Scudéry, [?] de [signé] [1643], L’OMBRE DV GRAND ARMAND. , françaisRéférence RIM : Mx. Cote locale : D_1_5.
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L’OMBRE
DV
GRAND
ARMAND.

A PARIS,
Chez NICOLAS DE SERCY, au Palais, en
la Salle Dauphine, à la bonne Foy Couronée

M. DC. XLIII.

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L’OMBRE
DV GRAND
ARMAND.

 


Lors que le plus grãd Astre, acheuãt sa carriere,
Mesloit la nuict au iour, & l’ombre à la lumiere,
Au Temple de Sorbonne, vne viue clarté,
Vint faire vn nouueau iour, dans cette obscurité.
Du creux du Grand Tombeau, la clarté iallissante,
Imitant du Soleil la lumiere naissante,
Paroist confusément, s’accroist auec ardeur,
S’esleue, & remplit tout d’esclat & de splendeur.
Mille rayons dorez dissipant les tenebres,
Y seruent d’ornement, aux ornemens funebres,
Et parmy cet objet lugubre, mais charmant,
Aparoist à os yeux l’Ombre du Grãd ARMAND
De la Pourpre Romaine, il conserue l’vsage,
La majesté des Rois, esclate en son visage,
Et bien qu’il semble triste, il plaist encor aux yeux,

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Plus que le plus beau iour qui nous tombe des Cieux.
Lors que par le respect vne telle auanture
Eut imposé silence à toute la nature ;
Le vent se suspendit, tout parut en repos,
Et l’Ombre en souspirant, commença ces propos.

 

 


Tremblez, tremblez meschãs, dõt la main sacrilege,
Viole des tombeaux le sacré priuilege ;
Et qui venez troubler par d’infames escrits,
Le paisible repos, des Bien-heureux Esprits.
Ie m’en plains ; mais pour vous ô race ingrate & noire,
Qui mourrez dans la honte, où ie vy dans la gloire ;
Et qui serez enfin apres cette action,
L’eternel des honneur de vostre Nation.
Mais ne presumez pas auec tant de feblesse,
Que iusques dans le Ciel, nul de vos traicts me blesse ;
Du haut de l’Empiree, où ma vertu m’amis,
Ie vous voy dans la fange, indignes ennemis,
Et quel que soit le traict que vostre main décoche,
C’est pour vous seulement, que ie vous le reproche.
O lasches escriuains, qui cent fois en ces lieux
M’auez, offert l’encens qu’on doit offrir aux Cieux,
Qui iusques sur l’Autel, auez mis ma Statuë,
Par vous mesme en ce iour doit elle estre abbatuë,
Et par quelle fureur voulez vous m’arracher
Vne palme des mains qui me couste si cher ?
Quoy, lors que i’attendois des vœux & des offrandes,

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Loing de ietter sur moy des fleurs & des Guirlandes,
Loing de prendre vos Luths dont les tristes acords,
Parleroyent aux viuans de la gloire des morts ;
Vostre Muse perfide, en sa rage animée,
Vomit tout son venim contre ma renommée,
Perd encor la memoire auec le iugement,
Pour suit son Bien-facteur iusques au monument,
Et d’vne mesme main qui desrobe, & qui donne,
Qui m’auoit couronné, veut m’oster la couronne,
Vous que ie nourrissois, trop infames Corbeaux,
Qui venez croasser à l’entour des tombeaux,
Vous qui de mes faueurs vous declarez indignes,
Ouy, vous estes Corbeaux, & ie vous croyois Cignes,
Et le Ciel me punit par vostre propre voix,
Du bien que ie vous fis, & d’vn iniuste choix.
Allez cœurs insolens, allez cœurs mercenaires,
Prendre apres mon trespas, mes faueurs ordinaires,
Et de la mesme main qui vient de m’outrager,
Prenez encor de moy, dequoy vous soulager.
Ouy, lasches partisans, d’vne ialouse enuie,
Ouy, mesme apres ma mort, ie vous donne la vie,
Et par vne bonté, qui vous rendra confus,
Ie fais encor du bien, lors que ie ne suis plus.
Ceux de qui la vertu, ne me fut point connuë,
Ceux de qui le malheur la couurit d’vne nuë,
Ceux qui n’eurent de moy, ny faueur ny support,

