Nervèze, Suzanne de [signé] [1649], LE RIEVR DE LA COVR AVX BOVFONS, Satiriques, Flateurs à gages, & Compteurs de nouuelles, , françaisRéférence RIM : M0_3549. Cote locale : C_9_85.
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LE
RIEVR
DE
LA COVR
AVX BOVFONS,
Satiriques, Flateurs à gages,
& Compteurs de nouuelles,

A PARIS,
Chez IEAN BRVNET, ruë neuve sainct Louys,
au Canon Royal, proche le Palais.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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A
MADAME
MADAME
DE
LYONNE.

MADAME,

La tristeste & le chagrin inseparables de la mauuaise
fortune, semblent si fort vnis à ma personne qu’il sufit de
de se souuenir de mon nom pour prendre vne memoire locale
de tous les maux imaginables, mais comme toute ma vie est
vne continuelle guerre, & que par les conseils de la prudence
humaine sans lesion de la foy, ie cherche souuent le
remede de mes douleurs en cachant leur violence, ie me suis
auisée de donner au public sous la faueur de vostre authorité

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vn Rieur, qui sera le truchement de mon humeur solitaire,
& s’il plaist à vostre Bonté le solliciteur de mes allegemens,
son ris est si raisonnable qu’il n’offencer a non plus
la bien-sceance que le respect, ses sentimens sont legitimes
& sa conduitte tres reglée & autant qu’il condamne la bigoterie,
il estime la vraye deuotion, enfin MADAME,
il va faire voir au monde les deffauts de beaucoup d’esprits
b/> sous l’esclat & la perfection du vostre, & tesmoigner à nos
iours & à la posterité ce que ie voue d’honneur, de submission
& de zele à vostre Illustre Maison auec l’asseurance
des tres-humbles seruices que ie souhaite de vous rendre en
qualité de

 

MADAME,

Vostre tres-humble & tres-obeïssante
seruante,
SVZANNE DE NERVESE.

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AV LECTEVR.

IE ne veux plus retenir dans la sollitude
d’vne Chambre deserte, vn Rieur public,
puis que ces sentimens & son courage le
portent sur le theatre du monde, pour y
souffrir la censure, apres l’auoir genereusement faite
des plus rafinez Courtisans du siecle, il s’offre en bute
à la Satyre & n’en redoute pas les attaintes, par ce que
son indifference est preparée à tous les euenemens, &
n’affectant que sa satisfaction il la rend independente
du murmure & de la bijarrerie de toutes sortes des personnes,
& comme il trouue en luy seul son ambition &
sa gloire, il deffie le reste du monde d’empescher sa felicité
ny d’interrompre son ris & alterer sa complaisance,
prenez tel sentiment qu’il vous plaira de son Genie
il n’en sera ny plus ny moins iudicieux, & vous pour
estre seuere n’en deuiendrez pas plus raisonnable, si
vous errez dans vos delicatesses, j’auoüe que ie n’entre
prens pas de guerir les incurables, ie me contente
de me mocquer des ridicules, s’il y a de l’audace, il s’y
trouuera aussi de la seureté pour mon contentement
ie ne rends pas les jnterests de mon esprit tributaires
de l’incertitude, ie fais trop de cas de la realité pour la
vouloir hazarder apres vne illusion, aussi peu considerable
à ma pensée, que vos sentimens sur le sujet de

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mes trauaux, parlez-en à vostre fantaisie, la mienne
ne s’en inquietera nullement, ie pardonne l’ignorence,
& ne demande pour mes œuures ny grace ny iustice,
leur reputation ne me touche pas, i’escris sans
dessein, & ne me porte à cét employ que comme à la
promenade pour me diuertir, ie me satisfais à ma mode,
ma plume console mes maux, fortifie les resolutions
de mes souffrances & soulage mon cœur dans ses peines
n’a iamais esté coupable de lascheté ny de satyre,
apres cela si vous estes fascheux il ny aura de trouble
que pour vous, vous ferez le reformateur à vostre
aise, & moy la satisfaicte de tous les euenemens, si
vous n’appellez pas de vostre partage, mon humeur
vous en signera le titre.

 

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LE RIEVR DE LA COVR, AVX
Boufons, Satiriques, Flateurs à gages,
& Compteurs de nouuelles.

VOICY vn Démocrite nouueau qui faisant
le tour du monde pour se rendre
sçauant des mœurs & coustumes des
peuples, a voulu obliger la Cour de
France en luy laissant ses pensées sur
les obseruations qu’il y a faites, il separe
la Cour en quatre classes sans comprendre dans se
nombre les belles ames qui meritent d’estre le precieux
ornemens d’vne histoire fidele & veritable, la
premiere est composée de Compteurs des nouuelles
complaisans à gage & à tasche Satiriques, Boufons &
Adulateurs des vices, la seconde des Suffisans, Ignorans
& Presomptueux, la troisiesme les Ambitieux, &
la derniere des Bigots, & comme la plus grande partie
du monde est interessée dans ses meslanges, le public
pourra receuoir plaisir & aduantage au recit de ses memoires,
& sans choquer la pensée de ces austeres qui
condamnent le ris, i’ose dire qu’en certaines conjonctures
il tient lieu de correction & d’enseignement, &
c’est ce que nous aduouërons par l’exposition de ce
sage qui auec vn ris sans esclat, censure le dangereux

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& ridicule commerce de ces esprits folets & malicieux
qui s’insinuent chez les grands auec des addresses
malignes & honteuses, & leur dit d’vn ton
mocqueur & agreable, c’est icy où ie veux rire des rieurs
Messieurs les Boufons, Satiriques, Flateurs & Compteurs
des nouuelles, ie vous aduoüe que vostre vie est
digne de risée, vous estes semblables aux violons,
vous suiuez tousiours les festes, & dés qu’on se met sur
le serieux on vous fausse compagnie, de tous les métiers
le vostre est le plus abject & mesprisable, & comme
vous ne cherchez que le secret de tout le monde pour
le porter d’vn lieu à autre, vous auez ce bon-heur que
personne ne vous croit, cela n’empesche pas que vostre
belle humeur ne soit occupée à fournir des matieres.
Pour diuertir l’esprit de ceux qui se seruent de
vous comme des gazettes pour apprendre les nouuelles
quelques fausses qu’elles soit, vous en inuentez vne
partie, & debitez les autres si falsifiées, qu’il est aisé à
iuger que se sont les aduances de quelque extrauagant,
c’est vous qui faites le plus souuent les diuorces
entre les parens & les amis, vous n’exceptez non plus
le Prince de vos caquets que le suiuant, tout passe par
vostre censure, quoy que vous soyez vuides de toute
bonne doctrine, & il me semble qu’aux Monarchies
bien polissées, il y deuroit auoir des peines pour ces
sortes des personnes ou bien qu’ils eussent vne marque
comme les Iuifs en Auignon, pour faire voir que
ce sont des gens ennemis des autres & de toute bonne
societé, & si on m’oppose que ie drape sur moy-mesme
qui suis vn Rieur & vn mocqueur, ie respondray,

