Boyer, Paul / sieur du Petit Puy [?] (P. B. E. [signé]) [1649], L’IMAGE DV SOVVERAIN OV L’ILLVSTRE PORTRAICT DES DIVINITEZ MORTELLES : OV IL EST TRAITÉ Contre l’opinion des Libertins du Siecle. Dedié à sa Majesté par P. B. E. Rex verò lætabitur in Dec, laudabuntur omnes qui iurant in eo; quia obstructum est os loquentium iniqua. , françaisRéférence RIM : M0_1684. Cote locale : C_5_58.
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L’IMAGE
DV
SOVVERAIN
OV
L’ILLVSTRE PORTRAICT
DES DIVINITEZ MORTELLES :

OV IL EST TRAITÉ

Contre l’opinion des Libertins du Siecle.

Dedié à sa Majesté par P. B. E.

Rex verò lætabitur in Deo, laudabuntur omnes qui iurant in eo ;
quia obstructum est os loquentium iniqua. Psal. 62.

A PARIS.

M. DC. XLIX.

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AV ROY

SIRE,

Voicy l’Image d’vn Souuerain, que Dieu a
pris plaisir de tracer luy-mesme à sa fantaisie. Si
Vostre Majesté se donne la peine de la considerer
exactement, elle y verra des desseins, d’où elle pourra
tirer de belles leçons, pour se former au gré de
son Sauueur, & pour se maintenir en ses graces.
Vostre Majesté y trouuera pareillement des exemples,
où elle se pourra instruire des moyens qu’il
faut tenir pour se faire aimer de ses Sujets, &
pour se rendre redoutable à toutes les Nations de
la Terre. Elle y verra la dignité Royale en sa
plus haute splendeur, & l’ancienne institution des
Roys en son plus beau lustre. Elle y verra par
qui est-ce que les Souuerains ont esté eleus, & à

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quelle fin ils furent créez dans vne dignité si eminente.
Vostre Majesté y verra encore SIRE,
iusques où se peut estendre le legitime pouuoir que
Dieu vous a donné sur tous vos Sujets : & finalement
vous y pourrez apprendre s’il est permis
aux Peuples de iuger de vos actions, & de quelle
reuerence ils doiuent vser en parlant de vostre sacrée
personne. Ouy, SIRE, c’est vn Recueil que
i’ay fait de tout ce que l’Histoire Saincte a de plus
excellent en faueur des Princes. Le sujet est de soy
si noble, que sa seule recommandation suffit pour
le rendre tres-considerable à tous les siecles. Si Dieu
me fait la grace de pouuoir remettre ce petit Traité
en vn plus gros volume, comme ie l’espere vn
iour, moyennant son assistance, ie tascheray de le
rendre si charmant aux esprits les plus delicats,
que Vostre Majesté aura raison de croire, que ie
suis, & veut estre toute ma vie.

 

SIRE,

De Vostre Majesté,

Le tres-humble, tres-obeïssant, & tres-fidele
seruiteur & Sujet P. B. E.

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L’IMAGE DV SOVVERAIN,
OV
L’ILLVSTRE PORTRAICT DES
DIVINITEZ MORTELLES.

LA dignité de l’Homme est vne marque infaillible
de son merite, lors qu’il la tient immediatement
de la propre main de celuy qui
peut tout, & qui ne fait iamais rien qu’auec
vne tres-parfaicte Iustice. Plus elle l’esleue
dans les grandeurs, plus elle le rend venerable à tout ce qui
luy est inferieur, & plus elle l’approche aussi de la Majesté
de celuy qui luy cõfere ses graces. Celle des Souuerains est si
saincte & si sacrée, qu’il n’est rien dans l’Vniuers apres Dieu,
qui nous doiue estre en plus grande veneration, ny pour
qui nous deuions auoir plus d’amour, ny mesme pour qui
il nous faille auoir plus de crainte. Le Pere Eternel la trouua
si glorieuse, qu’il en voulut honorer son cher Fils sur la
Montagne de Sion, selon le Prophete Royal Dauid ; & ce
diuin Reparateur de la Nature humaine, accorda à Pilate
qu’il estoit Roy des Iuifs. Ce que sainct Iean confirme encore
dans son Apocalypse, quand il dit, que ce Souuerain
Monarque auoit escrit sur son vestement & sur sa cuisse, ce
nom de Roy des Roys, de Seigneur des Seigneurs, & de Dominateur
eternel du Ciel & de la terre. En fin tous ceux que Dieu a
voulu esleuer à cette dignité Royale, se peuuent sans iniustice
qualifier Lieutenans d’vne Puissance tres-adorable &
tres infinie. Et ie ne sçache point de Souuerain qui ne se
puisse vanter d’estre l’Image d’vn objet à qui tout l’estre creé
doit vne reuerence eternelle. Auoir esté choisi de ce diuin

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Promoteur pour disposer équitablement d’vn nombre infiny
de ses creatures, n’est pas vne petite marque de la grandeur
des Roys, ny de l’estime que cet illustre Legislateur
fait de leur personne. Cet admirable principe de nostre salut
fait bien voir dans sainct Mathieu, en quelle consideration
il a cette grandeur Royale ; puis qu’il paye aux Roys luy
mesme le tribut qu’il ne leur doit pas, de crainte de les offenser,
& de crainte de laisser vn mauuais exemple à ceux
qui doiuent viure sous la domination des Princes. Et par la
mesme bouche du mesme Oracle, ne dit-il pas qu’il faut rendre
à Cesar ce qui est à Cesar, sur peine de tomber en sa disgrace ?
Que ne fait-il pas encore pour donner plus de lustre
& plus de pouuoir à cette dignité si excellente ? Il veut que
tous ceux qui le possedent fassent tout ce qu’il leur plaira, des
creatures qui viuent sous vne authorité si extraordinaire.
Ce n’est pas pour cela que la Souueraineté du Prince puisse
aller du pair auec celle de Dieu, ny qu’elle puisse iamais estre
si absoluë, attendu que celle de ce diuin Seigneur ne dépend
que de sa propre volonté, celle de la creature releue de sa
toute puissance. Ce n’est pas aussi que sa diuine bonté ne
veuille absolument que ces Maistres de l’Vniuers, ne trauaillent
beaucoup plus à l’édification de leurs sujets, qu’à
la ruine de leurs peuples. Les Roys perseuerant dans leur
malice periront aussi bien que le moindre des mortels, si
Dieu ne retracte pas des Arrests qui luy doiuent estre inuiolables.
Enfin ie ne sçache pas vne dignité quelle que ce
puisse estre, horsmis celle du Sacerdoce, qui ne soit comprise
de la Monarchique. Aussi doit elle tenir le premier rang
entre celle de Dieu & celle des hommes, comme estant la
plus digne & la plus illustre de toutes les autres. Dieu est le
Maistre des Souuerains, & les Souuerains sont les maistres
des peuples. Dieu est le Seigneur absolu de tout l’estre creé,
& les Roys sont les Seigneurs absolus de tout ce qui respire
l’air dans l’estenduë de leur Empire. Dieu est vn Monarque
independant, & les Roys sont des Monarques qui ne releuent
que de cette authorité independante. En vn mot la dignité
Royale est vne grace de Dieu si éminẽte & si glorieuse,
qu’à peine peut-elle estre comprise des hommes. Grace aux

