Anonyme [1649], ADVIS D’ESTAT A MONSIEVR LE PRINCE POVR LA SEVRETÉ de sa personne & de sa vie, & pour l’augmentation de sa gloire. , françaisRéférence RIM : M0_499. Cote locale : A_2_29.
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Aduis d’Estat à Monsieur le Prince,
pour la seureté de sa personne &
de sa vie, & pour l’augmentation
de sa gloire.

Ivsques à quant ieune & valeureux Alcide, demeurerez-vous
dans cét abandonnement de vous
mesme ? iusques à quant illustre & genereux Prince,
laisserez-vous consumer & esteindre cette vertu
heroïque que vous possediez auec de si glorieux aduantages ?
Et iusques à quant enfin cesserez-vous de
proteger le cruel Tyran de la France, l’impitoyable
Bourreau de vostre Patrie, & le funeste Artisan de nostre
honte & de nos malheurs ? ils est temps de vous
éueiller de cette longue letargie, & d’arracher ce funeste
charme qui vous ensorcelle ; Quoy sera-t’il dit,
que le plus prudent & le plus vaillant Prince que la
France ait iamais produit, & qui a si souuent enchainé
la Fortune & la Victoire au chariot de son Triomphe,
demeure à present insensible & immobile, pendant que
la Furie Alecton ne cesse d’embraser & de ruïner ce
fleurissant Royaume. Vous estes ou deuez estre son
deffenseur, son plus ferme appuy, & son plus asseuré
azile, & cependant vous ne le secourez point. Ouy,
Monseigneur, toute l’Europe s’étonne & tous les gens
de bien qui sont en France gemissent de voir que vous
ayez non seulement abandonne cét Estat ; mais aussi

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que vous protegiez cét impitoyable dragon, qui ne vid
que de vostre sang, & que les Scylles & les Caribdes
de la Sicile, ou plustost l’Enfer du Mont Ethna nous
ont enuoyé pour nostre ruine. Vous sçauez braue &
magnanime Prince, que ce Royaume est soubs vn climat
trop temperé pour produire des monstres semblables
à ceux qui desolent la France, & que tout ce qui
prend naissance dans l’entredeux des Alpes & des Pyrennées
est trop humain pour songer seulement à la
centiéme partie des maux que ceux qui sont originaires
de plus loing nous procurent cruellement.

 

Les rigueurs que vous nous auez fait sentir, il y a
quelques mois estoient desia effassés de nostre memoire,
& vostre retour en cette ville nous auoit fait
conceuoir des esperances de voir nostre repos confirmé,
& nostre felicite restablie ; Nous croyons que
comme vostre victorieuse espée nous auoit esté fatale,
elle redonneroit aussi, comme la lance d’Achille, la
guerison aux blessures qu’elle auoit faites, & ne seroit
desormais employée qu’à la destruction de ceux qui
oseroient attenter quelque chose contre cét Estat ;
Mais helas ! nos plus passionnés desirs ont esté vains,
& la suitte nous a fait voir auec vne douleur extrème
que vostre Altesse a continué ses chastimens enuers
nous, & qu’elle sert tousiours d’appuy, & si ie l’ose dire
de complice à nostre persecuteur.

Et ce qui nous afflige beaucoup dauantage, c’est de
voir que l’ingratitude de ce monstre est si grande enuers
la France, à laquelle il a toute l’obligation de sa
pourpre, de sa richesse & de sa grandeur ; qu’au lieu de
songer à la restablir apres l’auoir ruinée, il ne tasche
qu’à luy faire rendre les dernieres abois, & à l’estouffer ;
ne voulant pas que le trosne ny la couronne qu’il
a voulu empieter demeurent stables apres son trébuchement ;
Et ce qui nous est sensible au dernier poinct,

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c’est que vostre Altesse fauorise & approuue les barbaries
de ce serpent, & que vostre aueuglement est tel,
que ny l’affection que vous deuez porter à vostre patrie,
ny le rang que vostre naissance vous y donne, ny
la gloire que vos triomphes vous y ont acquis, ny le
miserable estat de tant de familles desolees dans la
campagne, ny les horribles cruautés que les estrangers
exercent sur les pauures François n’ont point esté capables
de vous faire changer de volonté, & d’esmouuoir
vostre cœur, qui estant genereux deuroit auoir
plus de pieté & plus de tendresse qu’il n’en fait paroistre
enuers ces concitoyens.

