M. L. [1649], LE BOVCLIER ET L’ESPÉE DV PARLEMENT ET DES GENERAVX, CONTRE LES CALOMNIATEVRS. , françaisRéférence RIM : M0_599. Cote locale : A_3_17.
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LE BOVCLIER ET L’ESPEE DV
Parlement & des Generaux, contre
les Calomniateurs.

C’EST vne chose estrange, que parmy
le mal’heur public il se trouue encore
des ennemis si conjurez contre la
tranquilité des hommes, que leur plus
grande joye soit la douleur des particuliers :
Des monstres qui voyans soupirer la France
voudroient voir mourir les Parlement, & les Generaux
qui l’ont secondé, & qui ne peuuent se lasser
d’accuser ceux qui ont trauaillé pour nostre
bien, d’estre les causes des nostre ruine.

A n’en pas mentir, cette manie est extreme : Et ie
n’ay point encore vû de malade qui maudit sa teste
des douleurs de ses membres, quand cette teste en
cherchant la guerison ny peut pas trouuer de remede.
Car enfin il est du deuoir du chef de mediter les
moyens de guerir le reste du corps ; & dans l’occasiõ
passée, le Parlement n’a fait que ce qu’il estoit obligé
de faire, quand il a cherché le salut de la France.

La teste doit
prendre soin
des autres
membres.

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Que s’il le faut prendre d’vne autre façon, ie diray
que quand la douleur nous presse la crainte de
mourir nous esueille, nous cherchons le Medecin
de toutes parts ; Et si nous n’en pouuons pas trouuer
au mal qui nous tuë, la nature nous force de
faire de nous-mesmes tout ce que nous pouuons
pour nostre salut. En ces derniers temps il est arriué
à cét Estat vne maladie bien violente, & bien dangereuse.
Vne humeur maligne & Estrangere s’est
glissée dans les naturelles : desia elle en a corrompu
vne grande partie : desia elle prend l’Empire sur les
autres ; & les parties nobles sont desia mesme alterées
de sa contagion. Tous les membres de cét Empire
soupirent sous l’oppression de la douleur.
L’vn apres l’autre ils tombent dans la defaillance ;
Et enfin ce grand corps va bien tost mourir. Ce qui
est de plus deplorable en la maladie, & de plus à
plaindre au malade ; C’est que les Medecins ou ne
connoissent pas le mal, ou du moins ne veulent pas
le guerir. Il y a long-temps qu’ils sont sollicitez
par l’affligé : Long-temps qu’ils entendent les clameurs
du pauure peuple oppressé, qui demande
auec des pleurs sanglants quelque remede à son
mal extreme : Et long-temps qu’ils ont vû cét
Estat à la mercy de son infortune, sans auoir eu pitié
de sa peine. Mais comme la necessité fait bien
souuent des miracles, cét Estat abandonné de ses
vrais Medecins, luy mesme a fait vn effort contre

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sa maladie, & luy mesme a trauaillé à la santé qu’il
auoit perduë.

 

Chacũ cherche
naturellement
son
salut.

Vne humeur
estrangere
rend l’Estat
malade, & il
ne se trouue
point de
Medecin.

Il a donc fallu
qu’il fit
luy mesme
vn effort
pour sa guerison.

Ie dy luy mesme. Car puis que c’est le Parlement
qui a fait le genereux dessein d’vne si grande & si
necessaire cure, ie dy vray quand i’asseure que c’est
l’Estat luy mesme qui l’a fait. Cét illustre Parlement ;
Ce Senat de demy-Dieux familiers & visibles
representant le Monarque & les sujets de ce
Royaume, en est vne parfaite & vne naifue representation.
Ayant l’authorité de l’vn dans les mains,
& pratiquant l’obeïssance des autres, on ne peut pas
douter qu’il ne soit l’Estat tout entier en racourcy
puis qu’il n’vse pas moins de l’authorité du Prince,
en faisant iustice, que de l’obeïssance des sujets.

Le Parlement
represente
parfaitement
l’Estat,
& mesme
est cet
Estat en racourcy.

Apres cela doit-on trouuer estrange les projets
de sa generosité ? Est-il quelque loy que nous connoissions
(ie dy mesme chez les peuples les plus
barbares) qui ne permette pas la resistance que tous
les estres font à leur destruction & à leur perte ? Vn
ver que nous foullons aux pieds fait bien ce qu’il
peut pour s’en garantir : Et defait, c’est vn droit
aussi ancien que le monde, que la nature apprend
à toutes choses, & que la iustice humaine & diuine
ne punist en qui que ce soit.

