Du Bos, Mathieu [?] [[s. d.]], LE MANIFESTE DE MONSEIGNEVR LE PRINCE DE CONDÉ TOVCHANT LES VERITABLES RAISONS de sa sortie hors de Paris, faite le 6. Iuillet 1651. Auec vne protestation qu’il fait à la France, qu’il n’en veut qu’à l’Ennemy commun de son repos, c’est à dire au Cardinal Mazarin. , françaisRéférence RIM : M0_2372. Cote locale : C_11_1.
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LE
MANIFESTE
DE MONSEIGNEVR
LE PRINCE
DE
CONDÉ

TOVCHANT LES VERITABLES RAISONS
de sa sortie hors de Paris, faite le 6. Iuillet 1651.

Auec vne protestation qu’il fait à la France, qu’il
n’en veut qu’à l’Ennemy commun de son repos,
c’est à dire au Cardinal Mazarin.

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LE
MANIFESTE
DE MONSEIGNEVR
LE PRINCE
DE CONDÉ.

IE ne doute pas que ma sortie n’ait beaucoup
trauaillé les esprits de ceux quine sçauent pas
les raisons qui m’ont oblige de la precipiter,
mesme en vn temps où ie deuois presumer
qu’il ne se pouuoit que ce depart ne fut necessairement
suiuy de l’estonnement public, dans la
creance generalle qu’on a que ie donne le branle
à tous les mouuements de l’Estat, & que ie
balance si puissament les affaire, qu’elles ne
prennent iamais d’autres pante que celle que
ie leur donne au gré de mes seules inclinations.

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Si ceux qui sont dans ce sentiment ne iugent
de la sorte qu’en suite de la haute reputation
que ie me suis acquise dans vne infinité de
rencontres où i’ay tousiours pris plaisir de prodiguer
mon sang, afin d’en cimenter la gloire &
le repos de la France ; le leur aduoüe qu’ayant
eu ce bon-heur dant toutes mes entreprises,
que de les auoir faites constamment reussir tant
au gré de ma propre & iuste ambition, qu’à
l’aduantage de la Royauté, pour la deffence de
laquelle ie n’espargneray iamais ny mon honneur,
ny mes richesses, ny ma vie ; Il n’est point
de veritable zelateur du bien de la Monarchie,
qui ne m’ait tousiours deferé, comme à celuy,
qui ne butant iamais qu’au dessein de veiller
tousiours pour les interests de l’Estat, ne pouuoit
par mesme raison manquer de iustifier tous les
mouuemens de ceux qui voudroient regler les
leurs au niueau de ma conduite.

Aussi puis ie protestera toute la France que
ie n’ay iamais eu d’autres ennemis que les siens ;
& que ie ne fusse iamais tombé dans le mal-heur
qui fit il y a deux ans triompher l’iniustice, de ma
generosité, si les perturbateurs du repos public
n’eussent bien preueu, que ie ne serois iamais
assez lasche pour complaire seruilement au dessein
qu’ils auoient de trauerser le repos de l’Estat ;
& que loin de les fauoriser ie serois le premier

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pour contreminer toutes leurs menées, par
les obstacles inuincibles, que l’honneur & la
qualité de premier Prince du sang, me deuoit
obliger d’y former pour les interests des peuples.

 

Cette iniuste haine qui sembloit auoir esté
pleinement assouuie par vn cruel emprisonnement
de quatorze mois, & que le banissement
de son boutefeu me faisoit desormais regarder
comme vne impuissante à me pouuoir nuire,
m’a fait raisonnablement apprehender par les
apparences trop visibles d’vn prochain éclat,
qu’elle n’auoit laché la prise de trois Princes
que par force, & que les creatures de son principal
autheur, appuyées de l’authorité Souueraine
la nourrissoient secrettement dans leur
cœur, pour la faire éclater, lors que l’occasion
fauorable s’en presenteroit ; & rallumer derechef,
ou plus mortellement les troubles dans la
Monarchie, par l’iniuste entreprise du mesme
attentat, que la sincerité trop genereuse de mes
deportemens, eut sans doute laissé reussir, si
l’imprudence de mes ennemis à brasser ce second
monopole, ne m’eut obligé de me metre
à l’abry de leurs menées, en me retirant promptement
du milieu mesme de leur embusches,
pour ne laisser point retomber la France dans
vn second abisme de desolation, par les efforts

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genereux que mes ennemis eussent sans doute
fait pour proceder à vne seconde deliurance.

