Brousse, Jacques [?] [1649], ADVIS AVX GRANDS DE LA TERRE. Sur le peu d’asseurance qu’ils doiuent auoir en leurs Grandeurs. Dedié aux Conseruateurs de leurs vies. , français, latinRéférence RIM : M0_487. Cote locale : A_2_2.
Section précédent(e)

ADVIS
AVX
GRANDS
DE LA TERRE.

Sur le peu d’asseurance qu’ils doiuent auoir
en leurs Grandeurs.

Dedié aux Conseruateurs de leurs vies.

A PARIS,
Chez la Veufve d’ANTHOINE COVLON,
ruë d’Escosse, aux trois Cramailleres.

M. DC. XLIX.

Auec Permission.

-- 2 --

-- 3 --

ADVIS
AVX GRANDS
DE LA TERRE.

POTENTATS, Fauoris, qui vous fiés à vos dignitez, & aux
bonnes graces de ceux, dont vos criminelles industries, vos
infames sousmissions, & vos honteuses condescendences vous
ont acquis les foibles cœurs, Princes, qui a la veuë de vos
grandeurs, croyez estre à l’abry des disgraces du sort. Monarques,
qui par les faux respects, que quelques lasches flateurs s’estudient
de rendre ; non pas à vous, en consideration de vous mesme : mais
à vos thresors, en leur propre consideration ; Vous persuadez aysement,
que rien ne vous ose choquer n’y contredire à vos paroles, qui sont comme
autant d’Arrests irreuocables, & comme autant de foudres, que vostre
toute puissance imaginaire vous fait lancer inconsiderement, sur qui
bon vous semble, Innocent ou Criminel : N’importe, vous le voulez,
Soyez aujourd’huy des-abusez.

Sçachez, Potentats, qu’il n’y a rien de si changeant, ny de si fragile
que le trompeur esclat de vos grandeurs ;Mendax honoris fulgor. Sçachez
que quand il vous parroistra plus bruslant ; ce sera pour lors qu’il faudra
dauantage apprehender son peu de durée, & si moins fier,quò plùs arridet,
eò fallacior ;Parce que la Fortune veut dissimuler, par des faueurs extraordinaires ;
sa rigueur prochaine, & qu’elle comble pour l’ordinaire
d’vne pompe merueilleuse, & d’vne magnificence incroyable, les choses,
dont elle machine la ruine, pour se faire voir Maistresse de tout ce qu’il y
a de plus beau, & de plus releué icy bas.Omnia sors vna regit.

Souuenez-vous, Fauoris, de vostre ancien estat, & de vostre naissance,
& que ce qui a esté la cause de vostre glorieux esleuement, a souuent esté
à vn milliers d’autres, l’effet d’vne calamité espouuantable, & d’vne tragique
mort ; car ce n’a esté que, ou vne lasche duplicité, en accordant
en apparence à vos Princes, pour leur plaire, ce que quelque reste de
vertu, & peut-estre les seules Loix de la nature vous faisoient abhorrer
& desapprouuer dans vostre ame ; ou vne criminelle coniuence à toutes

-- 4 --

leurs pratiques, & bonnes & mauuaises & que par consequent, le succez
que vous auez fait sur les esprits de ces Princes, qui premiers se sont esleuez
à ces sublimes degrez de splendeur, ou tout vn monde vous regarde,
auec soumission ; Venant tout entier d’vn sort capricieux, vous ne deuez
pas vous y asseurer, ny vous y mescognoistre, puisque le sort ne prend
plaisir que dans le changement, & qu’à renuerser par terre, ce qu’il s’est
pleu de desplacer iusques sur le tronc.De suis fortuna muneribus, at quæ
dedit aufert.

 

 


Ce qu’on voit qu’elle esleue, elle l’abbat par terre,
Vne extresme rigeur suyt. tousiours sa bonté,
Elle fait la Paix, & la Guerre,
Et monstre assez estan de verre,
Qu’elle en a le deffaut auec la beauté.

