Anonyme [1652 [?]], TROISIESME PARTIE DV POLITIQVE VNIVERSEL, OV BRIEVE ET ABSOLVE DECISION, de toutes les questions d’Estat les plus importantes. SCAVOIR EST, XIII. S’il est permis au Ministre d’Estat de faire tout ce qui luy plaist. XIV. Si l’on doit souffrir qu’vn Ministre d’Estat impose tous les iours de nouueaux subsides. XV. Si le Roy doit écouter les plaintes que les peuples luy veulent faire contre son Ministere pour leur faire iustice. XVI. Si l’on ne doit pas faire rendre aux Fauoris & à tous leurs Partizans, tout ce qu’ils ont volé au peuple. XVII. Si l’on doit punir exemplairement vn Ministre d’Estat, quand il la merité. , françaisRéférence RIM : M0_2818. Cote locale : B_17_32.
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TROISIESME PARTIE
DV
POLITIQVE
VNIVERSEL,

OV BRIEVE ET ABSOLVE DECISION,
de toutes les questions d’Estat les plus
importantes.

SCAVOIR EST,

XIII. S’il est permis au Ministre d’Estat de faire tout ce qui
luy plaist.

XIV. Si l’on doit souffrir qu’vn Ministre d’Estat impose tous
les iours de nouueaux subsides.

XV. Si le Roy doit écouter les plaintes que les peuples luy
veulent faire contre son Ministere pour leur faire iustice.

XVI. Si l’on ne doit pas faire rendre aux Fauoris & à tous leurs
Partizans, tout ce qu’ils ont volé au peuple.

XVII. Si l’on doit punir exemplairement vn Ministre d’Estat,
quand il la merité.

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TROISIEME PARTIE
DV
POLITIQVE
VNIVERSEL.
QVESTION TREZIESME.

Scauoir s’il est permis à vn Ministre d’Estat
de faire tout ce que bon luy
semble.

CE seroit en vain que Dieu defenderoit
à vn Ministre d’Estat de tuer, de voler,
& de conuoiter le bien d’autruy aussi
bien qu’il le defend à tout le reste des
hommes, s’il leur estoit permis de faire tout ce
que bon leur semble ; Mais pour ne nous pas
arrester aux commandemens d’vn Dieu qu’ils
ne font semblant de croire que par maxime
d’Estat, passons de l’Histoire saincte à l’Histoire

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prophane à laquelle ils adioutent plus de foy,
& de laquelle ils tuent tous les preceptes de la
felicité qui leur est la plus sensible.

 

De toutes les Monarchies de la terre, il n’y
a que celle du Turc qui soit depositique, c’est
à dire independante & qui tienne tous ses subiets
comme esclaues. Toutes les autres doiuent
estre moderées par vne espece d’Aristocratie
qui les maintient & qui les conserue, sans que
pour cela elles soient moins Monarchies &
moins souuerains que les autres. Tacite qui
est des premiers & vn des plus intelligens
Historiens qui ait iamais traité de ces matieres,
dit que nos anciens Roys n’auoient pas la
paissance de faire tout ce qu’il leur plaisoit.
Regibus non est infinata aut libera potestates ;
dit ce fameux Orateur en son traité des
mœurs des anciens Germains ; & s’expliquant
d’auantage au Chapitre suiuant, il adiouste que
les Roys deliberoient seuls des petites affaires :
mais pour ce qui estoit de celles de grande
consequence qu’il falloit assembler tous les
grands & tous les principaux des peuples pour
les resoudre : ou ces loix parloient selon que leur
âge le pouuoit permettre, ou qu’ils estoient
bien disans ; puis que leur authorité doit plustost
venir de leurs persuasions & de leur raisonnement,
que de leur souueraine puissance.

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Ce seroit chose bien estrange, qu’vn homme
(à qui le Roy quelque puissant qu’il soit,
ne sçauroit donner que le pouuoir des loix) se
voulut persuader qu’il est plus puissant que
luy, & qu’il peut faire tout ce qu’il luy plaist, &
selon que bon luy semble ; afin de se ioüer impunement
par ce moyen-là de la vie & du sang
des peuples. S’il se trouue des esprits si pernicieux
& si funestes à la liberté publique, qui
veulent soustenir que les Roys sont absolus &
tout-puissans dans leurs Estats, ie ne croy pas
qu’il s’en puisse trouuer de si abominables qui
ozent dire que le Ministre soit aussi Souuerain
qu’eux, & qu’il ait l’authorité de pouuoir tout
faire, ainsi que ces maistres des hommes. Les
remonstrances que le Parlement fit à Louys
XIII. le vingt vniéme iour du mois de May, de
l’année mil six cens quinze, font bien voir que
leur Ministeriat est bien esloigné de cette supresme
puissance, puis qu’elles luy firent connoistre
que c’estoit vn mauuais conseil qu’on
luy donnoit, de commencer l’année de sa Maiorité,
par tant de commandemens d’vne authorité
absoluë.

Autrefois le gouuernement des Ministres,
estoit tousiours moderé par l’authorité des Parlemens,
& souuent par la conuocation des trois
Estats de France : ces derniers comme appuyez

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des loix fondamentales de cette Monarchie, &
les autres comme tenans la place du Conseil
des Princes & des Barons, qui de tout temps
estoient prés de la personne des Roys, estans
nés auec l’Estat, & ayant vn establissement aussi
ancien que celuy de ce Royaume. Outre qu’ils
sont encore auec tout cela les dépositaires de
nos loix, & les tutelaires de nos Princes. C’est
pourquoy les trois Estats & les Parlemens sont
obligez de s’opposer aux continuelles entreprises
des Ministres & des Fauoris qui veulent
abuser de la puissance Royale, sans autre intention
que de faire leurs affaires aux dépens du
Roy, de l’Estat, & du peuple. Et comme il y va
de l’interest des vns & des autres, ils doiuent empescher
les factions, les guerres, les tyrannies,
& le renuersement de l’Estat, principalement
en vn temps ou le Roy ne fait que sortir de sa
Maiorité, & où la tyrannie fait vn estrange rauage.

 

L’histoire Romaine nous apprend que la puissance
d’Elius Sejanus ne seroit iamais montée
au faiste de cette prodigieuse grandeur où elle
fut, si la lascheté des Princes, du Senat, & des
peuples n’eust fait iour à toutes ses entreprises.
Les trois Estats & les Parlements se doiuent
opposer à cela, puis que l’authorité leur
en a esté donnée depuis le commencement

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de cét Empire, & qu’ils sont & les vns & les autres
les dépositaires des loix fondamentales de
l’Estat, qui les obligent en conscience & par le
deuoir de leur charge à renoncer plustost à leurs
dignitez que de souffrir que les loix soient violées
par qui que ce puisse estre. Leurs conditions
les obligent à veiller au gouuernement de
l’Estat, & à la seureté des peuples.

