M. B. I. V. D. R. D. L. P. P. T. [1652], LE IVGEMENT RENDV SVR LE PLAIDOYÉ de l’Autheur DE LA VERITÉ TOVTE NVE, ET L’AVOCAT GENERAL partie Aduerse. Par M B. I. V. D. R. D. L. P. P. T. , françaisRéférence RIM : M0_1775. Cote locale : B_17_15.
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LE IVGEMENT RENDV SVR LE
Plaidoyé de l’Autheur de la Verité toute Nue, &
l’Aduocat General partie aduerse.

SI l’Autheur de la Verité toute Nuë auoit leu le Remede
aux Malheurs de l’Estat, il ne diroit point, comme
ie crois, qu’on n’auroit point approfondy iusques dans
la source de la cause de nos maux, pag. 3. Il proteste
deuant Dieu viuant de n’estre porté d’aucun interest, ny
d’aucune hayne, en la mesme page, qui neantmoins mettant
au iour les crimes qu’il pretend contre les plus nobles parties
de l’Estat ; fait voir qu’il leur porte fort peu d’amour &
que concluant pour le retour du Cardinal Mazarin, page 22.
il y a bien plus d’interest, qu’au bien & repos public, qu’il
sembloit auoir trouué par l’éloignement du mesme Mazarin,
en la mesme page 22.

Or l’Autheur commence par nos pechez, comme premiere
cause de nos maux. Il est vray ; mais quels sont ces pechez ?
C’est la negligence des François de ne point rechercher,
reprendre & apprendre les moyens de bien gouuerner
l’Estat, comme aux siecles passez. Negligence à la verité, laquelle
est cause de tous nos maux, & de tous les crimes qui
se commettent en l’Estat, puis que par icelle les Loix diuines
& humaines sont transgressées, par vn lasche consentement
que nous donnons à la tyrannie exercée par ceux qui
possedent malicieusement l’authorité d’vn Prince innocent,
& la destruisent sous pretexte de la vouloir conseruer. Ie ne
dis point que d’ailleurs nous soyons innocens ; car, nous ne
sommes tous, que trop criminels à l’esgard de Dieu : Mais
il ne chastie point tousiours pour punir les crimes, mais
pour esprouuer la constance des siens, & pour les y confirmer.

La 2. cause des desordres en France que touche nostre Autheur.

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page 4. & suiuantes, n’est que trop veritable ; mais laquelle
a esté suffisamment exposée par le mesme Escrit du
Remede aux Malheurs de l’Estat. sans que pour cela on y ait
apporté aucun remede. Mais que sert à nostre Autheur, qui
semble tant homme de bien, d’exposer les noms de ceux qui
peut estre ne sont que trop coulpables ? ils les falloit rechercher
& punir selon les formes de Iustice, plustost que par vn
Escrit qui ne produit rien qu’vne detraction inutile. Les saints
Euangelistes ont bien cotté en plusieurs endroits les pecheurs
& pecheresses, à qui nostre Seigneur a donné son pardon ;
mais ils se sont bien gardez de les nommer, ny de les
déchifrer comme fait nostre Escriuain : ce n’est point que i’en
connoisse vn seul.

 

Or quant à la Reine, qu’il excuse, ie le veux ; mais puis
qu’elle auoit la disposition des Finances par sa Regence, falloit-il
permettre aux vns & aux autres, nommément au Cardinal
Mazarin, (puis que l’Autheur ne l’espargne point en
cét endroit) de disposer des Finances sans connoissance de
cause ? on n’a deu, ny peu auec raison luy celer. Or cela
estant, ou quelle l’ait negligé, ou quelle en ait eu la connoissance,
elle ne sera pas moins coulpable que ceux qui en ont
abusé. Ie veux croire au reste que le trafic du Mazarin est sans
pareil, & contre les Loix de iustice diuine & humaine ; puis
que toute la France le croit ainsi : mais accuser le Parlement
de lascheté en ce fait, de n’auoir point fait de Remonstrance
au Roy, est ce remedier au mal passé ou à venir ? Ie veux
qu’il deut parler plustost, pour preuenir vn plus grand mal :
mais il a peu se taire par respect, iusques au temps qu’il y fut
contraint par l’extréme necessité. Ie veux que leur interest
les a porté à chercher le remede, cela est-il contre la raison ;
particulierement lors que l’interest de tout l’Estat y est enclos ?
Falloit-il qu’il laschast la bride aux extorsions enormes
sans les arrester ? ou pour le moins sans y faire quelques
efforts contraires, à cause qu’il ne s’en estoit pas plaint plustost ?

