ramener encores les armes à la
main, comme il fit l’an dernier : mais il a peine
de trouuer des soldats en Allemagne qui y
sont rares, & à present que la paix y est establie,
les vns estans allez seruir le Roy d’Espagne

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en Flandres & en Italie, autres sont venus
en France dans l’armée que l’Archiduc Leopolde
a enuoyée à Messieurs les Princes pour
n’auoir point d’occupation en Allemagne, autres
sont allez en l’armée Venitienne contre
le Turc, tellement que le Cardinal Mazarin
n’en peut leuer qu’au pays du Liege, pour
quoy faire il faut du temps : & comme l’armée
de Messieurs les Princes est forte & puissante
quand il auroit leué cinq ou six mille
hommes cela ne pourra pas suffire pour les
combattre, de maniere qu’il est à croire qu’il
se trouuera bien empesché d’auoir vne armée
pour reuenir en France, car à moins que d’estre
puissant les François ne le souffriront plus
pour les maux & les mal-heurs qu’il a causez
par la guerre ciuile qu’il y a allumée en telle
sorte, que de six ans la France ne se pourra remettre,
veu l’estat miserable où il la mise par
sa tyrannie qui luy a acquis la hayne publique
non seulement des François, mais de toute la
Chrestienté, qui le tient pour ennemy & perturbateur
du repos public, comme ayãt tousiours
empesché la conclusion de la Paix generale,
qui est vniuersellement desirée depuis
vn si long-temps que la guerre se continüe en

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France, en Allemagne, en Italie, en Espagne,
en Flandres, & autres pays de l’Europe.

 

L’on a sceu par les dernieres Lettres, que
l’armée de Monsieur le Duc de Guyse doit arriuer
vers Orleans dans deux iours, qui sont
desià expirez ; elle loge en sa marche en diuers
bourgs, afin de n’estre à la charge des habitans
des lieux où elle passe, & paye par tout
ce qu’elle prend selon l’ordre qui est donné
pour cét effet.

Cette armée n’a rencontré aucunes trouppes
par les pays où elle a esté qui luy peust resister,
d’autant que tous les gens de guerre
que les Mazarins y auoient en estoient partis
pour aller ioindre le gros de l’armée qu’ils
font pour marcher contre celle de Messieurs
les Princes, suiuant l’ordre expres qu’ils en auoient,
ce qui est cause que celles de Monsieur
le Duc de Guyse n’ont rencontré personne
qui s’opposast à leur marche.

Pour la personne dudit sieur Duc, il vient à
Paris accompagné de quelques siens Gentilshommes
de sa Maison par d’autres chemins,
& y doit arriuer dans deux ou trois iours,
quantité de Noblesse de ses amis ont monté à
cheual pour luy aller au deuant.

Son armée ira joindre celle de Messieurs les

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Princes, dans laquelle il aura le commandement
sur partie d’icelle lors qu’il y sera
arriué.

 

On espere d’vne si belle armée les effects qui
obligeront les conseils Mazarins d’entendre à
la Paix, ou de continüer la guerre en cas qu’ils
ne changent de dessein : & le Roy d’Espagne
ne donne les forces & ne contribüe de ses finances
pour l’entretenement de ces deux armées
de Messieurs les Princes, & de Monsieur
le Duc de Guyse, que pour paruenir à la Paix
generale entre les deux Couronnes.

On mande de Bordeaux, que les habitans
sçachant que les Espagnols nouuellement venus
d’Espagne, & que Monsieur le Duc de
Guyse a laissez dans Bourg, y faisoient construire
des Forts pour-leur asseurance, & que
cela empescheroit leur commerce & l’abord
des marchandises à Bordeaux, estoient resolus
de l’empescher, & de sortir auec les armes
pour cét effet. Mais Monsieur le Duc de Guyse
a asseuré le Parlemẽt & le Corps de la Ville
qu’ils ne receuroient aucune incommodité de
ces Espagnols, & qu’ils ne feroient rien qui
empeschast leur commerce, l’enuoy & l’abord
de leurs marchandises, & qu’ils obserueroient
exactement les ordres qu’il leur a

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donnez lors qu’il est party d’auec eux, ce qui
a contenté les Bordelois, qui ont toute fiance
en sa parole, qu’il fera toujours executer à leur
contentement en recognoissance de l’honneur
qu’il a receu d’eux à son arriuée à Bordeaux,
ce qui l’a obligé de conseruer leur amitié
en toutes occasions où il auroit moyen de
leur tesmoigner la bonne volonté qu’il a pour
eux.

 

FIN.

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