 

Ces fauoris & ces Ministres d’Estat sont si impudens,
que dans les Edicts & dans les Patentes
qu’ils font au nom du Roy, sans que le Roy en
sçache quelque chose pour mieux authoriser
leurs tyrannies, ils y font mettre, Car tel est
nostre plaisir : le vous laisse à penser si ce n’est pas
attenter à l’authorité du Roy, conspirer contre
l’Estat, faire impudemment le Souuerain à la
barbe de son Seigneur, & meriter d’estre puny
comme vn parricide. Vn Roy quoy que Souuerain
a-t’il droict de faire cela, sans faire premierement
voir les causes & les motifs qui l’ont
porté à faire cette Ordonnance, & sans monstrer
qu’elle a esté faite du consentement des
Princes & des principaux Officiers de la Couronne ;
ne faut-il pas pour qu’elle soit valable,
que le Parlement l’ait verifiée & enregistrée ? &
apres nous souffrirons qu’vn Ministre ne fasse
pas seulement le Souuerain : mais qu’il fasse encore
par vne prodigieuse tyrannie ce que le

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Souuerain ne pourroit pas faire sans iniustice.

 

Henry le Grand, & le plus grand Roy que
nous ayons iamais eu en France, ayant appris
par la bouche de Monsieur de Horle son premier
President, que ce nouuel Edict qu’il vouloit
faire passer dans son Parlement ne pouuoit
passer qu’en employant sa puissance, dit fort
bien qu’il ne se vouloit pas seruir d’vne authorité
tyrannique. Et Mazarin, cette prodigieuse
sangsuë publique nous enleuera le Roy, nous
rongera iusques aux os, nous accablera de guerres
estrangeres & domestiques, chassera les
Princes du Sang de leur maison, & fera outre
cela ce que le plus grand & le plus puissant de
tous nos Roys n’ozeroit entreprendre, & nous
le souffrirons sans ozer dire mot, auec vne lascheté
incroyable ? Quoy parmy la plus genereuse
nation de l’Vniuers ? Quoy, parmy ce nombre
infiny de Cesars & d’Achiles dont la France est
toute remplie, il ne s’y trouuera pas vn cœur de
Vitry, pour le traiter en Mareschal d’Ancre ?
N’aurons-nous de la generosité vne fois en nostre
vie que par caprice ou que par boutade ? est-ce
que celuy-cy est plus à craindre que celuy-là ?
ou biẽ est-ce que nous sommes plus lasches que
nos ancestres ? Ce mille milions de combatans
qui faisoient il n’y a pas encor trois iours la loy
à toutes les puissances de l’Europe, tendront

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laschement le col au ioug qu’vn seul estranger
leur impose ? nos neueux pourront ils croire
vne chose (quoy que veritable) si esloignée de
la vray semblance ? N’auons nous plus de sang
aux ongles ? & toute la France ne fera pas vn
souleuement general, pour inuestir de toutes
parts ce prodige d’horreur, afin qu’il ne leur eschappe ?
Non, ie voy bien que nous aymons
mieux l’esclauage que la liberté, & des fers
honteux, qu’vne glorieuse franchise. Au moins
s’il en faut demeurer là, ne me defendez donc
pas l’vsage de la parolle, & souffrez que ie mescrime
de la langue, puis que vous ne me voulez
pas ayder à mieux faire.

 

Il n’y a pas vn François qui ne die hautement
par tout qu’il est bon seruiteur du Roy, & il n’y
en a pas vn qui ne souffre qu’vn proscrit, qu’vn
Faquin, qu’vn Scelerat, qu’vn Tyran public,
& qu’vn impie ne le luy enleue, & ne se rende
maistre de son esprit & de ses volontez, pour
l’assujettir aux siennes. Il n’y en pas vn qui ne
souffre qu’il le fasse passer pour vn criminel
dans l’esprit du Roy, qu’il tourne les armes de
sa Maiesté contre luy, & qu’il cherche les
moyens de le rauir ou de le perdre. Il n’y en
a pas vn qui ne souffre qu’il pille tous les tresors
du Roy, qu’il pille tous ses Estats, & qu’il
ne perde entierement tout le Royaume.

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C’est pourquoy l’on peut dire de la France
& des François, qu’ils sont incapables de sçauoir
iamais rien faire pour leur salut, puis qu’ils
ne sçauroient empescher qu’vn miserable & infidel
estranger ne fasse ce qu’il luy plaist, contre
les loix fondamentales de l’Estat, & contre
la liberté publique.

Ne sçauez vous pas bien que vous ne sçauriez
iamais estre accusez de rebellion en vous
opposant aux choses qui vont à la ruine de
cette Monarchie ? Ne sçauez vous pas bien que
les Rois estant venus en age de raison, & ayant
deffilé les yeux à la verité des choses qui se
sont passées, vous peut accuser du crime de leze
Majesté, de n’auoir pas pris ses interests plus
à cœur que vous n’auez pas fait, & de ne vous
estre pas sousleué contre le Tyran qui ruinoit
tous ses Estats & qui voloit toutes ses finances ?
Ne sçauez vous pas bien que ce qui se fait par
vn excez d’amour & de fidelité pour le salut
d’vne Couronne est parfaitement bien receu
des Souuerains, lors qu’ils sont parfaitement
bien informez des motifs qui ont porté leurs
suiets à ce faire ?

Il n’y a rien au monde qui ruine plus outrageusement
vn Empire, ny qui despoüille plus
les Rois de leur puissance Souueraine, que de
souffrir qu’vn Ministre d’Estat fasse le souuerain,

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en faisant tout ce que bon luy semble
Car plus la puissance du Ministre est grande
plus celle du Roy est petite, puis que la grandeur
du Ministre ne se peut tirer que de celle
du Prince, & plus vous ostez d’vne chose &
plus il faut de necessité que la chose diminuë.
Au contraire l’Estat ne sçauroit faillir de prosperer
quand le Souuerain conserue sa grandeur
& qu’il ne partage pas sa puissance : car si-tost
qu’vne puissance est partagee, elle est plus
foible de la moitié, & ainsi ialouse de reuenir
en son premier estre, puis que toutes choses
tendent naturellement à leur conseruation, il
faut ou que celle du Ministre attire celle que
le Roy s’est reseruée à soy, ou il faut que celle
du Roy reprenne celle qu’il a baillée au Mininistre,
s’il ne veut pas qu’il y ait vne perpetuelle
contestation entre deux moitiez qui ne sçauroient
demeurer diuisées, ou s’il ne veut perdre
absolument celle qui luy reste. La Royauté ne
se sçauroit partager sans se destruire, &
vous pouuez penser apres cela si elle sied bien
entre les mains d’vn homme qui ne l’a
que pour en disposer en sa faueur comme d’vne
terre conquise sur les ennemis de sa fortune.
Voyez apres cela de grace, Messieurs les
Ministres d’Estat, si pour contenter vostre ambition,
& si pour assouuir vostre auarice vous

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auez droit de violer toute sorte de loix, de mépriser
les Ordonnances qui vous banissent du
Ministeriat : d’accabler les peuples de miseres
qui ne se peuuent souffrir : de partager l’Empire
du Souuerain : de faire la guerre & aux Princes
& aux sujets du Roy, de voler tous les tresors
de l’Estat : de prescrire qui vous plaist : &
de faire tout ce que bõ vous semble, sans courre
risque d’estre roüez tous vifs, ou du moins
d’estre traitez comme le Marquis d’Ancre.