 

Mais outre tout cela, ce seroit tres-mal cognoistre le naturel ordinaire de
ses nouueaux fortunez, & de ses Guoux enrichis, que de vouloir exiger
d’eux de l’égalité d’esprit, & de la moderation dans vne si esclatante prosperité :
ils ne peuuent qu’ils ne s’emportent à des excez d’orgueil, quand
ils se voyent s’éloigner de leur premiere condition, & à des mespris de ce
qui estoit au dessus d’eux le voyant sous leurs pieds :Diuite nouitio nihil
insolentius,& en vont iusqu’a ambitionner les respects des grands de naissance.
Ils se persuadent que puis qu’ils ont les cœurs de leurs Roys, ils
meritent bien aussi les honneurs que l’on leurs rends : Si quelqu’vn leur
dénie, leur vaine gloire leur fait trouuer dans ce refus d’hommage, plus
de matiere de tristesse, qu’ils ne rencontrent de contentement dans leurs
grandeurs. Ils enragent de se voit fauorisez de leurs Roys, & de n’estre
pas considerez d’vn sujet : Le mespris d’vn seul empoisonne toutes les
douceurs qu’ils pourroient gouster dans les sousmissions d’vne infinité
d’autres : Et enfin leur ambition ne sert qu’à les rendre malheureux à
l’heur qu’ils deuroient estre les plus contens, & les plus satisfaits du monde.
Ha! que vous estes insenfez ? Que vous estes ennemis de vous mesmes ?
Quoy! vous semblez auoir peine de souffrir vostre propre felicité ? Que
ne ioüyssez vous paisiblement de ce que le hazard vous a donné ? Pourquoy
pretendre à ce qui sera cause que vous perdrez ce que vous auez
des-ja ? Ne voyez-vous pas que vostre bon-heur vous a fait des enuieux,
qui taschent incessamment de vous perdre ? Ne preuoyez-vous pas, que
si la faueur de vos Princes vous a soustenus contre leurs attaques, vos souhaits
ambitieux & temeraires, qui n’en veulent qu’a leur puissance, feront
ce coup, que n’ont peu faire nos aduersaires. Les honneurs par leurs brillans,
vous ont-ils aueuglé, de peur que vos vissiez. ce qui se trouue contre
vous ? Vous ont-ils hebeté, par les voluptez que vous y prenez, de peur
que vous ne vous apperceussiez pas que vous allez perdant les bonnes
graces du Prince, & que vous ne vous soumissiez pas ? Combien vous en
auez veu, qui ayant acquis par leur courage, par la perte de leur sang

-- 5 --

& par leurs vertus, ce que vous n’auez que du crime & du hazard, le perdirent
malheureusement : Les vns par de faux rapports, comme il s’en fait
tous les iours de vous, tel que fust Sadredin grand Fauory d’vn Roy de
Perse : Les autres par trahison, comme il s’en entreprend tous les iours
contre vous : telles que nous en voyons mille & mille dans les Histoires.
Plusieurs par hayne de leur Prince qu’ils auoient attiré sur eux par moins
que, ce que vous faites tous les iours, comme vn certain dans l’histoire
Romaine, pour vn ris qui despleut à l’Empereur. Enfin, par cent differentes
manieres, les vnes moins, les autres plus cruelles. Mais sur
tout ie vous puis asseurer, qu’il n’y en a presque point dans tous les liures,
qui ayent long-temps joüy de leur felicité, & qui l’ayent poussée iusques
au bout. Car comme toute chose tend à son centre, eux aussi dont la naissance
est obscure, & roturiere, retournent à leur neant ; Et comme vne
pierre ne peut durer en haut, de mesme ils ne peuuent, estant en ces supresmes
degrez qu’ils ne s’en precipitent de leur naturel.

 

 


ah ! nemo diu
Mobile beatæ sortis insedit iugum !

