M. E. G. E. N. R. S. [1652], LA VERITÉ DV ROYALISTE PRESENTÉE AV ROY, PAR M. E. G. E. N. R. S. President. A SA MAIESTÉ. écoute Lecteur. , françaisRéférence RIM : M0_3992. Cote locale : B_17_24.
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LA
VERITÉ
DV
ROYALISTE
PRESENTÉE
AV ROY,
PAR M. E. G. E. N. R. S.
President.

A SA MAIESTÉ.

écoute Lecteur.

A PARIS,

M. DC. LII.

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LA VERITÉ DV ROYALISTE
au Roy,

SIRE

Si jamais vous auez esté touché du desir d’apprendre
quelques Auis salutaires à la conseruation

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de vos Subjets, vtile au bien de vos affaires,
necessaire à l’affermissement de vostre Authorité,
& auantageux à la Gloire de Dieu, Ie Suplie
tres-humblement Vostre Majesté, d’abbaisser
vos yeux sur cét auis, qui n’arrestera que fort
peu de temps vos plaisirs, pour vous rendre vn
seruice dont le proffit, & la joye suiueront les
longues années de vostre Regne bien-heureux ;
Ce n’est pas que ie ne sçache fort bien, que le
Cardinal Mazarin, qui recognoit assez qu’il suffit
de vous découurir le mal pour vous le faire haїr,
ne se soit efforcé pat ses artifices, & pour ses interrests
particuliers de rendre vaine la bonne intention
de plusieurs gens de bien, qui par leurs
Escrits remplis autant de verité que de respect,
ont essayé (comme moy) d’exposer en lumiere
le portrait des calamitez qui naissent sous l’obscurité
de ses desseins. Il ne veut pas que les desordres
dont il est l’autheur, soient veus ny entendus
de Vostre Maiesté : c’est pourquoy il empesche
que l’on ne vous puisse faire voir ny entendre
les pernicieux conseils par lesquels il a
de coustume de vous tromper, se rendant maistre
de vos yeux, de vos oreilles, voir mesme de
toute vostre personne. Certes on peut bien dire
que le vice est en l’ame, comme sont aux corps
ses playes sensibles, qui font douleur pour peu

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qu’on les touche. Vn malade qui a tout le corps
remply d’vlceres, croit tousiours qu’on le va choquer,
ceux qui ressemble au Cardinal Mazarin,
& qui trompent leurs Maistres comme il fait,
craignent incessamment qu’on ne découure
leur malice, & font ce qu’ils peuuent afin d’empescher
la liberté des veritables discours. Mais
que ne doit-on point apprehender, si la parolle
est vne fois deffenduë, puis que c’est la chose du
monde la plus necessaire à la conseruation d’vn
Estat ? & comment pourra ton découurir les conjurations
qui se feront, si ce n’est par le moyen de
la parolle, ou de l’escriture ? & que sera-ce si l’vn
& l’autre sont égallement interdits ? Les Princes
Souuerains ne peuuent bien gouuerner leurs
Subjets s’ils ne sont aduertis de ce qui se passe
dans leur Estat : & ils ne le peuuent estre qu’en
rendant faciles aux gens de bien les moyens de
leur donner la connoissance des desordres qui se
commettent sous leur authorité. Ie ne craindray
donc point, SIRE, d’entertenir Vostre Majesté
du bien, du repos, & du soulagement de vostre
pauure peuple, de la dignité de Vostre reputation,
& de l’interest du Dieu tout puissant, qui
vous a mis le Septre en main ; puis que ce sont
des choses que vous auez jurée solemnellement
d’entertenir, & que vous témoignez encore d’auoir

