D. B. [signé] / Cyrano de Bergerac, Savinien de [?] [1649], LE CONSEILLER FIDELE. , françaisRéférence RIM : M0_764. Cote locale : E_1_124.
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LE
CONSEILLER
FIDELE.

A PARIS,
Chez IEAN BRVNET, ruë neuue sainct
Louys, au Canon Royal, proche le Palais.

M. DC. XLIX.

Auec Permission.

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LE CONSEYLLER FIDELE.

VN grand sainct n’a pas eu mauuaise
grace de dire qu’il estoit de la
foiblesse de l’homme de pecher.
& que c’estoit le propre des Diables
de perseuerer dans leur malice.
Ce seroit vne chose incroyable,
si elle ne nous estoit deuenuë sensible, que les mauuais
ministres n’eussent point eu de paix ny de trefue
auec eux mesmes, dans le dessein qu’ils ont eu
de ne faire qu’vn desert de tout ce Royaume, &
qu’ils ne se proposassent la fin de la guerre, que
par celle des personnes qui n’estoient plus en estat
de souffrir leurs crimes. Le peuple ne se treuue
coupable auiourd’huy que d’auoir fait des vœux
publics pour sa liberté premiere, il n’a esté condamné
au dernier supplice, que pour auoir osé gemir
sous vn fardeau, sous lequel il estoit prest de
succomber, & par vne cruauté inconnuë à tous les
Siecles, nostre plainte est deuenuë vne partie de
nostre souffrance. Ces tyrans en qui la rage n’est
plus qu’vn diuertissement ordinaire authorisé par
la coustume, ont deffendu aux miserables ce qu’on
n’a pas mesme refusé aux premiers Martyrs, ils

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ont voulu encherir sur la charge des bourreaux, &
rendre muets ceux de qui les plaïes pouuoient estre
autant de bouches sanglantes. Dans cette loy dont
ils ont fait vne necessité toute barbare, quelques
vns d’entre nous s’en sont fait vne du respect & du
silence ; ils ont receu l’arrest de leur mort, ou la
nouuelle de leur perte sans ietter mesme vn soupir,
& l’on eut dit qu’ils sortoient du monde auec aussi
peu de trouble, que quand la nature les y auoit fait
entrer. Il est vray que quelques autres ont treuué
lasche vne soumission si aueugle, qu’ils n’ont peu
se persuader que la tyrannie deut estouffer tous les
sentimens de la Religion & de la nature, & qu’ils
ont creu que la iustice ne pouuoit refuser d’entendre
les plaintes de l’innocence persecutée, sans
perdre son nom & son caractere, puis que c’est là
son premier employ, & que Dieu deffend esgallement
à tous les luges ce qu’il deffendit à Moyse,
d’estre iniuste dans ses Iugemens, & de s’arrester
en telle rencontre à la grandeur ou à la bassesse.
Dans ce sentiment genereux, ils ont imité ces Cygnes
qui ne commencent à chanter que quand ils
sont prests de mourir au rapport des Poëtes & de
Platon mesme, & c’est ainsi qu’ils ont fait vn Concert
de leur murmure à deux pas de leur tombeau,
& qu’ils ont ouuert la bouche quand la mort estoit
preste de la fermer. C’est dans vne desolation qui
n’est pas plus bornée que ce grand Estat, & qui en