 

I’aduoüe bien que depuis mon eslargissement
ie n’ay iamais vescu que dans les apprehensions
quoy que secrettes de cette seconde entreprise ;
& que ie me suis tousiours defié que cét heureux
calme que mon élargissement auoit ramené dans
la France, deuant estre necessairement incompatible
auec l’impatience de mes ennemis, ne
manqueroit iamais d’estre troublé par ceux qui
ne se sont si prodigieusement agrandis qu’à la faueur
des desordres de la France. Mais neanmoins
ie croyois qu’ils auroient encore assez de
prudence pour espargner cette rude couruée au
declin de la Minorité ; & qu’ils attendroient du
moins que l’authorité d’vn Majeur leur fit esperer
vn fauorable succez, en secondant le dessein
qu’ils auroient de me faire arrester.

Cette impatience precipitée de leur iniustice,
me fait croire qu’ils ont pressenty quel innocende
mes intentions, & la fidelité de mes seruices,
ne pourroient iamais estre descriées dans l’idée
de nostre ieune Monarque, lequel estant parfaitement
instruit des trahisons de leurs monopoles,
& de la sincerité de tous mes procedez,
bien loin de les fauoriser, seroit pour me iustifier
par la faueur de son authorité dans la creance
publique : Et pour cette raison ils ont iugé

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qu’il faloit preuenir ce temps fatal à leurs peruerses
intentions, & tascher de se saisit de ma
personne, auant que le Roy ne fut en estat de
signaler le premier coup de sa iustice, par la
condemnation de leurs procedez, & par la iustification
entiere de mon innocence.

 

En effet depuis le temps de mon eslargissement
& de la chasse que la Iustice a donnée au
Cardinal Mazarin, les Estallons de sa tyrannie
ont si cauteleusement disposé les affaires à l’execution
de ce second attentat, forçant pour cette
intention les iustes & debonnaires inclinations
de nostre incomparable Regente ; que la France
estoit enfin reduite à la veille de rauoir le Cardinal
Mazarin sur les bras, & de retomber dans
le mal-heur des dernieres guerres, si par le conseil
de mes amis ie n’eusse preferé vne prudente
fuite à vne dangereuse resistance, pour obuier
aux troubles qui deuoient necessairement s’en
ensuiure.

Ie pense qu’il n’est point de subjet, quelque
ignorant qu’il soit dans les affaires d’Estat, qui
ne soit parfaitement instruit des brigues continuelles
que les ennemis de nostre repos n’ont
iamais interrompues, pour le rastablissement du
protecteur de toutes leurs menées ; & pour tacher
de me faire condescendre à cette sanglante
cabale, dont les propositions ne m’ont iamais

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semblé que tres criminelles, & dont i’ay tousiours
iugé que le party n’estoit pas moins desaduantageux
à la tranquillité de l’Estat, que celuy
qui se forme tous les iours, ou dedans Bruxelles
ou dedans Madrid.

 

Il est vray que le motif de ses propositions
dont on ne battoit pas moins mes oreilles, qu’on
interrompoit tous les iours le repos de son A. R.
sembloit du moins appuyé d’vn pretexte specieux,
que les emissaires du Mazarin empruntoient
du mariage du Duc de Mercœur auec la
Mancini, pretendant qu’apres cette alliance du
sang de Vandosme auec celuy d’vn estranger
inconnu, les raisons de s’opposer au restablissement
du nouuel oncle n’estoient plus que des
opiniastretez artificieusement desguisées ; &
qu’on ne pouuoit plus s’opposer à son retour, à
moins qu’on ne fust en dessein de vouloir allumer
les guerres ciuilles, par les efforts que ses
partizans feroient contre les plus iustes resistences
de ceux qui refuseroient de le signer.

