Anonyme [1649], DISCOVRS SVR L’ENTREVEVE DV CARDINAL MAZARIN, ET DE MONSIEVR d’Hocquincour, Gouuerneur de PERONNE. , françaisRéférence RIM : M0_1145. Cote locale : C_7_45.
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DISCOVRS
SVR
L’ENTREVEVE DV CARDINAL
MAZARIN,
ET DE MONSIEVR
d’Hocquincour, Gouuerneur de
PERONNE.

M. DC. XLIX.

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DISCOVRS
SVR L’ENTREVEVE DV
Cardinal Mazarin, & de Monsieur
d’Hocquincour gouuerneur
de Peronne.

LE Cardinal Mazarin qui voit sa fortune esbranlée
par sa mauuaise administration, par les demandes
pressantes des Parlemens & des peuples qui conspirent
tous pour son esloignement, enfin par la voix
publique qui se fait entendre par tout, qui va iusques
aux antichambres de la Reyne, & de Messieurs les
Princes, qui perce les cabinets & porte les sinistres iugemens
que chacun fait du salut de la France s’il en a
plus long-temps la conduite ; Ces raisons, disie, & la
crainte qu’il a que la Reyne ne penetre au milieu de
tous ses artifices, & ne cognoisse enfin le preiudice que
le trop de fermeté qu’elle a tesmoigné pour le conseruer,
a apporté aux affaires du Roy : luy font employer
tous ses soins, & ce qu’il a de credit pour s’assurer du
gouuernement des places de Picardie, afin d’oster à la
capitalle du Royaume toutes les assistances qu’elle tire
de cette Prouince, y former des corps d’armée pour la
destruire, ou à toute extremité se pouuoir maintenir
par vn establissement si considerable & qui peut facilement
receuoir le secours des estrangers.

Pour paruenir à ce dessein, il a accusé & rẽdu suspecte
la fi delité de la pluspart des gouuerneurs pourueus, par
le feu Roy d’Auguste memoire, qui cognoissoit parfaitement

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le merite des personnes qu’il employoit. La
sage conduite de Monsieur le Comte de Charost pendant
ces mouuemens, sa fidelité recogneuë, ni ses seruices
passés ne luy seruent de rien, l’on en veut à son
gouuernement, & il sera tousiours coupable tant qu’il
le possedera, Monsieur le Vuidame d’Amiens mesme
qui a tousiours bien seruy, & dont le beau pere est gouuerneur
du Roy & tout à fait dans les interests de S. E.
aussi bien que Monsieur & Madame de Chaunes, est
suspect & l’on ne luy peut confier Ie gouuernement
de sa Citadelle. Il veut dans toutes les forteresses de ce
gouuernement des creatures & des gens deuoüés qui
renoncent au serment qu’ils ont fait au Roy, recognoissent
de es tenir de luy seul, & s’engagent de les
defendre pour son seruice enuers & contre tous.

 

C’est cette mesme raison (quoy qu’on aye cherché
d’autres pretextes) qui a fait resoudre l’emprisonnement
de Monsieur le Mareschal de Ranzau & de Monsieur
d’Hoquincour ; le premier a souffert & souffre
encore vne violence que le Parlement auoit creu
bannir par ses Arrests ; la Declaration qu’on auoit iuré
d’entretenir si saintement a esté violée, & sa detention
est vne contrauention manifeste à l’article de la
seureté publique. Il y a quatre mois qu’il est arresté
prisonnier sans information & sans decret, depuis ce
temps l’on luy denie toute sorte de iustice. Où sont
les tesmoins qu’on luy deuoit produire pour le conuaincre ?
luy a on representé ses pretenduës lettres &
traités faits auec l’Archiduc. Cependant le Cardinal
Mazarin preuient le iugement de son procez, s’enrichit
de la confiscation d’vn homme viuant & innocent,
& s’assure de D’vn querque par maniere de prouision.

Le crime de perfidie dans le pays du Nort est le plus
grand de tous les crimes, c’est vne infamie de frequẽter
ceux qui en sont soupçonnés, ils sont hors de la Societé

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ciuile, & du commerer de tous les homme,
neantmoins les Princes d’Allemagne & les Estats du
Holstein parlent pour luy, le Roy de Dannemarc, &
la Reyne de Suede employent leurs offices aupres de
sa Majesté, pour la prier de recognoistre son innocence
& le mettre en liberté ; ses puissantes recommandations
font assez cognoistre que le seul dessein
que son accusateur a de luy rauir D’vnquerque ce port
mer si considerable le rend coupable.

