D. VV. [1649], LE HERAVLT FRANCOIS, OV LE PARANYMPHE DE MONSIEVR LE MARESCHAL DE LA MOTHE-HOVDANCOVR, Duc de Cardone, &c. Publiant les Batailles qu’il a données en Italie & Catalogne, auec les memorables actions de sa vie. , françaisRéférence RIM : M0_1624. Cote locale : A_3_68.
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PREMIERE PARTIE.

Pvis que les esprits ne sont plus sous la tyrannie, & qu’il
est permis à tous ceux qui n’osoient parler à l’auantage
de la vertu, de la faire parestre auec toutes ses beautez
naturelles, Ie n’ay pû cacher plus long-temps vn Ouurage
que la iustice auoit exigé de mes sentimens, en
faueur de Messire PHILIPPE HOVDANCOVR, ILLVSTRE
MARESCHAL DE FRANCE, & que la crainte d’vn orgueilleux
Ministre d’Estat m’auoit empesché de produire depuis deux ans.
C’est vn portraict de ce Grand Homme, que i’expose aux yeux de
toute la France, & dans l’object duquel ie n’oblige pas peu la posterité,
puis que ie luy laisse des leçons pour luy faire aymer la vertu : Les
gens de bien m’en sçauront gré ; ie ne me mettray pas en peine si les
hommes qui n’auront pas cette qualité, me regardent d’vn œil de
trauers.

Il est Grand, mais sa grandeur n’est pas vn effect des capricieuses
faueurs de la fortune. Il y est monté par tous les degrez, où l’espée
peut éleuer vn Gentil-homme ; & i’ose dire que son courage en a fait

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toute la matiere. De Soldat, il fut Cornette de la Compagnie d’vn
Prince ; le temps le fit premier Capitaine dans le Regiment de Pfalfebourg ;
ses merites l’auancerent au commandement d’vn Regiment
de Caualerie ; Il fut en suite Mestre de Camp d’vn Regiment
d’Infanterie ; Il deuint Gouuerneur de Place Frontiere ; Mareschal de
Bataille ; Lieutenant de Roy dans vne des plus belles Prouinces de
France ; Mareschal de Camp ; Lieutenant General d’vn Prince du
Sang au commandement des Armées ; General d’Armée en chef ;
Mareschal de France, Vice-Roy de Catalogne, & Duc de Cardone.

 

Il commença de porter les armes aux attaques de Negreplisse &
Sainct Antonin, qui se firent en 1622. fut Cornette du Duc de
Mayenne aux Sieges de Sommieres, Lunel & Montpellier ; passa peu
de temps aprés en Oleron, pour appuyer le sieur Houdancour son
aisné, qui commandoit le Regiment de la Reyne-Mere en cette Isle ;
Se voulut trouuer à la bataille nauale que le Duc de Montmorency
gaigna contre les Rochelois en 1625. Ne contribua pas peu de
chose aux soins de l’Euesque de Mande son frere, qui s’estoit chargé
de ietter du secours dans l’Isle de Rhé ; suiuit le Mareschal de Schomberg
qui passa dans cette Isle auec force trouppes, & fut à la deffaite
de l’armée Angloise que le Bukinghan commandoit.

La Rochelle estant alors assiegée par l’Armée Royalle, il vid les
premieres dispositions à sa prise, par l’establissement des Quartiers :
Mais sa Maiesté le iugeant plus necessaire ailleurs que deuant les murailles
de cette Place, il fut commandé pour le Dauphiné, où le Prince
de Condé Generalissime en Languedoc, Daufiné, Guyenne &
Prouence, faisoit estat de nettoyer les riues du Rhosne, des Places
que ceux de la Religion pretenduë y tenoient. Son obeissance se
trouuant bien d’accord auec ces ordres, il se rendit dans l’armée de ce
Prince pour y commander le Regiment de Pfalsebourg, dont il
estoit premier Capitaine, le suiuit au Siege de Suyan en Viuaretz, alla
reconnoistre la Place auec deux cens hommes, rompit trois barricades
qui luy furent dressées, pendant qu’il alloit à cette occasion ; fut
à la prise des Forts de Sainct Alban, & de Beau-Castel, & seruit ainsi
fort vtilement à restablir le commerce du Rhosne, que ces Places
auoit ruiné.