Que cét Autheur n’expose t’il les moyens qu’il y falloit
apporter autres que celuy qu’on a entrepris en s’y opposant ?
Il estalle luy mesme les horribles débordemens de ceux qui

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sont employez au Gouuernement de l’Estat. Celuy donc
qui en vn corps de Iustice Souueraine est le plus constant,
doit il estre appellé par ce venerable Autheur, Patriarche
du nom infame de Frondeurs comme il veut ?

 

Certainement cét homme merite d’estre connu pour faire
bonne Iustice de son Escrit en sa personne. Les Frondeurs luy
sont en horreur comme des hommes infames : cela seroit bon
pour ceux des rempars ; mais non ceux qui ont le plus genereusement
resisté à la violence des Tyrans. S’ils sont appellez
Frondeurs, ie ne sçay point de qui, ie croy que ce nom leur a
esté donné plustost par derision que pour leur faire honneur.
Mais quoy qu’il en soit, i’estime que leur fronde n’auroit
point esté moins honorable & vtile au public, qu’elle a esté
à Dauid contre le geant Goliath, si on auoit tout d’vn coup
tranché la teste à ce monstrueux corps de Goliaths, ennemis
au blocus de Paris, comme auoit fait Dauid, qui ne se contenta
point de voir que son ennemy estoit desia par terre du
coup de sa Fronde ; mais qui luy osta la teste par son propre
glaiue : nous serions deslors en la joüissance du repos, & en vn
regne plus heureux qu’il n’est à present. Les Philistins ennemis
du peuple de Dieu, furent chassez par ce moyen, & Israël
demeura en paix. Mais nous auons donné temps à Goliath
de se releuer par la perfidie de nos faux Freres sous pretexte
faux de conseruer l’authorité & l’honneur du Roy,
pour nous rendre plus esclaues que iamais.

Passons à Monseigneur le Cardinal de Retz Coadjuteur
en l’Eglise de Paris, que cét eloquent Autheur estime n’estre
digne d’autre tiltre d’honneur, que de simple Coadjuteur. Il
a raison s’il est tant ambitieux qu’il dit. Certainement ie
n’estime point que cét homme ait tant soit peu de Religion
de combattre ainsi la Religion en vn Prelat, qui est
comme i’estime, autant connu digne de sa condition, que
les plus hautes puissances du monde l’ont reconnu en l’éleuant
à la dignité, qu’on estime en l’Eglise la premiere (encore
que l’Episcopale soit Apostolique & diuine, & celle-cy
seulement humaine) Qu’on iuge par le discours de cét impertinent,
si ce n’est point dementir le Pape, le Roy, la
Reine, & son Altesse Royale, qui l’ayant porté à cette eminente

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Charge, comme malgré luy, l’en ont estimé digne. S’ils
l’ont estimé boutefeu & cause de l’embrasement vniuersel
de la France. Ne restoit plus à ce médisant que d’accuser
S. Michel que nous croyons estre Protecteur de la France,
puis apres monter au Ciel pour le rendre coupable de nos
mal-heurs.

 

Passons l’addresse Italienne que nostre Autheur décrit fort
bien page 8. en la personne du Card. Mazarin, pour la prison
de Monsieur le Prince de Condé. C’est chose indubitable,
que si mondir Seigneur P. n’auoit esté plus prompt à maintenir
la passion de Mazarin contre Paris, qu’il n’a esté à bien
peser le fait de l’entreprise, il ne fut iamais Prince plus digne
d’honneur & de trophées, tant à cause de son extraction, que
de ses exploits heroїques. Nostre Autheur en décrit la verité
& dignité, par des termes autant estudiez qu’il fait pour les
noircir de tant d’indignitez, que le plus criminel que l’Enfer
pourroit esclore, ne le pourroit estre aux pages 9. & 10.

Mais à quoy bon le rendre ainsi criminel par la plume, si
ce n’est deffendre la cause de Mazarin, sous pretexte de deffendre
l’honneur & l’authorité du Roy ? Cét homme a écrit
pour se faire croire aux idiots, & non aux clair-voyans, lors
qu’il veut rendre les voyages du Roy à Bourdeaux tant vtiles,
encore qu’ils ayent esté autant prejudiciables à l’honneur du
Roy, que le Conseil en a esté pernicieux à la ruïne des Prouinces,
par où il a esté mal-heureusement conduit.