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faisoit porter le dueil par auance à tous ceux qui en
preuoyoient la ruine entiere, qu’ils ont fait voir que
l’authorité du Roy n’estoit plus qu’vn nom pompeux,
comme on l’a dit autrefois de la Republique
Romaine dans vn temps ou celuy qui s’en faisoit
appeller le pere, en estoit le plus grand tyran ; que la
maiesté du Prince n’estoit plus qu’vne belle image,
qu’vn étranger vsurpoit toute sa puissance legitime,
& que son domaine deuenoit sa proye. Apres nous
auoir fait toucher cette verité qui nous auoit desia
cousté du sang & des larmes, apres auoir veu nos
biens espuisez, & nos veines presque taries, nous
auons reconneu qu’il ne haïssoit nos loix que pour
ce qu’elles estoient contraires à ses entreprises, &
qu’il retranchoit l’authorité des Parlemens pour
ruiner toute la iustice, comme on fait mourir le cyprez
quand on couppe le haut de ses branches. Le
temps qui a coustume d’introduire toutes les choses
sur le Theatre, pour parler auec Tatian, a mis au
iour la plus part des grands ouurages de ce Politique
dans nos souffrances & dans nos miseres ; il n’est
plus possible que nous nous plaignions de nos pertes
sans nous plaindre en mesme temps de son ministere,
& qui dira que nous auons en quelque sorte
appuyé son ambition par nostre indulgence, prendra
nos mal heurs dans leur estenduë, & dans leur
source. Ce n’est pas d’auiourd’huy que la paresse a
fait des repentans & des miserables, & qu’on a veu
des gens deuorez par des bestes qu’ils croyoient appriuoisées,

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& qu’ils pensoient ne deuoir plus craindre.
Les vertus ont leur excez aussi bien que leur
deffaut : La compassion est criminelle quand elle est
iniuste, & c’est assez de l’estat ou nous sommes tous
reduits pour nous faire confesser qu’il est esgalement
dangereux de pardonner toutes les fautes, &
de n’en pardonner aucune. Le Medecin fait l’office
de bourreau quand il ne refuse rien à son malade, &
la charité du Chrestien deuient vn de ses pechez,
quand c’est par elle qu’il pretend aimer iusques aux
personnes qui sont en execration deuant Dieu qui
est la charité mesme selon l’Apostre, & qu’il s’en sert
de fondement & de principe pour souffrir les sacrileges
& les traistres. Nous auons regardé iusques icy
le Cardinal Mazarin de la mesme sorte que nous
auons souuent regardé des bestes farouches qui sont
entretenuës pour la rareté de leur espece, ou pour la
grandeur des Roys, ou pour la curiosité du peuple ;
mais quand nous auons examiné que celles-cy
estoient ordinairement enchaisnées, pour ne pas
contenter les yeux de leurs spectateurs aux despens
de toutes les parties de leurs corps, & pour empescher
qu’ils n’en deuinssent & les victimes & la curée ;
que celle-cy estoit libre, & que sa fureur n’estoit
point oisiue, nous auons iugé qu’il y alloit de l’interest
du souuerain, & du salut de son peuple de s’opposer
ouuertement aux coups que nous ne pouuions
plus éuiter que par vn miracle. Nous nous
estions seruis en secret du ieusne & de l’oraison contre

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vn prodigieux nombre d’Harpies, comme on
s’en sert contre les Sauterelles de l’Apocalypse,
quand les exorcismes ordinaires ne peuuent suffire à
les chasser des corps, dont elles ont pris possession ;
mais apres auoir veu que nos ennemis nous auoient
accoustumé dés long-temps aux ieusnes, & que
Dieu nous auoit donné des bras, nous les auons
employez en cette rencontre, & nous n’auons point
douté que nous ne d’eussions estre heureux, puis
que nous auions pour nous, & la Iustice & la Force.

 

Certes, si Damis s’estonne dans Philostrate de
voir conduire vn Elephant par vn ieune garçon
de treize ans, il y auoit bien plus à s’estonner de voir
icy l’Estat gouuerné par vn homme qui n’a rapporté
chez nous que la malice de son païs, & qui ne s’est
rendu remarquable que par vne ignorance grossiers,
& aussi honteuse que les premiers diuertissements
de sa vie. Vne Monarchie comme la nostre
demandoit vne personne plus spirituelle, plus Religieuse
& plus adroitte, & pour maintenir son éclat
dans la minorité du Roy, ce n’estoit pas trop d’vne
Intelligence. La France a des Sages aussi bien que la
vieille Grece ; nous auons des Princes à qui l’experience
& l’estude n’ont presque point laissé de lumieres
a desirer & de veritez à descouurir, & qui
nous pouroient conduire auec des succez merueilleux,
selon l’opinion de cét Ancien, qui ne croyoit
pas qu’vn Estat fut plus heureux que quand il estoit
conduit par des Philosophes. Icy ie ne comprends

