D. P. P. / Sieur de Carigny [1649], L’IDOLLE RENVERSEE, OV LE MINISTRE D’ESTAT PVNY. Par D. P. P. Sieur de Carigny. , françaisRéférence RIM : M0_1675. Cote locale : C_5_57.
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L’IDOLLE
RENVERSEE,
OV
LE MINISTRE
D’ESTAT PVNY.

Par D. P. P. Sieur de Carigny.

A PARIS,
Par FRANÇOIS MVSNIER, au Mont sainct Hilaire
pres le Puys Certain.

M. DC. XLIX.

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L’IDOLLE RENVERSEE, OV
le Ministre d’Estat puny.

XVLLES

L’extreme passion que i’ay pour ma patrie,
me cause tant de tendresse & de ressentiment,
lors que ie la voy troublée par
les horribles attentats que tu luy viens de
faire, oue ie me sens obligé de luy rendre
ce tesmoignage public de la part que ie
prens en ses douleurs, & à te donner quel.
aduis salutaires. Ie sçay bien que l’on me
dira que c’est traiter auec trop de respect
vne personne dont l’origine est inconnuë
aussi bien que celle des vénts, & des tourbillons
qui excitent les tempestes au milieu
du calme, & que l’on peut appeller la
cause de la crainte et Matelots & les funestes

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Aurheurs des naufrages. Mais il
faut que l’on sçache que ie te confidere
comme l’on fait les démons, qui au
sentiment d’vn des peres de l’Eglise ont
quelque chose debon, puis que Dieu
est l’Autheur de leur estre. Et quant à
moy ie serois d’humeur à prescher la Penitence
a ces Anges reuoltez, si comme Origene
ie les croyois capables de se conuertir
au bien qu’ils ont abandonné par l’orgueil
qui les a fait cheoir dans les abysmes, car ce
peché a fait des tizons ardans de ceux qui
estoient crées pour étre des astres lumineux
& de pures intelligences. Toutes-fois quelques
vus disent qu’il en est de toy comme
de ces simples qui sont innutiles si l’on ne
les broye, & comme de ces inpoctes qui
seruent apres leur mort de contrepoison.
C’est le sentiment des plus sages d’entre nos
Politiques que les playes que tu as faites a la
France, & dont il luy restera tousiours des
cicatrices, ne peuuent estre gueries autrement.
Veritablement il faut croire que Rome
la nouuelle a bien degeneré de l’ancienne,
& que celle qui fut tout genereuse n’est
plus qu’vne fourbe, si elle ne produit plus
que des personnes qui te ressemblent ; puis

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des Republiques & les pestes des plus superbes
Empires. Il faut (dis-ie) que l’on
publie que les cadets n’ont point herité de
la magnanimité des aisnez, & que Mazarin
est bien opposé a ces Heros des anciens Ro.
mains qui ont donné leur vies pour la conseruation
du Senat & du Capitole, & qui
pour recompense ont esté honnorez de statuës
& d’Apoteoses, puis qu’il est auiourd’huy
l’obiet de la haine publique, & puis
que les parlemens lancent la foudre de leurs
Arrests contre luy. Certes si l’on examine
toutes ses actions on s’imaginera qu’il n’a
iamais presté l’orreille aux inspirations de
son bon Ange, & peut-estre ie douterois
qu’il en eut vn si ce n’est que la Theologie
m’enseigne que Dieu ne denira pas mesme
cette grace a l’Antechrist.

 

Oú sont les monumens de sa pieté ? Où
sont les Hospitaux qu’il a fondez en ce Royaume
apres auoir fait tant de pauures ? Où
sont les Tẽples qu’il a batis ? Ou sont les Autels
qu’il a parés ? Où sont les sçauans qui le
puissent loüer de ses liberalitez, apres tant
de sueurs & d’encens que la flatterie donne
qu on peut iustement les nommer la ruine

