Anonyme [1652 [?]], SECONDE PARTIE DV POLITIQVE VNIVERSEL, OV BRIEVE ET ABSOLVE DECISION de toutes les questions d’Estat les plus importantes. SCAVOIR EST, VIII. S’il y doit auoir vn premier Ministre d’Estat. IX. Si tous les Ministres d’Estat ne doiuent pas auoir vne égale puissance. X. Si les Princes, l’Estat, & les peuples peuuent estre pis ou mieux, dans cette egalité de Mnistres (sic). XI. Si l’on doit receuoir vn estranger dans le Ministere. XII. Si l’on doit souffrir qu’vn seul Ministre gouuerne tous les affaires de France. , françaisRéférence RIM : M0_2818. Cote locale : B_17_31.
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SECONDE PARTIE
DV
POLITIQVE
VNIVERSEL,
OV BRIEVE ET ABSOLVE DECISION
de toutes les questions d’Estat les plus
importantes.

SCAVOIR EST,

VIII. S’il y doit auoir vn premier Ministre d’Estat.

IX. Si tous les Ministres d’Estat ne doiuent pas auoir vne égale
puissance.

X. Si les Princes, l’Estat, & les peuples peuuent estre pis ou
mieux, dans cette egalité de Mnistres.

XI. Si l’on doit receuoir vn estranger dans le Ministere.

XII. Si l’on doit souffrir qu’vn seul Ministre gouuerne tous les
affaires de France.

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AV LECTEVR.

CHer Lecteur, si i’apprends que cette
Seconde Partie du Politique Vniuersel
vous soit aussi agreable que la premiere,
ie vous promets de vous faire voir bien tost
le reste. Adieu.

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SECONDE PARTIE
DV
POLITIQVE
VNIVERSEL.
QVESTION HVICTISEME.

Sçauoir s’il y doit auoir vn premier Ministre
d’Estat dans le Conseil du Prince.

QVand les Princes ne se veulent pas
rendre odieux à tous les peuples de
la terre, il faut qu’ils gouuernent leurs
Estats, de la mesme sorte que Dieu gouuerne
toutes les parties de ce grand Vniuers, & qu’il
dispose de ceux qui sont faits pour luy ayder à
supporter la pesanteur de l’Estat, ainsi que cét
adorable Seigneur dispose de ses creatures.
Nous voyons le Ciel, l’air, la terre, l’eau & le
feu, faire parfaitement bien & auec vne inuiolable
fidelité, ce à quoy ils sont destinez. Le
Ciel ne reçoit l’ordre de ses reuolutions que de

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ce Principe Vniuersel, l’air ne se meut que selon
la volonté de cette independante vertu, la
terre ne reçoit point de commandement que
de son infinie bonté, l’eau ne se meut que selon
son bon plaisir, & le feu n’agit iamais sur
quoy que ce soit qu’apres que cét adorable autheur
de tout l’estre crée, luy a donné la commission
de ce faire. Nous voyons bien qu’ils
s’humilient tous aux inuiolables decrets de
leur Souuerain : mais nous ne voyons pas qu’il
y en ait vn qui se puisse vanter de disposer absolument
des autres.

 

Il ny a personne qui ne sçache bien que la
souueraineté doit regner par tout : mais nous
ne voyons pas deux testes sur vn mesme corps,
ny deux vniuerselles puissances dans toute la
nature. Le Conseil du Prince n’a non plus besoin
de deux chefs que son Estat à besoin de
deux Monarques. Si le Roy donne cette qualité
de premier Ministre d’Estat à quelqu’vn du
Conseil, ie voudrois bien sçauoir si sa Maiesté
doit passer pour le second lors qu’elle y presidera.
Le Roy doit estre s’il me semble le
premier Ministre de son Estat, & par consequent
de son Conseil, puis que Dieu luy a
donné la charge de le conduire selon sa sainte
volonté, & de rendre la iustice à ses peuples.

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L’Eglise qui est vn Estat Monarchique &
Vniuersel n’a que deux Chefs, l’vn éternel Souuerain
indépendant, & l’autre Souuerain dépendant,
& premier Dispensateur, ou pour
mieux dire premier Ministre de toute la Congregation
des fideles. Celuy-cy a quantité d’autres
Ministres sous luy, ie l’aduoüe : Mais il n’y
en a pas vn qui puisse prendre la qualité de
premier Ministre de l’estat Ecclesiastique que
luy seul, ny qui ait droict de pretendre à l’absoluë
administration des affaires que ce veritable
Lieutenant de sa toute puissance. La
France qui n’est qu’vn Estat Monarchique, &
point Vniuersel comme l’autre, n’en doit pas
esperer dauantage. Iesus-Christ comme Chef
de toute principauté, & comme souuerain
Maistre de toutes les autres puissances, est le
veritable Souuerain indépendant de toute
l’estenduë de cét Empire : & le Roy comme
Souuerain dépendant, & premier Dispensateur,
ou pour dire comme nous auons desia dit,
premier Ministre des affaires de cette puissance
indépendante, dans tout le circuit de ce
Royaume, ne doit pas souffrir qu’vne qualité
qu’il tient immediatement de Dieu, & sans
laquelle il ne sçauroit estre ce qu’il est, luy soit
vsurpée par vn faquin, ou par vne de ses creatures.
Il peut bien auoir quantité d’autres Ministres

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au dessous de luy, afin de le soulager
d’vne partie de tant de soins qu’il doit donner
à la conduite de ses affaires : mais il n’y en a
pas vn à qui il doiue laisser prendre vne si eminente
qualité, puis qu’elle n’est deuë qu’à la
puissance Souueraine.

 

Les Iuges & les Magistrats inferieurs, bien
qu’ils soient ordonnez de Dieu aussi bien que
ceux de qui ils dépendent, n’ozeroient auoir
pris la qualité de premiers Ministres des affaires
de ces mesmes luges. Prenez garde à vous
dit saint Paul, parlant aux Euesques, laquelle
doctrine sainct Bernard embellit merueilleusement
bien, en disant, vous vous trompez,
Messieurs, si vous estimez que la souueraine
authorité Apostolique vous appartienne. Mais
si saint Bernard auoit beaucoup de raison de
dire cela à des Prestres qui ne sçauroient estre
au dessous de la souueraine Prestrise en ce qui
est de la puissance qui concerne le Sacrement
du Corps de Iesus Christ, laquelle ne se peut
augmenter ny diminuer en façon quelconque,
nous en auons bien encore plus à dire
de ces petits mirmidons issus de la lie du peuple,
prenez garde à vous, & vous vous trompez
bien, si vous croyez, Messieurs les fauoris,
que cette qualité de premier Ministre d’Estat
vous appartienne, puis qu’elle n’est deuë qu’à

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celuy qui tient le premier rang dans la Monarchie.