Les Chasteaux de Vauvert & de Quelart ayans esté surpris par
ceux de Nismes, & le Duc de Rohan s’estant approché de cette Place,
pour disputer le passage de la riuiere de Vvistre à l’armée du Prince,

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Son Altesse commanda sous ses ordres trois Compagnies de Caualerie,
auec le Regiment de Pfalsebourg, pour passer de l’autre costé :
ce qu’il fit, auec vne contenance si resoluë, que les trouppes du
Duc de Rohan n’oserent se disposer au combat pour l’aller chocquer :
de sorte que s’y retranchant puissamment, il asseura le passage
à toute l’armée.

 

Son asseurance parut encor mieux à Pamiers : car le Regiment de
Normandie ayant esté repoussé de la breche auec grande perte, il y
donna de telle vigueur, qu’il l’emporta mal gré toute la resistance
des ennemis ; Action qui donna tant de frayeur à la garnison, qu’ayant
abandonné les murailles pendant les tenebres, les habitans se rendirent
à discretion. Ses efforts continuerent au degast des campagnes
de Castres, aux Sieges de Realmont, de Sainct Seuer, & de Castelnau :
Il fit encor la retraite de Saincte Afrique, marcha pour le secours
de Creissel attaqué par le Duc de Rohan ; & pour finir cette
campagne, par vne action de pareille estoffe, tailla en pieces les trouppes
que le Gouuerneur de Montauban auoit establies en des postes
cachez, pour surprendre le Prince de Condé qui faisoit voyage en
Berry.

Le Duc de Montmorency demeuré pour commander cette armée,
ne l’employa pas moins vtilement aux Seuennes, aux pays de
Foix, & de Viuaretz ; le Roy mesme ayant forcé les Alpes, fait leuer
le premier Siege de Cazal, donné la paix à l’Italie, & voulant auoir
Priuas, vne des plus asseurées retraites des Huguenots, il enuoya
querir son Regiment, sur l’esperance d’en tirer de grands auantages
pendant le Siege : En quoy sa Majesté ne fut point trompée ; car
s’estimant assez glorieux d’auoir les yeux de son Prince, pour tesmoins
de ses actions, il tua en combat singulier, à la veuë de toute
l’armée, vn Caualier des ennemis, qui auoit ozé mettre la main sur
la picque d’vn Soldat de sa compagnie ; Ne s’estonna pas quand il se
veit engagé sous les ruines d’vne tour qui l’auoit mis tout viuant en
terre, sortit de là pour aller à l’assaut, & combatit si gaillardement à la
corne du bastion, qu’estant appuyé d’vn bon nombre de braues courages,
cette piece fut glorieusement emportée.

Les guerres de la Religion finirent heureusement en cette campagne :
les Estrangeres se renouuellerent auec le Printemps, qui fit le
commencement de 1630. le Cardinal de Richelieu passant les
Monts en qualité de Generalissime des armées de sa Maiesté ; ce Capitaine
fut commandé pour ce voyage, fut à la prise de Pignerol, &

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de Briqueras ; & bien que le General reprit peu de temps aprés le
chemin de France, il ne sortit point d’Italie que la ville de Cazal ne
fut deliurée.

 

A l’attaque du Pont de Carignan, qui fust vne des plus belles
actions du temps, le Duc de Montmorency & le Mareschal de la
Force, le choisirent auec les sieurs Lambert & d’Argencourt, pour
recognoistre la demie-lune qui le deffendoit, luy donnerent le commandement
d’vne des attaques, & cét honneur le fit combattre auec
vne si belle chaleur, que cette demy-lune fut emportée ; Il y receut
aussi des blesseures qui tesmoignerent qu’il auoit fait le Soldat, aussi
bien que le Capitaine, en cette action.