La conseruation
de soy-me
est de
droit naturel.

Quand mesme ce grand Corps ne seroit pas en
racourcy tout l’Estat, puis qu’au moins il en est vne
partie, N’estoit-ce pas son deuoir de conseruer
l’autre ? L’ordre que Dieu a mis dans le monde pour

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le salut de toutes choses, ordonne que les mains
pensent les playes des autres membres du corps affligé.
La Iustice est la main de l’Estat : Elle doit donc
auoir soin des autres parties. Puis qu’elle est establie
du Souuerain pour proteger les innocens, & pour
chastier les coupables, on ne doit point trouuer
estrange qu’elle ait entrepris son deuoir.

 

La Iustice est
la Principal
partie de l’Estat.

Ie sçay bien que ceux qui veulent flestrir la gloire
du Parlement, disent qu’il entreprit ce deuoir
par force ; que sa generosité estoit vne action de
contrainte ; que la peur l’auoit rendu comme courageux.
Ces discours toutesfois ne peuuent partir que
de ceux que ny peur, ny honte ne sçauroient iamais
empescher d’estre lasches ; Et la noirceur de ces indignes
pensées ne peut estre produite que dans ces
esprits tenebreux, qui detestent mesme la lumiere
du iour. Ceux qui disent que le dépit auoit animé
ces Senateurs, & que le refus de certaines choses,
ie ne sçay comment imaginées, les auoit mis
en colere, ne sont pas plus sages ny moins criminels.
Que pouuoient auoir demandé de mauuais
ceux qui ont bien eu le courage de demander la liberté
de la France ; Et que leur eust pû refuser celuy
qui n’ayant pû les corrompre par ses presens, à bien
eu la malice de s’en vouloir défaire par le trespas. Si
quelque dépit les a animez c’est celuy-là de voir
la tyrannie d’vn mauuais Ministre ; & s’ils ont senty
quelque colere, c’est celle-la dont ses violences

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doiuent encore embraser tous les cœurs genereux.
Qu’on ne die donc plus qu’ils ont fait leur deuoir
par force. S’ils y ont esté forcez, c’est par les excez
de nostre Tyran ; Et si quelque peur les à pû saisir,
c’est celle-la d’estre responsables au Thrône de
Dieu d’vne indulgence si fatale à tout ce Royaume.

 

Et de fait s’ils eussent voulu se relascher en faueur
du Cardinal, l’ennemy conjuré de leur Patrie,
que n’auroit-il point fait pour eux. Faut-il douter
que tout auare qu’il est, il ne leur eust donné au
delà mesme de leurs demandes, par le propre interest
de son auarice. Mais il n’auoit pas rencontré
dans ces tuteurs de nos Roys des Iudas qui vendent
leur Maistre. Il ne trouuera pas dans ces sages Illustres,
ce que jadis on vit trop ordinairement dans
le Senat Romain : Cette bassesse de courage qui
luy faisoit si souuent applaudir à l’infamie des fauoris
de ces Souuerains : Ces loüanges seruiles que
contre les sentimens de leurs ames proferoient les
bouches de ces indignes Senateurs ; Et cette complaisance
ridicule fille honteuse & criminelle d’vn
excez de timidité & de crainte.

Le Parlement
n’a pû
estre le flateur
du Cardinal.

Sa grandeur redoutable au lieu de les auoir intimidez,
les a enhardis ; Et comme c’est le propre des
grands courages de ce roidir aux plus grands perils,
plus ils ont vû de danger à acquerir leur gloire, &
moins ils ont consulté s’il la falloit acquerir, sçachant
bien qu’elle est tousiours plus éclatante aux