 

QVESTION XIV.

Sçauoir si l’on doit souffrir qu’vn Ministre
d’Estat impose tous les iours de
nouueaux subsides.

A Moins de souffrir qu’vn Ministre d’Estat
s’approprie tout le bien des sujets
du Roy, l’on ne doit pas souffrir qu’il impose
tous les iours de nouueaux subsides.
Cest vn monstre insatiable qu’vn Ministre
d’Estat, & la crainte qu’il a de n’estre pas longtemps
dans le Ministere. pour tousiours prendre,
fait qu’il voudroit auoir le bien d’autruy
tout à la fois, afin de n’auoir plus besoin de
quoy que ce fut, & mesme afin de s’esleuer
au dessus de tout le reste des hommes L’ambition

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est vne mer sans fonds & sans riue dans
l’esprit de ces abominables Tyrans, & ils ne
disent iamais c’est assez, non plus que ces trois
choses dont parle le Sage dans ces Prouerbes.
Ils ne se peuuent pas imaginer que Dieu parle
à eux par la bouche du prophete Ezechiel,
quand il dit au Roy qu’il doit estre content de
sa possession, & qu’il ne doit iamais rien prendre
sur ses sujets, ni par finesse, ni par violence.
Et ie trouue qu’il ont grande raison de ne
se le vouloir pas imaginer, puis qu’ils sont bien
esloignez d’estre ce que le Roy est, & ce qu’ils
ne seront iamais de leur vie. Ces abominables
Ministres, qui le plus souuent ne sont que des
petits vers de terre, font comme Alexandre,
qui apres auoir conquis tout l’Vniuers, demandoit
s’il n’y auoit pas encores d’autres
monde à conquerir, tant il s’estoit rendu insatiable
en ses conquestes. Aussi ces sangsues
publiques n’ont pas encore imposé quelques
nouueaux subsides, qu’ils songent à mesme
temps aux moyens qu’ils doiuent tenir pour
en imposer d’autres, tant ils sont cupides de
s’approprier le bien d’autruy, sous pretexte
d’en auoir affaire pour le bien de l’Estat & pour
le salut du peuple.

 

L’ambition de Pyrrhus fut sagement reprise
par vn de ses amis, à qui il disoit qu’il auoit deliberé

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de conquerir la Sicile, la Grece, l’Italie,
l’Afrique, & l’Asie. Et que ferons nous apres
ce la dit cét amy à Pyrrhus. Nous viurons en paix
& nous reposerons à nostre aise, respondit ce
Roy des Epirothes, & qui nous empesche, repartit
l’amy, de viure en paix & de nous reposer
presentement à nostre aise, sans nous amuser
à iniustement vsurper le bien d’autruy, & sans
prendre tant de peine.

 

Ie sçay bien qu’il n’y a point de subiet qui ne
doiue quelque tribut à son Prince : mais ce tribut
n’est autre chose que ce qu’on luy doit donner
pour l’entretient de sa Maison & pour les
affaires qui concernent la seureté & le repos
de l’Estat, qui est iustement ce qu’on appelle
Domaine, duquel les Roys de la premiere &
seconde Race se sont contentez sans rien leuer
au de là de ce qu’il leur raportoit sur leurs subiets
si ce n’estoit en quelque cas extraordinaire :
Mais quand la necessite le requiert, il faut faire
assembler les trois Estats du Royaume pour voir
si le pretexte que l’on prend & si la demãde que
l’on fait est iuste, & pour resoudre des moyens
qu’il faut tenir pour auoir de l’argẽt & pour establir
ce subside, ainsi que tous les autres Roys
ont fait, afin d’empescher qu’vn Ministre d’Estat,
ne leue rien mal à propos & à tout moment comme
il fait pour ses interests particuliers & pour
en faire son propre.

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Et si cet ordre a esté obserué autrefois, pour
empescher qu’vn Ministre n’imposast pas tous
les iours au nom du Roy de nouueaux subsides
à plus forte raison le doit on obseruer en vn
temps où les subiets sont reduits à vne extréme
necessité à cause des guerres que les maudits
Ministres ont suscitées en France l’espace de
trante cinq ou quarante ans en vertu desquelles
ils ont esté trauaillez d’vn nombre infiny de subsides,
tant ordinaires que extraordinaires, iusques
à faire des leuées de plus de quarante cinq
millions de liures tous les ans, sans payer personne,
qui est vne chose prodigieuse & presque incroyable
à ceux qui n’ont pas mis le nez dans les
affaires des leuées & des despenses.

Voyez ie vous prie si apres des voleries si prodigieuses
on doit souffrir encore qu’vn Ministre
d’Estat impose tous les iours de nouueaux subsides.
C’est ce qui fait que tous les peuples de
France ont conçeu vne haine irreconciliable
contre cette sangsuë publique de Mazarin qui
non content d’auoir enleué tout l’or & l argent
de France voudroit encore obliger les grands
& les petits à faire la fausse monnoye pour assouuir
vne ambition insatiable. Le peuple
veu les grandes leuées des deniers qu’on a faites
sur eux, ne se peuuent pas figurer que le
Roy en puisse auoir affaire, si ce n’est que son

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Ministre l’ait tout gardé pour luy : car il n’y a
iamais eu homme au monde qui ait fait de si
grandes leuées que son predecesseur & luy,
en façon quelconque. Voila pourquoy il seroit
bien mieux fait de faire vne recherche generale
sur tous ceux qui ont administré les finances,
ou sur leurs heritiers si ceux là sont morts, pour
leur en faire rendre compte, que de s’amuser à
faire la guerre. Le Roy, les Princes, & le peuple
y trouueroient leur compte, & par ainsi nous aurions
la paix & la France se rendroit redoutable
à toutes les autres nations de la terre.

 

Non, il n’est point de Roy, & par consequent
encore moins vn Ministre qui ait aucun droit
de faire des leuées sans le consentement des
trois Estats ou des Parlemens de France puis
que c’est nostre pain nostre trauail, nostre bien,
& nostre vie qu’on nous demãde, c’est le moins
que l’on puisse faire que de nous monstrer en
quoy & pourquoy cela se doit faire Il n’y aura
iamais de remission pour ceux qui prennent in
iustement le bien d’autruy, s’ils ne le restituent
auant de mourir, aux personnes mesmes à qui
il aura esté pris, sous l’authorité d’vne puissance
absoluë. Helie predit à Achab Roy des Israëlites
la ruine de toute sa Maison pour auoir seulement
voulu prendre la vigne de Nabot en
payant, contre sa volonté, quoy qu’il fut sous

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la domination de ce Prince. Ce qui fait bien
voir que les Roys & encore moins leurs Ministres
n’ont point de droit sur le bien des particuliers
& qu’ils ne les sçauroient contraindre a
le leur bailler sans iniustice.