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plus cher que vostre propre vie. Ie ne puis
mieux en vn mot, ny plus seurement vous representer
les choses justes qu’à Vostre maiesté, qui
fait parestre ne vouloir regner que pour faire
regner la Iustice. Or il est tres certain que la
principale partie de cette vertu diuine, s’exerce
a rendre à chacun ce qui luy appartient, car quiconques
retient le bien d’autruy comme fait le
Cardinal Mazarin, & plusieurs autres de ses adherans
pleins d’injustice, doiuent estre haїs de
ceux qui ayment l’équité, n’estant pas chose raisonnable,
que le juste fauorise l’injuste, & comment
peut on appeller le Cardinal Mazarin puis
que pour esleuer sa maison, il a non seulement
abbaissé mais entierement renuersé celles des
Princes, & que pour s’enrichir, il n’a point craint
d’apauurir vn plus homme de bien que luy. Vn
Roy juste ne doit jamais affectionner ceux qui
regorgent de vices : car puisque nous nous transformons
tousiours en ce que nous aymons, &
que nous viuons plus dans le sujet de nostre amour,
que dans nous mesme, quel changement
pourroit on faire de celuy qui idolatreroit vne
creature noircie de l’horreur de toute sorte de
crime ? Ce n’est pas que ie veille empescher l’vsage
de l’amitié, i’estime au contraire, que la vouloir
bannir d’entre les hommes, ce seroit vouloir

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oster le soleil du monde. Mais il est necessaire
ainsi qu’Aristote l’enseignoit à Allexandre, que
les Roys ayment & fauorisent seulement ceux
qui leur apportent en quelque sorte de l’honneur
ou du bien, comme font les princes ou qui
sont recommandable pour quelques eminentes
vertus. Or ceux qui alterent les volontez des parans,
des amis & des seruiteurs de leurs Princes ;
qui le décreditent, voir mesmes qui les iettent en
mépris dedans & dehors le Royaume comme
fait le Cardinal Mazarin sont sans aucun doute
non seulement indigne de l’amitié Royale, mais
encore punissable de mort. Comme les Monarques
peuuent bien fauoriser ceux qui reuerent
leur bonté, ils doiueut aussi grandement haїr
ceux qui en triomphent : car il ny a rien qui offence
tant que le mépris, & c’est tellement fait
paroistre qu’on nous méprise bien fort, lors
qu’on nous surprend, & qu’on abuse de nostre
facilité. A la verité pour captiuer nos cœurs,
l’amitié qu’on nous porte est vn puissant charme
mais nous n’en deuons jamais attendre de ceux
qui nous craignent, par ce qu’au lieu d’employer
leurs soins & leurs pensée à nous aymer, il les
occupent toutes entieres à se défier de nous. Hé !
qui ne sçait que le meschant craint incessamment
le Iuste, voir mesme luy porte vne hayne

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immortelle, le feu est il si contraire à l’eau, la
douceur à l’amertume, les tenebres à la clarté, &
le vice à la vertu, comme le meschant est irreconciliable
ennemy de celuy qui embrasse l’équité ?
combien donc est dissimulée l’amitié du
Card. Mazarin enrichy de rapines, tesmoignent
à vostre Majesté, qui est la mesme iustice ? Et
si vostre authorité Souueraine, n’a peu supporter
tant soy peu le credit d’vn si genereux Prince,
souffrira el e plutost la puissance d’vn Cardinal
Mazarin perturbateur du repos public, qui s’est
esleué, jusques à vn degré si haut qu’on ne peut
sans fremir l’outrepasser mesme de la pensée ?
Si vostre Majesté estant ialouse de son authorité a
rẽuersé par terre vn fresle obiet de faueur : Comment
traittera-elle le Card. Maz. qui de la sienne
espouuante la terre ? En vn Estat bien reiglé les
mesmes crimes, doiuent ils pas receuoir les meschastimens ?
Si l’on y veut apporter quelque difference,
ne la doit on pas establir en l’enorme
grandeur de la faute, plutost qu’en la consideration
de celuy qui la commise ? Si l’on a veu que
le Cardinal Mazarin a enuoyé vostre argent du
costé de Sedan, & auoir escrit aux Estrangers n’a
t’il pas merité la mort, ou bien quel supplice doit
on preparer a vn tel homme, qui sans cesse leurs
enuoye des Messagers chargez de Lettres, de

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memoires d’instructions & de presens : & qui
mesmes donne audiance à toutes sortes d’Ambassadeurs
auant qu’ils ayent esté veus de Vostre
Maiesté. N’est-ce pas estre beaucoup plus capable
de trahison d’entertenir neuf ou dix intelligences
Estrãgeres que de n’en pratiquer qu’vne.