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Attaqueroient ma gloire, auecques moins de tort :
Mais vous qui tenez tout de ma main liberalle,
Par vne ingratitude horrible & sans esgalle,
Ne parler plus de moy, qu’en termes de mespris ;
Railler insolemment dans vos lasches escrits ;
Y parler de ma mort, pour qui chacun souspire,
Pour en rire vous mesme, & pour en faire rire ;
Allez mauuais Bouffons, esclaues sans honneur,
Allez ne troublez plus mon souuerain bon-heur,
Et cachez dans l’Enfer, qui cause vostre crime,
D’vn iniuste peché, la rougeur legitime.
Apprenez apprenez, sans en plus murmurer,
Que si l’Espagne en rit, la France en doit pleurer :
Que c’est par de tels pleurs, que la vertu s’explique,
Et que ma perte enfin, est la perte publique.
Mais toutes fois i’ay tort, & vous auez raison :
Ma faute & non la vostre, est sans comparaison,
Mille crimes fameux signallent mon histoire,
Ouy, ie vous veux ayder à destruire ma gloire,
Voicy pour vous apprendre à me les reprocher,
Ce qu’à tout l’Vniuers, ie ne sçaurois cacher.

 

 


I’ay fait trẽbler l’Europe, & l’Afrique, & l’Asie,
I’ay vaincu les mutins, i’ay dompté l’heresie,
Sous le plus grand des Rois par mes conseils prudents,
I’ay surmonté le sort, & la mer, & les vents.
I’ay fait voir à ses pieds, l’orgueil de la Rochelle,

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I’ay fait voir à ses pieds, tout vn peuple rebelle,
Qui depuis si long-temps, par vn lasche attentat,
Paroissoit estranger, au milieu de l’Estat.
Par les mesmes conseils, & dans la mesme guerre,
I’ay chassé de nos bords les armes d’Angleterre,
Repoussé leur puissance, & leur ambition,
Iusqu’aux flots reculez de la Grande Albion,
Et fait voir à ce Peuple, apres son entreprise.
Que la Seine auiourd’huy ne craint point la Tamise.
De là, suiuant le cours de mes heureux destins,
Par de nouueaux labeurs i’ay veu d’autres mutins :
Dez qu’on a veu briller mes armes fortunées,
Les Alpes ont tremble, comme les Pyrenées,
Et ces affreux rochers, qui s’esleuent aux Cieux,
Me furent vn theatre, & grand & glorieux ;
Car du haut Pas de Suze, où ie porte la guerre,
Ma gloire s’estendit iusqu’au bout de la terre.
Casal trois fois sauué, par mon prudent conseil,
Esleua mon renom plus haut que le Soleil :
Et comme i’eus tousiours la vertu pour compagne,
La vertu triompha de l’orgueil de l’Espagne.
Pignerol par mes soings, & par mes grands exploits,
Ouure encor l’Italie aux armes des François :
Et ne m’arrestant point dans ceste illustre voye,
Des rochers de Piedmont, aux rochers de Sauoye,
Ie fais passer vn Prince aussi Grand que cheri,

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Il attaque, il emporte, & puis rend Chamberi.
Des hauts murs de Paris, & des bords de la Seine,
Son tonnerre va fondre aux terres de Lorraine,
Nancy, par mes conseils, cede & reçoit sa loy,
Et le Vassal rebelle, est aux pieds de son Roy.
Mais, si mes grands conseils font tõber des murailles,
En suitte mes conseils font gagner des batailles,
Et les plaines d’Auein feront voir dans cent ans,
Ce que par mes conseils, firent nos combattans.
De là, pour entasser victoire sur victoire,
Ie cherche dans l’Artois vne nouuelle gloire,
Allant par mes labeurs à cet illustre prix,
Arras est attaqué, c’est à dire il est pris.
D’vne ame infatigable, & qui voit toute chose,
Qui veille incessamment, qui iamais ne repose,
Ie voy Thurin captif, & Thurin par mes soings,
Sort enfin de ses fers lors qu’on le croit le moins.
Au riuage du Rhein, où mon desir aspire,
Ie plante heureusement les bornes de l’Empire,
Brisac cede à mon Roy, reconnoit son pouuoir,
Et se ioint au grand corps que moy seul fais mouuoir.
En suitte trauaillant au bien de la Couronne,
Ie replante les Lis aux champs de Barcelonne,
Et i’adiouste à l’Estat, par mes heureux proiets,
Vne nouuelle gloire, & de nouueaux Suiets.
Enfin pour couronner ma haute destinée,