Il faut monter plus haut pour rendre Monseigneur le Duc
d’Orleans oncle du Roy coupable de tous les crimes, puis
qu’il s’est seruy de Monsieur le Prince, & qu’il n’a empesché
le retour du Cardinal Mazarin, qu’il pouuoit empescher. Ie
n’entend point passer au delà de la modestie par ma plume,
ie me cõtente, pourueu que le peuple croye que tel Escriuain
n’a eu autre dessein, que de rendre odieux ceux que nous deuons
preferer à nostre propre vie, quand ils nous protegent.
Ma plume n’est point assez eloquente pour décrite l’Altesse
Royale, en la personne de Monseigneur le Duc d’Orleans,
depuis qu’il a entrepris de se mesler des affaires de l’Estat
auec vn Conseil irreprochable du Parlement de Paris auquel
nostre Detracteur donne encore vn coup de bec en la page 12.

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Ce n’est point pourtant que ie vueille authoriser la polete, ny
l’iniquité & perfidie des faux freres, qui n’ont que trop balancé
les affaires pour leur interest. (Ie laisse à parler icy des
disgraces nompareilles que i’ay receu au Parlement en mes
plus iustes entreprises.) Mais ie veux bien croire, comme
i’ay fait voir au Traitté intitulé, Remede aux Mal-heurs de
l’Estat, que les Parlemens sont tellement necessaires pour les
peuples, que sans eux il n’y a plus qu’vn horrible desordre
dans l’Estat, apres les Estats Generaux de toutes les Prouinces,
qui en sont les Souuerains Protecteurs, comme ils en sont
les Autheurs.

 

Or quant à la suitte de nostre Escriuain page 13. qui peut
comprendre ce qu’il veut faire croire, à sçauoir que Monsieur
le Prince a consenti & traité que le Cardinal Mazarin
demeure, ou qu’il puisse retourner si on l’esloigne, & que
neantmoins Son Altesse Royalle soit entierement contraire,
& qu’il n’a autre suiet de ses armes que de voir le Cardinal
esloigné sans ésperance de retourner. Son Altesse Royale
ne peut ignorer ce traitté, puis qu’il est paruenu en la connoissance
de nostre Escriuain.

Cela estant c’est pour & contre tout ensemble. Son Altesse
Royale veut l’vn, & Monsieur le Prince veut l’autre.
Ainsi le mensonge s’entrecouppe souuent, s’il ne prend
garde.

Quant au Duc Charles & ses Lorrains, ie laisse le debat
entre nostre Autheur & l’Aduocat general, pour deplorer
nostre malheur, qu’il faille implorer le secours de nos Ennemis
pour nous d’estruire les vns les autres.

Pour ne rien oublier de plus signalé ; l’Autheur de la Verité
Nuë ne pouuoit oublier le Duc de Beaufort non plus
que Paris Page 14. Il appelle les Parisiens fols par leurs acclamations,
à cause de l’Armée des Lorrains pour secourir
Estampes. Mais cet homme sera vn des Sages de Grece,
qui aimeroit mieux veoir vne entiere desolation & bouleuersement
de l’Estat par le conseil d’vn Estranger, & de ses
Adherans, que d’y voir des opposans. Le Duc de Beaufort
est vn Arteuel, brasseur, chef des seditieux de Gand, comme
le Duc de Beaufort des Parisiens, qu’il appelle aueugles page

