Anonyme [1649], ADVIS DV MAVVAIS RICHE A MAZARIN. , françaisRéférence RIM : M0_512. Cote locale : A_2_9.
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L’ADVIS DV RICHE INCONNV,
de la Parabole enuoyée à Mazarin.

MAZARIN,

C’est ainsi qu’on se parle icy bas
ou nous n’auons que de tres legeres
idées de ces vains titres de Majesté,
d’Eminence & de Seigneurie, ne l’étonne
point si ne vois icy, ny le nom de celuy qui t’écrit
que la Iustice diuine a condamné au silence d’vn
éternel oubly, ny la datte du iour d’vn aduis écris
en vn lieu qui pour estre inaccessible aux rayons
du Soleil, ne connoist aucun ordre ny de Siecles
dans l’éternité, ny d’années dans le Siecle, ny de
mois dans l’année, ny de Semaines dans le mois,
ny de iours dans la Semaine, ny d’heures dans le
iour ny de moment dans l’heure. Ne t’enqueste
donc point du iour qu’elle fut écritte, mais remarqué
seulement celuy auquel tu l’as receuë, & de
ce iour commence à conter tous ceux qui restent
à ta vie dont le Ciel bornera bien tost la durée fatale
au repos d’vn estat que tu tyrannises.

S’il m’étoit loisible de rompre mes chaisnes, &
de penetrer l’épaisseur du Cahos que la prouidence
diuine à mis entre nous, au lieu de mon aduis
i’irois moy mesme te voir, mais c’est vne faueur
que ie n’ose demander à nostre Pere Abraham,

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pour mes freres mesmes, & ie te laisse à penser s’il
m’accorderoit pour toy, ce qu’il m’eust refusé
pour eux.

 

I’auois beau moderer mes desirs ; ie ne pouuois
luy demander si peu qu’il ne luy semblast que ie
demandois trop, & ce fut inutilement que ie
priay ce bon Patriarche de leur enuoyer au moins
le Lazare, pour leur faire sçauoir comme témoin
oculaire, ma disgrace & les retirer par l’exemple
de mon chastiment du mauuais chemin où les
auoit mis celuy de mes crimes.

Tes Freres, me repliqua-t’il ont la Loy & les
Prophetes, & s’ils ferment l’oreille à la voix des
viuants esperer tu qu’ils l’ouurẽt à celle des morts ?
C’est la responce qu’il me fit, Mazarin, & celle
qu’il vient de me faire. Mazarin, m’a t’il dit, a
comme tes freres, les Loix humaines & diuines,
il à les Prophetes & plus qu’eux, les Confesseurs
& les Interpretes des Oracles diuins. Ie n’aurois
iamais fait si ie voulois icy te faire vn détail de
toutes nos raisons de part & d’autre pour & contre.
Qu’il te suffise d’apprendre que si ie n’ay peu
obtenir non vne visite, mais vne simple ambassade
au moins ne m’a-t’il point refusé la liberté de
t’écrire du fonde de l’Abysme, où tu ne me vois
pas au bord du precipice, où ie re voy bien prest à
trebucher en ce gouffre : Si Dieu ne te retire d’vn
pas si glissant.

S’il m’étoit permis de t’enuoyer vn tableau de
mes souffrances, que tu ne sçaurois conceuoir si

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grandes que tu ne les conçoiues moindres qu’elles
ne sont l’horreur de ce triste present, pourroit contribuër
à ton amendement, mais c’est vne grace
que n’esperant pas obtenir, ie n’ay pas voulu demander ;
& ie ne me repens point en cecy de ma
timidité, puis qu’aussi bien l’image des maux que
ie souffre ne seroit qu’vn portrait flatteur de ceux
que tu merites.

 

La Iustice diuine proportionne tousiours la recompense
à sa vertu & le supplice au crime, &
pour iuger sainement qui de nous deux doit plus
souffrir en ce monde, il faut voir lequel a vescu
plus mal en l’autre.

Ie t’en fay iuge toy mesme Mazarin, commande
à ton Aumosnier le plus inutile de tes domestiques
de te lire mon Histoire que l’Euangeliste
qui la raconte auoit apprise de la bouche de nostre
Iuge adorable & comparant, ta vie à la mienne,
Iuge sans Passion laquelle des deux est moins
criminelle. I’estois riche, tu les aussi Mazarin,
mais ie n’estois riche que de mon patrimoines, &
que te va laisser la Iustice humaine si pressant l’esponge
elle ne te laisse que le tien seulement ?