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Roys de les auoir faits ce qu’ils sont, & graces aux sujets
de leur auoir donné des Princes. Gedeon trouua grace
deuant le Souuerain Seigneur de l’Vniuers, lors qu’il le
crea Prince d’Israël, & les Israëlites receurent vne grande
grace de ce souuerain Seigneur, de leur auoir donné vn
Protecteur si juste & si magnanime. Mais pour puiser les
eaux de cette grace dans vne source bien plus esloignée,
nous dirons que les peuples guidez par la Nature, instruits
par la raison, & suscitez par vne inspiration toute diuine,
receurent de la main de sa préuoyance infinie, des Souuerains
peu de temps apres la creation de l’Vniuers, afin de
viure sous leur protection dans vne tranquilité parfaite.
Caïn apres la mort de son frere Abel, édifia vne ville qu’il
fit appeller Enoch, du nom de son fils, où il y eut vn chef,
qui auoit l’entiere administration de ce petit Royaume.
Mais parce que nous n’auons pas vn certain tesmoignage,
qu’on luy eut donné la qualité de Roy, nous tascherons
d’examiner ce qui se passa en suite de cela, afin de montrer
par ce moyen l’antiquité des Souuerains, & l’origine des
Royaumes. Quelque peu de temps apres que le deluge
eut purifié la terre des abominables pechez des hommes,
Belus, dit Iupiter, fils de Saturne, Nimbrot, selon quelques-vns,
& fils d’Assur Autheur des Assyriens, selon l’opinion
la mieux receuë, premier inuenteur de l’idolatrie
& du Sacerdoce des Chaldéens, & premier Roy d’Assyrie,
deuint si grand & si puissant, qu’il commandoit à toute la
terre. Durant cet âge les armes & les Royaumes, desquels
les Historiens font tant de mention, commencerent à paroistre.
L’Empire des Sicyoniens, des Egyptiens, & des
Braëtiens, s’érigerent en suite, par l’extréme ambition
qui n’abandonne iamais les hommes. Apres cela la ruine
des vns, fût le principe de quelques autres. Et mesmes
aujourd’huy nous en voyons de si puissans, qu’il semble
que la fortune qui les a mis au plus haut faiste de la grandeur
où ils sont, ne soit pas en estat de les deffaire sans se
détruire elle mesme. Les Histoires curieuses nous instruisent
assez des estranges reuolutions que cette Imperatrice
à faites dans le monde. Et les Histoires Sainctes nous

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font voir qu’il y auoit vn Roy de Salem, nommé Melchisedech,
Sacrificateur du Dieu souuerain, Prestre à l’eternité,
sans commencement de iours, & sans fin de vie, pour
nous montrer que la dignité Royale est tres-ancienne. La
Genese parle de quatre Roys glorieux & triomphans, &
de cinq autres qui furent despoüillez de leurs Estats, &
finalement priuez de la vie. Voila qui nous apprend bien
que l’institution des Roys n’est pas d’auiourd’huy, &
qu’elle est depuis longues années.

 

Psal. 2
Math. 27.

Apoc. 19.

Eccles. 18.

Genes. 1.

Sam. 8.

Math. 12.
& 27.

Math. 22.

Eccles. 18.

2. Cor. 13.
3. Sam. 12.

Apoc. 19.

Iug. 6. 8.

Premier
meurtre.

Premiere
ville.

Genes. 4. &
18.
Origine des
Royaumes.

Beros. lib. 4.
Euseb. lib. 1.
des preparat.
Euarg.
Isidor. l. 8.

Origine des
armes.

Origine des
Royaumes.

Ancienne
institution
des Roys.

Psal. 76.
Heb. 7.
Genes. 14.
Ios. 10.
Epiph. Her.

Reste maintenant à verifier par qui ils furent créez tels,
qui est vne question où la pluspart du monde s’abuse. Ie
dis pour commencer, que personne ne sçauroit nier que ce
ne soit de Dieu de qui les Roys tiennent leur Sceptre &
leur Couronne, puis qu’il est l’Autheur de toutes choses.
Et tout le monde doit sçauoir que les sujets des Monarques
ne contribuent aucunement à leur eslection, & que
ce sont des Souuerains ordonnez de ce Préuoyant infiny,
pour rendre la Iustice aux peuples. Quand ils le reconnoissent
pour leur Prince, ils ne font que ce qu’ils sont
obligez de faire. Leur vocation n’est qu’vn effet de la grace
de celuy qui sçait bien ce qui nous fait, & qui void clairement
dans les choses futures. Sa Prouidence eternelle
nous a choisis deuant la constitution des siecles pour faire
de nous selon sa volonté. Sainct Paul, à l’exemple de Iacob
& d’Esaü, montre que toute eslection procede de la grace
de Dieu, & non point des hommes. Moyse receut de Dieu
les signes de sa vocation au gouuernement des Israëlites ;
C’est pourquoy ce diuin Legislateur leur fut enuoyé pour
les deliurer de la tyrannie dont Pharaon les opprimoit.
Aussi fut-il tres-fidele seruiteur en la conduite du peuple,
n’vsant que d’vne rondeur & integrité de conscience en
leur endroit, & ne leur proposant que la pure parole eternelle.
Et pour ne pas faillir aux Loix qu’il leur deuoit
prescrire, il fut quarante iours & quarante nuicts en la
nuée, où il receut deux Tables, les ordres qu’il leur deuoit
donner de la part de ce souuerain Seigneur, au nom de qui
toutes choses sont faites. Mais que ne fait pas Dieu pareillement
en faueur de ceux qu’il aime ? Ne fit-il pas mourir,