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Ie termine mes iours par ma plus grande année :
L’Ebre estant effroyé, se cache en ses roseaux,
Voit nostre Camp vainqueur, presques tarir ses eaux,
Et l’Espagne honteuse autant qu’espouuentée,
Voit dedans Perpignan nostre Enseigne plantée :
Voit vn Roy qui iamais n’a trouué de pareils
Triompher par son bras, qu’assistent mes conseils.
Ie laisse tant de Forts, ie laisse tant de Places,
Qui de mes grands proiets font voir encor les traces,
Tant de Generaux pris, tant d’exploits genereux,
Sur la terre & sur l’onde, esgallement heureux.
Si ma fin eust esté plus loing de ma naissance,
L’Aigle estoit desia preste à reuoller en France,
Aportant à son bec, par mes illustres faicts,
Vne branche d’oliue, & l’Empire, & la paix.

 

 


Voila de vos Pasquins les causes legitimes,
Voila ce que i’ay fait, ingrats, voila mes crimes :
Mon Roy les a connus, l’Estat les sçait aussi,
Voyez donc l’vn & l’autre, & ce qu’on fait icy.
Par des pleurs genereux, ce Prince me regrette,
L’on voit de tout Paris l’humilité discrette,
Et par vn tesmoignage & grand & non suspect,
Aucun de mon Palais n’approche sans respect.
Pour laisser aux Neueux mes vertus en exemples,
Vne Pompe funebre au plus grand de nos Temples,
Honnore ma memoire, & la Iustice en deuil,

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Paroist apres ma mort autour de mon cercueil.
Mille & mille flambeaux à lumiere esclatante,
Enuironnent le Temple & la Chapelle ardante,
Et parmy tant de feux saintement allumez,
Par vne voix de feu les peuples sont charmez.
Ce rayon lumineux, & cette viue flame,
Qui du plus haut des Cieux penetre dans vne ame,
Vient esclairer l’esprit d’vn illustre Orateur,
Luy dictant vn discouts digne de son autheur :
Et de l’Esprit diuin l’eloquence diuine,
Par mille beaux efforts prouue son origine.
Ces Muses que le Ciel inspire hautement,
Qui dedans leur fureur chantent si sagement,
Qui traçent de mes faicts l’eternelie memoire,
Par qui mesme du temps i’espere la victoire,
Toutes sans interest comme sans lacheté,
Consacreront ma gloire à l’immortalité.
Vous seuls laches esprits, qui chantez sur ma cendre,
Animez par l’Enfer où vous deuez descendre ;
Oyez ce que le Ciel, dans son iuste courroux,
Auiourd’huy par ma bouche ordonne contre vous.
Que le Peuple & la Cour se mocque de vos veilles,
Qu’ils traitent de chãsons, vos plus rares merueilles,
Et que vous puissiez tous, attaquez par la faim,
Auoir le sort d’Homere, & chanter pour du pain.
Que de tout l’Vniuers, vostre Muse bannie.

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N’ait pas mesme où cacher sa lache ignominie,
Et qu’à tous les momens d’vn cœur espouuenté,
Vous pleuriez sans cesser, pour auoir mal chanté,

 

 


Ainsi dit la Grande Ombre, en sa triste auanture,
Au poinct qu’elle r’entroit dedans sa Sepulture.
Elle entre, & disparoit, se dissipe, & gemit ;
La Voûte luy respond, & le Temple en fremit.

 

DE SCVDERY.

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