 

Saint Louis commanda à Philippe son fils
aisné & son successeur à la Couronne, de remettre
les Tailles qu’il auoit esté contraint de
leuer pour subuenir aux frais des guerres, &
luy defend d’en leuer aucune, si vne extréme
necessité ne luy oblige. Et parce que les Estats
voyoient que depuis S. Louis les leuées des
deniers se rendoient communes, il fut arresté
par les Estats, en presence de Philippe de Valois,
qu’il ne s’en feroit iamais aucune sans le
consentement des peuples. Sous Charles VIII.
il fut ordonné encore la mesme chose, & auiourd’huy,
Messieurs les Ministres d’Estat voudront
soustenir qu’on peut sans offencer Dieu,
& sans voler le public, imposer tous les iours
de nouueaux subsides. Sachez que si les peuples
y consentent, ou par foiblesse, ou par
crainte, & qu’ils n’y resistent pas au peril de
leur vie, qu’ils ne laisseront pas apres en auoir
esté punis en ce monde cy, en donnant leur
bien, d’en estre punis encore en l’autre, comme
complice du crime, en faisant tort à leurs
heritiers de ce qu’ils donneront, puis que c’est

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vn bien duquel ils ne sont que les œconomes.

 

Mais si les peuples y ont beaucoup d’interest,
ie trouue que les Roys y en ont encore dauantage,
attendu que ce nombre infiny de nouuelles
impositions que leurs Ministres font sur
les subjets, cause vn nombre infiny de desordres
dans les Estats, & rendent mesme le Prince
qui les souffre odieux à tous les peuples. Tost
ou tard les subjets, sous esperance de mieux,
voyant que le Roy tolere ces extorsions & ces
voleries à la moindre occasion qui se presente
de se rebeller, ils taschent de secoüer le ioug
qui les oppresse, sans auoir égard à la dignité
de Souuerain, ny ce à quoy ils sont obligez par
vn serment volontaire. Philistus fut cause de
la perte de Denys le Tyran, à cause des impositions
qu’il mettoit sur les peuples. Procletes
fut lapidé pour auoir conseillé Theodebert
Roy d’Austrasie, d’accabler ses subjets de nouueaux
subsides. Georges Preschon Gouuerneur
de Henry Roy de Suede, fut executé à mort
pour la mesme chose. Iean de Montagne Intendant
des Finances sous Charles VI. eut la
teste tranchée pour auoir esté l’autheur des
nouuelles Daces.

Saint Ambroise disoit quelquefois quand
on le vouloit contraindre à payer de semblables

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contributions, Non equidem dono, sed non nego,
iuuadite. Comme s’il vouloit dire que le peché
qu’il y auoit à donner par force, fut sur les preneur.
Quand Iesus-Christ paya le tribut à Cesar,
il le paya sous pretexte de Religion, & pour
ne pas troubler l’ordre public & politique : mais
en ce faisant il ne le paya que bien petit, & vne
fois en sa vie ; & à qui ? à vn scelerat, à vn infidele,
& à vn mécreant, & non pas à vn homme
bien raisonable.

 

Le Roy Louys XII. auec son seul reuenu ordinaire,
sans leuer tant d’imposts & tant de subside
sur ses subjets, ainsi que nos Mazarinistes
font auiourd’huy, força bien, & prist, dit l’histoire,
tout l’Empire des Venitiens, excepté le
seul Corps de la Ville, conquesta la Duché de
Milan, & donna vne terreur vniuerselle à toute
l’Europe. Ie ne suis pas Mazarin, mais auec
le quart de l’argent qu’il a leué en France, ie
voudrois auoir conquis toute la Flandre, toute
l’Italie, & toute l’Espagne : où luy à peine a-t’il
pû conseruer vne place de toutes celles que
nous auions conquises sur les ennemis de cette
Couronne.

Bien loin de souffrir qu’vn premier Ministre
d’Estat impose tous les iours de nouueaux subsides,
il faudroit faire contre luy ce que Henry
II. vouloit faire contre Messieurs de Guyse. Il

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luy faudroit faire rendre compte de l’administration
des Finances de France de puis qu’il
gouuerne les affaires. C’est par là où il faudroit
commencer si nous voulions bien faire, pour
l’obliger luy & tous ses Partizans, à nous rendre
tous les thresors qu’ils nous ont volez : mais
pour cela il faudroit que toute la France se soûleuast
pour se saisir de sa personne. Mais en attendant
que cela soit, voyons le reste.

 

QVESTION XV.

Scauoir si le Roy doit écouter les plaintes que
les Peuples luy veulent faire contre son
Ministre, pour leur rendre iustice.

IL se trouue grande quantité de personnes
qui tiennent que les Roys ne se deuroient
iamais laisser voir à leurs subjets, afin de rendre
leur Maiesté plus venerable ; parce, disent-ils,
que le mépris s’engendre de la trop grande familiarité,
ou de la trop grande cognoissance
que nous auons de la chose : ou du moins ils ne
se deuroient laisser voir qu’vne fois l’an, ainsi
que les Roys des Assyriens, ou ainsi que nos
anciens Roys de la derniere race de Pharamond,
faisoient par vne vanité qui les rendit
à la fin tout à fait méprisables. Mais an contraire,

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ie trouue que nous ne sçaurions auoir beaucoup
de compassion pour ce qui nous est inconu,
& que l’amour, la veneration, & le respect
ne se peuuent iamais bien former que par la
parfaite contemplation du sujet qu’on doit
cherir, honorer, & reuerer apres Dieu, par dessus
toutes choses. Quand nous aymons nous
voulons voir, & quand nous haïssons, c’est tout
le contraire. La parole fait voir que l’homme
n’a esté fait que pour se communiquer, & la
communication des vertus ne se sçauroit faire
que par la communication des personnes.

 

Le moyen de retenir les peuples dans vne
parfaite obeïssance, c’est de les voir souuent,
& d’écouter leurs plaintes, afin d’appliquer vn
remede conuenable aux mal-heurs qu’ils souffrent :
& si les plaintes sont generales, & qu’elles
regardent la seureté ou la ruine de l’Estat, sa
Maiesté doit pour le soulager, recourir aux anciennes
Ordonnances sur lesquelles l’Estat est
fondé, & faire assembler les trois ordres de tous
ses Estats, pour empescher les maux qui en
pourroient arriuer : par ce moyen là le Roy se
conuersera non seulement le nom de Roy : mais
encore l’amour de tous ses subjets, en vertu de
laquelle il se peut faire obeïr generalement à
tous, sans aucune espece d’armes Il n’est point
de Souuerain qui se puisse vanter d’estre parfaitement

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bien heureux, que celuy qui traite ses
subjets, ainsi que Dieu traite ses creatures.