 

Il est vray que s’il n’y auoit point d’autre
premier Ministre d’Estat que le Roy, & qu’il
pleust à sa Maiesté de les considerer tous également,
que ce seroit auoir trouué l’art de viure
tousiours en paix, & de donner vn repos
éternel à tous les peuples de France. Le desordre
ne se peut iamais si bien empescher que par
l’égalité des puissances, ainsi que nous le ferons
voir dans la question suiuante.

Aristote veut que le Prince soit le chef de
son Conseil, afin que la passion de ses Senateurs
soit moderée par sa presence, c’est à dire qu’il
en doit estre le premier Ministre, ainsi qu’il
se peut voir au douziéme traité de sa Metaphisique.
Les soixante anciens que Moyse fit assembler
pour gouuerner le peuple, lors qu’il
n’en pouuoit pas bien estre le maistre estoient
tous égaux, & il n’y en auoit pas vn qui se pust
dire estre au dessus des autres. La principauté
d’vn Senat, & la faueur du Prince iointes ensemble,
font vn torrent si prodigieux, que
lors qu’il vient à se deborder, il n’y a rien de
si constant ny de si ferme qui ne soit ébranlé
& le plus souuent entraisné par le moindre effort
de sa violence.

Si les Anges n’eussent pas eu vn premier

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Ministre dans le Conseil de leur Estat Hierarchique,
le desordre ne se seroit pas mis dans
leurs dominations, & la pluspart de leurs principautez
consacrées à la gloire de Dieu, ne se
seroient pas veuës à la mercy des puissances
ennemies, infernales, & diaboliques.

 

Concluons donc apres cela qu’il n’y doit
point auoir vn premier Ministre d’Estat, dans
pas vn de tous les Conseils du Prince, tant ces
monstres denaturez sont pernicieux à toutes
les affaires des hommes.

QVESTION IX.

Sçauoir si tous les Ministres d’Estat ne doiuent
pas auoir vne égale puissance.

IL est vray qu’il n’y a point de gouuernement
dans l’Vniuers qui puisse subsister sans
l’ordre. Les Anges ont des throsnes, des dominations,
des vertus, des principautez & des
puissances. Les hommes ont des Iuges, des
Magistrats, des Gouuerneurs de Prouinces, &
des Monarques. Et les familles particulieres
ont des maistres, des seruiteurs & des seruantes.
Et cét ordre veut que les vns soient superieurs
aux autres. Mais il n’en est pas de mesme
d’vn Conseil d’Estat, où la Congregation des

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suffrages ne se fait que pour auoir vne égale
liberté d’opiner sur les matieres que l’on met
en deliberation pour la necessité des affaires.
Tout l’ordre que cette assemblée requiert, c’est
que chacun y soit placé selon sa condition,
que celuy qui doit parler apres ne parle pas deuant,
& que l’on y garde le respect que l’on
doit à ceux qui sont plus que les autres. Le sujet
pourquoy on s’assemble, n’a que faire du
rang ny des dignitez des personnes qui sont assemblées,
& si la liberté du sentiment du dernier
Ministre auoit du respect pour la liberté
du sentiment de celuy qui seroit au dessus, il se
trouueroit à la fin que toutes leurs assemblées
seroient innutiles au Souuerain, & que le salut
du peuple & de l’Estat courroit grand risque.

 

Il faut que le premier ne possede cette dignité
que par l’ordre de la reception, s’il n’y est
appellé qu’en qualité de Ministre, ou si le sang
ne luy donne quelque preference au dessus des
autres : car quand il est esleué à ce rang par la
faueur du Prince, il abuse de l’authorité du Souuerain ;
& & par presens ou par menaces, il forme
tous les suffrages de ses confreres à sa deuotion,
& se rend par ce moyen là, maistre absolu
de tous les affaires de la Couronne, qui est
ce qui perd les Estats, & qui ruine tous les
peuples.

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Il n’y a rien au monde qui puisse donner vne
si belle harmonie au suffrages des Ministres
d’Estat, que cette liberté de parler hardiment
sans craindre quoy que ce puisse estre. L’esprit
de celuy qui n’a nulle apprehension de dire ses
sentimens, tient toutes les passions des autres
dans leur deuoir, & les force malgré qu’il en
ayent à ne songer qu’au bien de l’Estat, ou par
emulation ou par crainte.

La puissance absolue de faire toutes les choses
à sa volonté, est tres dangereuse en la personne
d’vn Ministre, elle n’a bonne grace qu’ẽtre
les mains de Dieu, qui seul sçait agir sans
passion, & auec vne iustice qui n’est point suiette
aux deréglemens de la nature humaine.
C’est vne preuoyance eternel & infinie qui ne
se sçauroit deceuoir, & qui penestre iusques au
fin fonds des intentions les plus misterieuses
de toutes les choses creées. Il est vray que les
Rois, en qualité de ses veritables Lieutenans
icy bas parmy nous, & en qualité de ses viuantes
images, doiuent auoir quelque parcelle de
cette puissance absoluë, afin de se faire valoit
par dessus le reste des hommes, selon la volonté
de celuy qui les a constituez en sa place ; d’où
vient que tous les plus grands Politiques de
l’Vniuers n’ont iamais sceu comprendre vn
gouuernement plus parfait que le Monarchique ;

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parce qu’il est le seul tiré apres le naturel,
d’vn Original infaillible : Mais il n’en est pas
de mesme des Ministres qu’vn souuerain doit
tenir tous également dans vne esgalle puissance ;
parce qu’il se rencontre tousiours quelque
conflit de qualitez entre des sujets, égallement
soubmis, quand il s’y en trouue quelqu’vn qui
veut suppediter les autres. C’est d’où naissent
tous les desordres de la nature, & qu’il fait fort
mauuais prendre pour exemple dans le Conseil
souuerain, si l’on ne veut mettre tous ses affaires
en desordre. C’est pourquoy cette prouidence
infinie qui fait regner l’ordre dans toutes
les parties qui composent ce grand tout, a
voulu separer les élemens l’vn d’auec l’autre, en
leur donnant vne égalité de puissances, afin
que malgré la grandeur de leurs cõtraires qualitez,
ils se trouuassent en estat de gouuerner
les affaires de l’Vniuers sans aucun desordre.

 

La raison de cecy en est tres belle & tres excellente :
c’est que dans la diuision de la puissance,
la discorde ne manque pas de si trouuer ;
& c’est la ruine de toutes les choses ; car comme
l’amour & la sympatie sont les causes qui
produisent tous les estres du monde, ainsi la
haine & les antipathies sont les causes qui desolent
& qui detruisent toutes les choses de la terre.
C’est pourquoy cette Deesse que Iupiter

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chassa du Ciel, à cause qu’elle y semoit tousiours
quelques desordres, & qui ietta cette fatalle
pomme de diuision qui causa la ruine de
Troye, ne doit iamais entrer dans les Conseils
des Souuerains pour y semer de la diuision,
dans l’égalité des puissances de leurs Ministres ;
parce qu’il n’en peut iamais arriuer que du desordre
dans les Estats, & du malheur dans les
Monarchies.