 

Il auoit resolu de faire vn pareil traittement à Monsieur
d’Hocquincour, de luy oster sa place & l’arrester
en mesme temps pour ne pas perdre à demy vn homme
de cœur, qui est capable de ressentiment.

Le pretexte qu’il prit pour y faire consentir la Reyne
qui est naturellement bonne & eunemye de violence,
fut la courtoisie qu’il rendist à Madame la Duchesse
de Cheureuse lors qu’elle reuinst en France ;
la prudence & la sagesse qu’il temoigna en cette occasion
est digne d’vn bon Citoyen, amateur du repos &
de la tranquilité publique. Il ne voulut pas sacrifier au
ressentiment du Cardinal Mazarin vne Princesse qui
venoit sous l’adueu de la declaration de la paix qui
confirmoit l’Arrest que le parlement auoit rendu en
sa faueur. Monsieur le Premier President qui a conserué
cette merueilleuse fermeté au milieu des tempestes
& des agitations que nous auons veuës, & qui
a sceu auec beaucoup de prudence menager les interests
du Roy, sans abandonner ceux de sa compagnie,
declara en plein Parlement (respondant à la demande
que Monsieur le Duc de Luynes luy faisoit sur le
retour de Madame sa mere) que l’Arrest que la Cour
auoit donné n’estoit point reuoqué : mais au contraire,
confirmé par la declaration de la paix, que si par vne
lasche complaisance enuers le Cardinal Mazarin,
Monsieur d’Hocquincour y eust contreuenu & violé la
foy publique en ce moment qu’on venoit de iurer

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l’obseruation d’vn acte si solemnel, que l’aigreur estoit
encore dans les esprits, & que les peuples ne pouuoient
poser les armes, voyant que leur ennemy seul autheur
de leurs malheurs estoit conserué. Il est sans doute que
la confiance qui cimente tous les traittés estant ruinée
par vn tel manquement la guerre eust peu recommencer
plus fort que iamais, & il eust esté impossible de la
finir par des voyes d’accommodement.

 

Ces mauuais desseins qu’on auoit contre luy vinrent
à la cognoissance de ses amis, ils sceureut le temps
& le lieu qu’on auoit choisi, l’on leur dist le nom de ceux
qui auoient pris la conduite de cette belle entreprise :
on les aduertist de l’ordre qu’ils deuoient tenir pour la
faire reüssir, que ce deuoit estre hors de sa place, & que
pour ce suiet on l’auoit obligé d’en sortir sous pretexte
de luy donner le commandement d’vn corps separé ;
& commandé dix sept compagnies du regiment
des gardes, & quatorze de celles des Suisses pour s’assurer
de Peronne en mesme temps qu’on l’arresteroit :
Mais c’estoit trop tard, il s’y estoit desia ietté & s’estoit
trouué à propos dans la ville pour les prier auec le
plus de respect qu’il auoit peu de se retirer. Il assura
en mesme temps la Cour, qu’elle ne se mist point en
peine de luy enuoyer du secours, que sa garnison estoit
assez forte, & qu’il respondoit de sa place.

Ces nouuelles troublerent le Cardinal Mazarin, non
pas tant, parce que ces excuses engageoient l’authorité
du Roy dont l’on voit manifestement par toute sa conduite,
qu’il ne fait aucun conte ; qu’à cause qu’elles ruinoient
entierement le dessein qu’il a formé de se rendre
maistre des places de Picardie, il iugea biẽ aussi que
les autres gouuerneurs suiuroient cet exẽple. Sa vanité
qui anime toutes ses actions, se trouuoit encore notablement
interessée en ce rencontre apprehendant
que cela ne diminuast chez les estrangers la creance
qu’il affecte d’y establir ; qu’il regne tousiours sur nous