Si son Altesse Royalle que i’ay tousiours regardé
comme le niueau de ma conduite, ne se
fut constamment inscrit contre la seditieuse
proposition qu’on faisoit de rapeller le Cardinal
Mazarin, ie croy que tant d’importunitez
eussent du moins esbranlé ma conscience, &
que i’eusse bien eu de la peine de me maintenir

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à l’espreuue de tant de charmantes secousses :
Mais outre que mon consentement n’eust
esté que tres inutille, i’ay creu qu’il ne falloit
iamais fleschir apres cét illustre exemple ; &
que ie deuois cette force d’esprit à la foiblesse
d’vn Mineur, dont le Trosne deuoit infailliblement
estre esbranlé par les troubles que
le retour de cét ennemy eut asseurement rallumé
dans la France.

 

Ces oppositions que la qualité de Prince
du sang ne ma iamais laissé interrompre contre
le retour du Cardinal Mazarin, ont enfin
fait conclure à ses emissaires le funeste
dessein de me faire arrester ; sur la creance
qu’ils ont eu, que s’ils m’auoient vne fois lié
les bras, ils auroient plus de liberté de trauailler
au restablissement de ce proscript, & qu’ils
n’auoient qu à s’asseurer de ma personne, pour
se mettre à l’abry de toute sorte de dangers.

Le dessein estoit sur le point d’estre effectué
lors que ie men suis aperçeu & que ceux qui
obseruoient soigneusement la contenance de
mes ennemis m’ont auerty, qu’il estoit temps
de songer à ma seureté ; & que la violence
des affaires ne permettoit pas à ceux qui en
brassoient l’iniuste monopole, de le faire plus
tirer en longueur de peur de le voir enfin auorter,

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par la promptitude auec laquelle i’en anticiperois
asseurement l’execution. Voilà l’vnique
& le veritable motif qui m’a fait sortir
de Paris, & qui ne sera sans doute pas
des aprouué de ceux qui considereront que
ny ma detention ny le retour du Mazarin ne
pourroient arriuer qu’auec le danger manifeste
de voir retomber la monarchie dans les
dernieres conuulsions.

 

Mes ennemis pourroient bien faire passer
cette raison pour vn beau pretexte du veritable
motif, qu’ils voudroient faussement imputer
à ma sortie ; si ie n’establissois le soubçon
de cette coniecture sur des raisons euidentes ;
& si ie ne faisois voir par l’authorité
des preuues de tout ce qui se passe de secret
dans l’Estat, qu’on veut rappeller le Cardinal
Mazarin à quel prix que ce soit, pour le faire
remonter aupres du timon de la Monarchie ;
& par consequent qu’on en veut à l’Estat &
à ma personne.

Les desseins inconnus que les sieurs Coadiuteur
& de Lionne pratiquent secrettement
dans vn commerce si grand, qu’il marque
vne amitié tres particuliere, & qui ne peut
estre si estroitement renoüée apres vn mortel
diuorce, que par vn motif qu’on peut raisonnablement

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soubçonner ; me font iustement
apprehender les effets que ie laisse au
raisonnement politique d’vn chacun ; puis
que l’vn estant le plus mortel de tous mes ennemis,
& l’autre le plus zelé des partizans du
Cardinal Mazarin, il me semble que ce n’est
pas sans raison, que tout homme raisonnable
iugera estre audessus du pretexte ; que ie
me deffie du succes de leur negoce.

 

Ceux qui sçauent les noms des personnes
que mon emprisonnement auoit vnis auec le
Coadiuteur par le faux pretexte d’vn principe
d’amitié ; & que le mauuais succez d’vne
alliance premeditée a mortellement aigry
contre ma maison ; ne condamneroit sans
doute pas la iuste crainte que i’ay, que leur
reünion appuyée du bras Souuerain que ie
respecte, ne fut à la fin pour disposer vne seconde
fois les affaires à ma perte, & si l’experience
ne m’auoit appris qu’on ne sçauroit iamais
trop se defier de la conduite du temps,
laquelle ayant esté mal-heureusement desbauchée
par l’esprit des fourbes, que le
Cardinal Mazarin a fait glisser dans la politique
de la France, ne laisse point aucune
seureté dans la voye des Heros pour y proceder
genereusement par les principes de la
generosité.