 

Si nous deuons estre tous vnis en Iesus-Christ,
pour bien conduire les affaires de cet estat passager,
comme dit fort bien l’Apostre, que ne
doiuent pas estre les Ministres du Souuerain
pour bien conduire les affaires de la Monarchie.
Et si l’on se peut seruir des exemples Sacrez
dans des discours profanes, sans offencer
Dieu, ne voyons nous pas en la sainte & sacrée
Trinité, trois personnes tellement distinctes
l’vne de l’autre, que le Pere n’est pas le Fils,
ny le Fils le S. Esprit, ny le S. Esprit le Fils ny le
Pere, & neantmoins ces trois Personnes sont
tellement egales en puissance, que l’vne ne
scauroit rien faire sans l’autre. Le Pere n’est
pas plus puissant que le Fils, le Fils que le S.
Esprit, & le S. Esprit ne l’est pas moins que le
Fils ny que le Pere. La diuision ne se met iamais
que dans l’inegalité des puissances, & là
où il y a distinction de pouuoir, là il y a distinction

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de volonté, parce que la volonté ne se
forme iamais que sur la nature de la puissance.

 

La puissance d’agir pour le salut de l’Estat, est
donnée à tous les Ministres en general, qui est
iustement ce en quoy consiste le gouuernemẽt
Aristocratique. Et cela se iuge en partie par la
lumiere naturelle, veu que plusieurs esprits iugent
& conçoiuent mieux vne chose qu’vn seul
ne sçauroit pas faire. Iamais vn seul n’a possedé
toutes les graces que Dieu ou la nature
communiquent au reste des hommes, de peur
qu’il n’en abusast ou qu’il ne se glorifiast trop
en soy-mesmes. L’esprit des Prophetes est
sujet aux Prophetes, & ce qui touche vniuersellement
tous ceux qui sont dans le Conseil,
doit estre vniuersellement approuué de tous
les autres, attendu qu’vn homme seul, quelque
parfait qu’il puisse estre, est tousiours enuironnné
d’infirmitez, & par consequent il
peut estre trompé & se deceuoir en ses sentimens,
s’il ne donne vne parfaite liberté aux
suffrages de ses confreres & qu’il les veille
contraindre à consentir à tout ce qu’il desire.
Et certes comme le Seigneur a voulu que toute
l’Eglise son espouse fût regie par vn Conseil
Aristocratique, afin que les Pontifes Romains
& les autres Prelats ne decernassent aucune
chose de consequence de leur teste ; le mesme

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Seigneur a voulu aussi que le Roy ne fist rien
de son propre mouuement, & qu’il consultast
des gens tres vertueux & tres entendus aux affaires,
afin qu’il ne tombast pas dans le precipice
ou tomba Roboam pour auoir suiuy le
conseil des ieunes. S’il l’a voulu ainsi pour les
Papes & pour les Roys, vous pouuez bien penser
s’il voudra qu’vn Ministre d’Estat fasse tous
les affaires du souuerain à sa fantaisie, qui est
vne action tres pernicieuse à la Majesté du
Roy & au bien de tous les peuples, selon la
doctrine du sage qui ne veut pas que personne
du monde se confie en sa prudence. malediction
sur tous ceux qui sont sages en leurs
yeux, & qui sont prudens en eux mesmes, dit
le Prophete Esaye : & par consequent malediction
sur tous les premiers Ministres d’Estat
qui ne veulent pas laisser leurs Confreres dans
vne pleine & entiere liberté de leurs suffrages ;
& melediction à tous ceux qui trahiront leurs
sentimens, leur deuoir, leur Roy, & leur patrie
pour complaire à ce premier Ministre.

 

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QVESTION. X.

Sçauoir si les Princes, l’Estat, & les peuples
sont pis ou mieux dans cette égalité
de Ministres.

ME demander si les Princes, l’Estat, &
les peuples sont mieux dans cette égalité
de Ministres apres auoir soustenu qu’il ny
doit pas auoir vn premier Ministre d’Estat, &
que le Souuerain les doit tenir tous dans vne
égale puissance, c’est me demander la raison
pourquoy i’ay dit ce que ie viens de dire. La
fin de ce que l’on fait, & le bien que l’on en
espere, sont si voisins, qu’ils sont bien souuent
pris l’vn pour l’autre, quoy qu’à la rigueur
ils conseruent entr’eux vne difference
formelle ; c’est à dire vne deffinition distincte
& particuliere aussi bien qu’vne conception
differente.

Le bien entant que bien est consideré par
la raison de sa conuenance ; & cette consideration
est autre que celle de la fin, laquelle
comme telle & considerée precisement en
son estre, se conserue à nostre esgard vne certaine
relation dont elle est le terme & le but,

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sous le titre & la qualité de cause finale.

 

Leur diffinition est encore distincte, parce
que le bien est ce propremẽt qui est conuenable
à la personne qui le desire, & la fin est ce
pourquoy i’ay dit ce que i’ay dit, & ce pourquoy
ie dis & soustiens encore de plus que les
Princes, l’Estat & les peuples en seroient beaucoup
mieux, s’il n’y auoit iamais dans le Conseil
du Roy vn premier Ministre d’Estat, & si
sa Maiesté les tenoit également tous dans vne
égle puissance, parce que nous serions également
tous par ce moyen là dans vne eternelle
tranquilité publique.

Toute cette difference ne procede que de
l’aplication du suiet & du regard auec lequel
on le consideré, puis qu’vne mesme chose
peut-estre ditte conuenable, entant qu’elle
nous est appliquée, & souhaitable entant
qu’elle est la butte de nos desirs.

Bref, la fin est ce proprement qui donne
le premier bransle à l’ouurier pour agir & pour
produire quelque chose. C’est elle qui me
met la plume à la main, & qui me fait dire que
s’il n’y auoit point de premier Ministre d’Estat
dans le Conseil du Roy, que le Prince, l’Estat,
& le peuple en seroient beaucoup mieux, par
ce que n’y ayant point de premier Ministre
d’Estat, il n’y auroit point de voleur des thresors

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publics, il n’y auroit point de guerres en
France qui causent tant de malheurs aux François :
Le commerce iroit par tout : & tout l’or
& l’argent du Royaume n’auroit pas esté transporté
à Rome, à Venise, à Amsterdam, à Lucques
& à Gennes. Voyez apres cela si tout le
monde en seroit pis ou mieux, si tous les Conseillers
d’Estat estoient aussi puissant l’vn que
l’autre dans le Conseil, & s’il n’y auoit point de
premier Ministre.