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que ie ne suis pas de ceux, qui courent les maisons, les
tables & les ruẽs, qui s’en prennent à la vie & à l’honneur
de plus supremes grandeurs qui veulent apprendre
le deuoir aux maistres, l’importance des loix aux Magistrats,
& la milice aux Generaux d’armée, & qu’à la
mesme personne qu’ils ont traitée d’excellence & d’admirable,
à son absence il la deschirent & noircissent auec
vne effronterie furieuse & brutale, n’est-ce pas là vne
déprauation pitoyable, & l’employ d’vn esprit mal timbré,
aussi se faut il contenter de rire de leur commerce,
ils foullent dans les cimetieres pour faire parler à leur
mode ceux qui en ont perdu la faculté dés long-temps,
contestent la certitude des familles, & taschent de mettre
la honte & le reproche sur les plus beaux & plus chastes
visages des Dames, ie me moque vrayement de cette
categorie d’esprits, & leur soutiens que la faineantise
& l’inclination au vice les fait choper dans ce precipice
d’iniquité, vous flatez ceux de qui vous souhaitez la bource,
& si leurs liberalitez ne respondent pas à vos desirs
vous les conuertissez en rage & tesmoignez que comme
les freslons, vous n’approcbez pas les objets sans laisser
quelque coup de bec importun & fascheux, c’est vne
chose indubitable que qui applaudit tout, est sot ou
meschant, & qui contrarie sans raison temeraire & insupportable,
la modestie & le iugement auec vne vertu
sans lascheté ny ergoterie, improuuent genereusement
ce qui ne leur semble ny iuste ny bien seant ; si bien que
Messieurs les Flateurs auec leurs complaisances mercenaires
doiuent aussi estre rejettez comme inutiles ne
sçachant vser de l’honneste liberté qu’vn honneste homme
peut prendre d’estaler sa pensée au prejudice de ceux
à qui elle est des-agreable, excuser vn mal, c’est s’en

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rendre complice, si vous estes en lieu où la liberté de
raisonner soit permise : Thierry Roy des Gots disputant
contre vn Cheualier de quelque chose arriuée, le Cheualier
soutenant la verité, & le Roy au contraire, & auec
vne telle chaleur, que l’interieur dans son droit ne voulant
pas ceder à vn puissant mal fondé dans son caprice,
ce Roy s’en mit en extreme colere, le Cheualier persiste
& auec vne constance admirable ne voulut iamais desmordre
de son sentiment équitable ; quand le Roy vit sa
grande fermeté, reuenant à luy-mesme par reflection iudicieuse,
tu n’as point dit, il redoute sa fureur de la Majesté
Royale, i’estime ton cœur franc & hardy & en ta
personne la generosité & la iustice, triomphent de la
puissance ; complaisans à gage & à tasche, ie me moque
de vos bassesses, & quelques mercenaires que vous
soyez, l’vtile non plus que l’honneste, se trouueront rarement
auec vous ? quel plaisir trouuez-vous d’estre les
excremens des compagnies, la balieure du siecle & les allumetes
pour porter le feu aux quatre coins de l’Europe,
qui vous leuez & vous couchez auec vn esprit de sedition
& de malheur sans sçauoir ny pour quoy vous le faites
non plus que ce qui en peut arriuer, & c’est par vous que
i’apprends que comme il y a des animaux & des herbes
qui ne seruent qu’à nuire, il y a des hommes qui n’ont de
l’homme que la forme, la malice du Demon & la brutalité
des bestes, les grands ont des fous & des nains pour
leur plaisir, les boufons ont la mesme qualité, si on leur
donnoit des bornes il en seroit plus supportables, mais
lexez de leur insolence n’en reçoit point, & comme les
plus belles fleurs sont plus attaquées de l’injure du temps
ses personnes donnent aussi contre les plus illustres, il est
vray que c’est par autheurs & allegations, c’est à celuy-cy

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& à l’autre qu’ils ont oüy asseurer ce que nul n’a pensé
que des gens de leur calibre, infames banquiers de malefice,
vous trouuerez peut estre le mot pour rire à la fin
de vostre commerce, engeance d’iniquité, pommes de
discorde, faisons partie ensemble de nous moquer du
passé & voüer à l’aduenir des mouuemens plus reguliers
pour nostre conduitte, il est temps de changer d’habitude,
vostre vie est lassante & la mien ne inutile, ie cours le
monde pour apprendre, & vous pour le troubler, si ie
vielles sans rien sçauoir ou que ma science me serue peu,
vostre sotte manie ne vous sçauroit produire que des peines
honteuses, en toutes choses l’intention honore l’œuure,
vous estes blasmable en tout poinct. Et ie vous annonce
ou quelque mort sinistre ou vne vie tres-miserable,
ceux qui font semblant de vous escouter auec plaisir,
redoubteront vos satyres, le nom d’amy vous doit
estre odieux, puis que toute la terre croit que vous en sacrifieriez
dix mille à la complaisance de quelque mot
bien receu ; enfin camarade sans amitié, ie suis d’auis de
deuenir plus sages, de nous attacher à l’aduenir à l’examen
de ce qui nous peut estre aduantageux, honorer les
grands sans interest, ne nous engager dans la flaterie ny
la satyre, parler plustost du Chasteau enchanté & du rauissement
d’Helene que des Palais de nos Princes, & des
gestes des anciens Heros que des deffauts de nos voisins,
& si nous voulons rire du general, que ce soit tousiours
auec ceste modestie de ny comprendre iamais le particulier,
obseruer toutés les respectueuses deferences de
la sagesse, & nous tirons des broüillons mal appris qui
s’exposent sans cesse à la crainte de la punition & à la
honte d’vn infame & detestable reproche.

