Perret, C. [1652], LE MANIFESTE DE MADEMOISELLE PRESENTÉ AVX COEVRS GENEREVX. Par le sieur C. PERRET. , français, latinRéférence RIM : M0_2365. Cote locale : B_8_1.
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LE
MANIFESTE
DE
MADEMOISELLE
PRESENTÉ
AVX COEVRS GENEREVX.

Par le sieur C. PERRET.

A PARIS,

M. DC. LII.

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LE
MANIFESTE
DE MADEMOISELLE
PRESENTÉ
AVX COEVRS GENEREVX.

MON sexe m’oste la liberté de
faire les actions dignes de mon
origine dans le temps qui demande
le secours des ames genereuses,
& le regne des Amazones est aboly :
de façon qu’il ne me reste que la volonté
pour produire les effets du deuoir requis à la
teste des armées ; & ie n’ay pour toutes armes
que la parole, qui témoigne mon desir,
puisque la bien-seance me defend d’hazarder
ma vie, laquelle ie ferois gloire de perdre

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pour le soulagement de ma patrie.

 

Ie ne doute point qu’il ne se trouuast
beaucoup d’Alexandres dans nostre Maison ;
mais le siecle ne m’authoriseroit pas dans cette
rencontre, pour me persuader que ie fusse
bien venuë dans leur Camp, comme fut autresfois
cette Reyne guerriere aupres de ce
glorieux Conquerant de toute la terre. Il
suffit donc d’employer mes forces feminines
pour détourner la misere, qui enueloppe generalement
toute la France : Et tout de même
qu’vn enfant qui est emmaillotté ne peut
defendre son pere, ny les siens, s’ils sont attaquez,
ainsi ie me contente de monstrer la
part que ie prends aux interests d’vn Peuple
oppressé, parmy lequel i’ay pris naissance,
sans violenter les Loix que la Nature m’a
imposé.

Monsieur le Duc d’Orleans, mon Pere,
entreprenant pour le bien de l’Estat, m’en
monstre l’exemple ; Toute nostre Maison
s’interesse pour le public, c’est pourquoy ie
ne dois pas dénier mes vœux pour la tranquilité
des Peuples.

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Les premiers Romains ont voulu que
la vie, l’honneur, la liberté, les biens, &
les actions des enfans, despendissent absolument
des peres. La loy de Romulus est
expresse, laquelle a esté renouuelée depuis
par la loy des douze Tables, où il estoit
permis au pere de vendre ses enfans par
trois fois ; chez les Perses, selon Aristote,
chez les anciens Gaulois, comme dit Cesar,
& Prosper : chez les Moscouites, &
Tartares, qui les peuuent vendre iusques à
la quatriéme fois. S’il aduenoit que le pere
tuast ses enfans, il n’estoit point puny, comme
nous apprenons par exemple de Fuluius,
Senateur, qui tua son fils, parce qu’il estoit
participant à la coniuration Catilinaire :
Cassius Tratius, Manlius Torquatus, ont
ou condamnez à mort, ou banny leurs enfans.

Salust.
in bell.
Catilin.
Valer.
Maxim.

Considerant l’Escriture sainte, l’on verra
que la loy de nature a baillé cette puissance
à Abraham, lors qu’il voulut immoler
Isaac son fils par le commandement de Dieu.
Si cette authorité ne luy eût esté permise,

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ou qu’elle fust allée contre le deuoir, & la
puissance paternelle, il n’y eust iamais consenty,
& n’eust iamais pensé que ce fust esté
Dieu qui le commandoit ; d’ailleurs son fils
Isaac n’y resista pas, & n’allegua point son
innocence, sçachant que cela estoit en la
puissance de son pere. La Loy de Moyse
veut qu’à la seule plainte du pere, faite deuant
le Iuge, sans autre connoissance de
cause, le fils rebelle soit lapidé. Il est vray
que du depuis soubs Constantin le Grand,
soubs Theodose, & soubs Iustinien, insensiblement
cette puissance a esté presque du
tout esteinte. C’est ce qu’a reproché Iesus-Christ
aux Iuifs, & ce qui a donné trop
de libertinage aux enfans : depuis cét abbaissement
de puissance paternelle, les Royaumes,
les Empires, & toute la terre, en
ont souffert, les Republiques ausquelles elle
a esté en vigueur ont fleury. Si l’on y connoissoit
du danger, & du mal, l’on la deuoit
aucunement moderer, & regler, mais
de l’abolir, il est tres-dommageable.