 

Le bien public est vne chose si douce, si aymable,
& si vtile à toute sorte de personnes, de
quelque cõdition & de quelque qualité qu’elles
puissent estre, que si les hommes le consideroient
comme il doit estre consideré, ie ne croy
pas qu’ils ne demeurassent tousiours parfaitement
bien vnis, pour ne pas iamais souffrir vn
premier Ministre d’Estat, où pour mieux dire
vn premier tyran qui en fait subsister vn nombre
infiny dans l’Estat, pour se maintenir, &
pour tirer iusques à la moelle des os de tous les
pauures peuples.

Le bien est l’objet de tous nos desirs, & ce
qui est recherché d’vn chacun auec des passions
incroyables, tout le monde expose ses biens,
son honneur, & sa vie pour l’acquerir : mais le
malheur est pour eux, qu’ils ne sçauent pas bien
connoistre les moyens qu’il faut tenir pour l’auoir,

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ou si quelques vns le sçauent ils ne sont
pas creus de ceux qui ne le sçauent pas, & le
grand nombre des ignorans & des passionnez
l’emporte sur l’esprit des autres. Nous sommes
nous mesmes les artisans de nostre propre malheur,
faute d’escouter ceux qui sçauent quelque
chose plus que nous, & faute de vouloir
appliquer vn veritable remede à tous les maux
qu’vn seul Ministre nous cause. On arme pour
faire fuïr vn homme qui s’est rendu maistre
absolu de tout le gouuernement de l’Estat ; qui
a la personne du Roy & de la Reyne à sa deuotion,
qui a tout l’or & l’argent de France en son
pouuoir, qui se sert du nom & de l’Authorité
du Roy, comme s’il estoit le veritable souuerain :
en vn mot qui peut resister à toutes les puissances
de l’Europe : ou qui perdra absolument l’Estat
deuant qu’on le puisse perdre : on fait du
bruit pour l’obliger à prendre garde à luy, & à
se meffier de toute sorte de personnes : & en ce
faisant nous faisons son salut & la perte generale
de l’Estat & du peuple. Et quand vn esprit
clair-voyant disoit qu’il n’estoit pas necessaire
d’armer pour cela qu’on ruineroit toute la
France & qu’on n’en viendroit pas iamais à
bout, que nous nous mettions nous mesmes
dans le precipice où cét ennemy commun de
Dieu & des hommes auoit dessein de nous ietter ;

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& qu’il y faloit proceder par vne autre voye
bien plus aisée & bien plus asseurée, & à laquelle
on ne perdroit pas ny vn homme ny vn sol,
ny le trafic, ny le commerce, bien loin d’y perdre
la vie, le repos, vne partie de l’Estat & tout
ce que nous auions conquis autrefois sur les
ennemis de cette Couronne, c’estoit vn Mazarin
bien fait, c’estoit vn espion reuestu, c’estoit
vn homme qu’il faloit exposer à la mercy du
public, ou du moins vn homme qu’il faloit lapider
à l’heure mesme sur la place. Suffit que
peut-estre apres cela, Dieu nous fera la grace
de dessiller vne autrefois les yeux vn peu mieux
que nous n’auons pas fait à nos affaires. Il ne
faut iamais menacer vn homme qu’on à dessein
de perdre, & les rodomontades n’ont iamais
bonne grace qu’apres que le coup est fait,
pour n’en pas faire de tres inutiles. Il est vray
qu’vn coup fait à la sourdine, nous feroit bien
voir si les Princes, l’Estat, & les peuples sont
pis ou mieux, apres que nous aurions mis tous
les autres Ministres d’Estat dans vne égale puissance.

 

Mais ce que ie dis presentement dans ce petit
libelle, ne sont que des paroles, il en faudroit
venir à l’effet pour voir si i’auois raison &
pour sçauoir si l’on me deuoit croire : neantmoins
nous voyons bien que puis que tous les

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maux que nous auons, nous viennent Dieu-mercy
à luy, que s’il n’estoit pas, & qu’il ny
en eut point vn autre à sa place (c’est à dire<lb/> qu’il ny eût point de premier Ministre d’Estat,
& que tous ceux que nous auons fussent dans
vne égale puissance : enfin qu’il n’y en eût pas
vn qui osast faire le premier mobile pour entrainer
tous les autres par la rapidité de son
ambition demesureé à faire tout ce qu’il luy
plaist) que toute la France seroit en paix, &
que tous les François viuroient auec autant de
satisfaction que nostre premier pere viuoit
dans son Paradis Terrestre auant qu’il se fust
soûmis aux volontez de la femme, plustost
qu’aux persuasions du Diable.

 

Il faut que les Roys ayent tousiours aupres
de leur personne vn Conseil de Ministres d’vne
égale puissance pour euiter tous ces desordres,
par le moyen duquel ils puissent decider
tous les affaires de leurs Monarchies sans passion :
car il n’est rien de plus pernicieux en vn
Estat qu’vn premier Ministre qui se rend
maistre absolu de tous les affaires ; parce qu’il
ne regarde en les faisant que ses propres interests,
& le moyen d’auancer sa maison, ses parens,
& ceux qui tiennent la main à son ambition
demesurée, au preiudice du Roy, de l’Estat,
& du peuple. Il n’est point d’Empire qu’ils

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ne renuersent ou qu’ils ne ruinent pour se satisfaire.

 

Aristote dit en ses Politiques que les bons
Conseillers font les bons regnes. Agamemnon
Roy d’Argos & de Mycenes, & souuerain
Chef de l’armée des Troyens, ne demandoit
aux Dieux que dix Conseillers, comme Nestor
fils de Cloris & de Neliée, pour venir à bout
de toutes ses entreprises, sçachant bien combien
vn conseil donné à propos par des Ministres
des interessez est vtile au Roy & à son peuple.
Appuyons maintenant nostre proposition
des authoritez de l’Ecriture sainte.