 

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LE RIEVR DE LA COVR AVX
Ignorans, Presomptueurs & Suffisans.

LA presomption & l’ignorence ne se separent
que tres rarement & tous les deux rendent
vn sujet si ridicule que quand ie ne ferois pas
profession de rire aux occasions qui peuuent
y obliger le general, il faudroit esclarer auec
bruit à la veuë pretenduë de leur personne, le merite
de leurs parens, & les traits esmoussez des pointes d’vne
esprit presomptueux & imbecile, vne de leurs impertinences,
c’est le mespris d’autruy, car ce qu’ils croyent
se releuer en faisant chimeriquement descendre les autres,
mais ie me moque de leur erreur, & leur apprends
que c’est commettre injustice de refuser l’estime à ceux
qui la meritent, la Morale regle nos déportemens, la
Politesses s’insinuë par pratique, si bien que pour oster à
nos habitudes ce qu’elles ont de rude, il faut se former
sur ceux qui sont les plus parfaits & prendre pour des
preceptes venerables la iustice d’vne personne accomplie
ainsi l’ignorent, cessant d’estre presomptueux, il
aprendra ses deuoirs de ceux que l’enuie luy a fait considerer
comme les obstacles de son lustre & les ennemis
de sa gloire, les qualitez d’vn bon esprit n’empeschent
pas qu’vn autre n’agisse auec honneur, & c’est estre veritablement
ignorant de s’imaginer, que les aduantages
de nos voisins sont la diminution des nostres ; c’est vne
foiblesse & vne erreur de croire de reussir par le mespris
des bonnes choses & de faire comme les Operateurs
d’estaller auec impudence les fumées d’vne ceruelle

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creuse au preiudice des solides effets d’vne estude penible,
raillerie des railleries, vn ignorant pour cacher
son defaut l’expose dauantage, il se mesle de tout ce
qu’il n’entend pas, fait le capable sur toute matiere, &
souuent auec des mots dont il ne sçait pas l’intelligence,
il certifie son incapacité auec son insolence, souffre
donc ames abusées, que mon ris s’esmeuue vostre regret,
& repentez vous de vous estre trop aimé sans
vous cognoistre, on dit que l’amour est vn effet de la
cognoissance, celle que vous auez pour vous mesme
au contraire est la marque de vostre bestise si vous
auiez plus de lumiere vous feriez de meilleure grace les
actions qui vous donnent tant de censeurs, & comme
vous nespargnez non plus la vertu que le vice, &
qu’indifferemment vous donnez sur le releué & le rauale
sans pouuoir soustenir vostre pensée que par obstinaiton
enragée, vous serez tres iustement le but & la
risée des sages, qui par vn certain droit de préeminence
vous rangeront dans le pitoyable rang de la grenouïlle
Desope, petite beste qui mescognoist son estat pour
disputer auec ce qui la peut escraser d’vn coup de pied,
le suffisant estonné les ignorans de son caquet ; Mais
comme il est peu appuyé, il faut encore moins pour le
destruire & il ne doit son existance qu’au mespris que
les personnes raisonnables font de son babil, mais si ie
blasme le presomptueux ignorant, c’est autant dans son
opiniastreté qu’au reste de ses defauts, le conseil d’vn
amy leur est suspect, par ce qu’ils presument de posseder
plus de science que tous ceux de qui l’experience &
l’affection pourroit les garentir de naufrage & de perte
Salomon veut que toutes nos actions, soit concertées,

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que l’ami nous conseille, & c’est ce que le presomptueux
ne veut pas, il est sot & meffiant, & comme les
grands personnages n’ont iamais de la crainte, les petits
esprits sont tousiours soupçonneux & sujets au premier
rapport, nous trouuons dans la vie d’Alexandre
que Philipe son Medecin luy portant vne medecine à
mesme temps que Parmenio son Conestable luy escriuoit
que son Medecin estoit gaigné par ses ennemis
pour l’empoisonner, Alexandre pour monstrer sa confiance
auale la medecine & donne la lettre à lire au Medecin
apprenez de là ames timides & soubçonneuses
qu’il n’y a que les foibles qui soit tousiours en garde, la
conscience cauterisée n’est iamais en seureté, les plus
grandes amitiés leur sont quelque fois suspectes, par ce
que celuy qui n’aime rien, il ne pense pas non plus estre
aimé de personne, Iuges, si ie n’ay pas sujet de rire de ses
miserables qui auec des fausses maximes font vn enfer
de leur teste où il ne roule que des pensees d’horreur de
disgraces & de peril, demandons à Platon si la mefiance
est vne veritable prudence, & il nous apprendra que
quand on luy dit que Zenocrates son disciple & son
ami auoit tres iniurieusement parlé de luy, il ne le creut
pas ne pouuant pas se deffier d’vn homme qui luy auoit
si long-temps temoigné amitié, le rapporteur presse
sa creance autorise ses paroles par serment affection &
vehemence, à quoy le Philosophe respond & bien si
Cenorates à parlé en ses termes, il a pensé qu’il en estoit
necessaire ie ne luy en sçay pas mauuais gré, & sans s’émouuoir
il témoigna sa vertu, & a laissé aux grands
hommes l’exemple de leur vie, ie ne m’estonne pas
d’entendre des vanteries sotises & inutiles discours, ie