 

Et vous Princes, bien que la naissance semble authoriser vos sentimens,
& vous affranchir de l’empire de cette infidelle Deesse, ayant tout ce qui
compose vostre grandeur de vous mesme, & rien de ses fallacieuses liberalités,
apprenez qu’elle a tout au dessous de soy & rien au dessus ; Pas
seulement les Roys, a qui, quand bien elle ne vous domineroit pas vos
biens, vos trauaux, & vos vies, sont suiettes & entierement sousmises, &
desquels l’amitié, & les bonnes graces incertaines ; vous sont aussi necessaires,
pour vous entretenir dans vostre rang, que vous auez eu besoin
de vostre origine, pour vous y establir sans le secours de cette inconstante
Reine du monde, qui, si elle ne peut venir à bout de sa propre puissance
de vous perdre, quand elle l’aura entrepris, se seruira de celle de vostre
Roy, ou suscitera des enuieux contre vous, ou inuentera quelque
autre moyen, comme elle n’en manque point, pour faire par artifice ou
par trahison, le coup qu’elle n’aura plus faire de plein pouuoir, & à force
ouuerte :vi aut arte.Et de fait combien auons nous veu de grands Princes,
que la victoire suiuoit par tout, qui autant de fois auoient semblé defier
la rigueur du sort, qu’ils auoient liuré de bataille, en s’exposant à la teste
de leur armée, pour luy donner plus beau, sans iamais par aucun mauuais
accident auoir receu la moindre petite blesseure, & qui autant de fois
estoient demeurez vainqueur qu’ils auoient combatu ; estre enfin malheureusement
vaincus, non pas dans les combats, car ils y estoient indomptable,
mais, ce qui est encore plus digne de remarque & qui vous
doit donner de la terreur au milieu de vos plus fauorables prosperitez,
dans les entrailles des mesmes Royaumes qu’ils auoient conseruez & augmentez
au peril de leur propre vie & dans les mesmes lieux où ils auoient
receu tant d’honneur & d’acclamations publiques : non pas par leurs ennemis

-- 6 --

iurez, car ils n’en auoient point qui seulement ozassert leur faire
teste & qui au seul bruict de leurs noms, ne se creussent defaits auant mesme
que de donner combat, mais ce qui doit rendre vos conditions odieuses,
& mesprisables dans leurs plus majestueux esclat, chargés de chaisnes
par les Roys, dont ils auoient affermy les throsnes chancellans : mais
pour monstrer qu’il n’y a rien icy bas en qui on se doiue asseurer, traisnez
ignominieusement dans les cachots, par ceux qui peu de temps auparauant
leurs auoient tant fait de carresses, & tant donné de marques. Qu’ils
n’estoient rien moins qu’insensibles aux bons & fidelles seruices qu’ils
leur auoient rendus : mais pour comble de malheur, mis à mort par ceux
qui auoient aduoüez leurs estre redeuable, & de leurs Prouinces, & de
leurs propres vies. la fortune, cette ennemie irreconciliable des longues
felicitez, ne pouuant rien sur eux, par les voyes ordinaires, inspiroit
a leurs Roys qu’ils en vouloient à leurs Sceptres, qu’ils tourneneroient
contre-eux les forces, auec lesquels ils auoient si facilement
domptez les ennemis les plus redoutables ; & que sans difficulté ils les détrosneroient.
Dans ces apprehensions chimeriques, ces Roys sans iustice,
comme sans iugement, commandoient que l’on se saisit de ces innocens
coupables, faisoient enfermer & languir miserablement dans les prisons,
ceux a qui ils deuoient faire part de leurs trosnes, & le plus souuent donnoient
la mort à ceux qui leur auoient sauué la vie. D’où vient ce subit
changement de vos felicitez, Illustres Conquerans, aujourd’huy dans
vn char de victoire, demain dans la fange ; auiourd’huy dans le sein du
bon-heur, demain dans l’horreur des miseres ; aujourd’huy sur le siego
Royal, demain sur vn gibet ; & sans estre coulpable de quoy que ce soit.
Ha ! vous l’estes assez puisque vous auez la fortune pour ennemie.Grande
mortalium scelus sors inimica. Ie pourrois icy vous rapporter de mille sorte
de façons, dont s’est seruy cette Ingenieuse, pour se deffaire de ceux,
qui s’esleuoient trop haut, comme la trahison & l’enuie, par qui nous en
voyons de momens en momens perir. Mais passons aux Monarques, à
qui ie pretends principalement remonstrer la caducité, & l’inconstance
des plus grandes choses du monde ; afin qu’ils ne s’asseurent pas tant sur
leurs puissances, qu’ils ne songent qu’ils sont domptables ; Qu’ils ne tyrannisent
pas tant leurs sujets, qu’ils ne les fassent se reuolter contre-eux : Et
qu’enfin ils ne s’estiment pas si fort releuez au dessus de tout le reste des
hommes qu’ils ne pensent qu’ils ayent par dessus eux la prerogatiue de
l’immortalité.