Moyse ce grand Prophete, & admirable Legislateur
de la nation Hebraïque, comme il se
plaignoit à Dieu de ce qu’il ne pouuoit pas
bien gouuerner cette multitude de peuple que
son adorable Maiesté luy auoit donné à conduire,
pour le murmure & les seditions desquelles
il vsoit continuellement enuers luy, il
luy fut commandé par ce Souuerain Seigneur,
d’assembler soixante hommes des plus anciens
& des plus gens de bien de tous ceux de sa nation,
afin qu’ils portassent mutuellement autant
l’vn que l’autre la charge de toutes les affaires.
Vous voyez bien par là qu’il ne luy dit
pas, tu prendras vn Ministre estranger qui gouuernera
seul : qui s’emparera de ton authorité,

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qui sucçera tes peuples iusques au sang, qui
chassera les enfans de la maison : qui vous accablera
de guerres ciuiles & de guerres estrangeres :
qui disposera des affaires à son profit, &
selon sa passion & qui ruinera absolument toute
la Monarchie. Theopompe Roy de Sparte
crea certains Ministres d’Estat, à qui il donna
vne égale authorité de controller tout ce qui
se passeroit dans l’administration des affaires,
afin de conseruer par ce moyen-là, & le bien
de ses Estats, & le bien de ses peuples, dont il
se trouua fort bien & tous ceux qui vinrent
apres luy à la succession de la Couronne. Assuerus
esleut les plus Sages de tout son Empire,
afin d’ordonner des affaires sans passion, &
auec iustice. Romulus premier Fondateur de
Rome connoissant auec quelle difficulté vn
homme seul pouuoit administrer le gouuernement
de sa Monarchie, institua cent Senateurs
des plus sages & des plus anciens de toute sa
Monarchie, afin d’auoir le soin de tout
ce qui se passeroit en toute l’estenduë de son
Empire.

 

Et ce qui est important à remarquer apres
tout cela, c’est qu’il n’y en a pas vn de tous ceux
que nous venons de nommer, qui ne se soit
parfaitement bien trouué de s’estre estably vn
Conseil des plus anciens & des plus gens de

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bien de tous ces Estats, à qui les vns & les autres
ont donne vne égale puissance d’opiner, &
de faire ce qu’ils iugeoient à propos, pour le
bien de leurs affaires. Mais aussi il ne s’y en
trouuoit pas vn qui eut failly, qu’à mesme
temps il ne fust pris pour seruir d’exemple à
tous les autres. Bien payez & bien honorez en
bien faisant : Mais bien punis en faisant le contraire.

 

Si tost qu’vn Ministre d’Estat se veut piquer
de suppediter les autres, il se rend à mesme
temps suspect, & par consequent digne de punition,
& indigne de sa charge. Qui ne se contente
pas d’estre égal aux autres, merite d’estre
fait le plus petit, & d’estre humilié auec outrage,
selon qu’il est porté par les decrets de la parole
éternelle. Ceux qui ne font que suiure
l’impetuosité de leurs desirs effrenez, doiuent
estre bannis de la conuersation des hommes.
Aristote dit que le conseil de ces gens là nous
doit estre suspect, & qu’il faut bien prendre
garde à leur procedure.

Quand tous les Ministres d’vn Estat sont
également considerez du Souuerain, & que ce
Souuerain les maintient dans vne égale puissance ;
cette égalité de pouuoir sert de contrepoids,
de niueau, & d’équilibre à toutes les
actions des vns & des autres : ainsi le pouuoir

-- 24 --

de l’vn modere le pouuoir de l’autre ; & le plus
meschant d’entr’eux sçachant bien que pour
tenter à ses mauuaises entreprises, il luy faudroit
essuyer la correction, l’examen, & le refus
d’vn grand nombre de fideles & de clairvoyans,
dont le moindre est aussi puissant qu’il
sçauroit estre, & qu’il courroit risque de son
bien, de sa vie, & de son honneur, si son intention
venoit à estre découuerte, tasche de se tenir
dans son deuoir malgré qu’il en ait par la
crainte du supplice.

 

Au contraire d’vn premier Ministre d’Estat,
qui se voyant maistre absolu de toute l’authorité
Royale, & par consequent à couuert de
toutes les reprehensions de la iustice, s’emporte
comme vn torrent débordé, à faire tout ce
que bon luy semble, sans considerer s’il y va de
la perte de l’Estat & de l’entiere ruine de tous
les peuples. Ce qui nous fait bien voir que le
Monarque, la Monarchie, & les subjets sont
bien mieux dans cette égalité des Ministres.

-- 25 --

QVESTION XI.

Sçauoir si l’on doit receuoir vn Estranger
dans le Ministere.

IL n’est point de loy establies pour la conseruation
des Estats, qu’elles ne soient à
ces mesmes Estats, ce que les fondemens d’vn
bastiment sont à ce mesme edifice. Quand les
pilotis sur lesquels cét edifice est construit
viennent à faillir, il faut de necessité necessitante
que cét edifice renuerse. Il en est de
mesmes d’vn Estat. Quand les loix fondamentales
sur lesquelles cét Estat est appuyé viennent
à se renuerser par le mespris que l’on en
fait, il faut pareillement aussi que ce mesme
Estat renuerse.

Ce sont des consequences de necessité, contre
lesquelles il n’y a point de negatiue à faire.
Et l’vne des principales loix fondamentales de
cét Estat est qu’on ne receura iamais aucun
estranger dans le ministere des affaires de cette
Couronne. Ce qui a est é confirmé plusieurs
fois par des Arrests du Parlement, en vertu
desquels la Cour a declaré & declare toute sorte
d’estrangers, incapables de tenir Offices
Benefices, honneurs, dignitez, Gouuernements,

-- 26 --

& Capitaineries en ce Royaume. L’vn
& l’autre se conformant aux volontez de Dieu,
quand il dit parlant par la bouche du sage, ne
transfere point aux estrangers les honneurs
qui te sont deubs, & ne commets point les
iours à l’homme cruel, de crainte que les
estrangers ne se fortifient de tes forces, & que
le fruit de tes trauaux ne passe dans vne maison
estrangere.

 

N’est-ce pas la dire clairement & nettement
que l’on ne doit pas receuoir aucun estranger
dans le Ministere, de quelque sang & de quelque
condition qu’il puisse estre. Il me semble
que ces loix diuines & humaines en parlant
contre les estrangeres, ne depeignent pas mal
Mazarin, & vous direz quelles ont esté faites
iustement pour luy, tant elles deschifrent l’humeur
& la condition de l’homme. Il est estranger
puis qu’il est ne Sicilien subiet du Roy
d’Espagne, & ennemy iuré de cette Monarchie,
aussi bien que les parens dont il se dit
estre issu l’estoient de leur païs, puis que Alaine
Leontin homme de iustice, Macharde sa
femme Dinolphe, Iean Mazarin ses neueus &
plusieurs autres de leur cabale, furent mis
dans des sacs, & iettez du haut d’vne tour dans
la mer, pour auoir conspiré contre la vie de
leur Roy, & contre leur propre patrie : il est

-- 27 --

Ministre d’Estat, puis qu’il gouuerne tous les
affaires de France à sa mode, c’est-à-dire en ruinant
le Roy, l’Estat & le peuple : Il est Beneficier
puis qu’il a plus de trois cens mille liures
de rente en bons Benefices sans dire iamais
son breuiaire : il tient les Offices, les honneurs,
les dignitez, les Gouuernemens, & les
Capitaineries de ce Royaume, puis qu’il en
dispose comme il luy plaist & en faueur de qui
bon luy semble : il est cet homme cruel dont
par le l’Escriture à qui nous auons commis nos
iours, & qui nous cause tous les malheurs que
nous auons en France : il est ce tyran qui s’est
fortifié de nos propres forces pour nous accabler
de toute sorte de calamitez & pour nous
faire la guerre : & finalement il est celuy là qui
fait passer le fruit de tous nos trauaux dans vne
maison estrangere qui est la sienne, puis qu’il
s’approprie tout ce que nous auons & tout ce
que nous sçaurions faire.