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rencontres où elle est plus difficile ; Ils se sont genereusement
comme de vrais Iasons exposez à la
mercy de la mer & des vents. Ils ont leué l’ancre, &
desployé les voiles sans peur du foudre & de la tempeste
apparente qui se monstroit dedans la nuée.
Ils ont combattu ces fiers Taureaux, qui dans le
Champ de Mars ne jettoient que feux & que flâmes ;
& s’ils n’ont pas vaincu ce fier Dragon, gardien
de la plus riche toison de ce Royaume, il en
faut recognoistre vne autre cause que leur manque
de generosité. Tout cela n’estoit pas, quoy qu’on
en puisse dire, vne entreprise peu difficile : Il falloit
pour vn dessein si juste & si hazardeux de grands
cœurs & de bonnes ames. Dans la gloire qu’ils possedoient,
& qu’ils possedent encore ; assis au Thrône
de la Iustice, Dispensateurs du pouuoir Souuerain,
Astres Tout-puissans dont les bonnes ou les
mauuaises influences dominent toutes les parties
inferieures de cét Estat ; vne infinité de personnes
se seroient peu souciez de la miserable condition
du reste de la France. Rarement voyons-nous ceux
qui sont à leur aise penser à soulager ceux qui n’y
sont pas. Du faiste du bon-heur on jette peu les
yeux dans l’abysme de l’infortune. La prosperité
nous enchante & nous aueugle, ou du moins cét
objet nous semble si beau & si charmant, que difficilement
en destachons nous nos regards pour en
contempler qui soient laids. Quand mesme en

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l’estat heureux de ces grands hommes il s’en seroit
trouué beaucoup d’autres pour considerer nos
douleurs ; quand même quelque tendresse de cœur,
quelque mouuement charitable les auroit portez
à la compassion de nos maux ; ce n’auroit tousiours
esté qu’vne compassion paresseuse & inutile, qu’vn
mouuement du dedans sans effet ny sans fruict au
dehors ; Et nous ne doutons pas qu’il n’y ait eu plusieurs
ames affligées de la douleur publique dans
leur felicité particuliere : Plusieurs esprits qui ont
enuoyé leurs soûpirs au Ciel contre la licence des
Enfers : Mais il ne s’est point trouué d’assez grandes
hardiesses pour cesser de plaindre ce Royaume, &
en entreprendre la deffence. La crainte a tousiours
combattu la pitié, & en a esté victorieuse : L’Imadu
peril a tousiours effacé celle de la gloire ; & c’est
vne chose estrange & merueilleuse, que parmy tant
de Heros qui ont combattu pour la France contre
les Estrangers, il ne s’en soit trouué pas vn qui l’ait
deliurée de son ennemy domestique.

 

Sa grandeur
les a enhardis
plustost
qu’intimidez.

Vne cause
superieure
domine
à tous nos
malheurs.

Si le parlement
n’eust
esté tres-genereux,
son
bon-heur
eust empesché
qu’il
n’eust consideré
nostre
misere.

Ceux qui
sont à leur
aise n’ont
guere de soin
de ceux qui
sont miserables.

Ou tout au
plus ce n’est
qu’vne compassion
inutile
& sans
action.

Le Parlement seul meritoit cét honneur, comme
il l’auoit entrepris, si le Ciel ne l’eust retardé.
Il auoit sagement iugé dans son genereux dessein,
que n’estant point arriué qu’aucun particulier eust
fait cette vengeance publique, c’estoit à luy seul de
la faire. Qu’il ne falloit pas qu’vn criminel fust
fougueusement executé. Qu’il estoit raisonnable
que ses injustices fussent chastiées par la Iustice.

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Qu’vn particulier auroit pû faire son coup plustost
par haine que par raison : Qu’il auroit plustost fait
sa vengeance que celle de tout le Royaume : Qu’on
auroit pû douter de la iustice d’vn coup precipité :
Qu’vne execution mesme de cette nature auroit
rendu criminel celuy qui l’auroit executée : Qu’il
n’est pas permis à tout le monde de faire iustice, &
que si cela estoit, on feroit moins mourir de coupables
que d’innocens.

 

Le seul Parlement
auoit
entrepris ce
que n’auoit
osé tout le
reste de l’Estat
ensemble.

Nul particulier
aussi
n’auoit droit
de le faire.

Ces raisons firent iuger au Parlement, que c’estoit
à luy seul d’entreprendre vne vengeance publique,
& non pas à l’attendre d’vne resolution particuliere.
Ils conclurent qu’à des excez solemnels il
falloit vne punition solemnelle, & que comme
toute l’Europe n’ignoroit pas les crimes du Cardinal,
il estoit iuste qu’elle apprit la iuste & l’éclatante
procedure de son supplice : Autrement il n’estimoit
pas que Dieu peust trouuer sa mort agreable.
Et de fait, c’estoit vn grand bon-heur pour
nous que sa ruine ne nous fust pas vn crime, & que
nous vissions sa punition sans la meriter. C’estoit
ce que pouuoit faire le Parlement : Comme il a le
droit de nostre peine, il a de mesme celuy de nostre
vengeance. Dieu qui se l’est reseruée luy en a
donné le pouuoir, l’ayant donné à nostre Prince,
dont il a receu la balance & l’espée, pour poiser
d’vn costé, & trancher de l’autre. Il n’auoit donc
entrepris rien que selon la puissance de sa charge ;

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sa belle & sa genereuse resolution estoit de son authorité
& de son deuoir.

