Anonyme [1652], SECRET DE LA DISGRACE IMAGINAIRE DV COMTE D’HARCOVRT AVEC L’ESTAT DE SON ARMÉE En Guyenne, & vne relation fidelle de ce qui s’est passé de plus Considerable dans Bourdeaux. , françaisRéférence RIM : M0_3625. Cote locale : B_14_46.
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SECRET
DE LA DISGRACE
IMAGINAIRE
DV COMTE D’HARCOVRT
AVEC L’ESTAT DE SON ARMÉE
En Guyenne, & vne Relation fidelle de ce qui
s’est passé de plus Considerables dans
Bourdeaux.

Les discours que chacun fait, pour
sçauoir si le Comte d’Harcourt est
mal auec le Mazarin, où si les bruits
que l’on desbitte par tout touchant
son mescontentement de la Cour, sont faux
ou veritables, sont plutost des marques du
zele des bons François, que des effects de la
curiosité de tant d’hommes inutiles, qui ne
prennent autre part dans les desolations publicques,
que celle qui regarde leur profit,
ou leur interest particulier. La passion que
l’on à de voir ce Tiran abbattu, veut que les
gens de bien souhaitte qu’il soit abandonné
de tout le monde, & la connoissance que l’on

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à de ses fourberies, & de ses trahisons continuelles,
empesche que les plus raisonnables,
& les plus clair-voyans puissent asseoir vigeur
certain sur la conduitte de ses actions. Il trompe
quand il croit auancer ses affaires par là,
il employe ceux qui le seruent à sa mode, &
garde sa parole quand elle opere ce qu’il deside ;
& comme sa conduitte est malheureuse,
& sa politique aussi foible que ridicule, aussi
personne ne sçauroit deuiner quel sont les
desseins d’vn extrauagant, qui est aussi aueuglé
dans son gouuernement, que la fortune
qui en fait l’instrument de vostre perte, & le
ioüet de son inconstante.

 

On asseure que ce Comte est mal auec le
Cardinal, les bruits en sont certains dedans les
bouches Mazarines ; Mais ceux qui ayment
la verité, & qui desirent l’esloignement de ce
Tiran, affirment que toutes ces fables, & toutes
ces grimaces, ne sont que pour amuser
le peuple, pendant qu’il trauaillent, non seulement
à conseruer les Bourreaux qu’il employe,
mais encore d’en augmenter le nombre,
par les soins & les diligences qu’il apporte
d’engager à son party, tous les desesperez
de l’Europe, & tous les miserables de la France
qui seroient sans charges, & sans argens,
s’ils ne secondoient celuy qui authorise leurs
voleries, & leurs brigandages.

Pour preuue de ses [1 mot ill.], on nous mande

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de Bourdeaux qu’il est si peu veritable que
le Grand Escuyer de France, soit mal auec le
plus grand cheual de l’Estat, que sur les ordres
qu’il à d’affliger la Guienne, est le desir
qui le possede d’en sortir plus viste, qu’il n’y
est entré, il a repassé la Garonne, sur vn pont
de basteaux, qu’il a fait dresser au dessous de
marinande pour venir inuestir auec sa Caualerie
comme il a fait, la Reolle qu’il n’a pas
trouuée sans soldats, encore qu’elle fut sans
garnisons, les Bourgeois de cette ville, ayans
fait vne sortie pour retirer leur bestail dont
les Picoreins s’estoient des-ja emparez, ce qui
les obligea d’en venir aux mains, & de donner
vn combat si sanglant & si opiniastré,
que non seulement ils recouurerent l’vn leurdit
bestail, mais tuerent plus de cent Maistres,
& prirent la plus part du bagage & des
cheuaux de ces Caualiers Mazarins. Dequoy
ceux de Bourdeaux estant aduertis leur enuoierent
des munitions de guerre, auec quatre
cent hommes d’infanterie qui se ietterent
dans cette ville sans aucun danger, à la fureur
de la Garonne, sur laquelle elle est bastie &
cituée.