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auec vne puissance absoluë, vn ministre capable, vn
Cardinal de Richelieu se seroit bien empesché de
tomber dans vn tel embarras, où si cela fust arriué, il
auroit bien sceu y appliquer des remedes conuenables,
pour garentir l’authorité de son Maistre : Mais ce
negociateur eternel, qui croit vainement persuader
tout le monde, & que rien ne peut resister à sa parole,
ne songea qu’à mettre promptement la chose en negociation.
Pour cet effect, il enuoya le Commandeur
de Monteclair à Peronne demander à Monsieur
d’Hocquincour son amitié, l’assurer de la sienne, &
que les compagnies des Gardes qui s’estoient presentées
ne vouloient que passer, pour aller renforcer vn
corps qu’on formoit de l’autre costé de la riuiere. Il
obligea aussi Madame la Duchesse de Chaulnes d’y
faire vn voyage pour le mesme suiet, croyant qu’elle
auroit plus de credit sur son esprit ; Mais ny l’vn ny
l’autre ne l’ayant contenté, & son Eminence croyant
qu’ils auoient tous deux manqué d’adresse, & mal pratiqué
ses instructions. Il resolut de lier vne conference
entre luy & Monsieur d’Hocquincour, il enuoya
de nouueaux Deputez pour la menager, le gouuerneur
de Peronne en nomma de sa part, la contestation fut
grande entr’eux, ils disputerent long temps pour conuenir
d’vn lieu d’assemblée non suspect. Les vns nommoient
des villages trop proche d’Amiens, les autres
en demandoient trop proches de Peronne, ils furent
prests de rompre sur cette grande & importante difficulté.
En fin ne pouuans s’accorder, il se trouua vn tiers
qui fi st l’office de mediateur, & proposa que l’entreueuë
se fi st en pleine campagne, entre Chaunes &
Amyens, ce qui fut accepté de part & d’autre, sous ces
conditions, qu’on y viendroit auec forces egales,
qu’on n’entreprendroit rien l’vn sur l’autre, & que le
sieur de Lionne seroit enuoyé pour ostage à Peronne,
derniere condition de ce grand traité preliminaire.

 

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A t’on iamais apporté plus de soin, plus de ceremonie,
plus de formalitez pour composer des differens
entre des Princes souuerains, & finir vne longue guerre ?
Ne diriez vous pas que tous ces preparatifs doiuent
aboutir à l’accommodement entre les deux Couronnes ?
Desabusez vous, ce n’est pas la paix generale qui
se doit conclure sur la frontiere, c’est vn Cardinal vn
premiere ministre, reuestu de l’authorité Royale, successeur
du grand Richelieu, qui se reduit à traitter but
à but auec le gouuerneur de Peronne. Le sieur Lyonne
se rendit à iour nommé, apporta la ratification du
traitté, receut celle de Monsieur d’Hocquincour qu’il
enuoya à son maistre, & assura qu’il se deuoit trouuer
le mesme iour au lieu de l’assemblée. Ledit sieur
d’Hocquincour, commãda les deux cens cheuaux dont
on estoit conuenu, & marcha à leur teste auec trente
ou quarante de ses amis, & se contentant de la seureté
que leur fidelité & valeur luy donnoient, renuoya ledit
sieur de Lyonne.

Il n’auoit pas fait trois lieuës, qu’il apperceut vn
trompette vestu des liurées du Roy, qui venoit à toute
bribe au deuant de luy, il l’assura qu’il y auoit deux
heures que le Cardinal Mazarin faisoit halte dans vn
moulin proche du lieu dont ils estoient demeurés d’accord,
il le rẽuoya aussi tost auec vn des siens pour luy dire
qu’il marchoit au rẽdez-vous, & cõmanda à mesme
temps des coureurs à droit & à gauche, pour descouurir
s’il ne parroissoit point de troupes ; il n’auoit pas encore
auancé mille pas qu’il vist deux escadrons à la
teste desquels trente ou quarante caualliers venoient
en bon ordre, il fit ioindre ses amis qu’il fit aussi marcher
à la teste de ses gens de guerre. Ces deux troupes
n’estoient plus esloignées de cinq cẽs pas, quãd le Cardinal
Mazarin enuoya vn Gentilhõme demãder à Monsieur
d’Hocquincour s’il vouloit faire faire alte à ses
deux escadrons, & auancer auec ses amis, & qu’il luy

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offroit de venir auec pareil nombre. Il accepta la
condition, & s’aborderent en cet estat, ils se saluerent
ciuilement sans descendre de cheual, & s’entretinrent
quelque temps de parolles generalles : puis
pour venir au veritable suiet de l’entreueuë, se tirerent
à part, n’estans suiuis chacun que de deux de
leurs amis. Ainsi Louys XI. & les Roys Edoüard
d’Angleterre, & Henry de Castille s’entreuirent à
Pequigny, & à Heurtebise pour composer les differends
qui estoient entre eux & y remettre la paix &
la confiance.