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17. qu’il veut estre l’Idole de Paris page 15. Enfin ce seroit vn
Heros au dire de cét homme, s’il vouloit reconnoistre le
Mazarin pour Idole de France. Il a assemblé la populace en
la Place Royale Il faut aduouër que les assemblées des seditieux
sont amas de cruelles bestes, mais quand c’est pour faire
executer la iuste cause, que le Magistrat dissimule par
crainte, telles assemblées (encore que contre les Loix de la
police) peuuent estre tolerées. Mais le souleuement de la populace
faite contre l’assemblée des plus gens de bien Bourgeois
de Paris, pour aduiser aux moyens necessaires pour la
conseruation de la Ville, ne peut estre receu pour legitime
ny approuuée. Pour faire reüssir vne affaire, il n’y faut point
estre forcé ; dautãt que celuy qui s’oblige par force & violence,
il luy est tousiours permis de reuoquer sa promesse quand
il le pourra faire. Enfin, nostre Autheur en la periode de ses
declamations page 15. fait vne repetition de toutes ses inuectiues,
& conclud par vn aueuglement qu’il aduouë estre en
la Reine, trompée par son mauuais Conseil, laquelle par ce
moyen met en proye le Royaume du Roy son fils. En la page
16. & 17. Il conclud l’éloignement du Cardinal Mazarin
absolument necessaire, autrement que l’Estat est perdu. Qui
neantmoins page 22. veut qu’il soit receu à Paris si le Roy le
veut absolument, nonobstant toutes Remonstrances raisonnables.
Accordez cét esprit iudicieux. N’est ce point dire
que le Roy seroit ennemy, non seulement de sa propre vie,
en perdant son Estat, & ainsi qu’il seroit aueuglé d’vn passion
absoluë sans jugement d’homme ? Le Roy Louys XIII.
son pere acquit tant de bien veillance de tous les François,
par l’assassinat du Marquis d’Ancre, qu’il ne l’auroit iamais
pû perdre. Alors on crioit par tout Paris, nous auons vn Roy
à present. C’est merueille qu’vn homme Satyrique se mesle
de sindiquer si audacieusement les actions & conseils de
ceux que Dieu & la nature l’obligent de reuerer. Aux pages
17. 18. & 19. Il rapporte les conditions du traitté fait entre
Monsieur le Prince & le Cardinal Mazarin, qu’il trouue trop
auantageux pour Monsieur le Prince. Si cela est vray, le Conseil
du Roy se doit former par l’aduis de cét Escriuain. Ie
sçay bien qu’il n’y a rien si dangereux en vn Estat Monarchique,

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que d’auoir vn compagnon. Cela a esté remarqué au
traitté du Remede aux mal-heurs de l’Estat : mais cét homme
ne sçait point que bien souuent il faut promettre ce
qu’on ne veut tenir, pour retirer l’Estat hors de peril. Louys
XI. pratiqua cette maxime par l’accord qu’il fit auec le Charolois,
comme i’ay montré audit traitté. C’est pourquoy
personne ne doit s’imaginer que iamais Monsieur le Prince
s’accorde auec le Card. Mazarin, ny le Mazarin auec Monsieur
le Prince que pour se surprendre, ou pour troubler &
bouleuerser l’Estat ; autrement l’vn ne seroit point Italien, &
l’autre ne seroit homme d’Estat. Les entreprises faites contre
les Roys, encore que pour iuste cause, ne sont iamais
mises en oubly. Dauid mesme au 2. Liure des Roys, Chapitre
20. n’auoit point chastié Ioab General de ses Armées, mais
il en reserue le chastiment à son fils Salomon, 3. Reg. 2. v. 5. 6.

 

Au reste i’admire le discours de cét Autheur, qui demande
page 20. s’il seroit bien possible que la Reine par vn aueuglement
prodigieux se laissant flatter, voulut pour retenir le
Cardinal Mazarin, abandonner les interests du Roy son fils
& de la France, comme s’il y auoit raison de douter de ce
qu’il veoit. Les remonstrances qu’il fait au Roy page 21. sont
iustes, mais sans aucun fruict : Car par qui veut-il que le Roy
soit conseillé, puis qu’il n’a autre Conseil que pernicieux au
dire mesme de l’Autheur de la Verité Nuë ? par qui veut-il
que son escrit soit presenté ?

C’est icy en quoy consiste le remede que nous deuons rechercher
en nos maux. Mais le moyen ? Enfin cét homme se
repaist page 22. que s’il est hay des odieux Mazarins, des factieux
Princes, des detestables Parlementaires, il sera chery
par les bons François. Cela luy pourroit estre accordé, s’il
estoit aussi-bon François, qu’il est bon Flatteur, & si ayant
appris les Loix des bons François, il escriuoit pour rendre les
François francs & libres, selon qu’ils en portent le nom, &
non pour vne continuelle authorité absoluë si contraire aux
Loix du Royaume, qu’elle est plustost tyrannique que Royale.
Cause pourquoy cét homme sera rejeté des vns comme
des autres, comme celuy qui n’est ny chaud ny froid. Apocalip.
3. v. 16. car il est né cerf & se rend digne de la cadene.