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Coré fils d’Isar, de la Tribu de Leui, ses compagnons,
& quatorze mil sept cens Israëlites, pour auoir murmuré
contre ce Prince ? Iosué apres la mort de ce sacré fils
d’Amram ne fut-il pas appellé dans le mesme honneur &
dans la mesme charge, par la mesme Voix qui se fait obeïr
aux Anges ? Ne commanda-t’elle pas encore à Samuel
d’oindre Saül, & de luy mettre la couronne sur la teste ;
quoy qu’elle eut prèueu de toute eternité, que ce malheureux
Benjamite luy desobeïroit, & qu’il seroit tout à
fait reprouué de sa saincte misericorde ? Dauid ne fut-il
pas esleué dans le thrône de cet abominable Hebrieu, par
vne puissance infinie ? Et Salomon apres cela dans celuy
de son pere ? Ioas, Ezechiel, Iosaphat, Asa, Iosias, Manassés,
& plusieurs autres, dont l’Escriture Saincte fait
mention, & dont le denombrement seroit trop long à déduire,
n’ont-ils pas esté constituez en la place de leurs predecesseurs,
par vn Souuerain qui constituë les viuans & les
morts comme bon luy semble ? Quand tu viendras en la
terre que le Seigneur ton Dieu te donne, dit la Verité permanente,
ie mettray vn Roy sur toy, que i’esleueray du
milieu de tes freres, & tu ne pourras mettre sur toy aucun
homme estrange. Et quand le temps fut expiré, & que le
peuple d’Israël demandoit à Dieu vn Roy auec vne obstination
sans pareille ; il éleut & ordonna luy mesme le Roy
Saül, qu’il trouua pour lors selon son cœur : ce qu’il n’auroit
pas voulu faire si la puissance Royale luy eut esté desplaisante.
Mais pourquoy mettons nous tant de choses
en auant pour authoriser vne élection si saincte & si sacrée ?
veu que Iesus-Christ mesmes fut constitué Roy par son
Pere, en la montagne de Sion, comme nous auons desja
dit ; ce que sainct Iean confirme dans son Apocalypse. Ce
qui fut montré pareillement au Prophete Daniel, en ses
visions celestes. Enfin tous ceux qui sont constituez en
cette dignité Royale, sont Lieutenans de Dieu en terre.
Et ce fut la raison pour laquelle Iesus-Christ voulut
naistre, lors que la computation vniuerselle du monde fut
faite par Auguste, afin que ses parens luy payassent le tribut
qui luy estoit deub, & qu’ils reconnussent le Prince

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terrien, comme celuy qui representoit sa personne. Sainct
Mathieu escrit en faueur de la mesme chose estant arriué
en Capharnaum, ville scituée sur le Lac de Genezarets,
au pays de Galilée. Ceux qui receurent les dragmes vindrent
à Pierre, & luy demanderent : Vostre Maistre ne
paye-t’il point les didragmes ? Et il leur respõdit, qu’ouy :
& quand il fut en la maison, Iesus-Christ luy vint au deuant,
disant : Simon, que te semble ? Les Roys de la terre
de qui prennent-ils les tributs, ou les censiues ? Est-ce de
leurs enfans ou des estrangers ? Et sainct Pierre luy dit, des
estrangers. Les enfans sont donc francs, respondit Iesus-Christ.
Mais afin que nous ne les offensions pas, va-t’en
en la mer, & jette l’hameçon, & le premier poisson qui
montera pren-le, & quand tu luy auras ouuert la gueulle,
tu y trouueras vn statere, pren-le, & le leur donne pour
toy & pour moy. En vn autre endroict il commanda qu’on
rendit à Cesar ce qui estoit à Cesar, & à Dieu ce qui estoit
à Dieu. Sainct Paul écriuant aux Romains nous apprend,
que toute personne est subjette aux Puissances superieures :
Car il n’est point de Puissance qui ne soit establie de la
main de ce diuin Sauueur de nos ames. Et puis en coucluant
il nous commande de luy payer le tribut, comme
à des Souuerains establis de cet adorable principe des
choses. Enfin passant plus outre il dit, qu’il leur faut rendre
à tous ce qu’il leur appartient ; à qui le tribut, le
tribut, à qui le peage, le peage, à qui l’honneur, l’honneur,
& à qui la crainte la crainte. Et ne suffit pas à ce
rare Apostre de l’auoir redit en plusieurs endroicts de
l’Escriture : Mais pour l’imprimer beaucoup mieux dans
leur memoire, & pour empescher aussi qu’on ne les
fraudast des choses qui leur sont deuës, il les recommandent
tres-particulierement à Timothée, lors qu’il dit,
I’admoneste deuant toutes choses, qu’on face requestes,
oraisons, supplications, & actions de graces, pour tous
ceux qui sont constituez en dignité, afin qu’ils meinent vne
vie tres-paisible, qu’ils ayent vne pieté fort tranquille, &
qu’ils regnẽt dans vne parfaite hõnesteté : ce qui est agreable
à la supréme grandeur, qui nous a donné l’estre. Et qui
plus est, les Iuifs qui estoiẽt sous la captiuité de Babylone,

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escriuirent à leurs Confreres qui estoient en Ierusalem,
qu’ils eussent à prier pour Nabuchodonosor, & pour la
vie de son fils, encore qu’ils fussent tous idolatres. S. Paul
connoissant que Festus, Preuost de Iudée, fauorisoit les
Iuifs en la deduction de sa cause, en appella deuant Cesar :
Ainsi estant conduit deuãt Neron Empereur des Romains,
il deffendit si bien ses interests qu’il fût absoult de toutes
choses quelconques. Que si les Iuifs ont prié pour vn Roy
idolatre, & que sainct Paul ait deferé à ce malheureux ennemy
d’vne Religion si saincte que la nostre, seulement
pour le respect de sa Principauté, que ne deuons nous pas
faire pour vn Prince donné de Dieu comme le nostre ? Et
qui doutera que le Seigneur n’en soit l’autheur, & qu’il ne
l’ait institué luy mesme pour le soulagement de son peuple.
Si vous prenez la peine de consulter les sacrez cayers
de l’Escriture Saincte, vous trouuerez vn nombre infiny
d’authoritez, tant des Prophetes que des Apostres, qui
tesmoignent apparament que les Rois sont instituez, établis
& créez par la propre bouche du Seigneur, approuuez,
confirmez & authorisez par luy mesme.

 

Roys 10.
chap. 15.
Ephes 1.
Thessal. 2.
1. Pier. 1.

1. Pier. 1.
Iean 15.
Ephes. 1.
Thessal. 2.
Rom. 9.

Exod. 4.

Exod. 3.

Nomb. 12.
& 16.
Hab. 3.
Exod. 24.
31. & 34.

Nomb. 16.

Exod. 17.

1. Sam. 9. &
28.
2.. Sam. 3.

1. Sam. 13.
1. Rois 1. &
15.
2. Rois II.
18. & 20.
4. Rois 20.

1. Sam. 10.

1. Rois 9.

Psalm. 2.

Apoc. 19.

Dan. 7.
Psalm 2.

Luc 2.

Math. 4, 8.
9. & 10.

Sont deux
dragmes à
7. fois piece.

Qui vaut 4.
dragmes.

Math. 22.

Rom. 13.
1. Pier. 2.

Rom. 13.

Baruc 2.