 

Deut. 21.

Matt. 15.

Ie m’en tiens à la volonté de celuy

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qui m’a baillé l’estre, n’y ayant point de
dessein qui n’aspire au salut commun, &
pour le bien de l’Estat. De veoir la cause
du mal sans en diuertir l’effet, c’est imprudence ;
de considerer le deuoir sans l’executer,
c’est pescher auec certitude ; de s’exposer
aussi à vn danger euident, c’est temerité.
Il n’y a point de peril qu’on ne
doiue franchir pour le bien du Peuple, &
il ne faut pas apprehender quand il s’agit
de l’interest de sa patrie. Vn pere prendra
les armes à la main, & vne fille épargnera
sa parole ? Vn pere employera tous ses deniers
pour le repos de la France, & vne
fille n’y contribuëra pas ? Il y va de mon
honneur, de ma charité, & de mon deuoir ;
aussi ie prodigueray tout ce que Dieu
m’a donné de biens, s’il est necessaire, pour
l’aneantissement de cét Aman, qui demande
la mort d’vn million de Mardochées, & la
perte d’vne infinité d’innocens.

 

Ie suis à la piste les mouuemens de Iudith ;
& quoy que ie n’emporte pas la teste
de celuy qui assiege de tous costez des pauures

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Bethuliens, ie m’efforceray du moins
de participer à la ruine de ce Lieutenant de
Sathan, & de cét ennemy de paix.

 

Il ne seroit pas necessaire de sçauoir son
extraction pour le mépriser, il ne seroit pas
absolument vtile de representer les guerres
qu’il a suscitées en cinq ou six prouinces
pour la faire haïr, & il seroit superflu de
repeter tout ce qu’il a fait, ou permis pendant
son ministere, pour le condamner ; On
sçait assez qu’il a participé à toutes ces oppressions,
son arrogance derniere, le mépris
des Arrests, les pillages de ses troupes, &
les excez commis contre ceux qu’il luy
plaist, l’accusent visiblement d’irreuerence,
& de tyrannie pour luy attirer l’indignation
des terres les plus inhumaines. Que
n’est-il des bons Iuifs maintenant pour demander
iustement sa mort ? Ou plustost que
n’est-il de Pilates pour le donner à la mercy
de ceux qui souhaittent sa Croix ? Il ne
faudroit pas apprehender des Cesars dans la
souffrance de cét impie, comme on menaçoit
le Iuge de Hierusalem d’vn Empereur

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terrestre, lors qu’il refusoit l’innocent à leur
furie. Dieu est ennuyé des cruautez qu’vn
Cardinal ose faire, puisque, baillant à des
Banquiers estrangers tous nos Louys, il
liure le iuste vne autrefois en plusieurs especes.

 

Les moindres de sa cabale prophanent
ouuertement ce qu’il y a de plus saint dans
l’ordre des choses ; de façon que parmy l’abondance
des desordres, qui se conuertissent
en coustume, chacun se plaist à la rapine
soubs l’esperance qu’vn tel Maistre supportera
ceux qui se donneront à luy, pourueu
qu’ils soient méchans ; car les valets ne
peuuent imiter que ce qu’ils voyent faire
iournellement à celuy qui les commande.
Où est vn vice dont ne fasse trophée ce scelerat ?
Où est la seureté parmy ses partisans ?
Quelle couleur desormais peut couurir ses
voleries ? Qu’y a-t’il de sacré qu’il ne baffouë ?
le Roy mesme ressent le premier ses
trahisons, puis qu’on se sert de sa bouche
sacrée pour executer les volontez d’vn Ministre,
qu’il a declaré criminel, & qui est

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proscript de tous les Parlements.