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Ie voudrois encor imputer ce grand commerce
des sieurs Coadiuteur & de Lionne,
au renouueau de quelque amitié innocente
contractée par les instincts de quelque autre
motif : si le voyage du Duc de Mercœur qui
partit il y a quelques iours pour Cologne, à
dessein d’aller voir son oncle le Cardinal Mazarin,
ne me faisoit encor plus raisonnablement
soubçonner, qu’en effet on a brassé
malgré mon consentement, le dessein de rapeller
ce proscript : les politiques iugeront
s’il leur plaist de la sincerité de mon procedé,
en suitte de ce voyage du Duc de Mercœur,
& considereront si ce n’est pas auec
grande raison que ie me suis allarmé des iustes
apprehensions que i’auois d’estre pour vne
seconde fois l’objet des tiranniques poursuites
de cét ennemy commun, dont les intrigues
ne sont pas moins souueraines dans l’Estat
qu’elles l’ont tousiours esté, puis que les
creatures qu’il a tousiours animé par les soufles
de son esprit sont les intendantes souueraines
de la conduite, & qu’on peut asseurer
qu’il gouuerne plus souuerainement les rangs
de la Monarchie, qu’il ne faisoit autrefois lors
mesme qu’il estoit dans Paris.

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Si la France n’auoit pas le dessein de rappeler
le Cardinal Mazarin ; mais de le considerer tousjours
comme le veritable ennemy de l’Estat :
n’est-il pas vray que la plus grossiere Politique
ne luy deffendroit pas seulement ce commerce
si visible, auec le Perturbateur de son repos ; mais
mesme l’obligeroit estroittement de le choquer,
luy & tout son party, pour détromper entierement
les esprits de l’idée pretenduë, ou veritable
qu’on auroit, qu’elle viuroit encor auec luy dans
vne secrette intelligence.

Tant s’en faut qu’elle se comporte de la sorte ;
que non contante d’auoir constament entretenu
son amitié, par l’entremise des Couriers exprés
qu’elle luy depeschoit secrettement ; elle a
enfin consenty qu’vn Prince mesme ait entrepris
le voyage, & qu’en barbe de tous les sujets de l’Estat,
que les tyrannies de cét Estranger auoient
vnanimement soûleués, il s’en allast luy porter
les nouuelles des esperances certaines de son prochain
restablissement.

On a beau desguiser cette sortie du Duc de
Mercœur, & la vouloir faire passer pour vne
promptitude d’vn ieune Prince, que les mouuemens
d’vne premiere boutade, ont fait eschaper
des mains de ceux qui l’espioit de bien prés. Ce
beau pretexte ne peut estre capable que d’amuser

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les esprits des foibles, ou de ceux qui ne sçauent
pas que cette sortie se trouue dans vne conjoncture
d’affaires, qui me fait deffier trop raisonnablement
du dessein qu’on auoit, ou de rappeler
le Mazarin, supposé qu’on peut m’arrester, ou
de luy donner vn lieu de seureté dans les dependances
de la Couronne ; si toutefois i’auois assez
de pouuoir pour faire auorter les desseins de mes
ennemis, sur ma liberté.

 

Toute la France n’est que trop instruitte des
importunitez extrauagantes du Cardinal Mazarin,
lequel ayant esté condamné de desemparer
l’Estat pour des maluersations, qui seroient capables
de faire mourir exemplairement cent premiers
Ministres a neantmoins eu l’effronterie de
demander & d’interesser viuement toutes ses
creatures, pour obtenir vn azile dans quelque
forte place dependante de la Couronne : Cette
proposition ayant esté siflée dans le Conseil, n’a
pas neantmoins manqué de trouuer des agens secrets :
lesquels seduisant meschament la bonté
naturelle de la plus parfaitte Princesse du monde,
ont porté son esprit à des Conseils, ausquels elle
n’eust, sans doute pas iamais consenti, à moins
qu’elle n’eust esté mal-heureusement obsedée
par ceux qui ne subsistent que par l’entremise de
leurs souplesses, & sut le principe de leurs fourbes.