 

Considerez la presomption du Cardinal Mazarin,
ses mauuais desseins contre Monsieur d’Hocquincour
viennent d’estre descouuerts, & en ce mesme
moment qu’ils ont esté rendus inutils, il trauaille à le
surprendre par de nouuelles fourbes : Mais plutost
faites cette reflexion que lors qu’il a vne fois resolu
la perte de quelqu’vn, il ne reuient iamais, & ne change
que de moyens pour y paruenir ; Paris qu’il a voulu
faire perir, doit profiter de cette maxime. Remarqués,
ie vous prie, dans cet entretien auec combien
d’artifice il tasche de s’insinuer dans l’esprit de
Monsieur d’Hocquincour. Il commence par vne solemnelle
& authentique Declaration qu’il n’y a point
de Prince dans l’Europe auquel il voulust faire tant
d’auances : il adiouste qu’il a eu de la peine à y faire
consentir la Reyne, qu’il ne doute pas (& i’auouë
qu’il a raison de le dire) que la France trouuera estrange
cet abbouchement d’vn premier Ministre
auec vn gouuerneur de place, que ses ennemis
prendront vn nouueau suiet de censurer sa conduite :
mais qu’enfin la passion qu’il a de meriter son amitié
l’emporte sur toutes ces considerations, & que le preiudice
qu’en recoit l’authorité Royalle ne sera que
trop reparé pourueu qu’il l’obtienne, qu’il n’espargnera

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rien pour cela, & s’estimera trop heureux s’il
la peut acquerir au prix des plus importans emplois,
des charges, & des premieres dignitez. Il eust sans
doute encore offert en cette humeur liberalle qui le
possedoit ses nieces deuenuës Princesses : si ledit
sieur d’Hocquincour eust esté à marier, & n’eust pas
manqué de dire pour accompagner cette lasche flaterie,
qu’il l’eust preferé au Roy de Pologne, aux
Dues de Sauoye, & de Mantouë, & autres Princes de
l’Europe qui recherchent auec passion l’honneur de
son alliance : cette vanité luy eschappe fort souuent
croyant auoir gagné sa confiance par toutes ces belles
parolles il luy proposa de venir à la Cour pour
receuoir les marques de l’estime que la Reyne fait
de luy, & la recompense de ses seruices, & mettre
comme le dernier sceau aux promesses de cette belle
amitié. Il fit comprendre en cet endroit, mais quasi
n’osant s’expliquer, qu’il acheteroit son gouuernement
au prix qu’il estimeroit. Monsieur d’Hocquincour
respondit ciuillement à toutes ses parolles &
prit beaucoup de soin d’adoucir la contrarieté qu’il
se trouua obligé d’aporter au voyage de la Cour, & à
la vente de Peronne : Mais cõme le Cardinal Mazarin
esperoit tousiours vaincre, & ne se pouuoit lasser
de negocier : il fut contraint de faire cognoistre qu’il
desiroit venir aux grandes charges, & aux grands
emplois par les voyes d’honneur, & non pas les achepter
au prix d’vne place que le feu Roy auoit confiée
à ses soins, & que sa Maiesté luy redemanderoit
quelque iour Et pour rompre vn abouchement qui
ne pouuoit rien produire, declara enfin qu’il auoit ses
amis, sans lesquels il ne pouuoit entendre aucune
proposition, qui n’est dire autre chose à proprement
parler, sinon qu’il ne vouloit rien conclure auec le
Cardinal, crainte de fauoriser ses mauuais desseins,

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& que d’ailleurs tout le monde sçait n’auoir foy, parolle,
ni honneur.