 

C’est à la
seule Iustice
à venger & à
punir les particuliers.

Et de fait, estant tuteur du Roy en son bas aage,
n’estoit-ce pas à luy à prendre sa place en sa Minorité ?
Et tenant sa place, n’estoit-il pas obligé aux
mesmes fonctions ausquelles le Roy luy-mesme
eust esté obligé : Or les Roys qui sont les Peres de
leurs Peuples en doiuent estre aussi les defenseurs ;
tellement que le nostre ne pouuant encore nous
defendre, le Parlement deuoit suppléer à sa ieune
impuissance, & nous proteger.

C’est au defaut
du Roy
au Parlemẽt
à proteger
son Peuple,
quand ceux-la
ne le font
pas qui y
sont primitiuement
obligez.

Ie ne dy pas que ce ne fust primitiuement le deuoir
de la Reyne Regente, puis qu’elle auoit l’Empire
dans sa main : Cét Empire n’estoit pas moins
d’auoir pitié de ses Sujets, que de leur commander ;
Il falloit donc qu’elle les defendist, au lieu de les
abandonner. En ce rencontre les mauuais conseils
d’vn mauuais Ministre luy ont fait oublier son deuoir ;
Falloit-il que le pauure Peuple perist sans secours,
pource qu’elle ne pensoit pas à le secourir :
Quand elle sera sortie de l’erreur qui l’a seduite,
qu’elle aura vaincu le charme qui l’aueugle, &
qu’elle sera retournée à sa bonté naturelle, elle cognoistra
bien qu’elle deuoit benir ceux qu’elle a
maudits, & peut-estre dira t’elle à ceux contre lesquels
elle fulmine ses vengeances ; Que ie suis
malheureuse de vous auoir resisté ! Et que ie serois
heureuse si vous m’auiez vaincuë !

C’estoit premierement
le deuoir de
la Reyne Regente.

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Car enfin quoy que cette bonne & cette grande
Reyne trompée puisse dire, l’offence qu’elle pretend
luy auoir esté faite n’est qu’imaginaire, & n’a
point du tout de realité. Le Parlement pour l’auoir
chocquée a tousiours trop sçeu quelles deferences
il luy deuoit rendre. Luy-mesme ayant confirmé
sa Regence, & en ayant encore rendu le pouuoir
plus ample, il n’a point dessein de le diminüer ; mais
il cognoissoit bien que ce qu’elle sembloit vouloir,
ce n’estoit pas elle-mesme qui le vouloit, & que
s’opposant à ses volontez, ce n’estoit pas à ses volontez
qu’il s’opposoit. Les ardans mouuemens de
la colere que le Cardinal luy inspire ne luy doiuent
point estre imputez, ce sont des mouuemens
estrangers. L’obeïssance que le Parlement eust
renduë à ses volontez n’eust point est glorieuse à
sa personne ; & c’eust este mal suiure son deuoir
que de les escouter. La fidelité que tous vos Sujets
vous deuoient & qu’ils vous doiuent encore, grande
Reyne, leur defendoit de vous obeïr. Souffrez
nous de vous dire, sans vous offenser,qu’il est des
malades ausquels il ne faut rien accorder de ce
qu’ils demandent, puis que leur appetit ou leur
raison déreiglée les obligent à rechercher plustost
la mort que la santé. Vous auez esté contrainte,
[1 mot ill.], par les conseils empoisonnez d’vn mauvais
Ministre, de rechercher tout de mesme vostre
ruine. Comme il vous gouuerne vn peu trop absolument

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dans cette fatale authorité, qu’il a encore
fatalement vsurpée, il taschoit de vous vendre
bien cher vostre propre bonté Sa malice estoit à
ce poinct, Madame, que dans le noir dessein qu’il
auoit si audacieusement tramé contre vous, il vous
employoit vous-mesme, & qu’il n’estimoit pas sa
rage assez grande, ny vostre perte assez esclatante,
si mesme en vous perdant il ne vous rendoit encore
l’instrument de vostre malheur. Vous souhaitiez
de l’estre, Madame, n’en doutez point. Vous vous
efforciez d’obliger vn ingrat, qui pour recompense
à toutes vos faueurs ne cherchoit qu’à vous voir
perir.