Dieu prestre plustost qu’il ne donne aux riches
dequoy partager entr’eux & les pauures, & c’est
vne pernicieuse erreur de leur aueuglement que
de s’estimer proprietaires des tresors, dont ils ne
sont que les depositaires : Tu n’és ny l’vn l’autre
Mazarin, puis que c’est à tes Monopoles inouys
que tu dois tout ce que tu possedes.

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Nos freres (c’est ainsi que trop tard, ie nomme
les pauures) nos freres, dis je, se plaignoient de
mon inhumanité, ils se plaignent aussi de la tienne.
Mais de moy laquelle des deux est la plus tyrannique ?
La mienne de ne les auoir pas reuestus,
ou la tienne de les auoit dépoüillez, la mienne de
ne les auoir point rassassiés ou la tienne de les auoir
affamez, enfin la mienne de ne leur auoir rien donné
ou la tienne de leur auoir tout osté ?

Tu peux apprendre non d’vn Euangeliste : mais
d’vn Rabbin que pour n’estre pas importuné des
cris des pauures, c’estoit non seulement dans le
plus somptueux, mais aussi dans le plus écarté de
tous les appartenens de mon Palais, que mes sens
nageoient dans des délices passageres de la vie humaine,
& si i’estois assez inhumain pour ne point
mettre fin au sujet de leurs plaintes au moins ne
l’estois-je pas assez pour les oüir sans en estre touché
tres sensiblement en peux tu dire de mesme ?
Ton repos peut il comme le mien, estre troublé
par les clameurs que la tyrannie a causées, & cherches
tu, comme ie faisois pour sauuer ta douceur,
s’il t’en reste, de ta cruauté, la retraitte & la solitude ?
Ce n’est pas ce que nous auons apris, il ne
suffit point à ta barbare humeur d’auoir, dit-on,
desolé la France, & tu serois bien mary de priuer
ou tes oreilles des pitoyables cris de tant d’innocentes
victimes ou tes yeux du plaisir de les voir
immolées à ton insatiable auarice.

Ce monstre couronné qui soubs le nom de Neron

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a iadis tyrannisé l’vniuers ayant fait mettre le
feu aux quatre coins de la ville de Rome voulut
d’vne tour eminente estre spectateur de ce tragique
embrasement, & tu veux l’estre de celuy de
toute la France, que toy seul a causé plus malheureux
en cecy comme plus inhumain que ne
fut ce Tyran que l’vn estant bien de plus longue
estenduë tu ne sçaurois voir d’vn clin d’œil le mal
que tu fais comme luy celuy qu’il faisoit.

 

Si ie voulois acheuer ces deux tableaux de nos
vies que ie me contente d’auoir ébauché, croy
moy la mienne fut elle encore depeinte d’vn coloris
plus noir tireroit du lustre de la tienne ; mais
ie passerois les iustes bornes d’vn aduis, & mon
dessein n’est point de les passer si ie ne l’ay desia
fait.

Ce n’est donc pas faire largesse de ton bien mais
restitution de celuy d’autruy. Que ie t’exhorte,
Mazarin, puis que celuy n’a rien à donner qui
semble auoir tout à rendre : ce n’est pas à bastir
des Hospitaux puis que tu n’en as que trop fait de
tant de maisons desolees, mais à les renter non de
ton bien mais du leur, dont ton auarice & celle de
tes Ministres complices de la tienne, les a tres-iniustement
dépoüillez.

Les restitutions ne sont ordinairemẽt pas moins
malaisées que necessaires au salut de ceux qui en
ont à faire, mais pour estre difficiles elles ne sont
pas impossibles, & si tu voulois rappeller des banques
d Italie les millions que tu y as mis a couuert

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quelque difficulté que tu puisse m’alleguer de les
faire venir de si loin le chemin qu’ils ont à faire
de Venise à Paris, n’est ny plus long ny plus fascheux
que celuy qu’ils on-fait de Paris à Venise.

 

Si la France t’en donnant vne quittance generale
veut conuertir ce butin en present, ie ne t’en
parle plus ; mais i’ay bien de la peine à le croire, si
ce n’est qu’elle vueille te laisser ce qu’elle te donneroit
bien pour la rançon de son Roy : mais souuiens
toy que tu ne sçaurois iustement retenir le
plus prccieux de ces tresors iniustement enleué
que tu dois le luy rendre auec les autres gratuitement,
& qu’il faut te disposer à rendre conte à
Dieu des larmes & du sang que luy couste ce
qu’elle n’a point recouuré, & ce que malgré ta
malice elle l’a recouurer. C’est l’àuis qu auoit à
te donner,

MAZARIN,

Ton amy tres-affectionné
Le Mauuais Riche.

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