 

 


Nous courons tous mesme danger,
Nous auons mesmes destinées ;
Et le mesme mal-heur qui pour suit le berger,
Peut attaquer aussi les testes Couronnées :
Nos iours sont filez d’vn fuseau,
Ceux des moindres sujets & des plus graues Monarques ;

-- 7 --


Sont entrepris de mesme parques,
Et coupez d’vn mesme eiseau.

 

C’est donc à vous, a qui ie parle Monarques redoutables, qui par vos
cruautez, vous estes rendus semblables à des Nerons, vous faisant apprehender
de ceux, dont vous ne deuez rechercher que l’amour & les
obeyssances volontaires : tremblez dans vos Royaumes, si vous n’y estes
cheris de vostre peuple, tremblez au pẽser de ce qui arriua au grand Maurice.
Cét Empereur ayant par auarice refusé de rachepter des Soldats, qui
auoient esté pris dans vne bataille qu’il auoit donné, & qu’on luy offroit
pour vne rançon tres-peu considerable se rendit odieux à toute son armée,
dont vne troupe enragée, contre son peu de charité, éleut Empereur en sa
place vn simple Centenier, qui auec l’ayde du reste des Soldats détrosna
ce Prince auaricieux & luy fit oster la vie sur vn eschafaut public, apres
luy auoir fait voir la mort de cinq de ses enfans.

Ie parle à vous, Souueraines puissances de la terre, qui vous persuadez
que tout vous est inferieur, & que rien n’est au dessus de vos trosnes, puis
que quand vous n’auriez point de rebelles dans vos Estats, & que vous
sçaurez l’art de vous assujetir paisiblement les nations, vous n’estes pas
seuls Roys en ce monde : Et qu’il ne faut qu’vn voisin puissant vous declarer
la guerre, pour vous chasser honteusement, & vous despoüiller de
toute vos Prouinces, comme fit Alexandre au plus grand Roy qui a iamais
gouuerné la Perse, i’entends le miserable Darius. Et que quand bien
les Roys de la terre vous seroient sousmis, vous estes vous mesmes sujets
d’vn Monarque, a qui toutes les testes couronnées sont redeuables de leurs
pouuoirs, & qui a plus de droit & de dommation sur elles, qu’elles n’en
ont sur leurs Sujets.

 


Regum timendorum in proprios greges
Reges in ipsos imperium est Ioues.

 

Et qui subjugue sans peine & sans combat tous les plus heureux conquerans,
les vns dans le fort de leur Royaume, par des maladies, comme
cét Alexandre le vainqueur de toute la terre. Les autres par des punitions
corporelles, Comme le superbe Nabuchodonosor, qui fut beste vn grand
nombre d’années, comme plusieurs autres qui sont demeurez impotens
de leurs membres ; Et tous enfin, sans esgard de leur pourpre, par la
mesme voye que le reste des hommes, qui est la mort.

 


illi turba clientium,
Sit maior : aquâ lege necessitas
Sortitur insigues, & incos.

 

Ie parle à vous, Tyrans, de biens & de vies de vos peuples, qui croyez
que le titre de Monarque ne consiste que dans la seruitude & l’aneantissement
des suiets, que dans les iniustes sentences de mort, que dans les exactions
[3 lettres ill.] la disposition de biens qui ne vous appartiennent que par cette
loy maudite de la terre & des Cieux, que vous saites à vostre modo : qui