 

Il a continué pendant trois mois vne semblable negotiation
auec Monsieur le Coadiuteur de Paris qu’il
vient enfin de terminer auec vn pareil succez. Ce
Prelat souhaitoit passionnement d’auoir l’honneur de
se presenter à la Reyne, apres la publication de la
paix : mais le Cardinal Mazarin pour derniere mortification
le voulant priuer de la chose du monde
qu’il desiroit le plus ardemment, luy fit prescrire,
comme vne condition necessaire de venir auparauant
toutes choses luy demander pardon de ce qui c’estoit
passé, l’on a negotié trois mois sur ce point, l’vn des
plenipotentiaires de Munster y a esté employé, il y a
trauaillé à son ordinaire auec beaucoup de chaleur :
enfin il a passé par traité que Mondit sieur le Coadjuteur
auroit la liberté de rẽdre ses tres-humbles soubmissions
à la Reyne sans voir le Cardinal Mazarin.
Voila le fruict de cette belle negociation & vn nouuel
acte bien authentique de l’honneur & de la defference
qu’on rend à ce grand homme.

Est il possible qu’vn premier Ministre n’ait point
de honte d’auoir fait toutes ces demarches, & toutes
ces auances, & estably l’egalité ou plustost la souueraineté
d’vn gouuerneur de place, traitant du pair
auec luy, en pleine campagne, troupes en bataille
des deux costez, & à la veuë de l’Archiduc ; Belle
conduite du Cardinal Mazarin, qui peut donner la
hardiesse aux gouuerneurs de rendre les places qu’ils
tiennent hereditaires dans leurs maisons. Princes,
grands seigneurs gouuerneurs de Prouinces, formez
hardiment des Estats ; establissez des Souuerainetez,
maintenez vous par de mutuelles alliances, il se contentera
de negocier auec vous, il ne sçait faire autre
chose. Que tous les François cessent donc de crier

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que nos Princes font de trop grands establissemens,
qu’ils remettent dans leurs maisons les puissances
de celles d’Orleans, & de Bourgongne ; qu’ils veulent
faire passer leurs gouuernemens à leur posterité, & les
rendre biens patrimoniaux de leur famille : Au contraire
qu’ils loüent leur moderation, & les remercient
de ce qu’ils ne songent pas à profiter comme ils
pourroient de la foiblesse du ministre & de la necessité
où il s’est mis de les satisfaire à quelque prix que
ce soit. En effect, que pourroit-il auiourd’huy refuser
à Monsieur le Duc d’Orleans & à Monsieur le
Prince s’estant ietté entre leurs mains. S’ils vouloient
qu’on leur donnast leurs gouuernemens en souueraineté :
Oseroit-il dire que telles demandes sont
contre les loix fondamentales du Royaume ; Il n’est
pas mesme en estat de resister aux pretentions deraisonnables
des autres Princes & grands Seigneurs.
Estrange malheur pour le Roy & pour l’Estat, que les
gens de bien soient bannis du Conseil, ou qu’ils y
soient sans aucune action ou fonction, & que la Reyne
n’escoute que les conseils interessez d’vn homme,
qui ne sçauroit plus subsister qu’en ruinant l’Estat
& sacrifiant toutes choses pour se conseruer : Et comme
si ce n’estoit pas assez que l’authorité fut blessée
en la personne du ministre, il meine temerairement
le Roy & la Reyne à Amyens pour retirer des mains
de Monsieur le Vuidame le gouuernement de la citadelle,
& par le mauuais succez de ce voyage fait vne
nouuelle playe irreparable à l’authorité & dignité
Royale en la propre persõne de leurs maiestez. Auec
la mesme imprudence & vanité ; il fait entreprendre
le siege de Cambray à la veuë du Roy & contre l’aduis
de son Altesse Royale & de Monsieur le Prince,
& sans la participation d’aucun des Ministres. Il
assure la Reyne qu’il a bien pris ses mesures, qu’il a

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toutes les choses necessaires pour ce grand dessein,
qu’il est bien informé de l’estat de la place & de
l’armée ennemie, se charge de l’euenement ; cependant
sept ou huit iours apres il est contraint de leuer
le siege auec honte, tant il est sage & preuoyant.