 

Voyez de grace apres cela, si les loix fondamentales
de l’Estat, si les Arrests du Parlement :
& si la veritable parole de Dieu s’adressent
à luy en s’adressant à tous les estrangers de
la terre. Si les estrangers estoient separez du
peuple d’Israël qui estoit le peuple de Dieu,
selon la loy de cét adorable Legislateur, dont
les loix doiuent estre dans vne eternelle veneration

-- 28 --

à toute sorte de personnes, pourquoy
ne le seront-ils pas des François selon les loix
diuines & selon les loix humaines ; puis que ce
sont les premiers peuples de la terre qui se sont
ouuertement declarez pour la foy de Iesus-Christ,
& qui ont pieusement embrassé la
Croix & fait profession de l’Euangile. Tous
les biens faits que les estrangers doiuent esperer
de nous s’ils n’ont pas moyen de viure de
leur vacation, où de s’entretenir de leurs rentes,
c’est d’auoir par charité, le residu de la
moisson & de la vendange conionctement
auec les vefues & les pupilles, selon les sentimens
de cét adorable Legislateur que Dieu
auoit choisi pour faire entendre ses volontez
au reste des hommes, qui est vne condition
bien esloignée de celle de premier Ministre
d’Estat d’vne Monarchie telle que la nostre.

 

La loy Salique est trop iuste pour estre mespriée,
& trop bien connuë pour estre reuoquée
en doute ; car qui a t’il de plus funeste à
vn Estat que d’éleuer vn estranger issu de la lie
du peuple au gouuernemẽt absolu du Royaume,
principalement quand il est le plus auare
& le plus ambitieux de tous les hommes de la
terre. C’est aux Princes du Sang & non pas à
vn coquin d’estranger à prendre le soin du
gouuernement de l’Estat, & à donner ordre

-- 29 --

à tous les affaires du Royaume. Si les François
ont toutes les peines du monde à se pouuoir
assuiettir & à leurs naturels Seigneurs, comment
est-ce qu’ils s’assuiettiront à vn estranger
venu de rien & qui veut faire le souuerain absolu,
& le tyran tout ensemble. Ne sçait on
pas bien, ou du moins ne doit-on pas bien sçauoir
que cette loy banit tous les estrangers du
Ministeriat de cette Couronne. Que Dieu,
les Roys, & les peuples le veulent ainsi, & que
la raison entend qu’on leur obeisse. Que la
France a esté plusieurs fois a l’agonie pour n’auoir
pas voulu obseruer ponctuellement ce
qui estoit porté par les Statuts & Ordonnances
de cette Monarchie lamais estranger ne s’est
esleué à la sur-intendence, des affaires de cét
estat, ou par faueur ou par fourberie qui ne
s’en soit mal trouué & qu’il n’en ait eu vne tres
mauuaise issuë La Noblesse François à trop de
cœur, pour s’humilier à des Ministres Estrangers,
à des hommes de neant, & à des sangsuës
publiques.

 

Cette qualité d’estranger est si odieuse, au
affaires de France, que Edoüard, Roy d’Angleterre,
fils de Madame Elisabeth, sœur germaine
de Charles IV. & par consequent neueu
dudit Roy, quoy que plus proche heritier
de la Couronne ne laissa pas d’en estre frustré,

-- 30 --

à cause de cette qualité d’estranger, en vertu
de laquelle toute forte de personnes de quelque
condition qu’elles puissent estre sont declarées
incapables de tenir Offices, Benefices,
honneurs dignitez, Gouuernemens & Capitaineries
en ce Royaume, ainsi que nous venons
presentement de le dire. Ce qui fut cause
que Philippes de Valois fut declaré Roy par
les trois Estats de France. Que ne fit-on pas
en l’an mille cinq cens soixante, contre Messieurs
de Guise pour s’estre emparez du gouuernement
des affaires quoy qu’ils fussent
Princes, parce qu’ils estoient Princes estrangers,
contre qui toute la France s’estoit reuoltée ?

 

L’extrait des Registres du Parlement, contenant
tout ce qui s’est passé pour l’esloignement
de Mazarin, que la Cour a voulu donner
au public, sur la fin du mois d’Auril de l’année
mil six cens cinquante deux, verifie exactement
tout ce que nous venons de dire. Ce fut
pour cela que toutes les Chambres assemblées,
vaquerent auec beaucoup de prudence, de
circonspection, & de formalité au procez d’vn
estranger qui a vsurpé le Ministere, contre les
loix fondamentales de cét Empire. Et si cét
vsurpateur ne se fut pas mis à couuert des attaintes
& des formalitez de la Iustice, en s’emparant

-- 31 --

de toute l’Authorité Royale, on le depossederoit
bien de cette qualité, où il s’est esleué
& où il se maintient auec autant de tyrannie
que d’iniustice. Mais il faut que la force & la
violence fassent ce que les loix & les ordonnances
ne sçauroient faire par les voyes de la Iustice.

 

Mecenas conseilloit Auguste de renuoyer
au Senat les particuliers qui auroient failly :
mais pour ceux qui ont la force à la main &
qui ne veulent pas obeïr aux ordres de la iustice,
ne fais point difficulté, dit-il, de t’en defaire
en quelque maniere que ce puisse estre. La deliberation
faite auec Conseil authorise l’action
& la fait passer pour tres equitable. Les loix &
les formalitez ordinaires ne sont faites que
pour ceux qui se soûmettent à l’équité des loix :
mais non pas pour ceux qui s’en mettent à couuert
par l’authorité du Souuerain ou par la violence
des armes. Si Messieurs de Guyse n’eussent
pas esté si puissans qu’ils estoient sous
Henry II. sous François II. & sous Charles IX.
on ne se seroit pas amusé à obseruer l’ordre de
la iustice, pour se vanger des vexations qu’ils
auoient faites aux peuples de France. Il n’y a
personne au monde qui puisse dire qu’on ait
vsé de beaucoup de formalitez en la punition
du Mareschal d’Ancre. Et si l’on en pouuoit

-- 32 --

venir là, on n’en feroit pas moins à Mazarin
son Compatriote. Les resolutions se doiuent
accommoder à la necessité du temps, & il n’y a
rien tel que de se mettre à couuert des malheurs
dont on nous veut accabler, deuant que
la violence de la tempeste nous entraine.