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serois aussi ridicule que ceux que ie censure, si ie pretendois
à les reformer, ie me contente de rire de tout &
de m’imaginer que s’il n’y auoit des sots & des mechans
les plus rafinés & les plus iustes ne seroit pas brillans
comme des astres parmi la foule de ses mal entendus, le
plus grand nombre n’est pas le meilleur, il y a beaucoup
des gens à la Cour : Mais peu qui ne soit de ces Narcisses
amoureux de leur ombre, attachez à leurs defauts
& auec c’est aueuglement que tout leur paroist excelent
chez eux, ie plains & me ris de leur impertinence,
les courages fermes & magnanimes tirent aduantage
de se qui effraye les autres, ie leu dans les anciens Autheurs
qu’vn certain genereux que l’Histoire ne
nomme pas du temps que la guerre se faisoit à coups
des flesches, son compagnon luy dit vn iour allant a la
bataille auec quelque sorte d’apprehension, vrayement
nous allons combattre contre des gens qui abondent
tant en fleches, que ie pense qu’il nous en perçeront
de tous costez, t’ay toy luy dit l’autre en riant les fleches
nous feront ombre & empescheront le Soleil de nous
esblouïr & de nous eschauffer, voyez la difference de
ceux qui ont esprit & cœur, tous les deux s’opposent à
ceste basse timidité qui n’est propre qu’aux imbeciles
& ie ne sçaurois me tenir de rire encor de ses suffisans &
presomptueux qui me semblent estre les boëtes d’vn
d’vn pauure droguiste qui n’a gardé que les noms de ce
qui souloit estre en sa possession, ses suffisans nomment
beaucoup des choses : Mais il ne sçauroit trouuer ny
leur valeur ni l’vsage de leur application, c’est assez qu’il
se croyent habiles pour estourdir tout le monde ie ris de
leur methode, & me plais de suiure leurs pas pour recognoistre
souuent en eux l’aueuglement de la fortune

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qui met entre leurs mains ce qui deuroit estre le salaire
d’vne haute vertu & d’vn merite venerable, mais comme
ie ne fais que rire de ce qui me semble risible ie laisse
agir les desordres de ceste iniurieuse puissance sans
quereler sa manie, sçachant que des le commencement
des Siecles, elle a eu ses mouuemens iniustes & irreguliers
tousiours inexorable aux personnes bien nées ;
Mais ie conseille ceste illustre trouppe de rire auec moy
de leur mauuais sort & de faire des charges & des faueurs
des grands comme le Renard des Meures & dire
qu’ils n’en veulent point, en effet c’est flater dauantage
les orguilleux de mettre vn honneste homme dans
le mespris pendant que ses suffisans regnent vainement
au preiudice de toute equité : Mais puis que c’est vne necessité
des destinees, il en faut souffrir la rigueur & se
contenter d’vn partage reel de vertu & de constance
lors que le hazard donnera sans nostre consentement
tout ce qu’il y a de splendide & de magnifique parmi
les mortels à ceux qui le meritent moins.

 

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LE RIEVR DE LA COVR, AVX
Ambitieux.

QVOY qu’il semble que les Ambitieux & les
presomptueux ne soit pas grandement differens
il le sont en ce que l’vn estime valoir
beaucoup, & l’autre ne considere que les
moyens de paruenir aux esleuations ou il aspire, &
qu’en effet il faut esprit & iugement à l’Ambitieux & le
presomptueux en manque tres fort, c’est pourtant vn
terrible tintamarre dans la ceruelle que les Ondes &
les orages d’vn Ambitieux, & ie ne m’estonne pas si
ceux qui aiment le repos renoncent à ses vagues impetueuses
de l’Ambition & des honneurs ie vous auouë
que ie ris à mon aise voyant les personnages que l’Ambitieux
ioüe sur le Theatre de la Cour, tantost faisant le
grand homme chez luy auec quelques familiers, &
hors de la dans la poursuitte de ses desseins, le plus souuent
Chimeriques, il se radoucit auec vn valet accosté
ceux qui sortent lors qu’il veut entrer, & s’assosie des
personnes de qui il ne cognoist l’humeur ni les desseins,
il est vray que les Ambitieux doiuent monter par souplesse
& se maintenir par la force & à cela peu de gens
sont capables de reüssir, l’enuie contrecarre les choses
douteuses, mais les plus sages honorent les establies,
l’Ambitieux doit adiuster ses commancemens auec
douceur & humilité, mais dans le progrés de ses grandeurs

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il ne prend loy que de sa fantaisie, il faut que
l’Ambitieux soit fort & magnanime comme nous lisons
de Marcus Flaurus qui estant à vne bataille voyant
que celuy qui portoit l’Aigle enseigne des Romains se
mettoit en fuitte, prit par le col ce poltron le tourne
du costé des ennemis en luy disant où va-tu c’est
de se costé qu’il faut tourner en luy monstrant les ennemis,
les trouppes se r’aljerent au tour de leur enseigne
& emporterent vne tres signalée victoire, mais ses
moyens sanglans sont de si dificile pratique, que ie me
ris d’vne fortune si dangereuse & n’enuiere iamaïs les
gouuernemens de ses grands guerriers, puis qu’il le
faut poursuiure parmy les Canons les mousquets &
les picques, i’eslirois plustost de courtiser vn domestifaire
compliment à vn Suisse, & reduite aux termes de
la bassesse toutes les belles pensées d’vne Rethorique
Ambitieuse quoy que veritablement ie ne sois ny pour
l’vn ny pour l’autre, & que ie me mocque de tout i’aime
bien l’humeur & l’indifference de Diogene qui prefere
vne vie tranquille & manger des raues que se rendre esclaue
pour des profusions & des honneurs mal acquis,
il est vray que ie pourrois aussi me tromper, si ie blasmois
absolument toutes les grandeurs, il y en a qui sont
les effets de la Iustice supreme, & soustenuës par sa
bonté & se sont celles qui n’ont rien à craindre des decadences
& vicissitudes perilleuses, & c’est tres inutilement
que l’enuie attaque leur esclat puis que c’est par
luy que le Souuerain des Princes & des peuples veut
faire admirer sa prouidence & son pouuoir, L’histoire
Saincte falt mention d’vn homme de basse naïssance
nommé Ioab estant du temps de Dauid, & alors qu’on
luy ferma les portes en Ierusalem par ce trouble ce S