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Pour cét effet ces mortels & secrets ennemis
de l’Estat, ayant jetté les yeux sur Brizac, c’est à
dire sur vne des plus fortes places de la Chrestienté,
se sont imaginez que leur maistre seroit à l’abry
de toutes les menaces des veritables sujets de
la France, si toutesfois ils pouuoient trouuer le
moyen de luy en ouurir la porte, en procuranz
ce gouuernement pour quelqu’vne de ses creatures.
Le dessein a reussi parfaittement au gré de
leurs projets, par la faueur de Charleuoy, Lieutenant
pour le Roy dans Brizac, lequel apâté des
recompenses que les Mazarins luy font esperer
d’vne plus haute fortune, a si secrettement menagé
sa trahison contre le sieur de Tilhadet
Gouuerneur de la place, & trop genereux pour
souffrir que son gouuernement seruist d’azile
aux disgraces de Mazarin, qu’il l’en a chassé sans
autre ordre, que celuy de ses caprices & des secrettes
intelligences qu’il a eu pour cét effet, auec
les emissaires de ce proscrit.

Ce qui me fait croire, sans aucun doute, que
mes ennemis, & ceux du repos de la France destinent
Brizac pour en faire le Port, où cét
Estranger ira r’asseurer les restes du debris de son
naufrage : C’est que ie voy qu’on en donne le
gouuernement à Vardes insigne partisan du Cardinal
Mazarin, & deserteur trop lasche du seruice

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de son Altesse Royalle ; & que ce changement
se trouuant dans la conjoncture du depart du
Duc de Mercœur pour Cologne, ie pense que ce
n’est pas sans raison que ie soubçonne que ce
Prince s’en va luy prester escorte, comme pour l’y
conduire auec plus d’esclat, pour la reparation de
sa gloire flestrie par tant de iustes Arrests, & au
grand dés honneur de la France.

 

Que dois-je soubsçonner autre chose de cette
asseurance, qu’on procure au plus mortel de mes
ennemis, & le veritable Autheur & boutefeu des
desordres de cette Monarchie ? ne puis-je pas dire
sans temerité qu’on en veut à ma personne,
qu’on en veut au repos de la France, qu’on en veut
au trône de mon Roy ; qu’on en veut à la tranquilité
des peuples, puis que malgré les resistances du
Conseil ; malgré les volontez contraires des
François, malgré les menaces des desordres qui
s’en ensuiuront, on se sert de toutes sortes de souplesses,
pour luy chercher vn lieu de seureté.

Toutes ces raisons que ie viens d’alleguer pour
les faire seruir de motif à ma sortie, ne seroient
encore que des pretextes que ie voudrois faire passer
pour des foibles preiugez de l’attentat que les
Mazarins meditent vne seconde fois pour me
saisit : Si deux ou trois cens personnes armées, qui
rodoient toute la nuict du sixiesme du courant,

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dans le Faugs-bourg sainct Germain, & le regiment
des Gardes redoublé à mesme temps, ne
m’eussent fait entrer en soubçon, de l’entreprise
qu’on deuoit enfin effectuer, apres l’auoir concertée
presque depuis le temps de mon eslargissement :
Cette conjoncture animée par les Conseils
de tous mes amis, ne m’a plus permis de differer
l’heure de mon depart, afin de pouruoir à
ma seureté, par vne prompte retraitte, que mesme
i’ay esté contraint de precipiter, de peur de
me voit obligé à quelque resistance, que ie n’eusse
sans doute peu former, sans troubler le repos
& la tranquilité publique ; Encor en eut-il fallu
venir aux mains, dans la rencontre que i’ay fait à
ma sortie de deux cens Mazarins armez, si ma
seule presence ne les eut combatus, ou ne les eut
du moins empeschez de trauerser ma sortie, par
l’apprehension qu’ils ont que ma resistance ne
fit honteusement auorter toutes leurs attaques.