 

Henry, qui a eû l’honneur d’estre vn de vos
Ayeuls, auoit vn Prince, lequel ou soupçonnoit
auoir vne Ville à son commandement, lequel fut
decapité, si l’on a estimé vn crime capital de cetuy-cy,
pourquoy le Cardinal Mazarin ne sera-il
pas condamné à la mort, lequel en a vne infinité,
mais d’y enuahir beaucoup dauantage de
Prouinces, que l’autre ny occupoit de places ? Le
plus se dit il pas tousiours en comparaison de
moins ? ne se rend ton pas beaucoup plus coupable
en se soüillant de quelque detestable sacrilege,
qu’en cõmettant vn simple larcin ? De quelles
raisons se pourra donc excuser vers Dieu, vers
Vostre Majesté, & vers le pauure Peuple le Card.
Maz. qui a volé les Thresors, pillé vos richesses
Royalles, & englouty les commoditez Communes ?
Si l’on luy obiecte qu’il a veu, ie diray mieux
qu’il a fait mal-traitter des Princes, dont il n’estoit
pas capable de dechausser, parce qu’il auoit
seulement recueilly les fruits d’vne fortune riante.
Si l’on a des-ietté vn si homme de bien que

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D. B. du lieu ou l’on croyoit qu’il ne deuoit pas
estre, ne doit-on pas foudroyer vn si meschant
homme le C. Maz. qui s’y estant introduit pas
toutes sortes de malhenreuses voyes, s’y est beau
coup dauantage aduancé, & y sait vn progrez
incomparablement plus dangereux ?

 

Il foule aux pieds tous respects & toutes considerations,
fors celles d’estendre son pouuoir iusques
à l’infinité. Mais afin que vous connoissiez
SIRE, si les Conseils du Card. Maz. sont fondez
sur vne droite intention, & s’ils sont vides de
tromperies, que vostre Maiesté considere, s’il
luy plaist, lequel de vous deux tire plus de profit
& d’honneur des conseils dont il vous abuse. Car
s’il ny a que le C. Maz. qui en profite, que peut-on
dire autre chose sinon qu’il est vn tres-infidelle
conseiller, qui n’a pour but que son interest
particulier, sans regarder le vostre. Et ne sera-ce
pas encore vne chose a deplorer si vostre Maiesté
au lieu de receuoir quelque auantage de ses auis,
n’en reçoit que honte, que perte, & dommage à
l’heure mesme qu’il vous les donne, il se fait voye
par ce moyen au sommet des richesses de l’Estat.
Cela est certain, comme il est sans doute, n’a on
pas raison de dire & de publier que le C. Mazarin
ne vous conseille rien que ce qu’il estime pouuoir
seruir à l’accomplissement de ses ambitieux

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desseins, ne craignant d’aduancer ses affaires au
desauantage de celle de vostre Maiesté ? Quiconque
veut tout ce qu’il peut, & qui peut plus
qu’on ne sçauroit croire, ainsi que le C. Mazarin,
veut asseurement plus qu’on ne sçauroit dire : &
comme son vouloir & son pouuoir sont également
infinis, n’est-il pas certain (quoy qu’il ne
commence rien qu’il ne finisse) que ses entreprises
sont tousiours infinies, & n’est il pas vray
que quoy qu’il fasse de grandes chose, il en medite
encore de plus grandes, esleuant tousiours
ses desirs jusques à l’infinité, qui est le seul centre
où ils se peuuent arrester en repos. Il n’y a
point de doute que le C. Mazarin, qui est extremement
ambitieux, n’aspire à quelque chose de
plus qu’à ce qu’il possede, parce que son auarice
ne se peut iamais assouuir, & que celuy qui songe
sans cesse à acquerir oublie aysement ce qu’il a
desia acquis. Il idolastre incessament le lustre de
quelque dignité plus eminente que la sienne, à
laquelle il sera paruenu, il iettera encores sa veuë
plus haut, & ainsi ira tousiours soupirant apres ce
qui sera audessus de luy. Ie ne veux pas pour ce
qui est des vertus, comparer le C. Maz. à Alexandre
le Grand, Mais pour ce qui est de l’ambition,
peste vomie par Lucifer, i’oseray bien dire
qu’il ne luy cede point. Lors qu’Alexandre eut