La campagne de 1631. ne luy donna que l’auantage d’auoir suiuy
le Roy au voyage de Metz : Dans la suiuante, il commanda pour la
derniere fois, le Regiment de Pfalsebourg, au siege de Flix, & au
combat de Castelnaudary : car ayant accompagné sa Majesté deuant
Nancy, il fut gratifié du gouuernement de Bellegarde, & d’vn Regiment
d’Infanterie, qui fut appellé de son nom ; charges qui vacquoient
par le deceds du sieur de la Grange. Ce fut auec ce Regiment
qu’il fit le voyage des Pays-bas, qu’il combattit à la bataille
d’Auein, qu’il commanda vne des attaques à la prise de Tillemont,
qu’il fust destiné pour l’entreprise de Louuain, & qu’il seruit le Prince
d’Orange, au fameux Siege du Fort de Schink.

La retraite de toutes les armées pour l’establissement de leurs
quartiers d’Hyuer, l’ayant fait retourner en France, le Roy le fist Mareschal
de Bataille, pour seruir au Comté de Bourgongne, où le Duc
Charles & le General Galas estans entrez auec vne armée redoutable
pour assieger Sainct Ian de l’Osne, il tira de Bellegarde deux cens
hommes, les ietta dans cette place inuestie, encouragea le Gouuerneur
& les habitans à se bien deffendre, retourna promptement à sa
garnison : & par ce trait de Capitaine, merita que le Prince de Condé,
& le Cardinal de la Valette fissent sçauoir au Roy que ce secours
auoit conserué toute la Bourgongne.

Ce seruice n’estoit pas petit, la recompense qu’il en receut, fut aussi
toute glorieuse : sa Majesté luy enuoya le breuet de Mareschal de
Camp, auec ordre de commander vn Corps d’armée, que l’on destinoit
pour executer vn dessein sur Rheinfeld, lequel n’ayant point
eu de suitte, par le manquement de ceux qui en auoient donne l’aduis
en Cour, il y eut vn second ordre de mener vers Montbeliard le
Corps qu’il commandoit, pour y attaquer la ville d’Isle, & le Fort de

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Matha, ce qui fut executé si prudemment, & auec tant de vigueur
que le Comte de Grancey Gouuerneur de la mesme Place, s’estant
ioint à luy, ce Fort fut emporté sans difficulté, & la ville de l’Isle
aprés des resistances incroyables, & beaucoup de peine, les Soldats
ayans esté contraints de se ietter dans la riuiere du Doux pour aller
à l’assaut, & passer aprés au trauers du feu, qu’vne grande quantité
de bois assemblé faisoit sur la breche.

 

Nouueaux ordres estans arriuez peu de temps aprés, pour aller
seruir de Mareschal de Camp dans l’armée d’Allemagne, commandée
par le Duc de Vveymar ; il y mena son Corps d’armée, ioignit
ce Prince au Siege de la ville de Beaume, donna de grandes preuues
de son courage aux passages de la riuiere du Rhin, que la necessité
fit faire à ce Prince : se mit en campagne par les ordres du sieur du
Hallier, Lieutenant General dans la mesme armée ; tailla en pieces
vne partie que les ennemis auoient mise aux champs, & par vne seconde
rencontre, toute l’arriere-garde Bauaroise, qui marchoit sous
les ordres de Iean de Vverth.

Ce furent là ses exploits de cette campagne sous le Duc de Vveymar ;
voicy ceux de l’année suiuante, sous le Duc de Longueuille,
General de l’armée que l’on auoit fait entrer en la Frãche-Comt[1 lettre ill.] : Le
premier fut la prise du Chasteau de Chaussin sur Brisenot, transfuge
François : le second, le secours du Chasteau d’Aygremont, que
le Duc Charles auoit assiegé : le troisiesme, l’attaque de deux mille
Lorrains campez dans vn bois, & retranchez auec deux canons : la
deffaite de ces trouppes ennemies fit le quatriesme : le cinquiesme
fut celle d’vn Fort, d’vne Abbaye, & d’vne tour flanquée, qui rendoient
la Vallée de Beaume presque imprenable : le sixiesme, fut le
rauitaillement de la ville de Poligny ; & le dernier la deffaite d’vn
Capitaine nommé Cliquot, vn des plus redoutables Chefs du Duc
Charles.