-- 8 --

porte, Que les Rois ont vn droict legitime & vn pouuoir absolu, de trancher
de tout ce qui est en leur Monarchie. Ie vous aduertis que vous deuez
espargner vos peuples que de les irriter par vos tyranniques barbaries ;
C’est les forcer de se souleuer contre vous, & d’employer contre
leurs Roys des forces, dont ils ne deuroient sçauoir l’vsage que contre
les ennemis de la Patrie. Ie vous auouë que vous leur deuez accorder
de vostre bon-gré la liberté, de peur qu’ils ne la prennent d’eux-mesme,
que vous les deuez traitter auec iustice & auec clemence pour les
retenir dans l’obeïssance qu’ils vous donnent, & qu’ils ne vous desniront
pas, si vous ne les y contraignez par vos cruautez : Ie vous rsseure qu’il
n’y a rien tant à redouter qu’vne populace mutinée, qu’elle n’a consideration
ny de la pourpre, ny du baston Royal ; qu’il n’y a point de regnes
de tyrans, qui ayent esté exemptes de reuoltes & de seditions ; que
ceux qui ont esté rudes & violens, ont tous esté fort cours & extremement
troublez ; Qu’il n’y a point eu de Prouince plus barbares qu’elle
ayent esté, que la douceur des Roys n’ayt assujeties au gouuernement ; Et
que c’est le seul frain, dont se doit seruir les Princes pour retenir en bride
les plus farouches.

 

Ie parle enfin à vous, imprudens arbitres & dispensateurs de disgraces &
de felicité, qui auec si peu de iustice chastiez & recompensez ; Qui auec
tant de facilitez vous laissez aller a haïr ceux, qui peut-estre, vous
sont les plus affectionnez : Et a honnorer de vos bonnes graces ceux, qui
le plus souuent vous sont traistres & infideles ; ou du moins, qui ne vous
seruent, que parce qu’ils y rencontrent leur aduantage ; Sçaches que les
Roys doiuent faire tout ce qu’ils font auec vne extresme circonspection,
qu’ils doiuent tout mettre dans la balance de l’equité ; & que sur tout ils
ne doinent pas estre si prompts à chastier, quand mesme il y auroit du
crime,lentius ferunt dij, n’y a prendre tousiours pour leurs confidens
ceux qui semblent estre les plus assidus à leur rendre des respects & des
hommages ; puis que de ses deux points, & de punir & de recompenser
à propos, depend le plus pesans fardeau de la Royauté ; & que c’est
là, où se font ordinairement les plus dangereux naufrages des Princes.
Car ie vous prie, qui a-t’il de plus redoutable à vn Roy que de condamner
à mort vn innocent, & que de porter des arrests de prison & de bannissement
iniustes ? Puis que par les exils de ses fideles seruiteurs, il fait
murmurer contre soy le reste des bons ; Par l’emprisonnement des innocens,
ils attirent sur soy les imprecations & les haines de son peuple ; & que
par des sentences iniustes de mort, souuent il fait reuolter contre soy son
peuple, qui ne peut souffrir que les personnes d’integrité soient si iniquement
mises à mort dans la crainte qu’il ne luy en arriue autant, s’il donne
cours à cette tyrannie. Non, non, les Roys ne doiuent pas apprehender
que leur trop de douceur, & de clemence, mesme enuers les coulpables
n’affoiblissent leurs trone ; mais plustost qu’ils redoutent tous que les

-- 9 --

cruautez, & les violences qu’ils exercent indifferemment, sur le bon, &
le scelerat ne les brisent. Et pour le second point : Qu’est-ce que les Monarques
doiuent tant craindre, que d’auoir des Fauoris traisties ? Puisque
nous ne lisons autre chose dans les sacrez Cayers, & dans les Histoires
prophanes, que des Empires ruynez, que des Couronnes enuahies, & que
des Roys malheureux, par l’infidelité, & l’ingratitude de ses enragez
qu’ils auoient faits tout ce qu’ils estoient ? Qu’est-ce qu’ils doiuent plus
apprehender que de donner l’accez de leur personne libre à toute heure à
ses barbares vsurpateurs, qui ne leur paroissent si zelez, que pour n’estre
point soupçonnez du pernicieux dessein, qu’ils ont de les perdre, & pour
l’executer auec moins de difficulté ? Qu’est-ce qu’ils doiuent plus redouter,
que de remettre leur pouuoir entre les mains de ses seruiteurs sans
foy, qui s’en seruent pour s’agrãdir eux mesmes & qui souuent l’employẽt
pour deposseder ceux, qui le leur ont confié. Et neantmoins, Grands
Roys, vous punissez, & vous recompensez, auec si peu de raison ; vous
faites mourir sur vn simple soupçon vos meilleurs sujets, & pour le moindre
seruice, qui aura agrée à vostre humeur capricieuse ; Vous fauorisés
vos ennemis desguisez. Vous hayssez, & bannissez de vous, ceux qui vont
iusqu’à vous adorer, & qui vous seruent fidelement ; & vous affectionnez
& retenez, auprez de vous, ceux qui ne vous respectent qu’à cause
de vos grandeurs, & qui espient tous les iours l’occasion de vous
trahir.