 

François Guichardin dit en son Histoire,
qu’vn malade ne doit pas estre traité par vn Medecin
auquel il n’a point de creance : ainsi vn
Estat ne doit pas estre gouuerné par vn Ministre
suspect, estranger, & odieux à tous les peuples
de France. tous les pays estrangers sont
indiferens à vn estranger, si quelque grande
fortune ne i’y attache ; c’est pourquoy il ne
sçauroit iamais estre bien affectionné pour vne
[1 mot ill.] estrangere. Il a tousiours plus d’amour
pour sa patrie que pour celle d’vn autre. Il faudroit
estre ennemi mortel du pays où nous
sommes nés, pour n’auoir pas ce sentiment. Et
si nous deuons beaucoup à tout ce qui a contribué
quelque chose du sien en la formation
de l’estre que nous possedons, le pays où nous
naissons, est le plus ancien & le plus priuilegié
de tous les creanciers que nous ayons en ce
monde ; & en cas de concurrence, le droit veut
que tous les autres luy cedent la preeminence.
Ainsi à cause de cette passion que cet estranger
a beaucoup plus pour sa patrie que pour celle

-- 33 --

des autres, il ne cherche qu’à piller l’Estat qu’il
gouuerne, pour s’en retourner à son pays &
quand il void qu’il n’y a plus rien à prendre ; ou
que le Prince & le peuple, dessillant les yeux à
leurs affaires, veulent mettre des bornes à sa demeusurée
intention, il se porte facilement à escouter
les propositions que les ennemis de l’Estat
luy font faire : les escoutant, comme il est
plus porté pour son interest particulier, que
pour l’interest d’vne nation où il void qu’il n’y
a rien à prendre, & qui luy est tout à fait indifferente,
ny ayant ny pere ny mere, ny frere ny
sœurs, ny femme ny enfans, ny possessions ny
heritages, il se porte facillement à la liurer aux
ennemis, afin d’augmẽter les tresors qu’il nous
a volez, de celuy qu’on luy donne pour le recompenser
d’vne si estrange perfidie. Voyez
apres cela si l’on doit donner le gouuernement
des affaires de France à vn Ministre estranger,
& si l’on doit souffrir qu’il exerce la qualité de
Souuerain pour en vser à sa fantaisie ?

 

QVESTION XII.

Sçauoir si l’on doit souffrir qu’vn seul Ministre
gouuerne tous les affaires de France.

IL n’y a pas vne Creature sur la terre, quelque
sçauante qu’elle puisse estre, qui soit capable

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elle seulle, de gouuerner tous les affaires
d’vne Monarchie, principallement dans le
temps où nous sommes où les ambitieux de la
fortune d’autruy, ne sont pas moins entendus
aux misteres des Estats, que ceux qui en ont la
conduitte. Cette qualité de Sur-intendant de
tout ce qui se passe dans vn Empire plein de diuisions
comme le nostre, rencontre peu de sujets
qui en soient dignes : & la vie de l’homme,
quelque consommée qu’elle puisse estre au
maniment des affaires publiques, semble estre
trop courte pour en apprendre seulement la
dixiesme partie. La France qui est le pays du
monde le plus fertille en la production des
hommes de cette science, n’en a pas encore
sceu voir vn qui n’ait eu besoin de secours quãd
il s’est voulu glorieusement acquiter de son ministere.
C’est pourquoy l’on ne deuroit pas
souffrir qu’vne seule personne s’ingerast de
gouuerner tous les affaires de France, & que
toutes choses fussent faites selon sa volonté, au
preiudice de cette pauure Monarchie.

 

C’est vn axiome indubitable, en quel sens
qu’on le puisse prendre, que Dieu & la nature,
designent premierement & immediatement
les graces qu’ils veulent faire aux creatures, à
toutes en general, plustost qu’à quelqu’vne en
particulier, ou pour mieux dire à tout vn corps
plustost qu’à quelque partie de ce corps là,

-- 35 --

quelque noble qu’elle puisse estre, comme
par exemple, la faculté d’agir est donné à tout
l’homme, & non pas au bras seul ; car si les autres
parties n’agissoient pas auec luy, ce bras
seul seroit incapable d’agir pour le biẽ & pour
l’vtilité de tout l’homme. Les yeux luy ont esté
donnez pour voir, la langue pour parler, le nez
pour sentir, les iambes pour marcher, & les
oreilles pour entendre, aux fonctions que le
seul bras ne sçauroit faire en façon quelcõque.

 

Quand Dieu donna la iurisdiction, le gouuernement
& la conduite de son Eglise, il ne
les donna pas à vn homme seul, il les donna immediatement
& essentiellement à tous les Apostres ;
C’est pourquoy il leur dit, que pas vn
de vous ne se glorifie en soy, car toutes choses
sont à l’Eglise, l’Eglise à Iesus-Christ, & Iesus-Christ
à Dieu son Pere. Cet adorable Sauueur
constitua toute l’Eglise Intendante & Architectrite
de toutes les affaires spirituelles des hommes,
& non pas vn seul Ministre, quand il dit
en S. Mathieu, si quelqu’vn peche & qu’il ne
se veüille pas corriger, dis-le à l’Eglise, & outre
cela il institua encore septantes Disciples, ausquels
il donna le mesme pouuoir qu’il auoit
donné aux autres, bien loin de laisser l’administration
de ses affaires à vn homme seul, comme
nous faisons en France. Enfin il n’y a point

-- 36 --

de gouuernement touchant la force coactiue,
qui ne depende du consentemẽt des hommes,
ainsi qu’il est confirmé par la loy Diuine & par
la loy Naturelle, que la longeur des temps, ny
les priuileges des lieux, ny les dignitez des personnes,
ne sçauroient prescrire : & ce la se doit
ainsi, afin qu’homme du monde ne fasse rien
sans le Conseil des autres, principallement en
des affaires où il y va du salut de toute vne Monarchie.
L’intelligence de plusieurs personnes
comprend bien mieux les choses vniuerselles
que celle d’vn homme seul, & Dieu n’a iamais
donné toute la sagesse à vn seul, de peur qu’il
ne s’esleuast apres par-dessus tous les autres.
C’est pourquoy nostre Seigneur montant au
Ciel, ne promet pas l’Esprit de verité à vne seule
personne : mais à tous ceux qui seront de son
Eglise.