 

La Reyne n’a
point esté
offensée
quand le
Parlement a
entrepris ce
qu’elle deuoit
desia
auoir fait.

Qu’estoit-ce autre chose, grande Reyne, que
d’empescher la Paix si vniuersellement souhaitée ?
Qu’estoit-ce autre chose que d’arrester les heureux
succez de vos armes trop victorieuses à sa fantaisie ?
Qu’estoit-ce autre chose, enfin, que de piller
comme vn pirate & comme vn brigand toute la
richesse de cét Estat, d’espuiser son plus pur sang
comme vne sanguë, & de vouloir comme vn
destructeur destruire la premiere Ville de ce grand
Royaume. Quand vos Sujets seroient tous ruinez,
que feriez vous ? Si vos membres estoient brisez,
où seroit vostre force ? Alors vous seriez auec nous
à la mercy de nos Ennemis, & vous n’auriez de reste
en vostre infortune que le regret de n’auoir pas
voulu la preuenir quand vous le pouuiez. Quel

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compte ainsi pourriez-vous rendre ny a Dieu ny
aux hommes de l’administration qui vous a esté
commise ? Quel Royaume remettriez vous à vostre
fils apres auoir perdu le sien ? Mere miserable, Illustre
infortunée, quelles douleurs receuriez-vous
de voir ce cher fils despoüillé ; Et encore par vostre
indulgence.

 

Le Parlement fut donc sage & courageux au dela
de ce qu’on peut dire. Sa juste resolution fut vn effort
de grandes ames. Tout est merueilleux d’vn si
beau dessein. Les esclatantes vertus que tout à la
fois il fit voir en ce fameux rencontre le doiuent
rendre admirable à tout l’Vniuers. Cette prudence
auec laquelle il découurit les lasches pensées
du Cardinal ; Cette generosité auec laquelle il s’opposa
à ses pernicieux desseins ; Cette fidelité addroite,
vigoureuse & incorruptible qu’il tesmoigna
pour son Prince ; Cét amour actif, desinteressé &
ardent dont il rendit de si belles preuues à sa Patrie :
Tout cela sont autant de Heraux qui alloient
crians par toute la terre, & chez tous les Peuples,
Combien est heureuse la France d’auoir de si bons
& de si glorieux deffenseurs de sa liberté ! Et combien
Dieu cherit LOVYS XIIII. son illustre
Monarque d’auoir en sa minorité de si bons tuteurs,
& de si passionnez Sujets.

Le Parlement
fut
genereux
dans son dessein,
& [1 mot ill.]
plus qu’on
ne peut dire.

Cette gloire toutesfois si bien meritée luy fut
commune auec d’autres. Vn esclat si g rand brilla

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sur d’autres genereux ; & sa beauté fut si charmante
& si souhaitable, qu’il fut impossible qu’il en
jouyst tout seul. Il se trouua d’Illustres enuieux
qui luy vindrent partager l’honneur de seruir le
Prince & la Patrie, & qui ne voulurent pas demeurer
stupides dans vne si belle occasion de faire leur
deuoir. Mais cét honneur est d’vne nature si excellente,
qu’il ne fut point amoindry, encore qu’il se
partagea. Cõme le Soleil distribuë sa lumiere auec
vne si merueilleuse dispensation, que quelqu’vn
n’en reçoit pas plus pour estre tout seul, & que tous
n’en reçoiuent pas moins pour estre plusieurs ;
quand Messieurs les Generaux vindrent augmenter
le nombre des defenseurs de la Patrie, l’esclat
du Parlement n’en fut point diminué. Ils en deuindrent
tous brillans sans qu’aucun perdist la moindre
estincelle de sa lumiere. Au contraire mesme
ce renfort de celebres Partisans rendant le party en
quelque sorte plus iuste, le rendoit aussi en quelque
sorte plus lumineux.

 

Le Parlement
ne fut
pas seul à seruir l’Estat,
les Generaux
voulurent
iouyr du
mesme honneur.