 

C’est pourquoy, concluons que pour l’ordinaire les choses sont en effet
toutes autres, qu’elles ne vous apparoissent ; que vous estes presque
tousiours trompez tres-lourdement dans tous vos choix dans vos sentimens,
& dans tout ce que vous faites, Roys, Princes, Fauoris, Potentats,
que vos splendeurs vous esbloüissent, qu’elles ne vous permettent pas de
iuger sainement de quoy que ce soit, qu’elles vous font donner vostre estime,
à ce qui ne merite que du blasme, & vous attacher à ce que vous deuriez
bannir bien loin de vous. Lesquels accidens dangereux à vos biens,
dommageables à vos grandeurs, ennemie de vos fortunes, & de vos vies :
afin que vous éuitiez tous.

Mesprisez, Potentats, mesprisez genereusement. Ce qui vous rendra
recommandable dans les siecles futurs, si vous le rejettez ; & qui, si vous
l’estimez, vous rendra vous-mesme mesprisables : abandonnez volontairement
vos dignitez de peur qu’estant si fragiles, elles ne vous quittent
malgré-vous : faittes-vous vn genereux effort, & vous parant de l’ignominie,
que vous receuriez d’auoir esté abbatus du sort, acquerez vne
gloire immortelle de l’auoir surmonté en vous vainquans vous mesmes.

Ne vous oubliez pas, Fauoris, dans vos fresses prosperitez, ne vous fiez
pas sur vn bon-heur, qui n’a pour fondement que le caprice inconstant
d’vn homme : souuenez-vous que les Princes abusez vous le procureront
auec bien peu de subject ; qu’ils peuuent vous l’oster de mesme : Songez

-- 10 --

que vous ne deuez pas mespriser ceux, que vous voyez au dessous de
vous ; puisque, pour vous entretenir dans ce degré eminent, & ne descendre
pas à vne condition plus raualée, que n’est celle de pas vn de ces inferieurs,
vous estes obligées à des seruitudes & à des complaisances infames,
qui dans le plus sublime esclat de vos grandeurs vous rendent les
plus abjects de tous les mortels : Songez, que si vous estes asseurez du costé
de vos Roys, vous ne l’estes pas du costé de vos ennemys, & que vous
deuez dans les plus charmantes douceurs de vos fortunes craindre la mort
que vos enuieux taschent de vous donner tous les iours.

 

 


Di strictas ensis qui super impia
Cernice pilidet, non sicula dapes
Dulcem elaborabius saporem.

 

Et que ayant à apprehender de toutes parts, vous n’en deuez ioüir qu’auec
resolution de les abandonner, afin que leur perte, qui vous est infaillible,
vous soit supportable & moins fascheuse, quand elle vous arriuera.

Iugez, Princes, du mal-heur de vos semblables, ce que vous deuez attẽdre
dans vos Palais : souuenez-vous que l’on n’entend parler que de Prouinces
rauagées, que de Grands descheus, que de Puissances aneanties : &
faites reflexion pour mespriser vos naissances, pour blasphemer contre
elles, & pour les accuser de vous estre beaucoup plus mal-faisantes que
fauorables, à combien de dangers elles vous exposent, à estre pris de
vos ennemis dans les combats comme vn Empereur Valerien, du dos duquel
Sapor Roy de Perse son vainqueur se seruoit, comme d’vn estrier,
lors qu’il vouloit monter à cheual, comme Tombejus Soldan d’Egypte,
qui apres auoir esté traisné, les mains liez derriere le dos, sur vn vieux
Chameau, fut estranglé & pendu en vn crochet, pour seruir d’exemple
à la posterité. Et comme vn infortuné Baazeth, Empereur des Turcs,
qui fut enfermé dans vne cage de fer, où apres auoir demeuré plus de
vingt ans sans trouuer aucun moyen de finir ses regrets auec sa vie : il se
perça enfin le gozier d’vn os de poisson qu’il aiguisa auec ses dents. Souuenez-vous
qu’elle vous met en but aux trahisons des enuieux dans la
paix & dans la guerre, auec assassinats ; & à la haine de vos Roys, que l’on
offre de la moindre action, & qui vous mettent à mort pour vostre trop
de reputation & vostre trop de merite, de peur qu’estant plus dignes du
throsne qu’eux, vous ne les en depossediez.