 

Celuy qui n’a jamais esté écouté de cét adorable
Seigneur est encore à naistre, & son infinie
bonté n’a iamais dénié la iustice à personne
du monde. C’est pour quoy ceux qui la refusent
à leurs subjets, sont indignes d’estre ce
qu’ils sont, & ne possedent la qualité de Souuerain
qu’à faux titre. Ils ne furent iamais mis
sur le throsne où ils sont que pour cela, & quoy
qu’ils se qualifient Souuerains indépendans, ils
ne sont pas moins sujets aux loix diuines & aux
loix humaines que le reste des hommes.

S’ils sont Roys, ils sont Lieutenans de Dieu ;
s’ils sont Lieutenans de Dieu, ils doiuent imiter
ce Souuerain, de qui tous les autres Souuerains
dépendent. Et pour l’imiter il faut qu’ils écoutent
les plaintes de leurs subjets, comme cét
Estre incomprehensible écoute incessamment
celles de ses creatures. Principalement quand
les plaintes sont d’vne telle nature qu’il y va du
solut de l’Estat & du peuple, qui ne peut plus
souffrir ny les charges ny les impositions dont
il est accablé, ny les cruautez de tant de guerres
tant estrangeres que domestiques, ny les
tyrannies d’vn Ministre estranger, qui ne se
soucie pas de perdre la Royaute pour s’esleuer
sur le débris de la Couronne.

-- 23 --

Si les Roys veulent que les peuples les écoutent
quand ils manquent de Finances, & quand
ils sont accablez de guerres, il faut pareillement
aussi qu’ils écoutent les peuples quand les peuples
se trouuent oppressez par la tyrannie de
leurs Ministres. C’est vn serment reciproque
& mutuel qu’ils se sont faits de s’assister les vns
& les autres.

Les peuples doiuent seruir, honorer & assister
le Roi dans ses extremes necessitez, & les
Rois doiuent aimer & proteger leurs suiets
contre toute sorte de tyrannies Et quand il y a
vn Ministre d’Estat (qui n’est que le valet du
Souuerain s’il n’en est pas le suiet, & le Procureur
du Roy & du peuple, moyennant les appointemens
qu’on lui donne) qui mal traite
les suiets de sa Maiesté, le Souuerain est obligé
en conscience, d’escouter les plaintes de ses
suiets, & de leur rendre iustice, s’il n’en veut
respondre en son propre & priué nom deuant
celui qui examinera iusques à la moindre de
ses pensées. Il n’est point de Roy qui ne doiuent
abandonner la Royauté, s’il ne veut pas
escouter ses suiets pour leur faire iustice. Le
Roy Charles IX. estoit si bon, qu’il escoutoit
toutes les plaintes de ses suiets, auec vne facilité
merueilleuses. Le Roy Louis XII. prenoit
plaisir de se desguiser & d’aller aux Comedies

-- 24 --

pour apprendre ce que les peuples disoient de
lui, non pas pour les punir, mais pour se coriger
& pour les satisfaire. C’estoit par ce moyen
là qu’il s’instruisoit des moyens qu’il deuoit
tenir pour gouuerner son Empire. Aussi fut-il
appellé pour cela le Pere du peuple, & si vn
Ministre lui eust parlé de mettre quelque subside
sur ses suiets, il n’auroit pas attendu que
les peuples eussent fait des plaintes contre lui
pour leur faire iustice. Aussi ie ne croy pas
qu’il y eust vn homme en tous ses Estats, qui
n’eust librement exposé son bien & sa vie pour
son seruice à la moindre semonce qu’il lui en
eut faite.

 

Il ne suffit pas qu’vn Roy soit bon, s’il refuse
d’oüir les plaintes de ses sujets pour y mettre
ordre. Il y a des choses qui semblent estre d’vn
tres mauuais goust, & qui neanmoins sont fort
salutaires à ceux qui s’en seruent. Tous les malheurs
que nous auons, ne nous sont venus que
pour n’auoir pas voulu escouter les plaintes
que les peuples faisoient contre vn Ministre
estranger, qui ne se diuertissoit qu’à tyranniser
toute sorte de personnes. Et si l’on ne les
eut pas escoutez & qu’on ne leur eut pas fait
quelque espece de iustice, ie ne croy pas que
la France n’eust esté la proye de toutes les Nations
qui l’enuironnent.

-- 25 --

Il n’y a rien de si pernicieux à vn Souuerain
que de vouloir tout entreprendre & tout hazarder
contre ses sujets, en faueur d’vn Tyran
qu’ils haissent plus que leur propre vie. C’est
mal connoistre ce qu’il doit à la conseruation
de sa grandeur, & au salut de sa fortune. Trajan
vn peu plus entẽdu que tous ces nouueaux
Politiques aux raisons d’Estat & en la science
Royale, fit bien arrester toute son armée pour
ouyr les plaintes d’vne pauure femme, & apres
auoir mis pied à terre, il luy donna toutes les
satisfactions imaginables. Antonin ne fut surnommé
le Pieux, que parce qu’il escoutoit
tous ses sujets, que parce qu il exerçoit vne
grande charité à l’endroit des pauures necessiteux,
& que parce qu’il rendoit luy mesmes la
iustice à toute sortes de personnes. Les dix Lignées
d’Israël se tireront de l’obeissance de
Roboam, pour ne les auoir pas voulu escouter,
& pour ne leur auoir pas voulu rendre
iustice.

Alexandre fit sur ce suiet la plus belle action
que iamais Monarque du monde puisse faire :
car apres auoir entendu les plaintes qu’vn
Philosophe des Garamantes luy fit en faueur
de ces peuples, il s’en retourna & les laissa dans
leur premiere franchise.

Combien se trouuent-t’il de Souuerains qui

-- 26 --

pour n’auoir pas voulu escouter les plaintes de
leurs pauures sujets, se sont veus accablez lors
qu’ils y songeoient le moins, d’vne malheureuse
fin, ou d’vne prodigieuse misere. Saul pour
auoir mesprise de faire ce qu’il deuoit, ne fut-il
pas reprouué de Dieu, possede du mauuais esprit,
& à la fin ne se tua t’il pas luy mesme. Roboam
fils de Salomon & Roy de Iuda, pour
n’auoir pas voulu prester l’oreille aux supplications
des peuples que Dieu luy auoit
soubmis, & pour ne leur auoir pas voulu rendre
iustice, les douze Tributs d’Israël ne se reuolterent-elles
pas contre luy, & n’esleurent-elles
pas Ieroboam à sa place ? Aman pour auoir
voulu persecuter les Iuifs, ne fut-il pas
pendu à la Croix qu’il auoit preparé à la mesme
innocence.