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fait de plusieurs Royaumes. & de plusieurs Empires
vne seule Monarchie, il demanda encores
s’il n’y auoit point quelque nouueau monde à
conquerir. Lors que le C. Maz. par flaterie & non
par merite, s’est esleué du moindre rang des plus
pauures Gentils-hommes aux plus grands honneurs
de vostre Estat, il a encores voulu monter
à la plus haute & plus importante charge de vostre
Couronne cela estant que peut on esperer,
mais que ne doit-on craindre, sinon qu’à ceste
heure qu’il s’y est estably, il regardera aussi-tost
s’il ne peut point passer outre. Car de s’imaginer
que les obligations quil aura à son bien-faicteur
le puissent retenir, ce seroit par trop se flatter : le
Serpent apriuoisé n’apriuoise point son venin
Lucifer estoit infiniment obligé à son Createur,
& neantmoins nous sçauons tous qu’il a dit. le
monteray au throsne de Dieu, & seray fait semblable
au Souuerain. Ha ! que vostre Maiesté doit bien
meurement considerer cet exemple qui luy est
donné du Ciel afin qu’elle en fasse son profit.
Vous dites, SIRE, Que vous estes asseuré de Mazarin,
qu’il est vostre cher amy, que vous l’aymez parce
qu’il vius ayme, que vous luy faites du bien parce qu’il
vous est vtile, qu’il ne vous trompera pas, qu’il est trop
complaisant, qu’il fait tout ce que vous voulez, & bref
que vous auez vne si forte inclination pour luy que vous

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ne sçauriez viure sans sa compagnie, & que vous ne vous
en pouuez passer. O paroles plus pleines d’amour
& de bonté que de prudence & de raison ! Permettez
moy s’il vous plaist, SIRE, de vous respondre
à tout cela, & de vous dire que veritablement
vous pouuez bien appeller vostre cher amy,
celuy qui vous couste la perte de vostre authorité
& la ruine de vos Estats. Il est certain que
vous ne le pouuiez achepter à vn plus cher prix,
& si vous deuez tenir pour vostre, ce qui vous est
si cherement vendu, ce n’est point à faux tiltre
que vous vous asseurez le C. Maz. Mais considerez
ie vous supplie tres humblement, SIRE,
qu’il n’a autre caution de sa fidelité, que vos liberalitez
qui sont si demesurée que la seureté de
vostre Couronne est en sa main, & non plus en la
vostre : De sorte que s’il veut attenter tout ce
qu’il peut, vous dépenderez beaucoup plus de
luy qu’il ne fera de vous, qui l’ayant fait ce qu’il
est, à moyen de faire ce que vous estes.

 

Vous dites, SIRE, Que vous l aymez parce qu’il
vous ayme. Hé y a-il homme au monde, quand il
seroit le plus desloyal, & le plus meschant qui se
puisse treuuer qui ne tesmoignast vous aymer,
tant qu’il en tireroit de si auantageux profits ?
Qui est celuy là qui vous refusera son amitié à de
telles conditions ? Croyez vous, SIRE, qu’à

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l’heure que Vostre Maiesté luy fait du bien, il
fust si estourdy que de faire paroistre ne la pouuoir aymer ?
Non, non, l’Arondelle ne nous quite
point en Eté, il n’y a que l Hyuer qui l’a separe de
nous. Si quelque mauuais accident de fortune
(à laquelle les grands & les petits sont suiets) auoit
tellement ruyné vos affaires, que le Cardinal
Mazarin recognust ne deuoir plus attendre
de bien-faits de Vostre Maiesté, il seroit fort à
craindre qu’il ne l’abandonnast pas seulement,
mais que comme il auroit eu les premieres pieces
& plus importantes du debris, il n’en voulut encores
arracher les dernieres, & qu’ayant commencé
par vostre faueur à esbranler vostre Empire
pour s’agrandir, il s’efforçast par la mauuaise
conduitte de vos affaires à le renuerser du tout
pour se maintenir & pour affermir son establissement
particulier. C’est vne maxime receuë entre
les Sages, qu’il faut reconnoistre auant que d’aymer,
c’est à dire qu’il faut esprouuer son amy, auant
que s’y fier. Et enquoy, SIRE, auez vous
esprouué le vostre pour luy confier vos Armes
vos Thresors, vostre Personne, vostre vie & celle
mesme de vos plus proches parans ? Ce n’est pas
le moyen de recognoistre l’amitié ou la fidelité
du Mazarin, que de redoubler tous les jours vos
faueurs en son endroit. Il faut au contraire les retirer