 


Et i’ay mis au tombeau pour regner sans effroy,
Tout ceux que i’ay veu de plus digne que moy.

 

Et vous Roys craignez d’autant plus que vous estes plus esleuez : les
plus hautes montagnes sont plus proches des tempestes, & plus sounent
frapées des foudres que les vallées. Mesprisez vos Royautez, puis qu’elles
n’ont que des douceurs meslées de milles alarmes, que leurs charmes sont
troublez par d’effroyables soucis : abandonnez-les, puisque la mort vous

-- 11 --

y pend sur la teste à tous momens, puis qu’elles vous causent mille secrets
ennemis ; & qu’enfin vous n’y estes iamais en repos asseuré. Mesprisez vostre
pouuoir, puis qu’il ne vous rend pas si absolus sur vos peuples, qu’il
ne vous laisse dans d’eternelles apprehensions de les choquer. Ne vous
estimez pas si souuerains, puisque vous auez tant de rebelles dans vos
Estats, qui tous les iours sont tous prests de tenir l’estendart de la reuolte,
puisque vous auez tant d’esgaux sur la terre, qui s’en vont vous déclarer
la guerre, & que vous estes entierement sousmis au Dieu des Monarques.
Ne vous imaginez pas que vos puissances s’estendent iusques à ordonner
des biens & des vies de vos sujets comme bon vous semble. Craignez à
l’exemple de mille tyrans qui ont esté massacrez pour leurs trop barbares
cruautez : songez long-temps auant que de prononcer des arrests de mort,
de peur que vos iniustices ne vous perdẽt ; & ne vous attachez pas tãt que
vous faites ordinairement à ces Courtisans flateurs & dissimulez, puisque
mille & mille Roys s’y sont perdus ; comme dans le Texte sacré ; Roboam,
qui pour s’estre trop fié à Ieroboam, se vit reduit à deux de ses moindres
tributs par l’infidelité de ce Fauory ; Enfin vsez de vos Empires, ou comme
Sylla, pour vostre gloire ; ou comme Auguste, pour la conseruation de la
Patrie de peur que vous n’en vsez, comme Cesar, pour vostre mal-heur ;
ou demettez, vous en comme Sylla afin que vous vous pariez de mille
assassinats qui se commettent tous les iours contte vostre tyrãnie, afin que
vous changiez en amour, la haine de vos peuples ennemis de la domination
aspre & cruelle & que vous viuiez tranquille, aymez & en bons Citoyens,
comme cét Empereur Romain, de peur que vous ny soyez comme
Cesar massacrez, inquietez, haïs, & en tyrans insupportables, ou ioüissez
en comme leur successeur Auguste le plus prudent des politiques
apres vne meure deliberation de ce qu’il en deuroit faire, contre la crainte
qu’il auoit qu’il ne luy en arriuast autant qu’à son pere ayant desia échappé
de dix attentats contre l’inclination qu’il auoit d’imiter le premier qui
s’estoit rendu si fameux, de tout vaincre arresta qu’il le deuoit retenir
pour le bien de Rome, a qui il deuoit preferer son repos de toute la posterité.

 

FIN.

-- 12 --

Section précédent(e)


Brousse, Jacques [?] [1649], ADVIS AVX GRANDS DE LA TERRE. Sur le peu d’asseurance qu’ils doiuent auoir en leurs Grandeurs. Dedié aux Conseruateurs de leurs vies. , français, latinRéférence RIM : M0_487. Cote locale : A_2_2.