Cette campagne auoit esté glorieuse aux armes du Roy, Sa Majesté
ne le laissa pas aussi sans recompense : Elle le gratifia de nouuelles
faueurs, & le fit son Lieutenant General en Bresse, iusques à meilleures
occasions. Cette charge l’obligeant donc à s’espargner moins que
iamais pour le seruice d’vn si bon Maistre, Il marcha du costé de S.
Claude pour preuenir les Ennemis qui s’y amassoient, à dessein de
faire vne place d’armes en ce lieu, mit le siege deuant cette place,
l’emporta le quatriesme iour, & pour vne marque de sa pieté conserua
si religieusement les Reliques & les richesses de l’Eglise de cette Ville,

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vn des plus fameux pelerinages de la Chrestienté, que le soldat
n’y peut donner atteinte qu’auec le desir.

 

Le Duc de Longue ville ayant alors esté commandé de passer en
Italie pour le secours de la Duchesse de Sauoye, la conduite de toute
l’amée luy fut donnée auec ordre de faire toute la diligence possible,
ce qu’il executa si sagement, qu’ayant affermi toutes les villes du
Marquisat de Saluces au seruice de la Duchesse de Sauoye, il arriua
iustement deuant Chiuas assiegé par le Cardinal de la Valette, deux
heures auant que le Prince Thomas & le Marquis de Leganez parussent
pour forcer les lignes, ce qu’ils pouuoient faire auec vne puissante
armée qui les suiuoit : de sorte que ne leur empeschant pas seulement
le secours de la place, il fut vne des principales causes de leur
retraitte & de la reddition de la place, qui capitula sur le desespoir
d’estre secouruë.

Cette action fut la premiere qui luy donna de la gloire dans le Piedmont,
le temps luy en fit naistre vn grand nombre d’autres : La ville
& le Chasteau de Bene furent emportez, la Ville sans difficulté, le
Chasteau que l’on croyoit imprenable, apres beaucoup de peine &
de grands trauaux : La quatriesme occasion fut de courir au secours
de la Citadelle de Turin, la ville ayant esté surprise par les intelligences
que les Princes de Sauoye auoient dedans, & de former le
siege de cette ville pour le salut de la Citadelle ; mais vne suspension
d’armes en Piedmont ayant esté accordée en ce mesme temps, ce
siege fut remis à vne autre fois.

Le Duc de Longueville ayant receu pendant cette trefve les ordres
de commander l’armée d’Allemagne, qui n’auoit plus de Chef
par la mort du Duc de Vveymar ; ce Prince luy laissa la conduite de
son armée, qu’il commanda tousiours en corps separé, soit sous le
Cardinal de la Valette, soit sous le Comte de Harcourt, qui de General
de l’armée nauale, fut appellé dans le Piedmont par la mort de
ce Cardinal.

Cette campagne se peut appeller celle des merueilles, & l’on
pourroit faire vn iuste volume des beaux exploits que l’on y fit, neantmoins
j’en parleray fort succinctement. Elle commença par la resolution
de ietter dans Cazal vn puissant secours d’hommes & de munitions ;
ce sera par ce mesme endroit aussi que i’en commenceray le
discours. Pour faciliter ce dessein, il se falloit saisir de Quiers : le
Comte de Harcourt ayant donc veu arriuer la nuit du vingt-quatriesme
d’Octobre, iour auquel expiroit cette suspension d’armes,

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dont nous auons parlé cy-dessus, il commanda ce Capitaine pour aller
inuestir la place, ce qu’il executa si heureusement, qu’ayant
défait quatre cens cheuaux qui marchoient pour entrer dedans, il en
facilita la prise, la garnison n’estant pas capable de la deffendre.

