Catalan [signé] [1649], L’ADIEV DV SIEVR CATALAN, ENVOYÉ DE S. GERMAIN AV SIEVR DE LA RAILLERE DANS LA BASTILLE. , françaisRéférence RIM : M0_43. Cote locale : A_3_57.
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L’ADIEV
DV SIEVR CATALAN,
ENVOYÉ DE S. GERMAIN
AV SIEVR DE LA
RAILLERE
DANS LA BASTILLE.

A PARIS,
Chez CLAVDE HVOT, ruë S. Iacques,
proche les Iacobins, au pied de Biche.

M. DC. XLIX.

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L’ADIEV DV SIEVR CATALAN,
enuoyé de saint Germain au sieur de la
Raillere dans la Bastille.

Monsieur, & cher Confrere,

Il y a desia quelques iours que i’ay appris vostre
emprisonnement dans la Bastille, cette nouuelle m’a
esté tres sensible, & i’ay crû vous deuoir dire le dernier
adieu par escrit, n’esperant pas vous le pouuoir
iamais dire de bouche ; car il n’y a pas d’apparence que
vous veniez à saint Germain, & moy ie n’ay garde
d’aller à Paris de mon consentement, que si l’on m’y
mene par violence, ie ne croy pas que nous nous puissions
voir, si ce n’est peut estre en greue, ou les Amis
n’ont pas loisir d’auoir vne longue conuersation, &
ou les dialogues ne se font qu’auec vn Confesseur, ou
auec maistre Guillaume. Vn Philosophe dira que le
nom d’Amis ne se doit pas donner aux meschans, &

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que par consequent vous, ny moy ne l’auons iamais
deu porter, quelque estroite confederation qu’il y ait
eu entre nous : mais pour moy qui tiens que l’amitié
n’est qu’vne bien-veillance reciproque, fondée sur la
sympathie du temperament, & des mœurs bonnes
ou mauuaises, ie croy que nostre correspondance peut
bien estre qualifiée de ce titre. La foy se garde parmy
les voleurs, & ils obseruent dans le partage de leurs
rapines la iustice qu’ils ont violée, dans le dessein
mesme de les executer. Vous sçauez, mon cher Confrere,
auec quelle sincerité nous auons entretenu nos
paroles, & que la fraude a esté bannie de nos commerces,
quant à la distribution du gain, de vous dire
qu’il fut licite, ie ne croy pas qu’il faille maintenant
dissimuler à vn homme qui est arresté, i’aduoüe qu’il
ne l’estoit pas, mais il y a certains crimes que tout le
monde approuue pendant la mode, & que tout le
monde condamne quand elle est passée. C’estoit vne
chose bien douce que de gangner vn million par vn
aduis, & vn traité, ces profits immenses aiguisent fort
les esprits, & font naistre des inuentions aux plus stupides.
Ie ne puis songer aux comptans, acquis patans,
ordonnances pour affaires secretes du Roy, tailles en
party, & generalement aux prests, maletostes, exactions,
gabelles, subsides, impositions, & monopoles,
que ie n’enrage de bon cœur de voir l’estrange
bouleuersement des affaires. N’y auoit-il pas du plaisir
d’aller trouuer son Eminence, & de luy dire, Monseigneur,
nous auons découuert vn moyen d’auoir

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six millions comptans. Quels honneurs, & qu’elles
caresses ne receuions-nous pas de ce grand Cardinal ?
n’employ oit-il pas toute la souplesse, & toutes les
grimaces de son pays pour nous exprimer sa ioye, &
le bon gré qu’il nous en sçauoit. Peu s’en faloit que
dans le premier transport il ne nous permit de toucher,
& remuer ses glands. Car sans s’informer de la
façon dont nous auions proietté de leuer cet argent,
il s’en alloit trouuer la Reyne, qui se reposant sur les
soins du premier Ministre, se reiouyssoit de la calamité
de ses sujets, il est vray que c’estoit innocemment,
qu’elle n’a iamais consenty à pas vne de nos
propositions, que par aduis de son conseil, tant de
conscience, que d’estat. Helas ! mon cher Confrere,
que ce temps-là est bien changé, qu’il s’en faut que
nous ne soyons aux termes ou nous nous sommes
veus ; car à vous en parler auec franchise, nous commençons
à desesperer de nostre restablissement : iusqu’icy
le bon-heur, & la vaillance de Monsieur le
Prince nous auoit asseurez, mais nous voyons bien
que le ciel s’oppose à la violence de nos desseins, puisque
le nombre infini d’hommes qui sont à Paris nous
empesche de le forcer, & que ce mesme nombre que
nous croyons deuoir estre reduit à la faim dans trois
ou quatre marchez, fait encore bonne chere. Nous
auions de la peine à nous le persuader, il se trouuoit
icy des complaisans qui disoient que chaque morceau
de pain y valoit vn louys d’or ; mais enfin la Reyne
mesme qui n’est pas fort accoustumée d’entendre des

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veritez, a sceu qu’il y auoit encores dix mille gueux
mendians à Paris qui ne se plaignoient pas du siege,
ou blocus ; car pour moy i’entens mieux les termes
de nostre art, que ceux de la guerre.