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Roy promit à celuy qui pourroit subiuguer les Sebusiens,
la qualité de Duc & de Prince, ses esleuations
estant les dispositions des Roys qui en honorent ceux
qu’il leur plaist, Ioab animé d’vne noble ambition se
resoult de seruir Dauid, & y reüssit auec toute la gloire
& l’adnantage possible, l’ambition surmonte toutes les
difficultés, & i’auouë que si ie pouuois approuuer les
desseins penibles, ie ferois le Panegirique de l’Ambitieux,
mais dans le genre de vie independant, ou ie me
suis vouë) l’Ambition me paroissant escabreuse & mal
aisée ie me veux mocquer de ses Sectateurs & leur opposer
l’Histoire Daman de qui l’ambition l’entraina du
sommet de sa vanité sur lignominie d’vn supplice qu’il
auoit prepare au Prophere Mardochée, ie me mocque
de ses Geans qui veulent escalader les cieux, les Ambitieux
sans apparence de succez sont de ses follies qui ne
laissent pas les petites Maisons desertes, il faut de l’esperance
pour seruir de tiltre à vn desir violent, mais il
ne faut rien souhaïtter pour viure sans trauerse, les cheueux
ne blanchissent guere aux esprits doux & tranquilles,
& n’est-ce pas vne mocquerie de ce tuer à force de
ces homicides de leur vie qui se tourmentent sans cesse
& ne se relâcheront iamais de leurs funestes soins qu’en
expirant sur le mesme sujet qui les a tant fait soûpiret,
les songes & les reueries de l’Ambitieux sont plains
d’embarras de combats & d’obstacles, parce que son
esprit estãt surchargé d’vn fardeau pesant des imaginations
déreglées le repos mesme en est troublé, viue qui
voudra dans ceste gesne continuelle, ie me riray de leurs
empressemẽs qui pourroit aouir la Cour auec cét esprit
que ie la cõsidere, auroit les mesmes diuertissemẽs qu’a

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la lecture des Romans & de l’Histoire, il verroit les
soupplesses des vns & l’audace des autres aboutir tout
en mesme centre, & par vne preuoyance exemplaire il
iugeroit la disgrace & la faueur des imprudens, & prendroiẽt
leurs coups funestes pour le r’affermissement de
sa chere tranquillite heureux qui peut faire dessein de le
deuenir : Mais ie voy bien que les trauaux de la Cour
ont tant d’apas, que ceux qui en sont priués se croyent
miserables, & que hors de leurs esclauage il n’est pas
de ioye au monde pour eux & comme ie ris de leurs
tremoussemens il se mocquent de mes sterilitez, & iugeant
de moy par ce qui s’en voit, ils me souhaïttent ce
que ie ne voudrois pas auoir, ie suis comme le Philosophe
Anaxagoras, à qui vn de ces amis luy reprochoit
qu’il ne faisoit point de cas de son païs puis qu’il l’auoit
quitté pour vacquer sans obstacle à l’estude de la Philosophie,
& à cela il respondit montrant le Ciel, voila dit-il
mon païs d’où toute terre est esgalement distante &
quoy des hommes sans la vraye Religion auoit ces diuins
sentimens, & nous qui auons vn plus noble obiet
& qui sommes plus asseurez de nostre principe & de sa
Iustice serons nous si sots de nous amuser apres ces ieux
de blanque, ou les Benefices sont si peu considerables
ie reïtere mon ris & trouue tant de subiet de l’entretenir
que si ceux qui cherchent vn feu qui brusle sans matiere,
en trouuoit le secret auec la perfection dont ie scay
celuy de subsister dans mon humeur, il cesseroit d’estre
la mocquerie des sages & la ruine des Curieux, la vertu
est ennemie de tant d’inuentions, & nostre vie est trop
courte, pour en donner tant à la vanité & à l’erreur :
Mais on me dira que si tout le monde fuyoit la Cour les
Roys & les Princes sembleroit estre l’horreur & lescueil

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des autres hommes à quoy ie respons que dans
tous mes ris i’excepte les personne bien faites, il y a &
doit auoir dans la Cour des ames deslite desprits puissans
iudicieux & fidelles que la prouidence de Dieu à
embellis & otnez de toute sorte de vertu : Mais parmy
ce bon grsin il se mesle tant d’iuroye qu’il seroit tres-necessaire
d’en faire la separation, & oster tout ce qui se
trouue d’impur & impropre à vn si eminent sejour, mais
ie reuiens à moy, ie m’escarte de ma piste, & d’vn Rieur
indifferent ie passeray pour vn censeur temeraire, & ce
n’est pas là mon Genie, ie laisse cét employ à vn tas des
personnes inutiles, il s’aquiteront mieux de ceste tasche
que moy, qui ne fais que passer sur la superficie de ce
beau monde, & apres auoir diuerty mon esprit dans
l’expression de leur diuersité, ie ne serois pas raisonnable
de me passionner contre leurs habitudes penibles,
celuy qui en a ordonné pour sa gloire donnera à leur
perseuerance le salaire & les couronnes que ie leur souhaitte
& à moy la durée de mes resolutions dans le mespris
des choses casuels, puis que c’est par là que ie
pretends arriuer au comble de cette gloire où l’on ne
peut atteindre qu’en foulant aux pieds le perissable,
auec la saincte ambition d’estre exalté par les humiliations
de cette vie transitoire, dangereuse & raualée.

 

LE RIEVR DE LA COVR AVX BIGOTS.

Ceux qui ont l’amour & la crainte de Dieu ne trouueront
pas mauuais que ie censure le dangereux
& impie commerce de ses Ypocretes cafars & que ie
leur dise auec vn esprit ennemy de leurs grimaces, il est

-- 22 --

vray Seigneurs Pharisiens que ie me moque de ceux qui
s’attachent si fort à l’escorce que sans vouloir penetrer
vos malices on vous honore comme à des demy Dieux,
& ce n’est pas peu d’esuiter vos pieges, puis que vous les
tendez indifferemment à toute sorte de personnes, vous
estes les ennemis de Dieu & de ses œuures, & abusant
de son nom sacré, vous luy dérobez sa gloire en estalant
la vostre, n’est-il pas vray que vous mécognoissez sa toute
puissance & son immensité, & que si vous pensiez
que vostre cœur luy paroist auec tous ses déguisemens
& ses fourbes, vous auriez horreur de ces detestables &
pernicieux mouuemens quelque belle robbe que vous
donniez à ses desseins, vostre foy ne va pas iusques à la
parole de Dieu qui ne veut pas que vous fassiez parade
des bonnes actions, afin qu’estant faites pour luy seul
vous trouuiez en luy mesme leur recompense, & qui
vous a maudits en la personne de ce peuple qui ne l’honoroit
que des heures imitateurs de Caïn dãs vos offrandes
hypocrites, ie me ris de vostre manie, vous establissez
des nouueaux genres de peine, pour gagner cette
incertaine approbation des hommes qui vous precipitera
dans les abysmes, visages déguisez, esprits d’iniquité,
vous estes martyrs de vostre caprice, vous n’osez
prendre les plaisirs licites en apparence, & vous veautrez
dans les deffendus en cachete, mais ie vous demande
troupe insensée, lors que vous entendez que Dieu
vous deffend de publier le bien que vous pouuez faire,
estes vous pas transgresseurs de faire parade de celuy
que vous ne faites pas, & ne preferez vous pas vn peu de
fumée & de sorte complaisance à ses biens infinis que
vous ne voulez pas considerer, vous estes comme ses nations
barbares qui tirent le sang des veines pour sacrifier