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Pour clore le discours de la Verité Nuë, il est acheué par vne
priere faite à Dieu, qu’il fasse des miracles pour la conseruation
de la Monarchie. C’est vrayment par la priere, qu’il
faut commencer pour bien faire en toute chose, & particulierement
en l’administration d’vne puissante Republique,
comme est celle de France, mais il n’est point necessaire que
Dieu fasse des miracles pour cela. I’aduoüe que Dieu a fait
autrefois des miracles pour la conseruation de l’Estat lors
qu’il estoit reduit au desespoir, particulierement sous Charles
7. Mais nous n’en sommes point reduits à telle extremité.
Personne n’ignore que le remede infaillible & asseuré ne
soit vne generale Assemblée des Estats de la France. Ce remede
est naturel & selon les loix & lantienne pratique du
Royaume, inspiré de Dieu, & qu’il a confirmé par la longue
durée de la Monarchie. Tout le monde apprend par l’experience
des regnes de nos Rois, que depuis que les Estats
Generaux ont cessé, nous nauons eu que guerres en
France par nos diuisions intestines a cause qu’aux grandes
affaires & importantes de l’Estat, il n’y auoit point eu de
consentement general de touts les Prouinces de France, assemblées
par leurs Deputez : mais seulement par l’aduis de
quelques Fauoris ou Conseil priué suiuant plus la passion du
Prince ou du Fauory, ou pour l’interest de ceux, qui ne recherchent
que troubles pour bien voler, que pour le bien
& repos publique.

 

En suitte dequoy on a tousiours veu vne ruine vniuerselle
des peuples, tant par guerre que par famine & peste, qui
s’en ensuiuent. Mais quand les peuples auoient donné leurs
suffrages, on entreprenoit certainement, tout le monde
contribuoit volontairement aux necessitez de l’Estat : les Finances
estoient bien mesnagées : la discipline estoit gardée
en guerre ; les rapines, voleries, & insolences des soldats
estoient reprimées : le labourage & trafic des Marchands
estoient continuez : point de sacrileges, point d’extorsions,
point de violemens, point de meurtres, point de cruauté,
par les gens de guerre. Tellement qu’on viuoit en paix &
repos en temps de guerre contre l’Estranger. S’il y auoit diuision
entre les Princes, tous les differents estoient accordez,

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& ainsi, tout subiet de guerre ciuile estoit osté ? Ceux
qui abusoient de lauthorité du Roy estoient chastiez. Enfin
les Estats Generaux estoient vn certain & inuiolable remede
à tous maux.

 

Mais les conditions des Estats libres & legitimes estoient
tout autrement obseruées que n’ont esté les derniers. Premierement
le Roy estoit supplié d’assigner le temps & le
lieu. 2. les Villes & Prouinces eslisoient leurs Deputez
auec les Cahiers portans les poincts qu’il falloit regler. 3.
Les choses estans proposées & examinées, on deliberoit
les suffrages estoient libres, le Roy concluoit à la pluralité
des voix, & ainsi les Conclusions seruoient de Loix par tout
le Royaume, lesquelles estoient volontairement obseruées,
comme elles auoient esté establies par le consentement de
tous.

Mais depuis qu’il y a eu des partialitez dans les Estats
& que ceux qui estoient interessez, corrompoient les vns les
autres pour auoir leurs suffrages à leur aduantage, la fin a
tousiours esté funeste. Partant il importe entierement de
choisir des personnages de sçauoir, d’experience & de probité
& integrité de vie, autrement il est aisé à flechir & corrompre
vn homme qui aimera ses interests.

Il importe donc plus de faire choix de gens de bien, que
de toute autre chose.

C’est neantmoins l’abus qui se commet ordinairement au
grand preiudice de l’Estat, lors que par vn respect humain
par crainte, ou par amour on prefere les moins capables à
ceux qui ne voudroient consentir à aucune chose contre
leurs consciences. C’est pourquoy les peuples mesmes à qui
il importe, doiuent proceder à l’eslection de leurs Deputez
sans receuoir aucune recommandation, n’y commandement
de qui que ce soit.

C’est ce que deuoit demander nostre Autheur de la Verité
nuë, & non des Miracles de Dieu qui n’en fait point,
qu’apres que les moyens humains viennent à manquer.
Celuy qu’estant tombé demanderoit vn Miracle pour se releuer,
ayant assés de force pour ce faire, ou aide d’aillieurs,
feroit prieres ridicule & iniustes.

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Mais cet homme qui pense bien faire pour l’authorité du
Roy en luy donnant liberté de faire tout selon sa volonté,
l’appuie sur vn fondement qui est peu ferme & heureux, à
l’esgard de la mesme authorité quand elle est appuyée sur le
libre consentemẽt de tous ses suiects. Qu’on ne dise point que
ce seroit vne restriction de son pouuoir, ou vn hazard & balancement
de sa Couronne, puis qu’au contraire elle est renduë
inesbranlable par aucune puissance ny entreprise : &
son authorité est renduë tellement absoluë que personne ne
peut estre assés temeraire d’y contreuenir, puis qu’elle sera
posée sur les loix inuiolables des Estats Generaux, que les
Parlements doiuent faire obseruer comme administrateurs
de la Iustice des loix establies par les Rois du consentement
de tous.