 

Si cela est, quel iugement deuons-nous faire, non
pas des Seigneurs, ny des Bourgeois, mais des artizans,
que l’on nous a dit trauailler comme auparauant
dans leurs boutiques ? Nous auions esperé de semer
aussi aisément la diuision entre le Parlement &
le peuple, que le Cheualier de la Valette semeroit ses
libelles ; mais tant s’en faut qu’il ait reüssi, que ce
mesme peuple la liuré entre les mains de ceux, dont-il
taschoit de l’aliener. On dit mesme que le Parlement
& la ville de Paris sont si bien d’accord, qu’ils se sont
mariez ensemble solemnellement par aduis de leurs
proches, & ont passé vn contract, dont les articles sont
tres auantageux à la Couronne, mais tres preiudiciables
aux Ministres d’auiourd’huy, aux Gouuerneurs
des Prouinces, aux Surintendans des Finances, Intendans
des Prouinces ; & sur tout à Messieurs les
Traitans, ou Partisans ; qu’on appelle vulgairement
du nom odieux de Gabeleurs, & Monopoleurs. Apres
cette ferme vnion, qu’elle esperance pouuons-nous
auoir de dompter Paris, ny par consequent de remonter
sur nostre beste ? Ie voudrois de bon cœur,
mon cher Confrere, que vous fussiez icy auec le reste
des Confreres, pour songer aux expediens de nostre
salut par la retraite, son Eminence ne s’en éloigne
pas fort, pour ne vous rien celer, ie pense qu’elle

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ne croit pas reuoir le Palais Cardinal, & que si elle
eut preueu ces reuolutions, elle n’y eut iamais fait remettre
ce titre, au lieu de celuy de Palais Royal qui
auoit meilleure grace. Pour vous qui estes en cage,
ie vous tiens au rang des choses passées : car outre l’integrité
de vos iuges, qui ne laisseroient pas de vous
condamner, quand nous ne les aurions pas choquez,
ne sçauez-vous pas que nous auons porté nos pates
iusques sur les fleurs de lys de leurs sieges, & que nous
auons tasché d’emporter quelque piece de leur pourpre.
Nous auons autant d’Ennemis qu’il y a d’autres
François que nous, & que nos semblables, nous auons
contraint le Laboureur d’abandonner sa charrüe,
le Marchand son traffic, le Noble son espée,
l’Officier sa charge, & l’Ecclesiastique son benefice.
Ce sont-là nos crimes communs ; mais les vostres particuliers
sont encore plus enormes, la taxe des aisez
est vn de vos ouurages. Vous n’auez pas oublié qu’vne
Hollandoise, femme d’vn de vos Commis, fut
cause qu’vn fameux Bourgeois fut taxé à six mille liures,
& vous recompensastes mal ce pauure Clerc du
conseil, qui estoit si artificieux à dresser des arrests
pour les Fermiers des aides, lors que vous retirastes
dix mille liures que vous luy deuiez, sous le billet d’vn
de vos adherans, par vne taxe que vous imposastes sur
de pauures paysans ses heritiers. Enfin que peuuent
esperer des traitans, & gens d’affaires, dans vne ville
gouuernée par des Blanmenis, des Violes, des Landes
Payens, & autres personnages de cette force, &

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sur tout en vn temps ou M. de Brussel est Gouuerneur
de la Bastille. Ie vous escris confusément, & sans
ordre, touchant des choses si extraordinaires, & si surprenantes,
& ie finiray par la priere que ie fais à Dieu :
car ie commence de croire qu’il y en a vn, & de le
craindre, que si nous auons vécu en execrables voleurs,
nous puissions mourir en bons larrons. Adieu
c’est.

 

Monsieur, & cher Confrere,

Vostre tres-humble seruiteur, & cordial
Confrere, CATALAN.

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Catalan [signé] [1649], L’ADIEV DV SIEVR CATALAN, ENVOYÉ DE S. GERMAIN AV SIEVR DE LA RAILLERE DANS LA BASTILLE. , françaisRéférence RIM : M0_43. Cote locale : A_3_57.