 

Ce fut par la conqueste de cette place que l’on n’eut pas beaucoup
de peine à rafraischir Cazal de toutes les munitions necessaires ;
mais dautant que les Ennemis n’auoient pû rompre le cours à cette
entreprise, ils resolurent de faire perir l’armée Françoise & de l’affamer.
Les Princes de Sauoye employerent donc tous leurs soins à
couper les viures du costé de Turin, & le Marquis de Leganez se vint
poster à mesme dessein à Cambian, Poyrin & Villestelon, ce qui reduisit
l’armée à de grandes necessitez pendant quelques iours ; mais
enfin la resolution du Comte de Harcour ayãt esté de quiter Quiers
auec peril, plutost que d’y perir laschement ; il commanda de batre
aux champs, & cette sortie donna lieu aux fameux combat de la
Route, que l’on peut mettre au nombre des plus belles retraites qui
ayent iamais esté faites par quelque Capitaine que ce soit. L’armée
Françoise composée seulement de neuf mil trois cens soixante hommes,
partit de Quiers deux heures auant iour le 19. de Nouembre.
L’auantgarde où estoit le Comte de Harcour conduite par les Comtes
de Turenne & Plessis-Praslin Mareschaux de Camp, le bagage
marchoit apres, il estoit suiuy de l’Arriere-garde commandée par ce
Capitaine : La resolution de ce depart auoit esté prise secrettement,
neantmoins elle vint à la connoissance du Marquis de Leganez, qui
l’ayant fait sçauoir au Prince Thomas, il sortit de Turin, fit marcher
toutes ses forces à sa rencontre, luy se disposa de charger l’arriere-garde
auec les siennes. Les troupes du Prince Thomas estoient de trois
mil hommes de pied & de quinze cens cheuaux, celles du Marquis
de Leganez de neuf mil fantassins, cinq mil cheuaux & quelques
pieces de campagne.

Dés les huit heures du matin la Caualerie Espagnole ayant quitté
tous ses postes, commença de costoyer l’Arriere-garde Françoise sur
la gauche, & tous les efforts qui se firent alors, se terminerent en des
escarmouches legeres, voila pourquoy cette Arriere-garde n’auoit
point discontinué sa marche ; mais pour l’arrester au passage de la
Route, où le Prince Thomas chargeoit aussi l’Auant-garde de son
costé, le Marquis Espagnol detacha trois gros Escadrons pour fondre
dessus nos coureurs : Ce qui obligeant ce Capitaine à commander
que l’on fit alte, il fit tourner teste à ses troupes & les disposa selon

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la commodité qu’il auoit, afin de profiter des auantages du terrain :
Les sieurs de Florinville & de Porcheux furent commandez
pour soustenir les coureurs, le premier auec trois cens mousquetaires,
l’autre auec cent cinquante du Regiment des Gardes, & de la
Compagnie du Prince de Condé ; Ce qu’ils firent auec tant de cœur,
que ces trois Escadrons furent renuersez & battus apres vn combat
merueilleux : sur quoy le Marquis de Leganez arriuant auec toute son
Armée, il fit placer deux batteries & fit donner en mesme temps aux
flancs de cette Arriere-garde.

 

Pour resister à cette furieuse attaque qui dura deux heures, ce Capitaine
visita tous ses Escadrons & ses Bataillons, encouragea les soldats
par son exemple & par sa resolution, fut genereusement secondé
par tous les Chefs & les Capitaines, & fit combatre auec vne telle
conduite, que les Ennemis ne l’ayans pû trouuer ouuert pour l’enfoncer,
furent contrains de se retirer auec grande perte. Mais le
Marquis ayant appris sur les cinq heures, que le Prince Thomas
estoit aux prises auec l’Auant garde, il retourna furieusement au
combat, attaqua de quatre costez & continua la meslée iusques bien
auant dans la nuit, sans gagner vn poulce de terre : de sorte que nos
mousquetaires n’ayans plus rien dans leurs bandollieres, ils eurent
recours aux espées, auec lesquelles ils soustindrent si bien le combat,
que le General Espagnol voyant ses troupes harassées sans auoir
acquis aucun auantage, se retira sur les trois heures apres minuit
pour leur dõner vn peu de relasche. C’estoit pourtant auec dessein de
retourner à la charge, aussi tost que le retour du Soleil luy en donneroit
la commodité, mais ce Capitaine ayant apris que le Prince Thomas
auoit esté defait par le Comte d’Harcour, il se preualut si bien de
la retraite des Ennemis, que ses troupes furent toutes passées auant
jour : De sorte que les Espagnols n’eurent que le regret de trouuer
trois mille morts, dessus la poussiere, tant de leur costé que de celuy
du Prince Thomas pour quatre cens soixante François qui demeurerent
sur la place.