 

Aristote dit en ses Politiques, que le gouuernement
Legal doit estre éternellement
preferé à l’Empire absolu d’vne seule personne,
la Loy estant ainsi que Dieu, exẽpte d’amour
& de haine. Les Loix n’ont point de force que
par l’émologation, & ne se confirment que par
l’aprobation de ceux qui s’en seruent, outre
que ie trouue qu’il y a vne grande difference
entre le Seigneur & l’Oeconome, ou pour
mieux dire, entre le Roy & le Ministre. Et si

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l’authorité de decreter & de gouuerner tous les
affaires de France est dõnée au seruiteur, quelle
difference y aura-t’il apres cela entre le maistre
& luy ? & qui seront ceux qui oseront opiner
librement deuant vn homme qui aura le
pouuoir de les bannir ou de les perdre ? Au contraire
ie soustiens que l’office du Ministre ne
consiste qu’à mettre en execution les commandemens
de la loy, suiuant les regles du temperament
Aristocratique ; car de dire qu’vn Ministre
puisse auoir vn empire absolu sur tous les
affaires d’vn Estat, cela repugne tout à fait à la
loy diuine aussi bien qu’à la naturelle Le Ministre
est pour le gouuernement, mais le gouuernement
n’est pas pour le Ministre, puis qu’il ne
regarde directemẽt que le Prince & le peuple.
Si Dieu n’a pas voulu qu’vn homme seul gouuernast
son Eglise, ie ne croy pas qu’il veüille
qu’vn homme seul gouuerne ses peuples. Si vn
seul Conseiller, ou vn seul Magistrat ne suffit
pas pour iuger la cause en particulier, vn seul
Ministre d’Estat suffit encore moins pour iuger
la cause de toute vne Monarchie.

 

Les Roys faisoient autrefois assembler tous
les Princes & tous les plus grands de la Cour,
pour le conseiller selon l’occurance de ses affaires,
ou Monsieur le Chancelier, qui n’estoit
pas en ce temps-là la creature d’vn Ministre, taschoit

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de leur remonstrer l’Estat du mieux qu’il
luy estoit possible. Autrefois les trois Estats
s’assembloient, pour resoudre des affaires de
plus haute importance, & maintenant vn seul
Ministre estranger en dispose comme il luy
plaist, sans se soucier de quoy que ce soit, pourueu
qu’il y trouue son compte.

 

Si le premier Ministre d’Estat est cause luy
seul de tous les malheurs, dont cette pauure
France est accablée, comme celuy qui tourne
toutes les choses à son profit, faut-il qu’il gouuerne
luy seul tous les affaires de France ? & faut-il
attendre qu’il se condamne luy-mesme &
qu’il y mette ordre ? Ie croy que si l’on attendoit
cela qu’on attendroit long-temps, & que le remede
de nos maux n’arriueroit qu’auec la fin
du monde. Mais pour éuiter cela, il faudroit
conuoquer les trois Estats de France : car quel
moyen peut-on prendre en vertu duquel on
puisse mieux faire sçauoir au Roy qu’il est obligé
d’obseruer les loix fondamentales de l’Estat :
que son gouuernement & son conseil doiuent
estre Aristocratiques, pour le bien commun
du Prince & du peuple ? que leurs Fauoris ne
deuroient point prendre connoissance de leurs
affaires, qu’il ny doit point auoir de premier
Ministre d’Estat, & qu’ils doiuent auoir tous
vne égale puissance : que les Princes, l’Estat, &

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les peuples en sont bien mieux : qu’on ne doit
pas donner aucune connoissance des affaires
d’Estat à pas vn estranger : & que l’on ne doit
pas souffrir qu’vn seul Ministre gouuerne les
affaires de France. Qui est-ce qui peut mieux
instruire le Roy de ce qu’il doit faire, que ceux
qui ont interest en la cause ? C’est par ce moyen
là que Louys XII. s’acquist le surnom de pere
du peuple, & c’est par ce moyen là que le Roy
pourroit remettre l’Estat en son anciẽne splendeur
& redonner la paix à ses peuples. Au contraire
s’il ne le fait pas, il est asseuré de n’estre
iamais bien obey, & de voir peut-estre tous ses
affaires en vn estrange desordre. La necessité
est vne estrange conseillere à des peuples oppressez,
& il n’y a rien au monde qui puisse si
bien faire le bon-heur d’vn Estat que la felicité
de ceux qui le composent. Qui diuise le Roy
d’auec ses sujets, diuise l’Estat, fait ce que le plus
grand ennemy de la terre voudroit pouuoir
faire. La perte de l’vn & de l’autre ne consiste
qu’en cela : car le Roy ne peut estre sans sujets :
mais les peuples peuuent bien estre sans Monarque.

 

L’Empereur Auguste, quoy qu’il eut incessamment
aupres de sa Maiesté vn Agrippa &
vn Mecenas, si est ce qu’il n’entreprenoit iamais
rien d’important qu’il ne l’eut bien consulté

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auec plusieurs de ceux à qui il se confioit
le plus de ses affaires.

 

Quoy que Philippe de Macedoine
eût tousiours vn Antipater aupres de luy pour le conseiller
& pour commander à ses armées, il ne
laissoit pas encore d’auoir vn bon conseil par la
moyen duquel il suplanta l’ausanias qui aspiroit
au Royaume : vainquist Argée : deffit les
Hongrois & les Esclauons en bataille s’empara
de plusieurs villes de Grece : reprima les tyrans
de Thessalie & plusieurs Roys voisins de
Macedoine : deffit les Atheniens & les Boeciens :
& mist cent cinquante diuers peuples à
son obeïssance.

Alexandre son fils, quoy qu’il eut vn ephestion,
ne laissoit pas d’auoir pareillement aussi
pres de sa personne, quantité de Senateurs tres-entendus
& tres-experts au fait de la guerre, &
par le moyen desquels il fist encore beaucoup
plus de conquestes que son pere ; Car à l’aage
seulement de vingt vn an, qui n’estoit pas
vn aage pour pouuoir faire quelque chose de sa
teste, il asseura son Empire, & subiuga quelque
cinquante nations. Voyez apres cela s’il
n’eust eu qu’vn Mazarin & qu’vn seul Ministre
estranger, s’il auroit pû faire tant de belles
choses, & si l’on doit souffrir qu’vn seul estranger
gouuerne toutes les affaires de France.

FIN.

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Anonyme [1652 [?]], SECONDE PARTIE DV POLITIQVE VNIVERSEL, OV BRIEVE ET ABSOLVE DECISION de toutes les questions d’Estat les plus importantes. SCAVOIR EST, VIII. S’il y doit auoir vn premier Ministre d’Estat. IX. Si tous les Ministres d’Estat ne doiuent pas auoir vne égale puissance. X. Si les Princes, l’Estat, & les peuples peuuent estre pis ou mieux, dans cette egalité de Mnistres (sic). XI. Si l’on doit receuoir vn estranger dans le Ministere. XII. Si l’on doit souffrir qu’vn seul Ministre gouuerne tous les affaires de France. , françaisRéférence RIM : M0_2818. Cote locale : B_17_31.