Il nous reste maintenant à dire à quelle fin ils furent
créez, & mesme esleuz à cette dignité Royale. Combien
que les Historiens nous assignent grandissime quantité de
causes, il nous suffira d’en raconter seulement les principales.
La premiere raison de leur primitiue creation, fut
vne admirable conduite en l’ordonnance & en la dispensation
des choses ; laquelle commença à reluire & à paroistre
en quelques citoyens, de l’excellence desquels se
trouuans tous émerueillez, ils les iugerent dignes de l’administration
& du gouuernement de leur petit Empire.
Voila vne des principales causes de l’institution des Rois,
d’autant que ces grands esprits par vne prudence ciuile, &
& par vne integrité de mœurs, commencerent à exhorter
les peuples, encore fort rudes & fort barbares, à l’obseruation
de certaines loix, & de certaines polices humaines, par
la force desquelles ils pûssent songer & ordonner plus
heureusement de l’estat de leur vie. Ce que Iustin, graue
Historien, a tres-bien entendu, quand il a escrit, que la premiere

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institution des Royaumes & des Empires, ne sçauroit
auoir pris son origine d’vne ambition glorieuse & populaire,
comme quelques vns ont mal pensé, mais d’vne
excellente probité, & d’vne vertu tres genereuse. La seconde
cause qui suscita le peuple à la creation des Rois,
fut vne liberale & loüable affection qu’ils auoient à reconnoistre
les biens & les seruices qu’on auoit faits à leur Republique ;
comme si quelqu’vn par vne action tres genereuse,
les auoit deliurez de la seruitude de quelque Tyran,
ou bien qu’il eust amplifié les limites de leur souueraineté,
& rendu par ce moyen-là quelques autres Prouinces tributaires
à leur puissance ; ou finalement que par l’institution
de quelques bonnes loix il eust rendu l’estat de leur
vie beaucoup plus noble & beaucoup plus illustre. Ainsi
le peuple pour gratifier leur merite, les esleuoient à cette
dignité Royale, & par vn cõmun suffrage le constituoient
Chef & Administrateur de leur Prouince : Comme il aduint
à Scipion l’Affricain, lequel apres auoir pris & démoly
la nouuelle Carthage, & vaincu Asdrubal leur Chef en
Espagne, fut appellé Roy, ainsi que Plutarque le recite :
combien que par vne merueilleuse modestie il le refusast,
sçachant bien que ce tiltre estoit odieux au peuple de
Rome. Pareillement Ciceron ayant deliuré les Romains
de la conjuration de Catilina, fut appellé pere de la patrie.
Ce qui n’a pas esté seulement pratiqué entre les Payens &
les Ethniques, mais aussi entre le peuple de Dieu, lequel
ayant apperçeu ce diuin Miracle de la multiplication des
cinq pains & des deux poissons, le voulurent créer Roy :
mais n’estant pas venu pour cela parmy les hommes, il refusa
l’honneur qu’on luy vouloit faire.

 

Premiere
cause des
Roys.

Seconde
cause.

Rome deliurée
par Ciceron.

S. Iean 6.

La troisiéme raison pour laquelle les Rois furent créez,
ce fut vne necessité de se conseruer, qui porta le peuple à
rechercher vn moyen par lequel il pût corriger la furie &
l’oppression des méchans, d’autant que nous sommes naturellement
enclins à mal faire, & qu’il s’en trouue tousjours
quelques vns si vicieux, qui par leur malice troublent
& ruiuent toute la police humaine, ainsi que nous
voyons dans le siecle où nous sommes, & qui rauissent

-- 15 --

contre toute equité tout le bien du peuple. Si bien que
pour empescher ces desordres il fut contraint de créer vn
Chef qui pût commander à tous, & qui pût pareillement
aussi maintenir les bons dedans leur propre bien, & châtier
les méchans pour en exterminer la race. Cette seule raison
nous oblige à croire que les Roys furent establis dés le
commencement du monde, & presque incontinent apres
que nos premiers Peres furent bannis du Paradis terrestre.
Car la préeminence & l’authorité estoient plus necessaires
en ce temps-là qu’en tout autre ; veu que les violences, les
cupiditez, & les oppressions commencerent dés lors à regner
parmy les hommes. Sainct Paul, fidele Ministre de la
gloire de Iesus-Christ, en son Epistre aux Romains, nous
instruict de l’obeïssance que nous deuons rendre aux Princes,
à cause qu’ils peuuent chastier ceux qui perseuerent
dans leur malice. Les Princes ne sont pas à craindre en bien
faisant, mais bien pour mener vne mauuaise vie. Si tu fais
bien, tu dois esperer quelque recompense ; & si tu fais mal,
tu dois sçauoir qu’il ne porte pas le glaiue sans cause. Voila
vne merueilleuse Philosophie de sainct Paul en faueur des
Princes. Sainct Pierre n’en dit gueres moins que luy sur
vne mesme matiere. Ciceron Ethnique en son second Liure
des Offices nous instruict aussi de la mesme cause de
l’institution des Roys, lors qu’il dit ; Il n’est pas vray semblable
que les Roys ayent esté seulement instituez des Medes, ainsi
que nous apprend Herodote, mais aussi de nos Peres les plus
anciens, afin d’exercer la Iustice au peuple, & afin qu’il les pretegeassent
par leur vertu contre la tyrannie estrangere & domestique.

 

Il n’est rien
plus ancien
que le peché.

Pier. 1.

La quatriesme cause qui obligea les peuples à s’eslire
des Roys, fut vne grande magnanimité de cœur, & vne
excellente adresse à conduire des armées qu’ils voyoient
reluire en ceux qu’ils prenoient le soin d’esleuer sur vn
thrône de gloire : ce qui conuioit ces grands hommes qui
se nourrissoient de l’esperance d’vn si glorieux tiltre à se
mettre en peine de l’acquerir par des actions de vertu, &
par des exploits d’honneur & de gloire. L’Escriture Sainte
nous fournit assez bon nombre de ces exemples. Caleb

-- 16 --

Iuge d’Israël, au rapport de Iosué, fit proclamer par toute
l’estenduë de sa Iurisdiction, que celuy qui pourroit prendre
la ville de Cariath-Sepher, au domaine de Iuda, auroit
sa fille Axa en mariage. Ce qui obligea Othoniel à l’assieger
& à la prendre, pour auoir ce beau loyer qu’on luy promettoit,
& pour s’acquerir par mesme moyen la dignité
de son beau pere. Nous auons encore vn pareil exemple
au Liure des Roys en la personne du Prophete Royal Dauid.
Ce petit Bergerot ayant ouy dire que Saul vouloit
donner sa fille Michol à celuy qui defferoit Goliath,
Geant d’vne grandeur prodigieuse, prend Dieu pour son
second, arme sa fronde, combat Goliath & le défait, pour
auoir la fille & le Sceptre. Cet illustre Monarque proposa
vn prix de grande importance à celuy qui luy porteroit la
teste d’Hiebusée. Ioab, Colonel de l’armée de ce mesme
Prince, ne fut-il pas glorieusement recompensé, pour
auoir chassé les ennemis qui occupoient leur contrée.

 

Iosué 15.