Ce combat qui dura six heures auec des forces tant inegales, acquit
vne gloire immortelle aux armes de sa Majesté : ce Capitaine
qui les auoit commandées en partie, receut aussi la satisfaction d’estre
loüé par la plus auantageuse bouche de France, ie veux dire
par le Cardinal Duc de Richelieu, qui luy promit sa bien-veillance
auec l’estime de sa Majesté.

Le commencement de la campagne de 1640. fut le secours de

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Cazal, pour lequel la necessité forçant le Comte de Harcour à donner
bataille, il luy donna l’aile gauche à commander : mais ayant
trouué de grandes difficultez à l’attaque que la droite deuoit faire
aux lignes, il reuint à gauche, prit six Regimens d’Infanterie qu’il
y auoit laissez, & les mena combatre à la droite. Iusques-là l’on n’auoit
point veu d’exemple que la Caualerie seule eut gagné des retranchemens :
Neantmoins ce Capitaine exploita tant heureusement
auec la sienne, que s’estant ouuert vn passage, il ne contribua
pas peu de chose à cette memorable victoire, qui conserua Cazal, par
la ruine de la meilleure partie des forces Espagnoles : l’ordre qu’il tint
pour cette attaque fut celuy qui suit :

 

Il auoit esté reconnoistre les lignes d’vne colline qui les decouroit,
auoit fait voir à ses Officiers l’endroit par lequel il deuoit entrer, &
tout d’vn mesme temps vne cassine aupres de laquelle il leur auoit
ordonné de se ioindre incontinent qu’ils seroient entrez : Si tost que
ces remarques furent faites, il commanda le sieur de la Luzerne auec
trois Regimens pour attaquer vn gros de Caualerie, qui gardoit l’eminence
S. Georges, alla cependant à la teste de trois Regimens qui
luy restoient, chercher vn en droit par lequel vn homme à cheual
pourroit entrer sans difficulté, fit passer par là cinquante Maistres
conduits par Lonay Lieutenant, & Granval Cornete : Et dautant
que ceux qui gardoient les lignes, se mirent en estat de les conseruer,
il fit donner si brusquement par tous ceux qui l’accompagnoient, que
les retranchemens estans emportez apres vne resistance assez vigoureuse,
la retraite de ceux qui fuyoient, donna tant d’épouuante à
quelques Escadrons qui venoient pour les appuyer, que ce Capitaine
ayant ioint le sieur de la Luzerne à la cassine designée, il luy fut facile
de batre & mettre en route tous ceux qui se presenterent de son costé.
Les Ennemis n’estans pas sans quelque esperance de se sauuer
par le moyen de trois grands bateaux qui se trouuoient dessus le P[1 lettre ill.],
il s’y en ietta grande quantité pour gagner l’autre bord de cette riuiere ;
mais ce ne fut que pour augmenter leur mal & leur perte car
ayant fait couper les cordes, ces vaisseaux trop chargez enfoncerent,
& ce naufrage estant ioint au grand eschec que fit sa Caualerie, tant
pour empescher tous les ralliemens que pour la poursuite des fuyards
qui furent tallonnez iusques à Pondesture, la perte des Ennemis se
trouua grande de ce costé-là : Il y gagna quantité de Cornettes & de
Drapeaux, huit canons, six mortiers, l’argent destiné pour le payement
de toute l’Armée, & fit seize cens prisonniers.

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Passeray-ie icy sous silence cette sanglante bataille de Turin, qui
deuoit triompher de toutes les forces Françoises qui se trouuoient au
delà des Monts ? Elle est trop belle, & trop auantageuse à mon sujet,
pour n’en dire mot, en voicy quelques circonstances, dont les memoires
m’ont esté fournis dans vne Piece faite pour le Comte d’Harcour,
sur sa Campagne d’Italie.