Quoy que c’en soit, nos Senateurs & toute la
France auec eux doit estre beaucoup obligée à ces
ames Heroїques. Ce sont d’inuincibles enfans qui
n’ont point oublié l’amour de leur mere, & qui par
d’excellentes & d’ardantes lumieres ont bien sçeu
la cognoistre & la trouuer dans les ombres de deux
differents partis qui prenoient son nom. Le Roy
que traisnoit (si ie l’ose ainsi dire) l’ennemy de ce

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Royaume ne peut les esbloüir. Ils cognurent bien
que l’authorité Royale n’estant encore en luy qu’en
puissance, & non pas en vsage, on n’auoit pû l’enleuer
auec luy. Que son depart nocturne en estoit
vne raison, & vne preuue indubitable. Que ceux
qui vsent de cette authorité ne fuyent point, & ne
se dérobent iamais. Que c’estoit vne priuation &
vn abandonnement manifeste de se souuerain
pouuoir que cette euasion timide & indecente
dont les plus foibles mesmes deuroient rougir.

 

Ce n’est pas
vne marque
de puissance
& d’authorité
que de se
cacher &
fuir.

Ces genereux & ces sages Heros, considerans
donc que le Roy mineur n’vsant point encore de
sa puissance Souueraine ; Et que cette puissance
toutesfois pour le gouuernement de l’Estat ne
pouuant estre en ses mains, & deuant estre en d’autres,
ne pouuoit estre recognuë en celles-là, de ceux
que la crainte & la fuite esloignoient infiniment
d’vne si haute independance, abandonnerent les
lieux d’où ils iugerent qu’elle s’estoit esuanoüye, &
vindrent chercher ceux-là où elle s’estoit acheminée.
Comme les belles fleurs qui ne peuuent viure
sans suiure d’vn mouuement continuel l’astre donc
elles reçoiuent la chaleur & la vie. Ainsi ils abandonnerent
le Roy pour le seruir ; Si l’on abandonne
au moins ce dont on porte tousiours l’amour
dedans le cœur, & l’image dedans la memoire. Si
l’on peut dire abandonner ceux-là dont on embrasse
ardemment la querelle, & pour lesquels on

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donne librement le repos, les biens & la vie.

 

Si ceux qui n’ont pû conceuoir de si hardie &
de si genereuse pensée faisoient vne iuste reflection
sur le depart de nos Generaux, & sur leur indigne
attachement, ils verroient quels d’eux tous ont demeuré
plus proches du Roy ; & quelle difference il
y a de l’auoir tousiours deuant les yeux, ou de le
porter tousiours dedans l’ame. Ceux qui voyent les
choses dans leur vray iour, iugent facilement quel
aduantage nos Generaux ont remporté sur ceux
qui pour la personne du Roy ont eu vn attachement
opiniastre ; Et sans doute qu’vn iour le
Roy luy-mesme cognoistra qui d’eux tous l’a le
mieux suiuy.

L’amour le plus pur & le plus sublime, n’est pas
celuy-là qui nous donne pour la presence de la
chose aimée vne ardeur aueugle, & vne passion
ignorante. Il nous pousse plus loin, & nous esleue
plus haut qu’à l’objet des yeux ; Il commande à l’esprit,
& le faisant agir à sa façon accoustumée il
nous donne des mouuemens plus spirituels. Ainsi
de l’objet des sens il nous conduit à sa gloire, qui
est l’objet de l’ame ; & pour celuy-cy quand il est
besoin il nous fait abandonner celuy-là.

C’est cette passion qui arrachea nos Generaux
d’aupres de la personne de nostre Monarque. Le
soin de son salut, de son honneur & de la reputation
de sa Monarchie, eust plus de pouuoir sur eux

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que non pas sa presence. C’est cette sollicitude glorieuse
qui leur fit abandonner la pompe & les delices
de la Cour pour se venir plonger dans les fatigues
de la guerre, & qui par vn desinteressement
absolu leur fit preferer leur deuoir à vne fausse &
à vne criminelle faueur.

 

C’est l’amour
qu’ils
ont pour luy
qui les en a
esloignez.