La cinquiesme raison qui obligea les peuples à créer des
Roys, fust parce qu’il ne se trouue pas qu’il y ait vne forme
de gouuerner, ny plus vtile, ny plus noble que celle du
Prince. La Democratie, qui est le gouuernement du peuple,
& celuy que le tiers Estat affecte le plus, à cause de
l honneur & du profit qu’il y trouue, est abominable à
Dieu, & aux hommes bien raisonnables, veu que leur insuffisance
& leur mauuaise conduite ne sçauroit porter les
affaires qu’à l’entiere ruine de l’Estat, & de tous ceux qui
le composent. L’Aristocratie, qui n’est autre chose que
l’administration des plus nobles & des plus riches de la
Republique, est encore peu considerable, au respect de la
Monarchie. Et quoy que Solon, Licurgue, Demosthenes,
& Ciceron l’authorisent, ie ne laisseray pas de vous en dire
mon sentiment, & de vous faire voir que leurs raisons le
doiuent ceder à l’experience. Les émulations & les enuies
secrettes que les Seigneurs qui la gouuernent ont les
vns contre les autres, sont les motifs qui la trainent bien
tost à sa perte. Rome, Rhodes, Athenes, qui ont esté les
plus florissantes du monde, ont-elles laissé chose quelconque
de ce qu’elles estoient, que la memoire qui nous en

-- 17 --

reste ? Lucques, Venise, Genéue, & Ragouse, ne sont-elles
pas tous les iours dans l’apprehension d’estre la proye
de ceux qui ne les sçauroient enuisager sans enuie. Combien
est-ce que les siecles passez en ont veu ruiner, au rapport
des Histoires Grecques & Latines ? Et combien l’Italie
en a-t’elle veu enseuelir sous leurs propres ruines, depuis
qu’elle est au nombre des estres ? Apolonius a tousjours
porté Vespasian dans les sentimens que nous venons
de dire. Ciceron en dissuadoit le vulgaire, l’accusant de
n’auoir ny raison, ny conseil, ny diligence. Le conseil du
peuple se precipite par tout, ainsi qu’vn torrent débordé
par quelque espece de deluge. Demosthenes disoit que le
peuple estoit vne beste bien cruelle & bien dangereuse,
quand il se laissoit surprendre à ses passions déreglées. Platon
en fait vn monstre tout composé de testes. Phalaris
escriuant à Egesippus en disoit des choses estranges. Aristote
en ses Ethiques l’accuse d’erreur & de mensonge.
Plutarque dit qu’il n’escoute pas les raisons, & qu’il est indisciplinable.
De sorte qu’il ne se laisse toucher ny aux documens
d’especes, ny à l’authorité des Magistrats, ny mesme
à la doctrine des Sages. Combien s’est-il veu de grands
hõmes bannis pour auoir voulu trop seuerement embrassé
l’interest de leur patrie. Demosthenes Prince des Orateurs
Grecs, fut banny par ceux d’Athenes, pour auoir
voulu deffendre leur liberté contre Philippes de Macedoine.
Socrates, le plus sage de tous les Philosophes, fut
condamné à mort apres auoir consommé la meilleure partie
de son âge au seruice de la Republique d’Athenes.
Metellus le Numidique fut chassé de Rome apres qu’il
eut gagné la victoire contre Iugurthe, pour n’auoir pas
voulu consentir à l’establissement d’vne loy tres-iniuste.
Hannibal tout percé de coups pour la conseruation de sa
patrie, fut à la fin contraint de sortir de son pays, & d’errer
miserablement par le monde. Camillus pour auoir fait ce
qu’vn grand Capitaine comme luy deuoit faire, ne fut-il
pas contraint de se refugier dans la ville d’Ardea. Licurgue,
tres-renommé Legislateur, apres auoir rendu tous les
seruices imaginables à la Republique de Lacedemone, fut

-- 18 --

contraint de se retirer en la ville de Cyrrhe, où il mourut.
Solon, l’vn des sept Sages de Grece, n’eust-il pas mesme
sort que les precedens, pour auoir mis l’Estat dans la plus
haute splendeur où il pouuoit estre ? Mais sans nous seruir
de ces témoignages prophanes ; Eustache Pamphilie, Prelat
d’Antioche, ne fut-il pas banny pour n’auoir pas voulu
consentir à l’erreur qu’Arrius auoit introduite ? Le Pape
Benoist cinquiesme ne fut-il pas chassé de Rome par l’Empereur
Othon pour de semblables causes ? Combien de
fois est-ce que Moyse a failly d’estre lapidé, pour détourner
le peuple de son idolatrie ? Enfin le nombre des exemples
n’est que trop grand pour nous apprendre combien la
fureur d’vn peuple débordé est perilleuse. Cela fait bien
voir qu’il se faut mettre du party des grands esprits, & dire
auec Platon, Aristote, Apollonius, sainct Hierosme, sainct
Cyprien, & plusieurs autres, que la Monarchie est la plus
excellente & la mieux approuuée de toutes les dominations
de la terre. Homere nous apprend en sa Rapsodie,
que rien n’est iamais bien fait, quand plusieurs personnes
commandent ensemble. Aristote en ses Politiques, a iugé
le gouuernement d’vn seul, beaucoup plus noble que les
autres. Ce que nous voyons en Dieu, qui est le veritable
object, sur lequel tous les raisonnables doiuent former
leurs exemples.

 

Cinquiensme
raison.

Mespris des
Republicques.

Mespris de
conseil des
peuples.

Grands hõmes
mal
traittez du
peuple.

Demosth.
Socrates.

Metellius.

Hannibal.

Camillus.

Licurgue.

Solon.

L’vnité a la vertu de conjoindre toutes les choses ensemble,
aussi bien que de les conseruer contre la tyrannie
des siecles. Tout l’Vniuers n’a pris son origine que d’vn
seul principe, & tout l’Vniuers est conduit & maintenu par
vne mesme puissance. Tout commence & finit par vn dans
tous les estres du monde. Ainsi vn Prince anime & gouuerne
toute la Cité, toute la Republique, tout le Royaume,
& tout l’Empire. Aristote au douziesme de sa Metaphysiqe
reprouue la pluralité des Puissances dans la Monarchie :
il veut qu’elle soit seulement gouuernée par l’authorité
d’vn Prince. Enfin si nous voulons former nos
raisonnemens sur tout l’ordre de la nature, nous pouuons
aduantageusement cõclure, que ce qui est fait par vn Roy,
est plus digne & plus loüable que ce qui se fait par les

-- 19 --

Republiques. Mais parmy cette dignité si esclatante, son
Sceptre ne laisse pas de se trouuer enuironné de beaucoup
d’espines

 

Tout est regy
par vu.

Le Prince
aimé de son
Empire.

Témoignage
de nature.

L’affluence des honneurs & des delices, dont il se void
ioüissant, luy seruent d’amorce pour l’induire au mal, ou
pour le precipiter dans vn abysme de vices.