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du tout, le bannir d’aupres de vostre personne,
& esloigner de vostre Cour tous ceux de
sa faction, puis retirer de luy les Gouuernemens
& les Places que vous luy auez confiées. Mais,
SIRE, cõbien que cette preuue de l’affection
du C. Mazarin, soit tres-foible, il est toutesfois
croyable qu’il s’en affligera comme d’vn effet veritable
de vostre prudence, & qu’il se iettera dans
la reuolte au lieu de vous obeyr. Car qu’est-ce
que les flateurs & les mauuais fauoris redoutent
si fort, que le don de sagesse en leur Prince ; Si
cela arriue, SIRE, ne vaut-il pas mieux recognoistre
de bonne heure sa mauuaise intention,
afin d’y pouruoir, que d’attendre qu’il se fortifie
dauantage, de peur que deuenant plus puissant
que Vous en vostre Royaume, il ne contrelutte
Vostre authorité ; & ne se mette en vn estat que
vous aurez plus besoin de luy, qu’il n’aura peur
de vous. Mais si au lieu de cela il satisfait par son
obeyssance à tous vos desirs, remettant en vostre
disposition les Gouuernemens & les Places par
le grand nombre desquelles il est plus capable de
donner la Loy, que de la receuoir, s’il vse, dis je,
d’vne telle restitution, vous y gaignerez tous
deux : Vous SIRE, en ce que vous serez asseuré
d’vn loyal amy, aussi bien que d’vn fidel seruiteur :
Et luy en ce qu’il aura dissipé les Iustes de

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vostre Majesté, en luy dõnant les preuues qu’elle
aura demandé de son affection aussi bien que
de sa fidelité. O que si vous vous resoluez, SIRE,
à faire cette espreune, vous en receurez & de
profit & de contentement tout ensemble ; de
profit, parce que tous vos autres subiets voyans
que vous voulez aymer plutost par vne iuste raison,
que par vne aueugle passion, n’espargneront
ny peines, ny soins, ny biens, ny vies pour se rendre
aymables à vostre Maiesté. Vous augmenterez
encores vostre contentement, par ce que le
C. Maz. recognoissant que vous voulez en aymant
estre aymé & seruy, redoublera son amour
& ses seruices, dont il ne s’acquittera autrement
qu’auec peu ou point de soucy, s’imaginant que
tout le bien que vous luy departez, est deu à son
merite particulier, sans qu’il vous en soit obligé.
En quoy il ne manquera pas d’alleguer ce que
vous dites, Que vous luy faites du bien parce qu’il
vous est vtile. Il publira que toutes les graces &
les faueurs qu’il reçoit de V. M. ne font qu’vne
partie de la recompence qui luy appartient,
quoy qu’il ne vous serue de chose quelconque,
sinon d’vn abysme ou se perdent les liberalitez
infinis que V. Maiesté y iette incessamment. O
vtilité admirable d’vn seruiteur qui reçoit tousiours,
& qui tousiours demande ? si toutesfois

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c’est demander que prendre ce qu’on veut à sa
discretion ainsi que le C. M. Vostre Maiesté le
peut-elle assez reconnoistre par biensfaits, puis
qu’il ne s’en peut iamais rassasier ? Et ne oblige-il
pas beaucoup de vous appauurir, afin de s’enrichir ?
Est-ce pas vous estre grandement vtile d’abaisser
vostre authorité pour esleuer la sienne,
& fait tout ce qu’il peut pour estouffer vos loüanges,
pour faire publier les siennes, de ternir vostre
gloire afin de faire par tout esclater sa reputation.
d’esteindre dés cette heure l’auguste memoire
de vostre Nom, pour perperuer le sien : Il
est vray, SIRE, & ie ne ie puis dire sans pleurer,
l’on ne parle plus dedans & dehors vos Royaumes
du C. Maz. le bruit de sa grandeur & de
son pouuoir fait qu’il n’y a presque personne qui
ne desire plutost sa bonne grace, que celle de
V. M. & l’on dit fort librement qu’on aymeroit
mieux auoir sa promesse que d’estre asseuré de la
vostre. O abus extrauagant ! O déreglement
insuportable ! & qu’auec tout cela V. Maiesté
continuë à aymer le C. Maz. qu’elle continuë à
dire, qu’il ne le trompera pas. Non, non, SIRE,
il ne vous trompera pas pour le mal qu’il vous
veut, se sera pour le bien qu’il se desire. Ne faites
point difficulté de dire, qu’il est trop complaisant, il
ne le peut pas estre à de meilleures enseignes