 

Monsieur le Prince de Condé a témoigné
sa generosité dans cette occasion, & s’il
n’eût preueu iudicieusement le retour du
Cardinal Mazarin, on auroit veu l’entrée
que fit Neron dans Rome, renouuelée par
tout le Royaume auec beaucoup plus de
rage & d’incendie. Paris la merueille du
monde, le Faux-bourg de l’Vniuers, la Perle
de l’Estat, & la fidelité mesme, eût esté le
Bucher de ses indignitez, & n’eût peu iamais
se releuer pour monstrer son zele enuers
sa Maiesté aussi entier que fidele. C’est
renuerser l’ordre de la Nature, & de la Monarchie,
que de donner tant de licence à
vn inconnu, qui ne s’est fait connoistre que
par ses perfidies, instrumens ordinaires de
ses volontez ; c’est troubler sa propre conscience
que de souffrir la liberté que prend
vn Estranger, amateur de la des-vnion, en
laquelle il épuise nos forces & nos deniers.
On renuoya Dauid hors des terres d’vn autre
Roy par maxime d’Estat, quoy qu’il
n’eust autre crime que son innocence, & le

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tabernacle des impietez sera bien reçeu au
lieu où l’on n’a iamais permis le moindre
ébauchement de semblables actions comme
les siennes, lesquelles n’ont pour but
que le crime & l’interest.

 

Ie sçay bien que toutes les choses les
plus insensibles naissent auec l’amour d’elles-mesmes,
& le C. Mazarin ne seroit pas
trop blâmable dans son retour, s’il ne s’agissoit
de la tranquilité de l’Estat, qu’il a
troublé, & lequel il tâche de ruiner pour
satisfaire à sa iuste vengeance au suiet de son
bannissement. La liberté qui se cõsidere dans
les mesmes obiets que la veuë nous presente,
quelle part qu’elle se tourne, condamne
son desir de vengeance ; car n’estant que
cruauté, il approche, non seulement par ses
pensées la rage des plus inhumains, mais
encore par ses actions il se rend le plus farouche
des animaux irraisonnables : C’est
pourquoy toute premiere ie desire secoüer
le ioug de ce Tyran, plustost par deuoir que
par necessité ; plustost par charité, qu’à dessein
de me vanger comme luy ; & plustost

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pour le Peuple, que pour mon particulier.

 

Dieu m’a fait la grace de naistre dans
vn rang & dans vne Maison sans pareille
en France ; & quand ie ne considererois
pas la resolution de toute nostre Maison,
ie serois criminelle, si ie ne faisois reflexion
que toute la France souffre, & qu’elle a besoin
de secours.

Le Fils de Dieu vn peu aprés son Incarnation,
fut contraint, en qualité d’homme,
de s’enfuyr pour éuiter le massacre
d’Herodes. Ie vois icy le suiet de crainte
d’vn costé, & vn nouueau motif d’apprehension
de l’autre ; le C. M. poursuit les
François innocens, parce qu’ils sont plus
que luy en vertu, & le surpasseront eternellement
en bonté. A la Cour vn Dieudonné
sur la terre, bien éloigné de s’écarter
de cét amy d’Antoine, de cét amoureux
hebeté, embrasse ses interests, se seruant
de sa clemence naturelle ; son manteau
Royal est ioüé, non seulement aux
dez, mais encore à des ieux capricieux, &
faits pour le plaisir de ce Ministre. Si le

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pauure Peuple craint, & la famine & la
tyrannie, il apprehende pour la santé de son
Roy, les rigueurs des saisons peuuent l’alterer
pendant les voyages qu’on luy suggere.
Toutes les representations tragiques
ne sont pas annoncées par l’Ange, qui fit
retirer cette Vierge Mere de bon-heur, &
de verité ; Ce sont des bouches enuenimées
qui viuent dans la des-vnion, & profitent
dans ses débris. Ils ne goustent ny ne possedent
de la vie, c’est à dire, de la presence
du Roy, que pour faire leurs affaires,
leurs desseins & occupations, troublent
souuent, & nuisent quelquesfois plustost à
eux-mesmes, qu’ils ne seruent. Ils semblent
faire tout à bon escient, excepté de
bien viure. Leurs voleries, & les petites
pieces de leur vie, leurs sont serieuses ; mais
tout le corps entier de leur vie, n’est qu’en
passant, & comme sans y penser ; c’est vn
presupposé auquel ils ne songent pas : ce qui
n’est qu’accident leur est principal, & le
principal ne leur est qu’accessoire. Ils s’affectionnent
& roidissent a toutes choses contraires