Le premier effort qui fut fait sur nous, commença au quartier de
la Mothe Houdancour, entre la Purpurata & la Doüaire, où Dom
Carlo de la Gatta parut auec deux mille cinq cens cheuaux, & cinq
mille hommes de pied. Ils faisoient marcher deuant eux quantité de
fascines, de pontons, d’escheles & d’outils, que les premiers rangs
composez d’Officiers Reformez, & couuerts de fortes rondaches,
firent ietter dessus & dedans le fossé. L’Infanterie des ennemis s’y logea,
mal-gré toute la resistance & le feu du Regiment de Villandry,
lequel ayant prés de deux mille pas de ligne à garder, ne pût s’empescher,
qu’à la faueur & à couuert d’vne telle mousqueterre, ceux qui
s’estoient logez dans le fossé, ne fissent vn passage pour leur Caualerie,
qui entra dans nos lignes en grand nombre : Mais la Mothe y
estant accouru, auec le Regiment de la Luzerne, il les chargea auec
tant de vigueur qu’il les chassa hors des retranchemens, & se rendit
Maistre de la Place : Toutesfois ils y entrerent en plus grand nombre
par vn autre endroict, où ils furent si brusquement chargez par
ce Capitaine, qu’ils furent contraints de sortir pour la seconde fois de
nos lignes, aprés s’estre meslez dans vn combat, qui ne dura pas moins
d’vne heure. Nous opposasmes à cette attaque opiniastre, vne deffence
vigoureuse qui reuint à la gloire de ce Capitaine, que le Ciel
destinoit pour estre le fleau des Espagnols.

Ceste resistance n’empescha pas que les ennemis reuenans pour
vne troisiesme fois au combat, auec toute leur Caualerie & Infanterie,
n’entrassent dans les retranchemens mal-gré les nostres : mais durant
le plus fort de l’attaque, les Regimens de Beauregard & du Terrail,
arriuerent tant à propos, qu’ils percerent plusieurs fois tous les
escadrons ennemis, renuersans les bataillons d’Infanterie, qui commença
deslors à s’estonner, iusques à ce qu’estant ralliée & remise en
ordre, ce Capitaine qui les veit tous passez ou entrez dans son retranchement,
retira ses gens auec grande experience, & se couurit d’vne
haye forte pour les combattre en ce passage, où ils ne pouuoient aller
à luy qu’en défilant. Ce qui luy succeda tant heureusement, qu’ayant
porté par terre plusieurs de leurs Caualiers qui auoient tenté le passage,

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il obligea les autres à retourner en confusion : les ennemis ne laisserent
pas de border cette haye auec leur Infanterie, qui fit de si grandes
descharges dessus nostre Caualerie, qu’elle fut contrainte d’aller
prendre son champ de bataille dedans vne petite plaine, à deux mousquetades
de la courtine de la Citadelle, où les ennemis estoient obligez
de passer par necessité : ce qu’ils entreprirent auec vne si belle
disposition, que leur marche ayant esté fort considerée par ce Capitaine,
il fut contraint d’attendre qu’ils luy monstrassent le flanc, auquel
moment il prit son temps si bien à propos, que les faisant charger
par toute sa Caualerie, il rompit leurs escadrons, & perça de telle
sorte leurs bataillons, que la tuërie ayant duré par l’espace d’vne heure
& plus, il demeura plus de deux mille morts sur la place, la Caualerie
se trouuant alors si pressée, qu’elle abandonna l’Infanterie pour se
sauuer, en se precipitant dans vne rauine, qui luy pouuoit faire gagner
la ville par la Prairie.

 

Voila les termes dans lesquels cette bataille est decrite par vn François
qui fit le Panegyrique de cette Campagne en faueur du Comte
de Harcour, les Estrangers la releuent encore dauantage, & particulierement
Galeazo Gualdo Priorato, qui dans son Histoire du
Temps, attribuë les plus grands coups de cette memorable défaite
à la valeur de ce Capitaine : voicy les propres mots dont il se sert
France si li quali Hebero questa vittoria fortunamente é per diligenza
del signor de la Motha, à cui la sorte concesse nella confusione qu’ella
intrepedezza, é temperanza che Pochj Benche prudenti ne sono in casi
simili fauoriti.