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à des diuinitez imaginaires & refusent d’adorer en esprit
& verité le veritable Createur du Ciel & de la Terre ; dequoy
vous sert de ieusner prier & donner, puis que ce
n’est pas pour Dieu, & que c’est auec cette fausse monnoye
que vous acheptez les charges & les dignitez entre
les hommes, malheur sur vous & moquerie funeste
contre vos estudices grimaces, il n’est pas iusques aux
hommes sauuages qui ne prennent auersion pour l’hypocrisie
& la dissimulation, il s’en est trouué vn qui voulant
s’apriuoiser auec vn vilageois apres l’auoir rencontré
vn iour qui faisoit grand froid, le paysan souflant
dans ses mains, l’autre luy demande pour quoy il soufloit
comme cela, le paysan luy respond que c’estoit pour eschauffer
ses mains, mais à l’heure du disner le paysan
qui trouuoit sa soupe trop chaude se met à la soufler
pour la manger plus viste, ce qui escandalisa ce nouueau
venu qui luy demande encore pour quoy il soufloit
le paysan repart que c’estoit pour refroidir sa souppe,
vrayement dit cét habitant des bois ie n’ay plus à faire de
ta compagnie, puis que d’vne mesme bouche & tout à
mesme temps tu en fais sortir le chaud & le froid ; &
quelle confiance peut on prendre d’vne personne qui a
les deux contraires si à commandement, mais c’est bien
à plus iuste tiltre qu’il faudroit esloigner les Bigots, car
toute leur vie est composée de contrarietez, ce sont des
Demons transformés en Anges de lumiere, & dautant
plus à craindre qu’ils prennent espacieusement l’apparence
de toute bonte, ce sont des loups rauissans sous la
peau des brebis, & tout cela auec soin & empressement,
c’est de quoy ie ris dauantage, par ce que ie ne trouue
pas qu’il y ait là ny raison ny iugement, quand mesme
nous ne serions pas Chrestiens à qui il est ordonné d’estre

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simples comme des Colombes, & par consequent
loyaux & sans artifice en toutes nos actions, les Payens
ont affecté vne vertu morale qui fait honte à nos mauuaises
habitudes ; nous n’aymons pas nostre prochain
quelque protestation d’amitié que nous luy puissions
faire, & ils n’auoit nulle repugnance à se donner pour
plege pour la vie d’vn amy, leur parole valoit mieux que
nos obligations, comme nous lisons de Damon & Phicias
dont l’amitié fut si parfaicte que l’vn estant prisonnier
de Denys Tyran de Syracuse & desirant d’aller chés
luy donner ordre à quelques affaires domestiques, demande
& obtint delay en baillant son amy en ostage &
pour mourir en sa place en cas qu’il ne se remit en prison
au temps ordonné, mais auant la sentence de ce Tyran,
mais comme la loyauté & la ferme amitié sont des biens
inestimables & rares, Denys estonné de l’admirable fidelité
ses deux amys les renuoye tous deux quittes
d’obligation, loüe leur amitié & demande d’en estre le
tiers, ce qui nous fait voir que les hommes plus vicieux
ont du respect & de la deference pour la vettu, c’est aussi
la plus precieuse compagne de nos iours que ceste haute
& supreme vertu, mais nous sommes si miserables
qu’au lieu de cette belle Reyne nous suposons vne infame
& mauuaise apparence, on ne voit que des sepulcres
blanchis qui n’enferment que corruption & ordure,
Messieurs les Bigots ressemblent à certaines pommes
nommées Adefa qui sont d’vne beauté excellente & au
dedans ce n’est que poison, il est vray que la plus enorme
de toutes les offences, c’est celle qui attaque Dieu
dans son trosne, & comme il est le Dieu jaloux de son
honneur & de sa gloire, sa iustice offencée aura des supplices
tres horribles pour ses impies criminels, indignes

-- 25 --

de son pardon, ses marmoteurs de chapelets qui auec
vne auidité execrable n’ont point de meditation qui
n’aille au vol, à la simonie, vsurpation & sacrilege, aualeur
de sang humain n’és-tu pas digne d’execration &
de moquerie de prendre tant de peine pour te perdre,
tu n’entretiens le monde que de l’Empirée, & tes pensées
plus arrestées ne vont qu’à la terre & aux abysmes ! ô
moquerie des Demons, source de toute malice, quand
cesseras tu d’ourdir la toille de ta perte comme la sorte
araignée, ie vous aduoüe que ie ne sçaurois plus rire de
ses vaisseaux d’abomination, c’est vn peché trop enorme
que celuy qui est l’enchaisnement de tous les autres,
Dieu en vain ne iureras mais toutes vos paroles & vos
artifices ayant le nom du Seigneur pour leur embellissement,
toutes vos addresses sont autant de blasphemes,
il est certain dangereuses viperes que vos pas de Geometrie
plus mesurez que vos actions auec leur lentitude
affectée, ne manqueront point d’arriuer dans le centre
de la iustice effroyable de Dieu, qui est le sejour des
malheureux, ou vostre detestable conduitte vous liurera
si vous ne changez d’habitude, rentrez en vous mesme,
cessez de tromper le monde, resiouyr les Demons
& de perdre vostre ame, en offençant cest Estre souuerain
qui vous a tiré du neant pour vous loger dans son
eternelle beatitude si vous voulez tascher de vous rendre
digne de cette grace.