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à leurs desirs ; les vns à presser le Roy
d’aller de Ville en Ville, pour vsurper ce
qu’il y a de meilleur ; les autres à le retenir
en campagne, de peur qu’on n’obserue leurs
méchancetez dans les Parlemens : Ainsi
chacun se iouë de la bonté de ce ieune Prince
à la destruction de son authorité mesme.

 

S’il s’estoit treuué quelque genereux
Conseiller auprés de sa Maiesté, il auroit
pris son temps, & auroit fait connoistre que
les années ne pouuoient le corrompre, non
plus que les menaces capables de l’intimider,
lors qu’il s’agit du bien public. Si c’estoit
vne chose de petite importance que d’authoriser
le C. M. en son Retour, & en son Rétablissement,
il y auroit de la necessité de se
taire. Le Roy Perseus eut iuste raison de tuer
deux de ses familiers, lesquels ne prenant pas
leur temps, le reprenoient ambitieusement
de peu de chose : Alexandre, au dire de Plutarque,
tua son amy Clitus pour le mesme suiet,
mais il y va du salut de l’Estat, & il y a eu
assez de loisir pour representer les calamitez
publiques, & la source de tous ces malheurs.

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Ce ne sont que flateurs de Cour difficiles à
éuiter, & plus pernicieux que les faux témoins ;
c’est vn poison tres-dangereux, &
presque l’vnique cause de la ruine des Princes
& de l’Estat, & enfin le déguisement &
la corruptiõ de la verité. Le Demon n’ayant
peu gagner Iesus-Christ dans le desert par la
superbe, par les grãdeurs, & par la gourmandise,
le voulut gagner par la flaterie, & d’effet
fit humilier les Pharisiens orgueilleux deuãt
l’humilité mesme. L’Escriture remarque la
response du Fils de Dieu, & il n’y a point de
sage Souuerain qui ne doiue l’imiter, & fuir
la flaterie. Sa Maiesté dans l’innocence de ses
ans, & dans les Compagnies frauduleuses qui
l’enuironnent, n’y peut pas prendre garde,
comme lors qu’on aura dissipé toutes ces tenebres
qui obscurcissent ce Soleil, sur le
poinct qu’il doit éclairer à toute la terre.

 

La flatterie, l’auarice, & le débordement,
causent les miseres du Peuple, & la tyrannie
s’augmente de iour à autre ; Toutefois on se
doit resiouyr de la défaite des troupes de
Mr de Saint Luc, puisque c’est le commencement

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du bonheur de la France, pour acheuer
au premier iour la cabale des Mazarins,
& redonner la liberté à tout le Royaume.
Mr de Nemours se va ioindre à Mr de Beaufort,
ie donne mes deniers pour augmenter
les troupes, & il ne faut plus qu’vne bonne
iournée pour remettre l’Estat en sa premiere
splendeur.

 

Aprés auoir ouuert les sentimens de mon
cœur, prodigué ma bourse, & fait des vœux
infinis pour le repos des Peuples, c’est aux
genereux François à se soulager eux-mesmes ;
& non seulement à se defendre corporellement,
mais encore à attaquer auec
zele le Mazarin, & ses troupes, pendant que
ie me resioüiray de procurer leur bonheur
par mon pouuoir, & que les Princes generalement
seconderont mes intentions, qui
ne respirent que pour le salut de la France,
& le Rétablissement de son Repos.

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Perret, C. [1652], LE MANIFESTE DE MADEMOISELLE PRESENTÉ AVX COEVRS GENEREVX. Par le sieur C. PERRET. , français, latinRéférence RIM : M0_2365. Cote locale : B_8_1.