 

Voyla vne bonne partie des motifs de ma sortie ?
& des raisons qui m’ont obligé de me retirer
à sainct Maur, en attendant que la Iustice coniurast
la tempeste, que mes ennemis faisoient secrettement
grossir pour la faire creuer ouuertement
sur ma teste : Ay-je peu, ou bien plutost
ay-je deu me comporter auec plus de precaution ?
pouuois-je plus prudemment espargner le

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repos public, que i’eusse sans doute mortellement
trauersé, si i’eusse armé pour ma deffence,
tous ceux que la iustice de ma cause eut peu interesser
pour la querelle de mon party ? qu’on iuge
de mon procedé ? qu’on en balance les raisons,
ie ne recuse point aucun Iuge, pourueu qu’il soit
desinteressé ; & ie proteste à toute la France, que
si ie n’auois vne parfaite sincerité pour la gloire
de son seruice ; ie ne serois pas maintenant reduite
à l’estat où ie me vois, par les iniustes poursuittes
de mes ennemis.

 

Apres auoir naïfuement exposé les motifs de
ma sortie, ie pense qu’il ne sera pas hors de propos
de faire voir les raisons qu’on a eu de me persecuter,
apres que mon eslargissement, si genereusement
procuré par la Iustice, m’auoit ce semble
mis en estat de ne pouuoir plus estre trauersé
par les efforts de la calomnie.

La premiere, ou plutost la seule raison generale,
n’est autre qu’vn reste de l’auersion que les
Partisans du Cardinal Mazarin ont constamment
entretenu contre moy, depuis que forcez
de lâcher la prison, par les fauorables poursuites
que toute la France faisoit pour mon eslargissement,
ils ont estés contraints de dissimuler leur
hayne, iusqu’à ce que quelqu’autre occasion les
mit en estat de la produire, ou de l’esteindre tout

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à fait, supposé qu’ils peussent flechir la resolution
que i’auois pris de ne demordre iamais du
dessein d’estre l’ennemy le plus irreconciliable
du Cardinal Mazarin. En effet ie ne doute pas
que les instantes importunitez qu’on a fait incessament
pour tâcher de m’engager à son party, &
que i’ay tousiours repoussé comme des suggestions
criminelles d’Estat, n’ayent esté les causes
des complots qu’on a brassé contre ma personne :
aussi ne m’a-t’il iamais esté possible de r’asseurer
mon esprit dans l’idée qu’on me vouloit faire
conceuoir, que i’estois entierement remis, &
que mon emprisonnement auoit entierement effacé
tout ce qu’on auoit conceu de mal talent
contre l’innocence de toute ma conduite Parce
que ie voyois que l’esprit du Cardinal Mazarin
animoit encore souuerainement toute la Cour :
que ses creatures estoient mieux escoutées, que
les Princes du Sang, & que les expeditions des
affaires importantes ne se faisoient iamais, à
moins qu’elles ne fussent authorisées du consentement
de celuy, qu’on a honteusement chassé,
comme vu criminel d’Estat.

 

Il ne faut pas estre des plus intelligens dans les
affaires d Estat, pour sçauoir que la Cour ne reculoit
si constament de me donner le Gouuernement
de Guyenne, que parce que le Cardinal

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Mazarin ne le trouuoit pas à propos, & que sa
Politique luy faisoit forger des phantosmes,
plutost que des raisons, desquelles il faisoit
appuyer l’iniustice de ce refus. Il ne faut dis-ie
pas estre des plus auancez dans les secrets de
l’Estat, pour ignorer que la negociation de Sedan,
qu’on a donné en eschange du Duché de
Bourgogne à la Reyne Regente, est vn des plus
visibles effets de ses intrigues, & du dessein
qu’il a de retrouuer vne porte pour r’entrer
le Gouuernement de la Monarchie.