La Royauté est semblable à vne lampe qui éclaire à tout
le monde : mais depuis que sa lumiere est esteinte par les
vices du Prince, ce n’est pas vn moindre malheur pour luy
que pour son peuple, il en est responsable deuant Dieu, &
grandement mesprisé des hommes ; d’autant qu’il a plus
d’occasion & plus de liberté de se porter à toutes sortes de
vices, d’autant est il plus obligé de prendre garde à luy,
& de les fuir comme la peste, veu qu’ils ne visent qu’à la
perte de son salut, qu’à la ruine de l’Estat, & qu’à l’abomination
de sa personne. Plus vn homme est esleué & plus sa
cheute est dangereuse. Combien a-t’on veu de Roys heureux
dans leurs commencemens, se precipiter dans vne
fin tres-malheureuse. La bonté de Saül que Dieu auoit
esleu Roy sur les Israëlites, fust si celebrée par les sainctes
lettres à l’aduenement de sa Couronne : mais peu de temps
apres il commença si fort à decliner que sa souueraine bonté
fut contraint de le reprouuer sans aucune espece de misericorde.
Salomon se faisoit admirer de tous les peuples
bien tost apres qu’il fust receu à la place de son pere : mais
depuis qu’il eust donné son cœur aux femmes, la grace du
Ciel luy fust deniée. Ioab Roy de Iuda, fut homme de
bien pour quelque temps, mais à la fin seduit par ses gens,
il s’adonna à l’idolatrie. Caligule, Neron, & Mithridates,
donnerent au commencement de leur regne vne merueilleuse
esperance de leur preud’homie, mais l’issuë en fut
telle que toute la terre fut infectée de leur tyrannie. Mais
afin que nous n’empruntions pas les témoignages des prophanes,
venons aux nostres. De vingt-deux Roys de
Iuda il ne se trouua que Dauid, Asa, Iosaphat, Ioatan,
Ezechias, & Iosias, qui ayent persisté dans vne vertu tres-excellente.
Ceux d’Israël qui estoient dixneuf en nombre,
ont tous en general, malheureusemẽt administré la charge

-- 20 --

que Dieu leur auoit donnée. Les Romains qui ont commandé
à l’vne des plus florissantes Monarchies du monde
estoient en grand nombre, mais il y en a eu bien peu qui
puissent prendre la qualité de bons & de peres de la patrie.
Auguste, Vespasien, Tite, Antonius Pius, Antonius Verus,
& Alexandre Seuerus, se sont assez bien comportez en
faueur de la chose publique. Dans le Royaume des Assyriens,
il s’en est trouué plus de mauuais que de raisonnables.
Ie croy qu’on me fera la grace de se persuader par ces
exemples, que ie ne pretens pas diminuer en façon quelconque
la Majesté du Prince, & moins encore la dignité
Royale, ausquels ie deffereray toute ma vie, à cause de leur
instituteur, & de l’excellence de leur personne. Ie desire
seulement exhorter les Princes à considerer qu’ils ont vn
Dieu de qui leur puissance releue, & à qui ils doiuent rendre
conte de leurs actions aussi bien que le moindre des
hommes. Le pis est encore qu’ils doiuent respondre des
actions de tous ceux que sa Diuine Bonté leur a mis en
charge lors qu’ils l’offensent, à cause de leur mauuaise
conduite. Les Roys & les Princes sont souuent changez
à cause des pechez du peuple, selon les Decrets de la mesme
Sagesse. C’est ce qui les oblige de veiller autant à
l’obseruation des Loix diuines, qu’à l’obseruation des
Loix humaines, & s’ils n’ont leur salut en plus haute
consideration que toutes les maximes de leur Politique,
ils courent grand risque de tomber en la disgrace
du Seigneur, & d’irriter sa misericorde. Il faut qu’ils
se gardent bien d’imiter ceux qui font leur reprobation
par des actions d’impieté, & de sacrilege, comme fit Ieroboam,
lequel en vint à telle extremité qu’il se porta à sacrifier
aux Idoles. La bonne renommée est plus à priser
que toutes les choses les plus precieuses, au rapport duplus
sage des hommes, & le salut encore plus s’il me semble ;
puis que c’est de luy d’où dépend nostre beatitude eternelle.
Salomon dit que la memoire des bons est immortelle
deuant Dieu & deuant les hommes : mais les méchãs
desseicheront sans honneur, & seront tousiours en opprobre
entre les esprits bien-heureux, & entre ceux qui seront

-- 21 --

morts en la grace. Leur memoire & leur semence periront
à iamais, sans aucun espoir de misericorde° : mais les vertueux
viuront de generation en generation dans l’eternité
des siecles. Voyons maintenant iusques où se peut estendre
le legitime pouuoir qu’ils ont sur tous ceux qui respirent
l’air dans l’estenduë de leur Empire. Tu constituëras
sur toy vn Roy que le Seigneur ton Dieu t’eslira du milieu
de tes freres, sans que tu puisses pour cela establir sur toy
vn homme estranger, lequel fera tout ce qu’il luy plaira,
ainsi qu’il a pleu à la mesme Sagesse infinie de l’ordonner
par vn Decret inuiolable° : Car il prendra tes biens, tes enfans,
& ta propre personne, pour en vser selon sa volonté,
& pour en faire comme si vous estiez des esclaues. Enfin
il vous traittera si cruellement que vous serez contraints
d’implorer le secours du souuerain Seigneur de l’Vniuers :
Mais vostre malheur sera si grand, qu’il ne voudra pas vous
exaucer, & moins encor prester l’oreille à vos plaintes.
Et si ie ne veux pas qu’il vous soit permis d’en murmurer,
ny mesmes de parler mal de luy en façon quelconque. Au
contraire, i’entens que vous vous humiliez à tout ce qu’ils
voudront, que vous leur soyez obeïssans en tout, & que
vous ayez continuellement soin de prier pour la conseruation
de leur Estat, & pour la prosperité de leur personne.
Si bien que ceux qui ne se porteront pas à faire d’vn franc
cœur ce que ie leur commande, seront punis d’vne mort
eternelle, sans remission quelconque. Ce que i’ordonne
aussi bien en faueur des Tyrans, qu’en faueur des meilleurs
Princes de la terre° ; Parce qu’ils sont également ordonnez
de moy, & parce qu’estans mes Lieutenans, ils me doiuent
conseruer ma Souueraineté, en l’estat qu’ils l’ont receuë de
ma propre main, & maintenir enuers tous, & contre tous,
l’authorité que ie leur ay donnée, & pour mon honneur &
pour ma gloire. Ie suis vn Dieu si ialoux de mes droicts,
que ie ne puis pas souffrir qu’on me les diminuë, ny qu’on
me les altere en quoy que ce puisse estre. Mais Seigneur,
n’est ce pas là authoriser la mauuaise foy du Prince peruers,
& donner des Arrests contre l’innocent, en faueur de
la mesme tyrannie. Non, car s’ils manquent à vous aimer