 

Les Fauoris & les Ministres d’Estat sont des
Tyrans qui portent les Princes à tout entreprendre,
en leur faisant accroire qu’ils n’agissent
que pour leur seruice, comme si la Frãce
estoit vn païs de conqueste. Mais sous vn
pretexte si beau & si specieux, ils ne cherchent
qu’à regner iusques sur leurs Maistres, ainsi
que Mazarin, qui à force de vouloir faire valoir
l’authorité Royale qu’il auoit vsurpée, il l’a tellement
destruite, qu’elle n’est plus que l’ombre
de ce qu’elle estoit lors qu’on luy en donna

-- 27 --

la conduitte. L’on sçait bien que les Ministre
ne sont que les seruiteurs du Prince, du peuple ?
puis qu’ils sont également obligés de trauailler
au salut de l’vn & de l’autre, veu que l’Estat
n’est autre chose que les sujets, que le Souuerain
doit conseruer comme luy mesme, s’il
ne veut estre reduit à viure ainsi que le reste
des hommes. Et si ces Ministres veulent entreprendre
au delà de ce pourquoy ils sont esleuez
à cette dignité, la Maiesté du Souuerain se trouuant
lezée en leur procedure, le Roy apres s’en
estre apperçeu, ou apres auoir ouy les plaintes
que ses suiets luy en ont faites, est obligé en
conscience de leur rendre iustice, en faisant
punir ce paricide pour son honneur & pour
son interest aussi bien que pour la seule satisfaction
qu’il en doit donner à ses peuples. Enfin
il n’est point de maladie ? quelque grande qu’elle
puisse estre, qui ne se guerisse par le retranchement
de sa cause.

 

-- 28 --

QVESTION XVI.

Sçauoir si l’on ne doit pas faire rendre aux
Fauoris & à leurs Partizans tout
ce qu’ils ont volé au Roy &
au peuple.

LA Iustice est la plus belle & la plus noble
de toutes les actions des hommes ; parce
qu’elle contient en soy toutes les autres vertus,
& parce que sans reflechir sur soy, elle ne songe
iamais qu’au bien d’autruy, & qu’à l’vtilité publique.
La necessité de cette vertu est si grande,
qu’il n’est point de Royaume ny de Prouince
qui puissent subsister sans quelque espece
de loix, & sans quelque iuste distribution
des choses qui appartiennent au merite & au
démerite. Ie sçay bien qu’elle est souuent adoucie
par la clemence qui est vne vertu Royale,
en vertu de laquelle le Prince est ingenieur à
trouuer des causes de pardonner, regardant
l’âge en l’vn & l’ignorance en l’autre, & quelquefois
se regardant luy-mesme comme digne
de donner la vie aux indignes de viure, laquelle
clemence est fort loüable quand le crime ne
regarde que les plaisirs du Prince : mais quand
il regarde son honneur ou sa vie, ou qu’il y va de

-- 29 --

son authorité ou du bien & du repos de ses sujets,
c’est vne aussi grande cruauté de ne pas punir
le criminel que de nuire à tous ses peuples ;
parce que cette espece d’indulgence est plus
dangereuse que la cruauté ny que la tyrannie
du coupable.

 

Ainsi quand vn Ministre d’Estat & ses Partizans
ont volé toutes les Finances des subjets du
Prince, ce Prince est obligé, s’il n’en veut pas
estre comptable deuant Dieu, de faire rendre
à ce Ministre & à ses Partizans, tout ce qu’ils
ont pris sur ses peuples. Rendez à Cesar ce
qui est à Cesar, & à Dieu ce qui est à Dieu, dit
cét adorable Souuerain de toutes les Souueraines
puissances. C’est à dire que si l’on a volé au
Roy, il faut rendre au Roy, & si l’on a volé au
public, il faut rendre ce que l’on aura volé à ses
peuples.

Il est vray que le voleur y est obligé, s’il n’en
veut pas estre puny d vn supplice éternel, &
d’vne peine infinie ; & certes cette espece de restitution
est bien aisée à faire, si le voleur a dequoy
restituer, & que sa volonté y soit portée :
car si l’on a volé vne Prouince, il ne faut que
payer au Roy, à la décharge de ce que cette
Prouince luy doit donner, iusques à la concurrence
de la somme qu on luy peut auoir volée.
Et si l’on a volé tout vn Royaume, il ne faut de

-- 30 --

mesme que payer au Roy à la décharge de ce
que le Royaume luy doit donner iusques à la
valeur de la somme qu’on luy peut auoir volée.
Ainsi vous effacerez la peine, sans effacer la
coulpe ni le merite ; en attendant que le pardon
les destruise.

 

Et si le voleur ne se fait pas iustice soy mesme,
le Roy & le peuple sont obligez en conscience
de l’en rechercher, & de le contraindre à la faire,
s’ils n’en veulent pas répondre comme de
leur propre crime : car qui tolere vn forfait,
n’est pas moins coupable de ce forfait que celuy
qui vient de le faire. C’est pourquoy le Prince
& le peuple sont obligez en conscience de
se porter à la punition ou à la reparation de ce
crime, puis qu’il y va de la gloire de Dieu, de
leur bien & de leur conscience.

Si l’on ne fait pas rendre aux Ministres d’Estat
& à leurs Partizans tout ce qu’ils ont volé
au peuple, & qu’on souffre par vne indulgence
trop funeste à toute cette Monarchie qu’ils
continuent à faire la mesme chose, il est tout à
fait impossible que le Royaume puisse subsister
long-temps, sans tomber dans des conuulsions
bien dangereuses. Ce que le diuin Philosophe
Platon a tres-bien remarque au quatriesme
liure de sa Republique, lors qu’il dit
que le plus excellent don que Dieu ait iamais

-- 31 --

fait aux hommes, veu les miseres où ils sont
sujets, c’est de leur auoir communiqué les
moyens de se gouuerner auec quelque espece
de iustice ; afin de refrener par ce moyen-là
l’audace des furieux, conseruer & maintenir
les innocens, & rendre à chacun esgalement
ce qui luy appartient selon son merite. C’est
pourquoy nos Rois deuroient bien apprendre
à connoistre les mœurs & l’integrité de ceux
qu’ils esleuent au Ministere. Est il rien de plus
pernicieux en vn Estat, que de souffrir qu’vn
Ministre & des Partizans fassent des impositions
& des leuées de deniers comme il leur
plaist, sans leur faire rendre compte de tout ce
qu’ils ont leué sur le peuple ?