Or dautant que tels Estats ne peuuent estre perpetuellement
assemblez, les Parlements doiuent suppléer & seruir
dappuis tant à lauthorité & Majesté Royale, qu à ses loix
pour la conseruation de la Monarchie.

Tellement que si le desordre est si grand qu’il soit preiudiciable
à la Monarchie, voire mesme en la Cour du Roy,
lors qu’il est surpris par vn pernicieux conseil c’est aux Parlements
d’en esclaircir sa Majesté par humbles Remonstrances,
& en cas qu’il fit refus descouter, & de se detacher de tel
mauuais Conseil, auoir recours aux Estats generaux, pour
lesquels conuoquer, il sera humblement supplié, & en cas
de refus, ils pourront estre legitimement conuoqués par
le consentement des Parlemens & Compagnies Souueraines
auec les Princes, à qui il compete de conseruer l’Estat. Cette
loy n’est point nouuelle, mais authentique, comme il a
esté monstré au Remedes des Mal-heurs de l’Estat cy-dessus
cité. Quand le mal presse, les Parlements se doiuent vnir
auec les Princes bien intentionnez & les peuples pour l’arrester,
attendant la commodité desdits Estats en vne generale
Assemblée.

L’aduocat General partie aduerse de la Verité toute nuë,
deffend puissamment la reputation de Son Altesse Royale,
mais bien plus celle de Monsieur le Prince, par bien sceance
celle de la Reyne, fort bien celle de Monsieur de Beaufort

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& celle du Parlement : mais il abandonne M. le Coadjuteur, le
tout plus de paroles reciproques, d’iniures contre vn Calomniateur,
que de renuerser la Verité toute nuë par bonnes preuues.
Le titre de sa deffense est contre cet Autheur qui choque l’honneur
de la Reyne, & neantmoins en sa page 6. 7. 8. 9. il ne déguise
point le mauuais mesnage qu’il dit auoir esté fait par la Reyne
au profit de son Fauory Mazarin, qui voloit les Finances pour
tous deux, ainsi en accusant & condamnant tout ensemble l’Autheur
de la Verité nuë à cause de ses medisances, nostre Aduocat
general commence hardiment contre la Reyne Mere du
Roy. Sans doute la reproche luy en auroit esté faite iustement
en Iustice par le Parlement en cas de preuue suffisante, mais
hors cela, à quoy peut seruir cette reproche sans moyen de restablir
la faute si elle se trouue veritable ?

 

La plus grande & irreparable faute qu’ait fait le Parlement,
est d’auoir laissé tomber la Couronne de France en Quenoüille :
l’exemple de Catherine de Medicis luy deuoit donner de l’apprehension :
mais peut estre a il cru que la Reyne imiteroit la
Mere de saint Louis la plus sage & la meilleure des Reynes.

Combien eut esté heureux le Royaume de France sous le
Gouuernement de Son Altesse Royale Prince humain & qui
aime les peuples, Prince, qui par vne longue experience s’est
rendu digne fils de son pere Henry le Grand ? Mais quoy ? la faute
est irreparable, & neantmoins à bien considerer n’est ce point
à Princes de telle nature de gouuerner ? Vn Prince qui aime la
Paix & le repos n’en est pas moins genereux, vn Prince hargneux
& belliqueux apporte beaucoup plus de miseres à son Estat
par la guerre, qu’il ne le rend heureux par l’estenduë de ses
limites. C’est bien assés, quand vn Prince borne ses desseins
dans l’estenduë de ce qui luy appartient.

Or quoy que dise l’Aduocat cõtre la Verité Nuë, page 9 10 Son
A. R. se seroit gouuerné en Prince prudent, quand bien il auroit
eu quelque repugnance, (ie ne dis point extréme, laquelle enclost
vn consentement forcé) L’affaire n’a point esté de si peu d’importance :
Son A. R. est vn Prince qui n’ayme point la guerre, il ayme
mieux le sang des hommes renfermé dans leurs veines, que le
voir espars cruellement sur la terre ; partant la difficulté qu’il y a
apporté, est vne loüable deliberation qui l’exempte de legereté, &
qui met les intentions de M. le Prince à couuert : si aucun les a
mal interpretées. Laissons declamer l’Aduocat page 11. & 12. cõme

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il fait par tout son discours contre cette pretenduë Verité. Il tesmoigne
par la vne passion suffisante pour le croire, & qu’il est Aduocat
fort pathetique. Mais à quoy bon noircir le papier de telles
execrations ; i’estime que la passion aueugle l’homme, quand il
s’en sert pour persuader.