Cela fait voir que ie ne flate point vne si recommendable valeur,
quand ie dis qu’il rendit en cette occasion de grandes preuues de conduite
& d’experience, & qu’il y signala son courage aux despens d’vn
peuple qui se croit par tout inuicible ; mais ie ne m’arreste point en
si beau chemin, I’adiouste Que

De vingt-neuf sorties qui furent faites pendant ce Siege, il y en
eut vingt-trois qui s’addresserent à son quartier, qui toutes furent vigoureusement
repoussées : mais entr’autres, il s’en fit deux le 23.
Iuillet, & le premier iour d’Aoust, pour faire sortir de la ville les bouches
inutiles, dont il est à propos que ie parle icy.

La premiere qui commença sur les dix heures de nuict, diminua
fort les ennemis : le Prince Thomas donna du costé des Gardes ; le
Marquis de Leganez fit de fortes attaques du costé du Pô, pour fauoriser
cette sortie, diuisée en auant garde & arriere-garde : l’auant-garde
de cinq cens Maistres, conduits par Dom Iuan de Lemos, Espagnol,

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General de la Caualerie de l’Estat de Milan, marcha le long
de la Douaire Susine, sans auoir esté découuerte iusques à la Purpurata,
où les pionniers ouurirent cette partie des retranchemens, qui
estoient entre cette riuiere & vne redoute qui la deffendoit : mais le
fossé s’estant trouué trop haut, & plein d’eau, l’auant-garde ne peût
passer, & dans cette occupation, elle fut surprise par ce Capitaine, qui
reuenoit d’vn grand combat, où il auoit contraint l’arriere-garde,
commandée par Dom Carlo de la Gatta, de se mettre entre les murailles.
Cette Auant-garde se trouuant donc enfermée, elle fut contrainte
de demander quartier, & demeura toute prisonniere, à la reserue
de quelques Caualiers qui sur l’apparence de se sauuer, se perdirent
dans la Doüaire & dans le fossé. Dom Iuan de Lemos fut le plus
considerable des prisonniers ; mais dautãt qu’il auoit le bras cassé d’vn
coup de pistolet, ce Capitaine le renuoya genereusemẽt sans rançon.

 

Quant à celle du premier iour d’Aoust, concertée entre le Prince
Thomas & le Marquis de Leganez, par le moyen du Canon courrier,
elle se fit auec ce succez.

La nuict à laquelle ce premier iour deuoit succeder, estant arriuee,
le Marquis marcha auec partie de l’armée Espagnolle, & pour empescher
le Comte de Harcour de secourir le quartier de la Purpurata, fit
auec vn grand feu de mousqueterie, vne feinte attaque du costé de
Colleins, sur lequel temps le Prince Thomas sortit de Turin, auec
quatre mille hommes, pour fauoriser la sortie de douze cens cheuaux
qui marchoient sous la conduitte de Dom Carlo de la Gatta, auec
des fascines & des pontons, pour ne tomber pas dans le mal-heur de
la precedente sortie ; mais ce Capitaine s’estant vigoureusement opposé
à cette entreprise, auec toutes les trouppes qu’il commandoit, il
contraignit, aprés vn combat furieux, le Prince Thomas & Dom
Carlo de la Gatta, de r’entrer dans la ville auec desordre laissant quantité
de morts au champ de bataille ; & cette courageuse opposition
causa la reddition de Turin, qui ne fut pas vn petit progrez pour les
affaires de Piedmont.

Voila ses emplois d’Italie : ceux qu’il eut peu de temps aprés dans
la Catalogne, se trouuerent beaucoup plus grands & plus espineux :
nous en mettrons le recit dans la Seconde Partie de ce Panegyrique,
que vous verrez dans deux ou trois iours ; nous parlerons tout d’vn
mesme temps des calomnies qui le firent arrester dans Lyon, & des
motifs qu’il a eus pour continuer ses seruices à l’Estat, sous l’authorité
de l’Auguste Senat de Paris.

Fin de la premiere Partie.

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D. VV. [1649], LE HERAVLT FRANCOIS, OV LE PARANYMPHE DE MONSIEVR LE MARESCHAL DE LA MOTHE-HOVDANCOVR, Duc de Cardone, &c. Publiant les Batailles qu’il a données en Italie & Catalogne, auec les memorables actions de sa vie. , françaisRéférence RIM : M0_1624. Cote locale : A_3_68.