 

Les Rois ne doiuent iamais songer qu’à faire
seruir Dieu, qu’à tenir les peuples en paix, &
qu’à prendre garde que leurs Finances qui sont
les ners de l’Estat, ne soient pas dispersées. Et
pour cela ils deuroient faire rendre compte à
leurs Ministres, & à leurs Partizans de l’administration
des Finances qu’ils ont euë si long-temps
à leur deuotion & sur leur conscience.
C’est ce qu’ils deuroient entreprendre s’ils vouloient
faire ce à quoy ils sont obligez par la dignité
qu’ils possedent : en souffrant que ceux à
qui la chose touche fussent Iuges de ces sangsuës
publiques : car il est impossible que ce

-- 32 --

nombre infiny de sommes immenses qui se
sont leuées depuis nos guerres, soient entrées
dans les coffres du Roy, ny employées à l’entretien
des Officiers de sa Maiesté & des gens
de guerre, puis qu’on n’a iamais payé personne.
Et cependant il les faudroit interdire de leurs
dignitez & de leurs charges, iusques à ce qu’ils
eussent redu compte à ceux que les trois Estats
auroient déleguez, & qu’ils eussent payé ce
qu’ils deuroient de reste. Iusques à leur faire
repeter les deniers des pensions inutiles & excessiues,
& des donations immenses, sans excepter
personne, attendu que lesdits deniers
n’ont pas esté employez à la fin pour laquelle
on les deuoit employer pour le salut de la Couronne.

 

Et le plustost ne seroit que le meilleur car
il est à craindre que si on leur donne vn peu
trop de loisir, qu’apres auoir fait leur main, ils
ne se retirent ailleurs auec tous les Tresors de
l’Estat, ainsi que le Cardinal d’Amiens fit sous
Charles VI. qui apres auoir volé vne partie des
finances de France se retira dans Rome, afin de
n’estre pas mis au nombre des comptables. Le
Cardinal Mazarin est vn homme, qui apres ce
qu’il nous a pris, n’a plus rien à perde, c’est
pourquoy il ne tient ni à fer ni à clou, & il ne
s’est iamais veu pressé de son deuoir, qu’il

-- 33 --

n’ait esté en volonté de se retirer auec tout l’argent
de cette Couronne.

 

S’il a bien seruy, il est iuste qu’il soit payé de
ses salaires : Mais d’auoir leué des quarante
cinq millions de liures tous les ans sans payer
personne, il n’est pas iuste qu’il en soit le possesseur,
& que le Roy, la France, & les affaires
des François soient accablez de misere, faute
de faire rendre compte à cette sangsuë publique
& à tous ses partisans, & faute de se vouloir
seruir de leur bien propre. Les Roys prenent
bien plaisir de reprendre les villes &
les Prouinces que les estrangers ont vsurpées
sur eux, quand ils se trouuent en estat de le
pouuoir faire, & pourquoy est ce qu’ils ne se
delecteront pas à contraindre leurs Ministres
d’Estat & leurs Partisans à leur rendre compte
des voleries qu’ils leur ont faites ? Est ce que
l’vn n’est pas aussi raisonnable & aussi facile
que l’autre, ou bien est-ce qu’ils ont plus de
passion pour les choses difficiles & où ils risquent
beaucoup, pour celles qu’ils peuuent
auoir aisement & sans peines. Est-ce
qu’ils veulent faire comme faisoit Alezandre,
qui abandonnoit toutes les Prouinces que son
pere luy auoit laissées pour en aller conquerir
d’autres au peril de la vie ? Est-ce qu’ils ayment
mieux ce qui couste la mort d’vn nombre infiny

-- 34 --

de legions, & la despence d’vn nombre infini
de tresors, que ce qui ne couste qu’vne parole ?
En l’vn ils courent risque d’y perdre la
vie & l’Estat, & en l’autre, ils ne courent risque
que d’y faire leur bien en faisant vne action de
iustice.

 

Faut-il que pour ne vouloir pas faire rendre
compte à vn pernicieux Ministre d’Estat, qui
s’est voulu souler du sang des François, nostre
pauure France soit toute en desordre ? faut-il
que pour contenter l’auidité d’vn Ministre
d’Estat, & de mille autres sangsues publiques
qui obsedent l’esprit de leurs Maiestez, nos
biens & nos vies soient consacrez à la cupidité
de ces monstres insatiables ? faut-il que
le Roy & la Reyne ne dessillent pas les
yeux aux horribles tyrannies qu’il a commises
au gouuernement de l’Estat, & de l’administration
des Finances de tout le Royaume ?
Que si les Ministres contreuiennent aux loix
de l’equité, & que le Roy ne nous veille pas
faire iustice, ne nous est-il pas permis de prendre
les armes pour cela, & de nous la faire nous
mesme ? N’est ce pas vne action de charité, déuiter
tout ce qui rend à la ruine publique ? Et
n’est-ce pas vn effet d’vne admirable iustice de
se ioindre tous ensemble pour faire rendre au

-- 35 --

Ministre d’Estat & à ses partizans, tout ce
qu’ils nous ont volé depuis qui’ils gouuernent
les affaires de France.

 

QVESTION XVII.

Sçauoir si l’on doit punir exemplairement vn
Ministre d’Estat quand il la merité.

IL n’y a point d’homme au monde qui ne
sçache parfaitement bien que tout criminel
merite d’estre puny, selon la grandeur de son
crime : mais s’il doit estre puny publiquement,
c’est là la difficulté ; parce qu’il y en a qui disent
que la Republique reçoit beaucoup d’vtilité de
cacher plusieurs vices attroces, à cause disent-ils
qu’on enseigne qu’ils se peuuent commettre
quand on les punit, ou à cause qu’on en rafraichit
la memoire à ceux qui ont enuie de mal
faire, & que la punition & la deffence font
naistre le desir de la chose. La plus part des crimes
ne sont nais qu’auec les loix, c’est à dire auec
les deffenses soit ou parce qu’on ne les
sçauoit pas auparauant qu’ils fussent defendus,
ou soit parce que n’en entendant pas parler
on en auoit perdu la memoire. Mais quãd on
les punit, ou que l’on en rafraischit la memoire
par les Loix, ou que l’on en donne enuie par la

-- 36 --

punition que l’on en fait, on y adjouste l’exemple :
mais ie trouue que c’est bien vne plus grande
cruauté de souffrir qu’vn Ministre ruine entierement
tous les Subjets du Roy, & qu’il accable
l’Estat d’vn nombre infiny de guerres
estrangeres & domestiques, que de le punir
exemplairement quand il l’a merite, en obseruant
toutes les formes de la Iustice : Car le retranchement
des peines est bien plus dangereux
que la seuerité des Loix, qui ne se sçauroient
exercer sans les formes. En la Iustice il
y a vn souuerain droict, ou vne souueraine rigueur,
sans laquelle on ne la sçauroit bien rendre
à ceux à qui elle doit estre renduë, comme
au plus fort de la cangrene, ne vouloir pas couper
la partie qui en est infectée, auec toutes les
circonstances necessaires ; c’est vouloir perdre
le reste du corps, & l’exposer à la mercy d’vne
chose qui ne trauaille qu’à sa perte. Aussi ne
pas punir vn Ministre d Estat en public quand
il l’a merité, pour le faire seruir d’exemple ; c’est
dénier quelque chose à la grandeur de ses forfaits,
empescher les libertez de l’equité, & rendre
vne action de laquelle tous les meschans
deuoient faire leur profit, tres-inutile. L’appuy
& le soustien de la veritable Iustice, c’est de la
rendre en la forme qu’elle doit estre renduë, se
tenant à ce qui l’a fait ce qu’elle doit estre.