 

A t’il appris cette belle conduite de son predecesseur
le Cardinal de Richelieu, nous auons veu
du temps de son ministere le Duc de Bouillõ triomphant,
& victorieux se venir humilier deuant celuy
qu’il venoit de vaincre. Nous auons veu ce grand
Cardinal s’aboucher auec le Duc de Lorraine. C’estoit
vn Prince souuerain qui se vante de ne releuer
que de Dieu & de son espée. Il estoit puissamment
armé, auoit des places & des forteresses bien munies,
& des alliez en estat de le deffendre. Il n’osa
pas dire neantmoins pour rompre le succez de cet
abouchement, qu’il estoit engagé auec ses alliez,
& s’estima heureux de consentir à la paix, de donner
pour seureté de sa parole la ville de Nancy capitalle
de ses Estats, & de receuoir grace pour les autres
poincts.

Apres tãt de prostitutiõs de l’hauthorité Royalle le
Cardinal Mazarin & ses lasches flateurs accuserõt ils
encore le Parlemẽt de luy auoir donné tous les coups
& fait toutes les playes qu’elle a receu ; Et seront ils
si effrontez de dire que cette Auguste compagnie
qui vient de restablir ce qui en reste encore, lors
qu’elle sembloit toute esteinte, ait imprimé dans
l’esprit des peuples les desseins de rebellion & de
desobeyssance. Ne sçait on pas bien qu’elle agiroit
contre ses propres interets, que le pouuoir du
Prince est la source de celuy dont elle se sert, &
que si elle s’est remuee, ce n’a esté que pour se defendre
& sousteir l’authorité qui tõboit par l’incapacité

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& l[1 lettre ill.]mbecilité du ministre. Mais ce lasche calõniateur
ne craint il point que ce Senat luy demãde
compte de ce sacré depost qui fait regner les Roys,
que la Reyne luy a confié pendant sa Regence. Il
n’a pas eu la force de le conseruer auec toutes les victoires,
prises de villes que nous deuons à la valleur
de nos Princes, & auec l’abondance d’argent que les
peuples ont si liberallement contribué pendant les
quatre premieres annees de la Regence, & a laissé
perir ce pouuoir absolu qu’il trouua si puissamment
estably, lors qu’il vint dans les affaires. Ne se
trouuera-il point vn Ministre desinteressé, vn pere
spirituel, bon François qui touché de la misere publique
se iette aux pieds de la Reyne, & luy represente
auec toute la reuerence qu’on luy doit que la
mauuaise conduite de son ministre, sa soiblesse,
son incapacité, son auarice, & son obstination a
perpetuer la guerre ont conduit les choses dans la
confusion où elles se trouuent, & fait perdre aux
peuples le respect qu’ils doiuent à tout ce qui vient
de la part de leur Souuerain, parce qu’ils voyent
que le caractere de l’authorité n’est emprunté que
pour faire executer ses passions. Qu’il face cognoistre
à sa Majesté qu’il n’y a point d’apparence qu’ils
reuiennent dans leur deuoir, ny que le Cardinal
Mazarin qui n’a pas sçeu cõseruer au milieu des prosperitez
l’authorité, la puisse restablir maintenant,
que ses entreprises & sa conduite ont obligé les peuples
de faire vne conspiration secrete dont nous
voyons les effects, de resister à tout ce qu’ils croyent
venir de luy.

 

Mais il nous reste vne esperance que nos Princes
qui aiment trop l’Estat pour vouloir profiter de
sa foiblesse ny luy mettre en compte, la protection

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qu’il luy ont donnée, considereront en fin Ie preiudice
que la France reçoit de son administration,
& que l’ayant conserué contre tout le Royaume qui
estoit en armes pour demander vn autre gouuernemẽt,
auiourd’huy qu’il est desarmé, & qu’il n’y va
plus du point de l’authorité, exciteront la iustice de
la Reyne, & la porteront à accorder aux Parlemens
& aux peuples les tres-humbles prieres qu’ils
font pour son esloignement, qui est le seul moyen
d’oster tout ce qui reste de disposition aux troubles
& aux desordres, reünir les François contre l’ancien
ennemy de la Couronne, & l’obliger vne seconde
fois de consentir à la paix.

 

FIN.

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