 

Cette forte obstination de la Cour à poursuiure
le retour du Mazarin, & à se défier de
ma conduite, parce que i’y formois les plus
puissantes oppositions m’a fait espargner les
visites, que mon deuoir me faisoit souuent
reyterer dans le Palais Royal, iusqu’à ce que
par la faueur de son Altesse Royalle qui s’est
entremise pour donner quelque meilleure &
quelque plus veritable idée de la sincerité de
tous mes deportements, ie peusse connoistre
que ie n’y estois plus regardé de si mauuais œil,
& que ie pourrois asseurement esperer que ie
ne serois plus traicté auec tant de deffiance.

Mais cette illustre entremise n’a pas esté
moins inutile que les efforts que ie faisois cõstament
pour en faciliter la creance ; & les calomnies

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de mes ennemys ayant preualu par dessus
les depositions du Lieutenant General de l’Estat
on n’a peu d’auantage tirer en langueur le
dessein de me perdre, pour sauuer, aux despens
d’vn Prince de la Maison Royalle, les debris de
la fortune d’vn inconu. Il est vray qu’on n’en a
precipité l’execution que parce qu’on à veu que
le Mariage du Duc de Mercœur estant descouuert,
il n’estoit plus temps de complaire aux
oppositions de la France, & que cette alliance
du Cardinal Mazarin auec la Maison de Vendôme
iustifieroit desormais tous les efforts, qu’on
feroit pour disposer les affaires à son retour.

 

Tellement qu’on peut aisément conclure,
que ma disgrace est vn pur effet des oppositiõs
que i’ay constament formé contre le restablissemens
de cet ennemy public ; & qu’il ne tiendroit
qu’a moy de me remettre hautement dans
la faueur auec vne plene asseurance qu’on assouuiroit
toutes mes ambitions, si ie voulois
seconder le pernicieux dessein qu’on à de rapeller
le Cardinal Mazarin & de le rasseoir aupres
du timon de cet Estat, Mais à Dieu ne plaise
que ie me rauale iamais iusqu’à cette lacheté,
qui me rendroit sans doutte criminel d’Estat
dans la parfaite connoissance que i’ay qu’on ne
sçauroit procurer ce retour sans ébransler dangereusement

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la Couronne de cette Monarchie :
A dieu ne plaise que ie remete ce fardeau intolerable
sur les espaules des peuples, que tant de
saignées passées, dont cette victime des Demõs
s’est cruellement engressée, ont reduit iusqu’a
la derniere necessité ? à Dieu ne plaise que mon
entremise conspire au dessein de rappeller cette
sangsuë d’Estat ; à Dieu ne plaise que ie donne
subiet au Roy Maieur, de me reprocher d’auoir
contribué en aucune façon au restablissement
de celuy qui ne peut reuenir que pour ramener
auec soy toute sorte de troubles dans la
Monarchie.

 

Ie sçay trop ce que ie doits à sa Maiesté pendant
le temps de son Enfance ; ce que ie doits à
Son Altesse Royalle qui s’est si vigoureusement
entremis pour briser les fers de ma Captiuité ;
ce que ie dois aux Parisiens qui me font la faueur
de me regarder maintenant comme l’Escueil
fatal de cette tirannie Estrangere, & cõme
restaurateur de leur Ancienne & juste Liberté ;
ce que ie dois à toute la France la quelle s’estant
si genereusement interressée pour mon eslargissement
exige iustement pour sa reconnoissance,
que du moins ie ne consente iamais au
retour de son mortel ennemy.

Ces Motifs sont trop justes, pour ne leur

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laisser pas donner le branle a tous mes mouuements ;
Ces Raisons sont trop pertinentes,
pour ne regler pas toute ma conduite au niueau
qu’elles me prescriront, & ie suis trop resolu
de fermer desormais les yeux à tous mes interets,
pour ne les ouurir iamais que par le
seul Principe de la generosité, à la Gloire du
Roy à l’aduantage des Princes, à la deffence
des Parlements, au progrez des affaires de cét
Estat, au soulas des Peuples, & à Liberté Monarchique
de toute la France.

 

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