 

-- 37 --

La Iustice est si belle de soy, qu’il n’y a point
de crime qui ne doiue estre puny selon la grauité
de l’offense. C’est pourquoy comme il y a
deux sortes de fautes, les vnes occultes & les autres
publiques ; il faut pareillement aussi qu’il y
ait deux sortes de punition, l’vne secrete & l’autre
exemplaire. La punition de nos crimes cachez
ne se manifeste que par le tesmoignage
de nostre propre conscience, ainsi que S. Chrysostome
le dit fort bien dans ses Homelies.
Quand quelqu’vn a commis quelque notable
crime, il est certain, dit-il, qu’il sent bien-tost
apres sa condemnation dans sa conscience. Elle
luy sert de tesmoin, de Iuge, & de bourreau, &
le punit auec tant de rigueur, qu’il ne sçauroit
euiter ny ses accusations, ny son supplice. Merueilleux
effect de la Iustice de Dieu, qui ne veut
laisser rien d’impuny, quelque caché qu’il puisse
estre. C’est ce ver dont parle Esaye, qui ne
meurt iamais, & qui nous ronge sans cesse :
mais il n’en est pas ainsi d’vn crime public, &
qui s’est fait publiquement à toute sorte de personnes.
Le peché qui s’est ainsi manifesté aux
grands & aux petits, demande vne reparation
manifeste & vne punition exemplaire, puis qu’il
faut que la peine responde à la grandeur & à la
qualité du crime : C’est pourquoy il n’est point
de Ministre d’Estat qui ne doiue estre exemplairemẽt

-- 38 --

puny, quand il a rendu son crime public,
& qu’il a conspiré contre la liberté publique.
Mais c’est vn Prince de l’Eglise, contre lequel
on ne sçauroit enfraindre les immunitez & les
priuileges de tous les Ecclesiastiques, & sans
violer au premier chef la Maiesté du S. Siege,
qui blessée d’vn coup capable d’ébranler la supréme
de toutes les dignitez iusques en ses fondemens,
pourroit prendre la foudre que le Fils
de Dieu luy a mise dans les mains, pour écraser
tous ceux qui voudroient entreprendre sur la
personne d’vn si venerable Ministre. Ne vous
souuenez-vous plus iusqu’à quel poinct la mort
du Cardinal de Guyse émeut sa Sainteté, contre
vn grand Roy qui n’en fut l’Autheur que par
vne absoluë & inéuitable necessité de sauuer sa
Couronne. Iugez de là, quelle pourroit estre
l’indignation du Pape d’aujourd’huy, si pour le
caprice d’vne populace iniustement irritée, l’on
entreprenoit de faire vne violence qui à peine
fût pardonnée à vne Puissance souueraine, & à
la redoutable Maiesté d’vn grand Prince.

 

Ne sçauez-vous pas que, Episcopalis authoritas
prædicando vita, & verbo ; & Regia dignitas regendo,
& corrigendo ? Ne sçauez-vous pas que l’Authorité
des Euesques ne consiste que dans le bon
exemple, & dans les saintes instructions ; & que
le commandement & la punition sont entre les

-- 39 --

mains du Monarque ? Ne sçauez-vous pas bien
que Mazarin ne sçauroit estre qu’vn membre
pourry qu’il faut retrancher du corps de l’Eglise,
afin qu’il n’infecte le reste ? Ne sçauez vous
pas bien que tous les coupables doiuent estre
punis, selon S. Paul ; qu’il faut que chacun porte
la peine de son peché, selon Ieremie & selon
Ezechiel ; & que tous les pechez doiuent estre
corrigez & punis en ce monde-cy par la sentence
des Iuges, selon ce diuin Legislateur qui parloit
à Dieu face à face ? Ne sçauez-vous pas bien
que ce Ministre ne sçauroit estre au nombre de
ceux qui gouuernent l’Eglise ? qu’il n’en a aucun
caractere que le bonnet, duquel il s’est rendu
si indigne ? qu’il n’en a iamais fait aucune
fonction ? qu’il n’en connoist que cinquante
Benefices tres-considerables qu’il possede, sans
en seruir pas vn ?

 

Qui veut estre traité en Cardinal, il saut qu’il
viue en Cardinal ; car s’il vit en tyran, en scelerat,
en impie, & en sangsuë publique, il doit
estre puny de mesme ; & par qui ? par des Iuges
seculiers, puis qu’il n’est pas permis aux Ecclesiastiques
de punir de mort ceux qui doiuent
estre tirez à quatre cheuaux pour l’expiation de
leurs crimes.

On a bien puny quantité de personnes qui
estoient plus honnestes gens, & de meilleure

-- 40 --

maison que luy ; c’est pourquoy on ne luy sçauroit
faire que beaucoup d’honneur de le traiter
comme les autres. Henry III. fit bien tuer le
Cardinal de Guyse, pour des crimes de moindre
importance. Pierre de la Breche grand
Chambellan de France, Sur Intendant des Finances,
& depuis Euesque de Bayeux, fut bien
condamné par Arrest du Parlement d’estre pendu
& estranglé, pour des actions bien moins
criminelles que celles de nostre abominable
Ministre. Deux Moines de meilleure maison
que le Cardinal Mazarin, furent bien attachez
à vn gibet du temps de Charles VI. Charles
Ridicoui & Pierre Arger, furent bien roüez
tout vifs, sans auoir esgard à leur charactere. Et
Guillaume Goffredy Prestre, fut bien encore
bruslé tout vif pour vn faict dont on accuse nostre
Ministre. Et ce Mazarin, mille fois plus
coupable que tous ceux que nous venons de
dire, ne sera-t’il pas puny exemplairement pour
des crimes de plus haute importance ?

 

FIN.

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Anonyme [1652 [?]], TROISIESME PARTIE DV POLITIQVE VNIVERSEL, OV BRIEVE ET ABSOLVE DECISION, de toutes les questions d’Estat les plus importantes. SCAVOIR EST, XIII. S’il est permis au Ministre d’Estat de faire tout ce qui luy plaist. XIV. Si l’on doit souffrir qu’vn Ministre d’Estat impose tous les iours de nouueaux subsides. XV. Si le Roy doit écouter les plaintes que les peuples luy veulent faire contre son Ministere pour leur faire iustice. XVI. Si l’on ne doit pas faire rendre aux Fauoris & à tous leurs Partizans, tout ce qu’ils ont volé au peuple. XVII. Si l’on doit punir exemplairement vn Ministre d’Estat, quand il la merité. , françaisRéférence RIM : M0_2818. Cote locale : B_17_32.