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pas ces Philosophes qui parlent de la Politique
comme certains Medecins parlent des Plantes dont
ils sçauent tous les noms sans en connoistre la vertu,
i’entends ces veritables Sages de qui le cœur respond
a la langue, qui raisonnent & qui executent,
qui se font admirer dans le combat aussi bien que
dans le Conseil, qui penetrent dans les interests de
nos voisins & dans les nostres, dont la vertu ne doit
rien à la naissance & à la fortune, qui preuoient les
dangers & qui les preuiennent, qui bastissent leur
Politique sur la Morale, & qui ne la destachent
iamais de l’Euangile.

 

Outre qu’il est honteux de laisser vsurper à vn
estranger le droit des Princes, de peur que cette
souffrance ne leur reproche quelque foiblesse, ou
qu’elle ne marque en eux quelque tache qui merite
nostre soupçon, il est dangereux encore de l’esleuer
aux plus hauts degrez du ministere, de pour qu’il ne
reconnoisse par ce moyen nos deffauts & nos aduantages,
qu’il ne se serue des premiers pour nous
ruiner, & des seconds pour nous endormi quãd on
l’en fera descendre ; qu’il ne descouure en suitte à
ceux de son païs ou de sa cabale pour se vanger ce
qu’ils doiuent ignorer pour nostre gloire, & pour
nostre bien, & qu’en fournissant aux ennemis de
dehors des memoires de nos souhaits, de nos deffiances,
ou de nos craintes, il ne leur fournisse des
armes pour nous preuenir, pour nous surprendre,
ou pour nous combattre. En effet l’amour que nous

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auons pour nostre païs, est vne passion naturelle
qu’on ne peut arracher qu’auec nos entrailles, &
celuy qui disoit que le Sage treuuoit sa patrie où il
rencontroit son bien, n’estoit pas sage, & ne connoissoit
point sa patrie. C’est vne sagesse qui n’est
qu’en idée, comme la Republique de Platon, &
c’est proprement cesser d’estre homme pour s’efforcer
d’estre Philosophe. Dans cét amour qui est imprimé
dans nostre sang & dans nostre cœur, & qui
fait vne partie de nous mesmes, le fauory qui est nay
sujet du Prince qui le carresse & qui l’estime, ne
profite point de ses faueurs sans les rendre vtiles à
ceux de son païs mesme, & s’il arriue qu’il esleue
quelques maisons sur la ruine de quelques familles,
comme la generation de l’vn est la corruption de
l’autre dans la nature, les biens qu’il amasse ou qu’il
distribuë ne passent point les frontieres de son souuerain ;
les particuliers en tirent tousiours quelque
fruit, ses parens, ses amis, & ses domestiques y pretendent
tousiours quelque part, & la ville qui la veu
naistre en a pour le moins de l’honneur & du credit,
& s’en promet tousiours quelque priuilege & quelque
grace. Il en est tout au contraire d’vn estranger
quand il possede l’oreille d’vn Prince. Comme le retour
dans son païs est ordinairement son esperance
la plus grande & la plus secrette ; quelque artifice
qu’il employe à se déguiser, qu’il ne combat que
pour la retraitte, qu’il ne peut oublier ny ses amis
ny ses proches, ou qu’il trauaille à la gloire de son