Dans vn dessein si legitime rien ne peut les espouuanter.
La perte de leurs dignitez ne leur fut
pas considerable aupres de leur gloire. Les risques
mesmes de la mort si facile à trouuer dans le hazard
des armes ne peurent attiedir leurs courages. Eust-elle
esté mille fois plus éuidente & plus asseurée,
ces Fiers & ces nouueaux Decies se fussent toûjours
voüez au salut du Pays. La crainte n’entre
point dans des ames que de si beaux mouuemens
ont remplies, & la justice de la cause qu’ils embrassoient
ne souffroit point de terreur en ces protecteurs.

Ils abandonnerent
leurs
honneurs
pour leur
gloire.

Qu’on cognoissoit mal la pureté de leurs pensées
quand on souspçonna leur retour. Quelques vns
s’imaginerent alors qu’il falloit apprehender quelque
surprise de ceux qui veritablemẽt ne venoient
que pour nostre secours. Ils ne trouuoient pas bon
qu’ils retournassent, pource qu’ils s’en estoint allez.
Ils disoient qu’il n’y auoit point entr’eux &
nous d’attachemens plus forts que ceux qu’ils
auoient ailleurs du sang & de la nature ; & qu’enfin
ceux qui n’auoient iamais abandonné la Cour, le

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faisoient apparemment bien hors de saison pour
n’estre pas souspçonnez.

 

Ainsi certes
on eut tort
de les souspeçonner
à
leur arriuée.

Mais ce n’est pas chose fort nouuelle que la crainte
trouue par tout des ombrages. Les animaux timides
fremissent quand le vent se joüe de l’herbe
dont ils se repaissent ; & il y a des esprits foibles
qui s’imaginent voir tousiours des phantosmes qui
les poursuiuent & qui les menacent.

La crainte
apprehende
tout mesme
ce qui la deuroit
rasseurer.

Le Parlement en ce rencontre, fut plus clervoyant
& plus asseuré. Il jugea que ces Messieurs
s’en estoient allez, ou sans sçauoir le dessein de ceux
qui emmenoient le Roy, ou du moins pour le
rompre & le ramener. Il sçauoit bien qu’on ne
peut ny suiure ny abandonner vn party sans le cognoistre.
Qu’apres l’auoir mesme cognu il falloit
du temps pour se resoudre. Il ne douta point que
pour vne si haute resolution il ne fallust vn peu
combatre contre soy-mesme. Que la Cour a beaucoup
de charmes qu’il falloit vaincre. Que les interests
sont encore plus forts, & que le sang & la nature
peuuent encore violenter dauantage.

C’est en cét endroit que la resolution de ces
Heros sortant du rang des vertus communes s’esleue
au dessus mesme des extraordinaires. Les difficultez
qui s’opposoient à leur genereux dessein en
ont rendu l’accomplissement plein de surprise. Il
leur à fallu quitter le Roy, la Cour, leurs Charges,
& leurs propres parens pour venir chercher la bonne

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cause. Il falloit que l’amour fust bien ardent &
bien allumé qui leur a esté plus precieux que toutes
ces choses. La derniere sur tout auoit pour eux
des attachemens si forts que le mouuement qui les
a rompus ne peut estre plein que d’vne extrême
violence. Quand il nous faut armer nos bras contre
nostre sang, que nous sommes contraints de faire
la guerre à nos propres freres ; La necessité certes
est bien dure & bien rigoureuse ; Et ie ne sçaurois
dire quels peuuent estre ceux pour lesquels nous
leuons le bras contre de si doux & de si chers ennemis.
Il falloit à n’en point mentir que la Patrie eust
sur ces Conquerans genereux vn empire bien absolu,
puis qu’en des commandemens si cruels ils se
sont trouuez si tost prests d’obeïr.

 

La resolution
des Generaux
fut
vn effet de
vertu plus
qu’extraordinaire.

Ils l’ont fait toutesfois. C’est ce qui vous a trompez,
vous qui ne comprenez pas iusques où peut
aller toute la force d’vne grande ame, & qui peut-estre
n’auez encore iamais pensé qu’il n’y a rien qui
doiue estre preferable au Pays. Quand il y va de son
salut, il ne faut auoir rien de cher. Agamemnon
pour l’apprendre à toute la Grece, & mesme à toute
la terre, donna courageusement sa chere fille
pour estre immolée ; & pour l’amour des Grecs refusa
d’écouter la nature. Dans cette illustre passion,
Rome vit iadis le defenseur de sa liberté, son Horace
ne pouuoir pardonner à sa sœur, & lauer dans
son sang le crime de quelques paroles & de quelques

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larmes qui pour la mort de son amant luy
estoient eschappées contre la gloire & sa Patrie. Et
veritablement si par la Loy de Dieu nous deuons
nous aymer les vns les autres, & cherir les interests
de chacun en particulier comme le nostre propre ;
Que ne deuons-nous point faire pour la chose publique
où se trouuent vnis les interests de tous ? Ce
nous seroit vne lascheté bien honteuse si les Payens
que ce beau feu a si viuement bruslez auec les seules
lumieres de la nature auoient esté plus auant
dans la perfection que nous auec celles de la cognoissance
du vray Dieu, & celles de ses Loix adorables
qui nous conduisent.