 

La Brigade de l’Isle bonne est à Crion, &
fait souuent des courses aupres de la Bastide,
sans operer autre chose que d’auoir fait prendre
les armes aux paysans, qui en desmontent
la plus part, & vont tous les iours à Bourdeaux

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y vendre les cheuaux qu’ils gaignent
en cette petite guerre. Qu’ainsi ne soit, le
12. du present mois de May, plusieurs paysans
y arriuerent en trouppes, montez comme des
saincts Georges, auec douze grands cheuaux
chargez de bottes, d’espées, de fusils, de iuste
au corps, & autres despoüilles de ses voleurs
publicques. Et ces genereux villageois se sont
rendus si redoutables, que personnes n’ose
plus aller dans l’entre-deux mers ou le Comte
d’Harcour auoit fait loger ses troupes, sans
estre vestu en paysant, parceque les paysans y
sont tellement retranchez à la faueur des petites
montagnes, des bois, & des vignes qui
couure cette contrée ; qui est comme impossible
de les aborder, encore moins de les attaquer
auec quelque aduantage.

 

Le 10. du present mois de May le parlement
de Bourdeaux s’assembla & donna Arrest
contre la fronde de l’ormée, auec deffence
de s’assembler n’y attoupper sans permission
des Iurats à peine de la vie ; & faut sçauoir
que cette fronde de l’ormée est vne assemblée
des habitans de Bourdeaux de toute
sorte de conditions, qui se fait à la porte du
Chapeau Rouge dans vne grande allée d’Ormeaux
qui est là, où ils ordonnent & deliberent
des affaires de la guerre faisans executer
leur resolutions sans autre ordre superieur.

Les Illustres Frondeurs sçachant que cét Arrest

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estoit donné, s’esleuerent contre le Parlement,
& empescherent qu’il ne fut publié ; &
sans Monsieur le Prince de Conty, qui alla au
Parlement, pour le prier de le surseoir, comme
il à esté certain de faire, ils en seroient venus
plus auant tres-asseurement, ne laissans de
s’assembler comme ils firent encore le 12. du
present mois de May, dans les cordeliez pour
y deliberer de leurs affaires à l’accoustumée.

 

Et pour monstrer que nonobstant les petites
diuisions qui ne viennent que de la jalousie
de commander tous les corps, & trouppes
les Communautez de ses quartiers, ne laissent
pas de s’vnir est-ce bien entendre pour ce qui
est du bien public ; de la liberté du Roy, &
du soulagement des peuples ; c’est que le Parlement
ordonna le mesme iour 12. May, que
l’on donneroit douze mille escus à Monsieur
le Prince de Conty, ce qui fut fait argent comptant,
pour faire des recruës pour les regimens
d’infanterie de Conty, & d’Anguin.

Le Vicomte d’Apaioux n’est point du tout
pour la Cour, n’y pour le Mazarin, duquel il
n’a receu Commission quelconque ; il a escript
à son Altesse Royalle pour l’aduertir que Mõsieur
de Choisi de Camp, son Chancelier, qui
est encore en Languedoc, ne luy à point fait
toucher l’argent qu’on luy a promis, & qu’a usitost
qu’il l’aura, il luy menda les troupes qu’il
a charge desleuer.

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Vous sçauez que le Chasteau de carcassonne
est rasé par ordre de la Cour, le Mazarin
sçachant mieux ruiner, qu’edifier. Dieu veulent
que les Parisiens ayent autant de constance,
pour esloigner le Cardinal, qu’ils en tesmoignent,
pour souffrir ses insolents, & ses
tiranie ; & si ceste incomparable Capitaine
qui à tous Princes chez soy, tous les Parlements
pour elle, & toutes les forces du Royaume
entre les mains, vouloit vser de son pouuoir
& de son authorité, elle seule peut dans
vn mois se descharger des maux qu’elle souffre,
& restablir le commerce & la tranquillité
par toute la France, qui est la gloire la plus
grande qu’elle sçauroit desirer, est le meilleur
Office qu’elle sçauroit rendre à son Roy
captif, & honteusement enleué.

FIN.

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