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qu’au prix de tous vos tresors : il n’y a rien de si
aysé que de complaire à V. M. pour commander
à tous ses Estats & pour se lés asseruir. Le Cardinal
Mazarin, fait tout ce que vous voulez, parce
qu’il vous fait faire tout ce qu’il veut, & c’est
pourquoy vous sentez vne inclination si forte pour luy,
en ce que façonnant vos intentions au modelle
des siennes, il proportionne puis apres fort commodement
son vouloir au vostre : De sorte que
vous ne treuuez pas plus de plaisir de viure en sa
compagnie, qu’il reçoit de profit en celle de vostre
Maiesté. La chose du monde qui entretient
le plus doucement la familiarité des amis, c’est
vne simpatie d’humeurs, qui vnit nos cœurs par
vne conformité de desirs. Cõtinuez donc, SIRE,
d’aymer ardamment le C. Maz. qui n’a aucune
volonté qui ne soit semblable à la vostre.

 

Vous souhaїttez d’estre obey de tous vos Subjets,
& luy pareillement. Vous demandez qu’vn
chacun vous serue, vous ayme & vous respecte,
& luy pareillement. Vous aymes les actions Royalles,
& luy pareillement. Et bref vous voulez
regner, & luy semblablement. Si bien qu’il ne
s’est iamais veu vne égalité si grande d’affections,
en vne si grande inegalité de conditions. Ie ny
voy qu’vne seule difference, c’est que vous dites,
SIRE, Que vous ne vous pouuez passer du C. Mazarin :

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Mais luy par son ambition s’est mis en tel estat,
qu’il se peut passer de vous. Outre les paroles que
i’ay cy-deuant marquées vous adioustez encore,
SIRE, Que le C. Maz vous a mis la Couronne sur la
reste & que pour recompenser ce seruice, vous ne pouuez
iamais luy faire assez de bien. Considerez s’il vous
plaist, SIRE ; qu’on ne donne pas volontiers
vn Royaume sans s’y reseruer vne fort bõne part.
Et n’est-il pas bien croyable que le C. Mazarin,
par les mains & par la volouté duquel passent
toutes les affaires, & auquel tous les autres Ministres
raportent & rendent compte de tout ce qui
se fait, comme au principal mouuemẽt de l’Estat ;
n’est il pas dis-je croyable qu’il n’a mis qu’en apparence
la Couronne sur la teste de vostre Maiesté,
& qu’en effet se l’est mise sur la sienne, ou
pour le moins qu’il a veut se l’y mettre ? Seroit-il
le premier qui auroit eu ce dessein, & qui apres
auoir possedé le Monarque se seroit efforce de
posseder la Monarchie ? Qui a puissance sur les
mouuemens de l’ame ne fera-il pas du corps tout
ce qu’il voudra ? L’esprit de l’Empereur n’est-il
pas l’ame de l’Empire ? Et ainsi le C. Maz. qui
possede vostre esprit, ne pourra il pas aussi posseder
vostre Royaume ? Ouy asseurement, nous auons
tant d’exemples d’vne semblable entreprise,
que d’en vouloir douter, c’est douter si la clarté

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du iour peut estre suiuie des tenebres de la nuit.
Bagoas fauory d’Ochus Roy de Sparthe, pour
enuahir l’authorité souueraine, treuua moyen de
faire mourir son maistre par l’entremise d’vn
Medecin qui le seruoit, lequel luy fit aualer du
poison, Tibere ayant fait Sejanus si grand, qu’on
l’estimoit son compagnon, fut en danger d’estre
par luy despoüillé de l’Empire : car Sejanus enflé
d’orgueil & remply de presomption commença
à mespriser son bien-faicteur.

 

Ie continurois à vous donner des exemples d’auantage,
mais ce seroit trop vous enuyer.