-- 22 --

comme ie fais, s’ils manquent à vous estre bons & misericordieux
comme moy, s’ils manquent à vous traitter comme
ie vous traite, & s’ils abusent de la puissance que ie
leur ay donnée, non plus que des graces que ie leur ay
faites, ie vous permets de les induire à la raison, par vn
nombre infiny de supplications & de requestes° ; & si par vn
effet de leur reprobation ils ne veulent pas escouter les
prieres que vous leur ferez en mon nom, ie ne manqueray
pas moy mesmes de vous venger apres ce refus, ou bien
de les en chastier au iour de la vengeance mesme° ; parce
que c’est vn priuilege special que ie me suis reserué, depuis
le cõmencement des siecles. Ie vous les ay dõnez pour vous
edifier, & non pas pour vous destruire. Le Prince méchant
aura des seruiteurs & des Officiers de mesme nature : ils receurõt
leur salaire selon leur propre merite. A mos leur apprendra
de quelle façon ie traitte les Princes qui oppressent
mes peuples. Et mes Prophetes leur enseigneront
combien ie deteste la tyrannie ; qu’ils ne s’abusent pas en
cela, car s’ils negligent de suiure le chemin que ie leur ay
monstré, & s’ils ne songent à m’imiter en tout ce qu’il leur
sera possible, ie ne leur pardonneray non plus que s’ils
estoient issus de la lie du peuple. N’en fis je pas consommer
deux de ceux qu’Ochosias huictiesme Roy d’Israël
enuoyoit à mon Prophete Helie, par le feu du Ciel que ie
fis descẽdre sur ces impies ? N’en fis-je pas massacrer & puis
pendre cinq, qui s’estoient cachez dans la cauerne, par mes
Israëlites° ? Ne fis-je pas estrangler le Roy de Haï, & brûler
sa ville apres que mon bien-aymé Iosué l’eust prise° ? Ne
fis-je pas massacrer le Roy d’Israël par son seruiteur Zamri,
pour s’estre enyuré, & pour n’auoir pas voulu suiure mes
ordres° ? N’ay-je pas reprouué Saül pour m’auoir esté desobeïssant° ?
N’ay-je pas dissipé le Royaume des Israëlites,
à cause de leurs pechez ? N’ay-je pas destruit celuy de Iuda
pour auoir commis vn mesme crime° ? Et finalement Ieroboam
ne fut-il pas menacé d’vne mort horrible, pour n’auoir
pas voulu obeïr à ma saincte parole° ? Puis que ie les
change souuent à cause des pechez du peuple, que ne
dois-je pas faire pour les leurs propres. Mais pour vous

-- 23 --

rafraischir encore vne fois la memoire des sousmissions que
vous leur deuez rendre, vous n’auez qu’à lire le Liure de
Iesus, fils de Syrrach, que i’ay pris le soin de dicter moy-mesme,
& vous apprẽdrez de luy les moyens qu’il faut tenir pour
conuerser dignement auec mes viuantes Images. Ie ne leur
ay donné le glaiue que pour se faire respecter, & que pour
estre en estat de pouuoir mieux rendre la Iustice aux peuples.
Le bon Magistrat est vn don de Dieu, & le Roy juste est l’établissement
du Royaume. Ceux qui murmurent contre leurs
Souuerains, murmurent contre moy-mesme. Le cœur des
Princes est en ma main, & il se faut bien garder de leur indignation,
sur peine d’encourre ma disgrace° : Ie leur ay cedé le
pouuoir que i’auois dans le temps, & ie n’entens pas qu’il diminuẽ
entre les mains de qui que ce puisse estre° ; puis que ie
me suis voulu donner autrefois la qualité de Roy, il faut bien
que la condition en soit fort glorieuse & tres-venerable. Vous
ne deuez en ce que ie vous ordonne auoir qu’vn peu d’humilité,
& beaucoup de patience. Par l’humilité vous vous esleuerez
au dessus des Souuerains, & par la patience vous vous
surmonterez vous mesmes, & vous viendrez à bout de toutes
choses° ; Car en quel lieu que la parole du Roy puisse estre, la
puissance y sera pareillement, & ie n’entens pas que personne
y trouue à redire. Cherchez mon Royaume auant toutes
choses, & vous obtiendrez facilement tout le reste. Le Roy
est vn milieu entre vous & moy, & comme il n’est pas permis
aux Roys d’entreprendre sur ma personne° ; il n’est pas permis
aussi aux sujets d’entreprendre sur le Prince. Mais sçachez
que mon Royaume ne s’acquiert que par les tribulations, &
qu’il ne consiste qu’en paix, qu’en ioye, & qu’en Iustice.

 

Bon Princes.

Bons Empereurs.

Prou. 28.

2. Roys 13.

Deut. 5. 17.
15.

Eccles. 18.

Sam. 8, 9.
10.

Exod. 16.
& 22.

Eccl. 8.

Tit. 3.
Rom. 13.
1. Pier. 2.
Thim. 2.

Baruc 2.

1. Roys 10.

Esa. 50.

Prou. 3. 25.
Deut. 1.
Roys. 10.
2. Chron. 1.

Exod. 32.
1. Thess. 4.
Deut. 32.
2. Gor. 13.
Prou. 29.
Eccl. 10.
2. Cor. 3.
Amos 4. &
6.

Ezech. 22.

Mich. 3.

2. Rois 1.

Ios. 10.

Ios. 8.

1. Rois 16.

1. Sam. 28.

2. Rois. 17.

2. Rois 23.

1. Rois 14.
Prou. 28.

Eccles. 13.

Rom. 13.

Eccl. 10.
Prou. 20.

Exod. 16.
Prou. 21.
Prou. 16.

Esai. 50.

Iean 19.

Eccles. 8.

Math. 6.

Act. 14.
Rom. 14.

Apres des leçons si diuines & si celestes nous sera-t’il permis
de iuger de leurs actions, & d’y trouuer à redire. Dieu nous
apprend bien que les Roys ont tousiours iugé les actions de
leurs sujets° : mais ie suis encore à sçauoir que personne ait eu
droict de iuger des actions de leur Prince. Moyse iugeoit bien
les differens du peuple, selon les Loix de Dieu, depuis le matin
iusqu’au Vespre. Samuel fit bien entourer ses villes, pour
iuger des affaires des Israëlites. Salomon voulut bien iuger
des enfans des deux femmes paillardes. Dauid fait Iustice à

-- 24 --

tous ses sujets, & Othoniel aux Israëlites. L’Escriture Sainte
nous fait bien voir aussi que Dieu iuge des actions des Souuerains,
& qu’il n’en est pas vn qui s’en puisse exempter en façon
quelconque° : mais que les peuples puissent équitablement
iuger des actions de leur Roy, cela ne fut iamais, ny
ne sçauroit iamais estre. Si le souuerain Seigneur de l’Vniuers
nous commande & nous deffend de leur dire que fais
tu, apres cela qui sont ceux qui auront droit de iuger des
choses qu’il leur plaira de faire. Et si la mesme puissance leur
donne la liberté d’agir comme bon leur semblera, sans qu’il
nous soit permis d’y trouuer à redire, qui est-ce qui aura droit
de iuger de leurs actions, & de leur en faire rendre conte. S’ils
peuuent, par vn bon transport que le Souuerain Eternel leur
a fait, disposer absolument de nos biens, de nos enfans, & de
nous mesmes, comme nous venons de dire° ; & qu’ils ayent
droit de nous traiter selon leur volonté, sans que Dieu veüille
escouter nos plaintes, qui sont ceux apres cela qui peuuent
auoir raison de iuger de leurs actions, & de trouuer à redire
en leurs procedures ? S’il ne nous est pas permis d’en dire du
mal, ny d’en parler qu’auec beaucoup de reuerence, comment
pourrions-nous assoir nostre iugement sur ce qu’ils font sans
iniustice ? Si sa diuine bonté veut absolument que nous obeïssions
aux plus mauuais Magistrats, sur peine de peché mortel,
& que ces mauuais Magistrats nous deffendent de trouuer
à redire à la moindre de leurs actions° ; comment est-ce
que nous pourrions aller contre leurs decrets, sans crime° ?
Ceux qui ne leur veulent pas obeir selon la Loy, doiuent
estre punis de mort selon les decrets de la méme Prouidence.
Le Roy iuste est l’establissement du Royaume. Dans le iugement
on ne doit pas suiure l’opinion de la plus grande partie
des hommes pour se fouruoyer de la verité celeste. Les iugemens
douteux & les causes d’importance se rapportoient anciennemẽt
aux Sacrificateurs de celuy qui doit iuger de toutes
choses. L’on ne doit point debattre du iugement, mais
plustost quitter l’iniure à celuy de qui nous l’auons receuë. Si
tout ce que nous faisons est sujet au iugement de Dieu, &
non pas aux iugemens des hommes, il me semble que les

