Alessandro [signé], P. D. P. Sieur de Carigny [1649], LETTRE D’VN GENTIL-HOMME Italien à vn François, son amy, sur l’enleuement du Roy tres-Chrestien. TRADVITTE PAR P. D. P. Sieur de Carigny. , françaisRéférence RIM : M0_1878. Cote locale : C_3_47.
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LETTRE
D’VN GENTIL-HOMME
Italien à vn François, son
amy, sur l’entendement du
Roy tres-Chrestien.

TRADVITTE PAR P. D. P.
Sieur de Carigny.

IE pense, cher Acanthe, que cette lettre
ne sera pas bien receuë en France,
dans vn tems où elle est en armes contre
ceux de mon pays, & i’ay peur qu’elle
ne vous fasse des ennemis, lors que l’on sçaura
que vous auez contracté amitié auec moy qui

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suis Italien. Toutefois ceux qui prendront la peine
de lire ce qu’elle contient qui seront sans doute
les honnestes gens de vostre Royaume, connoistront
aisement que ie suis de l’humeur de ce
Philosophe qui se disoit habitant de tout le monde.
Ie condamne le vice aueuglement, & si Mazarin
est l’autheur des maux que souffre la France,
croyez que ie seray le premier à prononcer
l’Arrest de sa condemnation, & que ie poursuiurois
vn criminel de cette sorte iusques de sous la
pourpre. Pour vous dire ce que i’en pense, cher
Acanthe, ie ne voy rien de si aymable entre les
anciens que les Heros qui se sont exposez à la
mort pour le salut de leur patrie, & il n’y a point
d’endroit où ie m’arreste si long-tems, dans Valere
Maxime qu’en celuy où il traite de ces vertueux
de l’antiquité. Au reste i’ay appris auec
grande consolation qu’il se trouue chez vous des
Heros de cette sorte, & que vos Parlemens sont
remplis de ces ames genereuses, qui sont des remparts,
& des Citadelles imprenables, & d’où il
sort des foudres contre les traistres, & contre les
perturbateurs de l’Estat. Il y a plaisir d’estre conserué
par des testes où la sagesse preside, & ce sont
autant de Minerues qui conseruent la Reyne des
villes. Ce m’est vn sensible regret que la France
ayt à se plaindre encore vne fois de l’Italie : Il

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semble qu’il y ayt en cela quelque fatalité, & que
ce grand Royaume ne puisse estre troublé que
par des estrangers, quoy qu’il soit mesme le refuge,
& le glorieux Azile des estrangers persecutez.
Il faut auoüer qu’ils sont d’autant plus coupables
qu’ils imitent ces hostes qui pour la recompense
de l’hospitalité mettent le feu aux
lieux qui leur ont seruy de retraitte. Mais apres
i’admire cette grande vnion de toutes les Prouinces
qui composent ce grand Corps, & plus que
tout le reste encore, cette tranquilité du peuple
de Paris dans cette mauuaise conioncture. L’aueuglement
de vos Ministres est estrange ; la
Prouidence de Dieu miraculeuse, & ie croy qu’en
ce point les choses ont esté tout au contraire de
leur pensée. C’est vne marque infaillible que
Dieu prend vn soin particulier du throsne d’vn
Prince pupille, dont on dit que les vertus naissantes
font attendre de grande choses de luy
pour le bien du peuple, & pour la grandeur de sa
Couronne. La vertu est le plus beau fleuron de cét
ornement de la teste des Roys, & les peuples obeïssent
auec plaisir à la vertu couronnée. C’est
ce que la renommée raconte icy de ce grand Monarque
que le Mazarin a enleué hors de Paris
sous de faux pretextes, & qui n’ont aucune apparance.
de verité. Ie pense qu’il n’est pas encore

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à se repentir de cette faute, & pour moy ie me
figure que cõme il est accoustumé à prẽdre, qu’il a
voulu vous derober ce precieux tresor. Il ne pouuoit
faire vn plus illustre larcin : mais cela s’appelle
forcer la vertu, lors que l’on ne la pratique pas.
Sans doute, c’est vne rude secousse pour vn
Estat, de se voir enleuer son Maistre par vn
Etranger ; & ie trouue que l’on a raison de comparer
la Politique à la Science des Nautonniers,
& les Royaumes à des Mers, puis que les Estats
ont leurs tempestes & leurs écueils aussi bien que
l’Ocean. Ie ne doute pas que le Mazarin n’y fasse
naufrage, lors que tant de vents soufflent de
toutes parts pour l’y enseuelir. Oüy, cher
Achante, à moins que d’auoir vn Ange bien puissant,
on ne se garentit pas facilement de ces rencontres.
Ce Ministre est en execration à tout ce
qu’il y a d’ames viuantes, & quelque soin que
i’aye apporté icy pour découurir des particularitez
de sa naissance, ie n’ay scû trouuer qui ayt pû
m’en instruire auec certitude. Si ie puis en apprendre
quelque chose, ie ne manqueray pas de
vous le faire sçauoir par la premiere commodité.
Vous ne deuez point craindre d’auoir intelligence
auec moy, ie pense que nostre amitié, & mon
humeur vous ont osté cette crainte, & ie ne dois
iamais estre suspect à ceux qui me connoissent

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chay les Tyrans, & croyez que ie seray tousiours
de vostre party, comme estant
Cher ACANTHE,

 

De Liuorne.

Vostre tres-humble, & tres-affectionné
seruiteur
ALESSANDRO.

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Alessandro [signé], P. D. P. Sieur de Carigny [1649], LETTRE D’VN GENTIL-HOMME Italien à vn François, son amy, sur l’enleuement du Roy tres-Chrestien. TRADVITTE PAR P. D. P. Sieur de Carigny. , françaisRéférence RIM : M0_1878. Cote locale : C_3_47.