SIRE, ces exemples vous peuuent bien monstrer
le danger qu’il 3 a de faire par des faueurs
excessiues vn coquin si grand, qu’il y ait de la
peine à le deffaire, puis apres s’il vient à sortir des
bornes de son deuoir. Il ne faut pas que le Maistre
partage sa puissance auec son valet, les affaires
iront tousiours mal tant que vos Subjets verront
que le C. Maz. vsurpera les honneurs Souuerains
qui sont seulement deus à vostre Maiesté.

Le Soleil souffre bien que nous soyons illuminez
de la clarté de ses rayons, mais il ne souffre
point qu’elle luy soit rauie. Vostre Maiesté peur
bien permettre que le C. Maz. respire sous vostre
authorité, mais elle ne doit pas endurer qu’il

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l’vsurpe. Pour le fauory d’vn Prince c’est assez
d’estre aymé, & de viure bien-heureux, mais c’est
trop d’estre compagnon & d’ayder à regner.
Hercule veut bien qu’Atelas le soulage, mais il
fait cognoistre que l’Olimpe est plus asseuré sur
ses espaules que sur celles d’aucun autre. Si le
Soleil se lassoit de nous esclairer, & qu’il cõmist
à vn autre la conduitte de son char & de sa lumiere,
nous serions souuẽt enueloppez de tenebres.
Si Vostre Maiesté remet en la main d’autruy le
gouuernement de ses peuples, ils feront autant
de cheutes que de pas. Qu’elle prenne doncques
soigneusement garde a la charge que Dieu luy a
commise, de peur de se laisser tromper par les
pernicieux conseils du C. Mazarin.

 

Il semble aux Rats qui ont accoustumé de
ronger & deuorer tout ce qui treuuent : Si tost
qu’ils ont gousté de l’appast empoisonné, ils boiuent
sans cesse, & né peuuent estancher leur sort
qu’en creuant Aussi peut-on dire que la mort
est le seul remede de l’auarice & de l’ambition,
qui sont les deux plus grandes pestes dont vn
Royaume puisse estre affligé ? Sur tout Vostre
Maiesté doit bien prendre garde de ne combler
lamais de biens ny d’honneurs ceux qui sont venus
de peu, comme le C. Mazarin, parce que les
vice sont beaucoup plus grands & plus insolens

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en ceux qui nouuellemẽt sont montez au richesses
& aux honneurs, qu’aux autres qui sont riches
de longue main ; parce que les richesses &
les honneurs leur estant des choses nouuelles ils
n’en sçauent pas le vray vsage, mais s’en seruent
plutost à commettre le mal qu’a faire bien. Il
faut adiouster à cela, que lors que quelque personne
de neant, comme le Card. Mazarin, a esté
demesurement agrandie par vn Prince, elle
craint tousiours de retomber dans la misere d’ou
elle a esté tirée, & cette crainte luy fait tanter
toute sorte ne moyens pour asseurer si bien les
fondemens de sa fortune, que celuy qui l’a esleuée
ait plutost besoin de se mettre a l’abry sous sa
hauteur, que dessein de l’abaisser : comme s’il
estoit raisonable qu’œuure se fit adorer par l’ouurier.

 

La plume de Silhon n’est pas assez puissante
ny assez adroite pour vous acquerir des cœurs.
le remarque assez d’affections pour le Roy ; assez
de zele pour les princes, mais on adiouste aussitost
sans Mazarin. C’est en vain que vos creatures
publient auec insolence que les peuples choquent
l’authorité Royale, ce n’est qu’à vos deffauts
que l’on en veut, Le Roy ne peut demander
plus d’amour à son peuple qu’il en a pour
luy. Tous les cœurs sont entierement tournez

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vers Messieurs les Princes, & l’on dit qu’il est fort
rude qu’vn Estranger dont la naissance est inconnuë
aussi bien que le merite, vueille faire la
loy aux enfans de la Maison Royale, aux Parlemens
& à la Noblesse & a tous les Peuples. Ainsi
vous ne pouuez plus douter que vous ne soyez
sur le panchant du precipice. Ie ne puis parler
autrement pour mieux dire la verité. A dieu

 

FIN.

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M. E. G. E. N. R. S. [1652], LA VERITÉ DV ROYALISTE PRESENTÉE AV ROY, PAR M. E. G. E. N. R. S. President. A SA MAIESTÉ. écoute Lecteur. , françaisRéférence RIM : M0_3992. Cote locale : B_17_24.