 

Quant à ce qui est de la recherche que M. le Prince a fait du secours
d’Espagne pour forcer le conseil Mazarin à consentir les articles
de paix proposez à Munster ; c’est l’extréme malheur de l’Estat,
que pour en pretendre le bien & la conseruation, il faille implorer
l’ayde de l’ennemy mesme de l’Estat. Certainement l’Espagnol
n’ayme les François que quand ils sont diuisez, d’autant
que par telle diuision, il fait ses affaires comme il veut.

O que la condition des Princes est malheureuse quand l’ambition
leur oste le bien & le repos de la vie ? Que les peuples sont miserables
qui sont assujettis à la necessité d’vn gouuernement
de Princes, qui sous pretexte de generosité sont cause de tant de
cruautez. Vn Autheur disoit bien, quidquid delirant Reges, plectuntur
Achiui.

Monsieur l’Aduocat General blasme l’Autheur dé la Verité
Nue, d’auoir attenté contre les Grands de l’Estat : mais que pourra
dire sa partie, quand il lira page 20. que le Roy mesme a ordonné
le retour de Mazarin par Lettre de Cachet, au preiudice de tous
ses sermens ? C’est vn effet de passion trop hardie, ce me semble,
pour estre couchée en papier exposé au public, comme quand il
dit, trop indignement page 18. Qu’il ne se faut assujettir aux caprices
des Roys, & page 23. les appellant insolents. Il est vray
que les Roys ne sont point impeccables ; car ils sont hommes cõme
les autres : mais il en faut parler auec plus de respect, & ne point
tant raualer leur authorité pour éleuer celle du Parlement. I’ay
dit ce qu’il m’en semble, au Remede des Malheurs de l’Estat, &
ie repete encore icy, Combien les Parlemens sont necessaires, &
quelle est leur authorité. I’estime que s’ils ne seruoient de bride
pour arrester l’audace de ceux qui se seruent de l’authorité Royale
pour leurs interests : la Monarchie seroit vne horrible tyrannie,
laquelle seroit enseuelie il y a long temps. Mais il faut que l’Auocat
aduoüe, qu’ils tiennent leur authorité du Roy, comme le Roy
tient la sienne de Dieu, & de tout son Estat, laquelle neantmoins
n’a plus de despendance que des Estats generaux, quand le Roy
manque, ou qu’il est comme s’il n’estoit point, pour bien vser de
son authorité, comme au temps present.

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Au reste l’Autheur de la Verité toute Nuë, deuoit auoir mis
cette verité en lumiere auant la Bataille du Faux-bourg Saint
Antoine, pour faire croire que Monsieur le Prince auoit negotié
auec le Cardinal Mazarin. Dautant que le soin, la fatigue, & le
courage de Monsieur le Prince en cette rencontre, ont fait clore
la bouche, comme estouffer les pensées de beaucoup de personnes
qui les auoiẽt conceuës, attẽdu le peu de progrez aux affaires.

Quant au secours pretendu du Duc Charles, ie ne profonde
point pour sçauoir les Autheurs de sa venuë, mais i’en deteste la
cause, puis qu’il a acheué à ruïner nos Prouinces par ses desordres.

L’Auocat General a meilleur raison que le Mareschal de Turenne
ne pouuoit continuer le siege d’Estampes, qu’à la ruïne totale
de son Armée, & à sa honte ; mais sçauoir si nostre Auocat
deuoit faire vne redite des articles proposez, & des recompenses
à donner tant à Monsieur le Prince, qu’à ceux qui l’ont suiuy, pour
sa reconciliation auec le Cardinal Mazarin, ie luy laisse à penser.