 

-- 26 --

Aux Discoureurs mal instruits.

IL n’y a pas moins des maladies d’esprit que de celles
du corps, & comme l’vn est plus noble que l’autre, il
est aussi plus necessaire de guerir celuy qui peut estre
plus dangereux, vn corps mal temperé n’est importun
qu’à luy mesme, mais vn esprit visionaire & meschant
est capable d’en troubler beaucoup d’autres, par cette
facilité que le vulgaire à pour toute sorte d’impressions,
il est tres constant que l’inuenteur & l’extrauaguant sont
reçeus d’abord & gagnent vne approbation ou il y a du
danger de contrarier, par ce que les raisonnables & les
iudicieux sont moindres en nombre par tous les lieux
habitables, & que le brutal & l’incensé sont abusiuement
les Iuges des matieres plus releuées, cette manie
ou l’horreur que i’ay de son cours à tres souuent obligé
mon loisir & mon affection au bien commun de
prendre la plume pour faire cognoistre aux preoccupez
que c’est là le plus detestable de tous les sentimens &
desreglemens des hommes, & que la perte des estats est
indubitable lors qu’vn chacun se mesle de censurer &
que le respect est dispnté aux Superieurs, il faut aduoüer
que si vn sujet veut faire le capable auec son Seigneur
& mettre certaines conditions a ses hommages, que
c’est changer l’ordre d’inferiorité & traiter d’esgal celuy
à qui la prouidence de Dieu a donné la presceance, la
modestie & l’bumilité sont l’honneur de nostre conduitte,
Iesus-Christ en a donné les preceptes, & nous
ne pouuons aller à luy sans pratiquer cette excellente
vertu de submission & de deference, le Docteur Angelique

-- 27 --

nous apprend que de mesme que les actions des
choses naturelles procedent du pouuoir naturel, que les
operations humaines dependent de nos volontez, mais
comme Dien a voulu que le corps celestes fussent en
quelque façon mouuants de ceux d’icy bas, & qu’il ne
nous ait donné de lumiere que par la communication
du Soleil, sa prouidence veut que nous soyons regis &
esclairez par ceux qui ont la faculté de nous dominer, &
par des degrez & subordination tels qu’il plaist à sa sagesse
adorable d’en mettre, nul ne doit ignorer que les
Souuerains n’agissent par vn certain nombre des personnes
& que les plus aduancées dans leur estime &
dans les charges honnorables ne soit les interpretes de
leurs mouuemens, depuis le commencement des siecles,
nous auons veu cét ordre par tradition, les destinées
ne changeront pas pour s’accommoder aux bijarreries
de certains esprits qui voudroit vn autre partage
dans la distribution des honneurs du monde ? ames abuzées,
cessez vos pretentions guerissez vos chimeriques
tourmens, & submettez vous aux decrets du tout
puissant, vous ne sçauez non plus que la mere det enfans
de Zebedée ce que vous demandez, c’est Dieu qui
ne veut pas que vous soyez dans vn estat plus opulent,
consentez respectueusemẽt à ses dispositions, & vous preparerés
les triomphes d’vne vertu qui ne doit point auoir
de condition affectée pour signaler sa force, l’indigent
à sa vertu dans la souffrance, brauons les magnificences
du siecle, & sans nous mutiner contre nos Superieurs,
nous estudierons nos deuoirs & iouyrons d’vne felicité
independante de toute domination terrestre, ne cherchez
pas des mauuais pretextes à vos desreglemens, le
vice ne laisse pas de paroistre quoy qu’on luy baille le

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manteau de la vertu, les faux vieillars accusateurs de la
chaste Suzanne, la condamnoit comme criminelle, de
rage de n’auoir peu la rendre complice de leur crime,
mais cette noire malice trouua ses bornes dans la fin de
leur authorité & de leur vie, Daniel seruiteur de Dieu,
descouurant le venin de ces detestables Iuges & l’innocence
de l’accusée, si bien que c’est du Ciel & de sa iustice
que nous deuons pretendre toutes nos joyes, le
Medecin guerit d’ordinaire nos maux par purgation,
nos ames peuuent prendre mesme remede, purgeons-nous
de toute mauuaise volonté pour nostre prochain,
voyons ses interests & sa conduitte sans passion ny animosité,
& nous aurons moins de repugnance à ses aduantages,
Dieu ne veut pas que nous penetrions ses secrets,
il nous suffit d’adorer ses iugemens, il nous le tesmoigne
en la personne de sainct Pierre qu’il luy demande
que deuiendroit sainct Iean lors qu’il luy respondit,
que te chaut il qu’il fasse si ie veux qu’il demeure iusques
à ce que ie vienne, ainsi que nous importe de sçauoir
les affaires d’estat si nous ne sommes pas naïs à leur
direction, nous en parlons comme les aueugles des couleurs,
mais si nous apprenons à nous taire, nous paruiendrons
à ce haut degré de prudence & de sagesse que
nous deuons souhaiter & posseder preferablement à
toutes les dignitez imaginables, esuitons le blasme du
curieux impertinent, rentrons dans nous mesme par reflexion
de iustice sans imiter cette Ladmie des Poëtes
qui laissoit ses yeux à la porte de sa maison & y demeurent
tousiours aueuglé, reformons nos imperfections,
& nous trouuerons aduantageusement la couronne de
nos trauaux auec la plaine recompense de la violence
que nous aurons faites à nos mauuaises inclinations,