-- 25 --

actions des Princes doiuent estre preferées à toutes celles du
reste des creatures. Iugement sans misericorde sera fait à
ceux qui n’en font pas aux autres. Iob montre qu’au iugement
de Dieu nul ne peut estre iustifié que par sa clemence.
Iesus-Christ ne fust pas enuoyé de son Pere pour iuger le
monde, mais bien pour les sauuer de la damnation eternelle.
La Loy deffend de iuger d’vne personne sans en auoir vne
parfaicte connoissance° : Et nous voudrions apres cela iuger
des actions de ceux de qui nous dependons absolument, &
qui nous ont esté donnez pour iuger des nostres.

 

Exod 18.

1. Sam. 7.

1. Rois. 3.

2. Sam. 8.
Iug. 3.

Eccles. 8.

Eccles. 8.

Eccles. 18.
Sam. 8. 9.
& 10.

Exod. 22.
Act. 23.

Baruch 2.

Deut. 17.
Prou. 29.

Exod. 23.

Deut. 17.

Math. 5.

Rom. 14.

Iacq 2,
Iob 9.

Iean 3.

Iean 7.

Considerons encore de grace pour finir, de quelle reuerence
il nous faut vser en parlant de leur personne. Si saint Pierre
en sa deuxiéme Epistre nous commande de nous exercer en
grande reuerence és sainctes conuersations, les vns les autres° ;
que ne deuons nous pas faire pour nos Roys, & pour des personnes
que Dieu a voulu luy mesme éleuer au plus haut faiste
des dignitez terrestres, & leur donner encore de plus la qualité
de Lieutenans de sa saincte & sacrée personne° ? Si nous
leur deuons obeyr, les honorer, & leur estre subjets en toutes
choses, de quelle reuerence ne deuons nous pas vser en parlant
de leur personne° ? Si l’on les doit aimer & n’en point médire
en aucune sorte ? S’il nous faut prier pour eux, sur peine
de pecher mortellement : s’il nous faut payer le tribut qu’on
leur doit, de crainte d’encourre leur disgrace° : si nous sommes
obligez de leur porter vn grand respect, & s’il ne nous est pas
permis d’en murmurer en façon quelconque° ; de grace, de
quelle reuerence nous faut-il vser en parlant de leur personne° ?
Si leur cœur est en la main de Dieu : s’ils ont esté ordonnez
Ministre de ce Tout-puissant, & s’il se faut garder de leur indignation,
comme d’vne chose bien dangereuse, ne sommes
nous pas obligez de parler d’eux auec vne grande reuerence.
Si Dieu nous les a voulu donner pour nous punir du crime que
nous auons commis, d’auoir abandonné sa domination pour
nous mettre sous la protection des hommes, s’ils peuuent faire
tout ce qu’il leur plaira, & qu’ils ayent droit de nous traitter
comme si nous estions des esclaues, auec quel respect ne deuons-nous
pas discourir de ces Princes du monde ? S’ils peuuent
disposer de nous, de nos enfans, de nos biens, & de nos

-- 26 --

vies, selon le pouuoir que Dieu leur a donné, sans que Dieu
veüille pour cela escouter nos plaintes, de quelle humilité ne
deuons nous pas accompagner les entretiens que nous ferons
de ces dignes Souuerains de la terre° ? Si Iesus Christ s’est
voulu qualifier tel deuant Pilate, & qu’il les ait voulu auoir
tousiours en grande veneration, que ne deuons nous pas faire
nous mesmes, qui ne sommes rien en comparaison de ce
diuin Sauueur de nos ames° ? En fin, si Dieu est pour eux, &
qu’il les protege contre toutes les puissances terrestres, quelques
meschans qu’ils puissent estre, qui sera si osé de manquer
au respect qu’on leur doit, & de ne le leur pas rendre auec des
sousmissions extraordinaires° ? Il n’est point de detracteur à qui
le Royaume de Dieu ne soit fermé, & qui puisse prosperer dãs
sa malice. Le detracteur & le mesdisant sont maudits, parce
qu’ils troublent le repos de ceux qui sont en paix, & qui doiuent
viure dans vne tranquillité publique. Marie fut frapée
de Ladrerie pour auoir mal parlé de Moyse. Celuy qui detracte
de son frere detracte aussi de la Loy, selon l’esprit de saint
Iacques. Et il n’est point de detracteur à qui nous ne deuions
boucher nos oreilles, ainsi que nous apprend le Sauueur de
nos ames. Moyse nous defend de detracter des Iuges, & de
maudire le Prince du peuple° : Ce qui est encore confirmé par
sainct Pierre, lors qu’il nous admoneste de leur porter beaucoup
d’honneur & vne grande reuerence. Qui seront ceux
apres cela qui ne se voudront pas sousmettre à tout ce que
nous deuons à la Majesté des Roys & à la dignité Royale. L’obeïssance
est plus agreable à Dieu, que tous les Sacrifices du
Monde. En fin, c’est vne vertu qui nous doit consacrer à sa diuine
Majesté & à ses viuantes Images, de tout nostre cœur &
de toute nostre ame.

 

2. Pier. 3.

Deut. 17.
15.

Baruch, 2.
Rom. 13.
Thess. 2,
Tit. 3.
1. Pier. 2.
Thess. 5.
Exod. 32.
Act. 23.
Tim. 2.
Math. 17.
Exod, 22.
Prou. 16.
& 17.
Exod. 16.
Prou, 21.
Rom. 13.
Rois 10.
Prou. 16.
Eccles. 8.

Sam. 8. &
10.

Math. 27.
Iean 19.
Math. 22.

Baruch 2.

Leuit. 19.
Eccles. 18.

Nomb. 10.
& 12.

Iacq. 4.

Prou. 25.
Exod. 22.

2. Pier. 1.

FIN.

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Boyer, Paul / sieur du Petit Puy [?] (P. B. E. [signé]) [1649], L’IMAGE DV SOVVERAIN OV L’ILLVSTRE PORTRAICT DES DIVINITEZ MORTELLES : OV IL EST TRAITÉ Contre l’opinion des Libertins du Siecle. Dedié à sa Majesté par P. B. E. Rex verò lætabitur in Dec, laudabuntur omnes qui iurant in eo; quia obstructum est os loquentium iniqua. , françaisRéférence RIM : M0_1684. Cote locale : C_5_58.