Reste la deffense de Monsieur de Beaufort page 26. 27. &c. lequel
i’estime auoir esté gardé au Bois de Vinciennes, comme vn
Ioseph vendu en Egypte, pour conseruer Paris, & luy seruir d’vn
fort bouclier, non moins que Ioseph a sauué Israël de la faim
vniuerselle. Mais nostre Auocat n’a point trouué la cause de M. le
Coadjuteur bonne, puis qu’il ne l’a voulu deffendre. C’est merueille :
Cét homme ne seroit point bon en Cour, puis qu’il ne
peut dissimuler sa passion. O que les hommes sont sujets au changement
de la rouë de Fortune : Monsieur le Coadjuteur estoit l’vnique
Prelat en dignité à la sortie de prison de Monsieur le Prince.
Mais la malice des hommes & l’ingratitude l’a rendu odieux. Certainement
il est trop intelligent pour n’auoir eu autre fin, en tant
de soins qu’il a pris pour conduire la barque de ses oüailles à bon
part, & l’exempter du naufrage au blocus de Paris, que la loüange
des hommes : Il est plus contant qu’ils demeurent dans
l’ingratitude, s’ils faisoient leur salut, que d’entendre crier ses
Eloges par les ruës de Paris. Sa constance est vn rocher, que les
plus atroces & execrables médisances ne pourront iamais émouuoir,
non plus que troubler les cendres de ses Ayeuls par des escrits,
indignes d’estre soufferts par les Magistrats. Le temps apprendra tout.

En fin, nostre Aduocat General fait extremement bien le Satyrique ;
à l’esgard de la Verité Nue, car tout son discours n’est qu’vne
continuelle suitte de mots choisis en execration de ce miserable

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Autheur. Ainsi il pratique passionnément ce qu’il trouue
le plus blasmable en vn autre. Qui pour bien conclure la deffense
de la Reyne, comme il promet au titre de son plaidoyé, il
donne à penser impudemment d’elle, qu’elle est autant punissable
qu’vne Brunehaut page 31. Que le Roy suiue les Loix du Royaume,
& qu’il luy obeïra, cela est raisonnable ; car elles sont autant
pour la conseruation du Roy mesme, que pour celle de ses
sujets, mais les armes sont vn moyen trop perilleux pour les luy
faire obseruer.

 

Il faut donc commencer par les humbles remonstrances que
doiuent faire les Parlemens, comme ils ont tant de fois fait, si elles
sont inutiles, il faut conuoquer les Estats generaux : c’est le
corps & le cœur de l’Estat, dõt les Roys & les Princes sont les bras
pour le deffendre. Toutes les parties s’y doiuent soubmettre pour
subsister. C’est ce que nous auons monstré auoir esté tousiours
pratiqué au traicté du Remede aux malheurs de l’Estat. C’est le seul
Tout-puissant remede pour conseruer tout le corps entier, pourueu
que ce corps ne soit point des Estats partialisez de personnes
mandiées, recommandées ; mais libres, & de probité de vie pour
bien exposer les plaintes & au vray, & apporter à l’instant par
bonnes ordonnances, remedes à tous les desordres.

Cependant le Parlement de Paris a donné diuers Arrests contre
ceux qui abusent de la conduite du Roy, & pour les executer ils
ont declaré son A. R. Lieutenant General de l’Estat, pour tirer le
Roy des mains d’vn pernicieux conseil : mais d’autant que les affaires
importent à toute la France, ils auroient donné vn poids beaucoup
plus puissant à leurs Arrests s’ils auoiẽt inuité les autres Parlemens
de France à leur enuoyer des Deputez de leurs Corps,
pour conclure vnanimement des Arrests, qui ne peussent estre
reuoquez ou alterez par aucun autre. Apres quoy, conuoquer les
Estat, puis que le Roy n’est en estat de le pouuoir faire selon les
loix de l’Estat Mais, ô Dieu quand & par qui ces Arrests seront-ils
executez ? ô François malheureux ! iusques à quand gemirez vous ?
Quoy que i’escriue, & que ie pense, ie n’estime point les François
plus affectionnez à leur liberté, que les Iuifs lors qu’ils changerẽt
leur Aristocratie en Monarchie (laquelle sans bride degenere ordinairement
en tyrannie) s’ils n’empeschent leur esclauage par les
susdits remedes. Mais i’ay peur que le corps de l’Estat vieilly par
si longues années, ne soit en son declin & derniere periode, comme
i’en ay fait voir les apparences au nouuel Escrit intitulé, Presages
de Changement en la Monarchie des François.

FIN.

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M. B. I. V. D. R. D. L. P. P. T. [1652], LE IVGEMENT RENDV SVR LE PLAIDOYÉ de l’Autheur DE LA VERITÉ TOVTE NVE, ET L’AVOCAT GENERAL partie Aduerse. Par M B. I. V. D. R. D. L. P. P. T. , françaisRéférence RIM : M0_1775. Cote locale : B_17_15.