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aurons nous moins de force ayant Dieu pour appuy que
ces Philosophes payens qui par vertu morale se rendoit
absolument maistres de leurs foiblesses, comme nous
lisons de Arisipus qui estant vn iour accueilly d’vn homme
qui luy chanta des injures tres piquantes, à quoy
sans s’esmouuoir, il respondit en le mesprisant homme,
si tu és maistre de ta langue en luy faisant dire ce que tu
veux, ie ne suis pas moins maistre de mes oreilles pour
ouyr ce que tu sçauras dire, par ces deux hommes, nous
voyons sans contredit, que les outrages sont les lustre
des vertueux Antistene, estant vn iour auec vn sien voisin,
& vn fou commence à dire beaucoup de choses
contre luy, ce voisin apres auoir escouté, se tourne du
costé d’Entistene, entends tu pas dit-il les injures qu’il
te dit, non, car n’estant pas atteint de ce qu’il impose-là
il ne me touche pas, il s’en prend à ceux qui sont de cette
trempe, & il a plus de peine de parler que moy d’escouter,
il n’a qu’vne langue, & i’ay deux oreilles, & si ie
pense à ces paroles ie les prends à ma gloire, car par sa
mesdisance il tesmoigne que ie suis au dessus de luy, la
detraction ne s’en prend pas souuent au vicieux, mais à
ces grands hommes qui ont de l’authorité sur les autres,
s’il me met en ce rang, ie le dois remercier, voila la conduitte
des sages que nous deuons suiure, plustost que
de vouloir combattre contre des feuilles, puis que la
victoire est plus honteuse que le mespris que nous deuons
opposer a leur bassesse, c’est à quoy nos resolutions
doiuent estre inesbranlables & nos cœurs fermez à repousser
tous les efforts de la calomnie & d’vn destin capricieux
& inexorable.

 

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Pensée Chrestienne & Morale sur l’amour propre.

IL faut auouër que l’amour propre fait tant de desordre
dans nos pensées & nostre conduitte, qu’il est comme
impossible deuiter ses escœils, & quoy que nous trouuions
en autruy de subjets de zele & d’admiration qui
nous persuadent que nos ames sont plus au sujet aimé
que chez nous, il ne faut pas laisser de croire que se sont
tousiours nos satisfactions qui nous sont cheres, & que
par ses agréemens charmans qui nous enchantent nous
sõmes plus puissamment asseurés que nous aimons, ce qui
flate nos sens, & attache nostre raison, si bien que c’est sans
intermission que ceste amour propre agit dans tous nos
mouuemens, c’est ce qui est moins capable de remede
chez nous & qui est le plus dangereux, & il ne faut pas s’étonner,
si son aueuglement se rend le Tiran de nos actiõs
& s’il dõne imperceptiblement le panchant à nostre ruine
la deuotion & la Morale ont beau la blâmer, personne ne
s’en affranchit que par vne grace especiale & tres particuliere,
si nous n’auions vne beatitude à pretendre, & mille
perils à euiter ou le pouuoir & la bonté d’vn Dieu nous
sont visiblement necessaires, tout ce que son amour à voulu
faire dans la creation du Ciel & de la terre & la redemption
du genre humain ne nous obligeroit pas à l’aimer,
Mais pour captiuer nos volontez il a voulu nous dõner &
nous promettre, des biens que nous ne pouuons assez estimer
ni comprendre, apres c’est appas nos peines persuadées
par nostre foy se changent en douceurs, & ceste
amour propre trouue dans ceste attente le charme de ses
soins, ie sçay bien que ceux qui font les rafinés dans la pieté

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disent que c’est offencer cét obiet infini de l’aimer, pour
autre raison que celle de ses attributs adorables, mais l’infirmité
d’vne chair corrompuë exige ceste bassesse, de nos
imperfections, que le Seigneur & le maistre de la nature
pardonnera s’il luy plaist, puis que pour esmouuoir nos
cœurs, & les animer dans la saincte carriere de nos deuoirs
il leur promet des recompenses, c’est donné en vain
qu’on nous defend de les considerer, nous estant proposées
par celuy de qui tout depend, & qui seul fera la gloire
de nos trauaux, comme par sa grace le merite de nos
œuures.

 

Pensée & Reflection sur les honneurs du monde.

DE toutes les peines celle de pretendre à l’estime des
creatures est la plus ridicule, & c’est à quoy nous deuons
le moins aspirer puis qu’il est constant que l’auœuglement
des hommes ne rendra iamais iustice à la vertu,
le bien assigne les honneurs & celuy qui merite estime
n’a le plus souuent que le mespris & l’indigence pour son
partage : Mais la vraye gloire estant essentielle il ne faut
pas la chercher dans l’erreur des aduantures casuelles la
vertu d’elle mesme est vn assez digne partage sans y joindre
l’éclat des choses inferieures, Diogene dans son tonneau
braue les Palais & les magnificences de Rome, &
Homere se contente de trauailler pour son pain par l’ordre
de ceux qui deuroit le receuoir de luy, les richesses &
les honneurs sont les presens d’vn destin aueugle, & sont
si subiets à decadence, que tous les momens menassent
de ruine le faux brillan de leur existance : Mais lors que
chacun recherchera chez luy le merite de sa memoire sa

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vertu laissera à la posterité, les reliques d’vne vie eminente
& illustre, & fera voir qu’il a seu dicerner le vray bien
uec les erreurs grossieres & populaires, i’auouë que naturellement
nous souhaittons d’estre estimés, mais c’est
vn effet de nos foiblesses de souhaitter vne chose si inutile
& si mal aisée, les hommes ont preferé vn voleur à Iesus-Christ,
le monde a tousiours quelque chose de brutal &
de desreglé si bien que le sage ne doit rien souhaitter de
ses distributions & amusemens, aspire qui voudra à vn cacul
si rempli d’accidens, i’auré pour mon obiet la pratique
des plus heroiques vertus & vne tres parfaite indifference
pour l’opinion incertaine des hommes, laissons
Phaëton se brusler dans l’ambition d’vne fortune perilleuse,
& donnons à nos pensées le temps de ce deffendre
de tout ce qui destruit le repos & blesse nostre foy
& nostre iugement, nous serons beaucoup lors
que nous ne souhaiterons rien & craindrons encore moins
doucement & amoureusement submis à celuy qui est sorti
par amour du plus haut des Cieux pour nous porter dãs
la ioüyssance d’vne gloire infinie si nos actions peruerses
ne nous priuent de ceste eternelle felicité.

 

Permis à IEAN BRVNET, Imprimeur d’imprimer
le Liure intitulé le Rieur de la Cour, estant en seize
feüillets Paraphez, fait ce dix-huictiesme Octobre mil
six cens quarante-neuf.

Signé, D’AVBRAY.

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Nervèze, Suzanne de [signé] [1649], LE RIEVR DE LA COVR AVX BOVFONS, Satiriques, Flateurs à gages, & Compteurs de nouuelles, , françaisRéférence RIM : M0_3549. Cote locale : C_9_85.