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Roy naturel, lors qu’on croit qu’il s’oppose à sa
grandeur, comme les rameurs qui tournent le dos
au lieu ou ils veulent aborder, c’est aussi de là qu’il
n’a que son interest pour son but, qu’il fait vne moisson
dorée de l’Estat, comme on dit que Statocles &
Dromoclidas en faisoient de la iustice, qu’il ne laisse
d’où il veut partir que ce qu’il ne peut emporter,
qu’il procure des emplois & des dignitez à ceux de
sa nation autant que son authorité le peut permettre,
& que la Cour du souuerain ne semble plus deuoir
passer que pour vne Cour estrangere. C’est ainsi
que les sujets naturels deuiennent pauures, ou
que leur credit est affoibli par celuy des autres, pour
ce qu’ils en occupent la place ; que les richesses
qu’ils ont amassées dans vn Estat, passent dans l’autre
sans aucun retour, & qu’ils se retirent enfin chez eux
quand ils en rencontrent l’occasion, pour y viure de
nos sueurs & de leurs rapines. Le Ministere du feu
Cardinal de Richelieu nous sembloit estrange ou
pour ce qu’il n’est pas dans le pouuoir mesme de Iupiter
de plaire à tous, comme disoit Theognide, ou
pour ce que le bien n’estoit pas simplemẽt enchainé
auec le mal, cõme Homere nous l’asseure, mais pour
ce qu’ils estoiẽt trop meslez & trop cõfondus, & que
nous deuions tousiours nostre repos à quelques regrets
& à quelques funerailles. Cependant il est certain
que les lettres ne furent iamais plus fleurissantes
sous le Regne de François premier qui en fut appelle
le pere ; que les siecles des Antonins, des Trajans,

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des Augustes, & des Alexandres, ne furent
gueres plus feconds ny plus heureux en hommes
sçauans ; qu’il a reconnu tous les excellens ouuriers
par des pensions ou par des caresses glorieuses, &
qu’il n’est point d’artisant fameux qui ne luy soit redeuable
de quelque auantage. Mais dans le gouuernement
du Cardinal d’aujourd’huy, les Muses n’auroient
pas esté ny plus ridicules, ny plus descriées,
quand on auroit basty les petites maisons pour les
renfermer, & quand le Parnasse n’auroit esté qu’vn
hospital de fous & de folles Les plus illustres ouuriers
meurent de faim sur leurs chef-d’œuures ; les Poëtes,
les Orateurs, & les Philosophes ne comptent que
le Cardinal Mazarin & la fortune entre leurs ennemis
irreconciliables, & se voyent bannis d’où l’on
n’appelle que les ioüeurs de Hoc & de Tric Trac,
que des farçeurs & des saltimbanques.

 

Il ne faut donc plus s’estonner que le Parlement
ait eu des arrests contre vn Ministre qui hors la peste,
nous enuoye tous les fleaux de Dieu, qui veut
que la famine succede à la guerre, & que la rage soit
le derniers de ses dons & de nos supplices. Veritablement
vne si auguste compagnie ne pouuoit plus
glorieusement trauailler à nostre salut, puis que c’est
estre Dieu à l’homme que d’aider à l’homme, comme
dit Pline, que c’est estre comme le fils du tres-haut,
au rapport de Salomon, que de deliurer celuy
qui souffre quelque iniustice, & que c’est pour cette
raison que les Iuges sont appellez Dieux dedans
l’Escriture.

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Ne te lasse pas cependant pauure peuple persecuté,
de peur que tu n’adioustes le desespoir à ton
mal-heur, & que tu ne fasses naufrage apres la tempeste.
Comme les Cantarides ont dans leurs corps
vne certaine partie qui sert de contrepoison à leur
poison mesme, & qu’on fait des Antidotes des plus
grands venins, on tirera ton salut de ta souffrance,
& ta consolation de tes regrets & de tes plaintes.
Cesse de murmurer contre ceux qui te protegent &
qui te soustiennent, de peur que ton murmure & ta
deffiance ne les rebutent ou ne les irritent, & qu’ils
ne se repentent, ou ne s’ennuyent de procurer du
repos à ceux qui pourroient bien s’en rendre indignes.
Apres leur auoir fait pitié par tes pertes & par
tes miseres, efforce-toy de les gagner par ta patience,
puis que c’est elle enfin qui conduit tous les
grands desseins & qui les acheue, qui donne le prix
à chaque vertu, qui perfectionne la sagesse, qui
donne toutes les victoires, & qui couronne le Martyre.

D. B.

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