 

Il n’y doit
auoir rien de
cher comme
le Pays.

Nos illustres Generaux, graces à ce grand Dieu,
sçeurent se garantir d’vn si infame malheur. Cognoissans
ce qu’ils deuoient à cét Estat, ils firent ce
qu’ils peurent pour le luy rendre. Ils se vindrent
ioindre au Parlement, Genereux à Genereux pour
l’accomplissement d’vn si grand ouurage. Il falloit
des bras à ces nobles testes ; ils apporterent les leurs :
Ces bras triomphans & si redoutables aux ennemis
de ce Royaume. Ils firent leur deuoir pour destruire
le Catilina de cét Empire. Ils voulurent estre
contre ce Conjurateur de nostre ruine des Cicerons
& des Antoines, dont les vns descouuroient
par leur prudence & par leur industrie les noirs
desseins de sa malice, & les autres renuersoient à
coups d’espées les orguilleux attentats de sa criminelle
puissance.

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Qui pouuoit douter de la ruine de ce perfide,
puis que les Muses & Mars s’estoient vnis pour son
supplice. Nous voyons d’vn costé les sages, & de
l’autre les vaillans : Nous apperceuions même par
tout la science & la valeur dans nos protecteurs. Le
Parlement auoit des Achilles, & nos Generaux des
Vlysses dont la prudence & le courage ne pouuoit
succomber. Nostre Rome ne manquoit ny d’espée,
ny de boucliers, ny de marcels, ny de fabies pour le
malheur de son Hannibal.

Que si l’effet n’a pas suiuy de grandes apparences :
Si nous auons demeuré sous le ioug que nous
voulions secoüer, faut-il en accuser ceux qui n’ont
pas manqué de bons desseins ? Est-on obligé de
reüssir à tout ce que l’on entreprend ? Ne sçauons-nous
pas que de tout temps les plus grands genies
ont esprouué de grands reuers ? Que les affaires
vont bien souuent tout au rebours de ce que l’on
pense ? Que tous ceux qui font leur deuoir n’accomplissent
pas leurs projets.

Le Parlement
ny les
Generaux ne
sont pas blasmables
du
succez des
affaires.

Quoy ! vouloit-on que des hommes necessairement
vinssent à bout de leurs entreprises ? Les
hommes regissent ils l’Vniuers ? Sont-ils au dessus
des causes superieures ? Les Arrests du Ciel dépendent-ils
de leur volonté ? Il faut donc considerer
qu’il est vne puissance au dessus de toutes les autres,
de laquelle il est dit, Qu’elle dispose, cependant que
l’homme Propose. Nous faisons souuent des desseins
qu’elle renuerse auant mesme qu’ils soient

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formez. C’est elle qui nous retient dans les chaisnes
que nous voulions rompre. Elle donne ce frein à
l’impetuosité de nos mouuemens. Elle nous laisse
dans la seruitude, parce qu’elle cognoist que
peut estre nous serions trop audacieux si nous
estions libres. Elle veut que la pesanteur de nos
fers qui tirent nos corps vers la terre, esleue nos
esprits vers le Ciel. Elle veut que nous considerions,
qu’il n’est point de mal dans la Cité que le Seigneur
n’ait fait, afin que cette cognoissance nous
oblige à attendre plustost nostre liberation de sa
grace que du secours des hommes, ny de celuy de
nostre courage & de nostre industrie.

 

Les hommes
ne peuuent
rien d’eux-mesmes.

Il nous faut
attendre nostre
secours
du Ciel.

FIN.

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M. L. [1649], LE BOVCLIER ET L’ESPÉE DV PARLEMENT ET DES GENERAVX, CONTRE LES CALOMNIATEVRS. , françaisRéférence RIM : M0_599. Cote locale : A_3_17.