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souuenta de semblables Idolles de boüe ?
Mais pourquoy auroit-il recompensé les
Orateurs, & les Poëtes Latins, puis qu’il
n’a aucune teinture de cette belle langue ?
Pourquoy recompenseroit-il les Muses
Françoises, luy qui ne se connoist qu’en la
Monnoye de la France, & qui n’ayant pas
le cœur François est entierement ignorant
des graces de cet jdiome. O que i’ay bien
fait la penitence de t’auoir autrefois loüé
hautement & que mes Muses furent criminelles
(elles qui sont du plus pur sang
des Dieux) d’auoir composé des éloges
pour celuy qui par l’horreur des ses crimes,
s’est rendu le plus noir de tous les hommes.
O que de bon cœur ie me dedis de
mes Panegyriques, & que ie suis honteux
d’auoir brulé mes Encens sur les autels de
ce Monstre. C’est ainsi qu’on a fait autréfois
des Apologies pour les Nerons & pour
les Heliogabales, qu’on a deifié les choses
les plus infames, & que la flatterie a logé
dans des Niches dorées, ceux que l’on deuoit
traisner dans la bouë, & que l’on a fait
des Dieux, de ceux que l’on deuoit égorger
comme des victimes. Que de Doctes
se repentent de luy auoir consacré leurs
veilles, puis qu’il en est de luy comme de

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ces statuës qui écrasent ceux qui les encensent !
Ne sçait on pas qu’il imite cet
Auare, dont vn sçauant faisant la Peinture,
a dit que d’vn morceau de terre jaune
& morte il à coustume d’en faire sa Diuinité
à qui il sacrifie iusques à son cœur. Il n’y
a rien de plus vain, & on peut le comparer
à cet ambitieux, dont parle vn Grec, qui
ayant immolé vn bœuf, & couronné la teste
de Fleurs & de Guirlandes, pis les attache
à la porte, afin que les passans sçachent
qu’il a sacrifié vn bœuf. A n’en
point mentir, il faut auoüer qu’il y a bien
de l’aueuglement en ta conduite ! A que
tu ne te souuiens pas de ta naissance, qui
est pleine d’infamie, & qui n’estant que de
la lie du peuple, il semble que tu ne regardes
que des Septres, & des Diadesmes.
Il n’y a rien que tu n’ayes violé, pour monter
au poinct où l’on ta veu, & l’on tient
qu’il faut que tu te sois serui des plus abominables
secrets de la Magie noire, pour
corrompre l’esprit de quelques personnes
que tu obsedes. Tu tés fait des degrez
à la grandeur, par l’abaissement des princes
& tu as voulu t’éleuer sur le debris des
fortunes les plus éclatantes. Aprés tout
considere que tu es sur le penchant du

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precipice, & qu’il n’y a point de lieu en
toute l’Europe où tu puisses trouuer vn
Azile. Les Demons que tu consultes deuoient
bien t’enseigner l’Art d’illuder l’esprit
de ces illustres Senateurs, que tu as
voulu perdre, ou de gagner celuy des peuples,
afin que tu peusses rencontrer vn lieu
de seureté. Il n’y a point de retraicte plus
asseurée pour les Grands & pour les Ministres,
que le cœur de ceux qu’ils gouuernent.
Mais le Ciel ne l’a pas voulu permettre,
puis que nous voyons qu’il se declare
ouuertement ton ennemi. Toute la terre
a coniuré ta ruine, & le parti de ceux qui
sont prés de toy, & qui s’attachent a ta fortune
est si petit, qu’il est à croire que les
pretiges & les illusions qui les trompent
ne seront pas de longue dureé. Il n’y a
point de prince étranger que tu n’ayes
fourbé, & paris se plaint auec raison, qu’apres
auoir espuisé tous les thresors de nos
Prouinces tu luy a enleué son Roy. Ce
crime est sans doute plus noir mille fois que
les tenebres de cette nuict qui fut la complice
de cette action criminelle. Ce procedé
nous fait bien voir que tu te plais a
troubler les Festes & que tu es l’ennemy
coniurè des Roys. Tu nous fais bien voir

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8"/> que tu n’estois nay que pour garder des
Oizons puis que tu ne sçais pas l’Art de
maintenir les Throsnes & les Couronnes.
Pour moy i’ay quelque sorte de compassion
pour le mal-heur ou tu t’és engagé, & l’aduis
que ie te donne est de te remettre en
grace auec Dieu, de rendre à paris ce
qu’il ayme le plus, qui est son Monarque,
& de dire pour tousiours adieu à la France.

 

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