 

Nous sçauons aussi que vostre esprit & vostre iugement
sont remplis de beaucoup de prudence & de
preuoyance, & que vous estes vn des plus habiles Politiques
du monde ; mais nous apprehendons que la
malice Sicilienne ne trompe la Françoise ; & que ce
rusé Machiaueliste qui n’est accoustumé qu’à trompes,
& à violer sa foy, ne vous accable enfin sous les fausses
apparences de son hypocrisie, & qui ne vous perde par
quelque noir attentat contre vostre liberté, ou contre
vostre vie.

Car si vous me permettez de vous parler auec la liberté
& la franchise, que l’amour & le respect que ie
vous porte, m’obligent à auoir pour vous ; Ie vous
découuriray les maximes diaboliques de cét execrable
monstre, & vous diray qu’il a esté crée d’vne substance
si noire & si venimeuse, & nourry dans vne eschole
pleine de tant de perfidies, d’injustices & d’abominations,
qu’il ne peut produire que des œuures d’infamie
& d’iniquité.

Nous auõs veu & voyons encore à nostre grãd regret
les peines & les soins extrémes que vous prenez pour
l’empescher de tomber dans la plus haute infamie, &
dans les plus rigoureux supplices, qu’vn scelerat semblable

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à luy, ait iamais soufferts ; Et toute l’Europe
sçait que vostre protection a esté le seul bouclier qui
à diuerty les coups de la vengeance diuine & humaine
qui estoient prests de tomber sur sa teste criminelle ;
Mais aussi sa malice, sa perfidie & son ingratitude sont
tellement cogneuës à tout le monde, qu’il n’y a personne
qui ne sçache la funeste recompense qu’il vous
prepare, & que les soins & les inquietudes les plus vrgentes
qui l’occupent à present, sont de songer aux
moyens de vous perdre à quelque prix que ce soit.

 

Les principales regles de la Politique où il a esté
nourry, & son insupportable orgueil luy enseignent
d’auoir en horreur ceux qui luy ont fait ou procuré
beaucoup de bien ; & son ambition demesurée luy
cause plus de gesne que de satisfaction, lors qu’il void
en vostre personne son protecteur & son deffenseur, il
enrage de voir que tout le monde cognoist qu’il seroit
honteusement trébuché, si vous ne l’auiez soustenu, &
que bon gré ou malgré qu’il en ait, il est contraint de
vous honorer & de dependre de vos volontés, tandis
que vous subsisterez ; Il est obligé de respecter vostre
sang, d’honorer vostre vertu, & d’admirer tãt de belles
qualitez qui esclatent en vostre personne, & sur tout
cette prudẽce, & cette preuoyance qui font réüssir toutes
vos entreprises ; Mais toutes ces differences qu’il
vous rend luy sont des supplices ; Il vous nomme en son
ame le Tyran de sa tyrannie, & pour joüir tout seul du
restablissement de son bon heur, il vous voudroit voir
estouffé ; Gardez donc, Monseigneur, que comme il
est le plus venimeux potiron que l’aueuglement &
l’iniustice de la fortune ayent iamais produit, il ne
vous fasse manger de cette viande des Dieux, qui a
esté fatalle à plusieurs grands conquerans. L’on dit
que vostre horoscope vous menace de poison, taschez
donc d’éuiter par vostre sagesse la funeste influance

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d’vn astre si malin ; & soyez asseuré qu’il n’y a personne
au monde que le Mazarin qui voulut seruir de cause
seconde pour l’execution d’vn si noir & si horrible
attentat.

 

S’il auoit peu donner à l’esprit de la Reine la teinture
du sien, & qu’il n’eust cogneu que cette Princesse
estoit incapable de consentir à vne si haute lascheté, &
d’authoriser vne ingratitude si apparente ; L’on sçait
fort bien qu’il auoit fait tous ses efforts pour vous faire
arrester, & qu’il pretendoit de se mettre bien dans
l’esprit des Parisiens, en jettant sur vous toute la haïne
& toute la malediction de la guerre, croyant de persuader
facilement aux esprits foibles que vostre despit
& vostre humeur violente & ignée vous auoit rendu
l’autheur & l’executeur de tous ces maux.

Iugez par là braue & valeureux Prince, si vous vous
deuez fier à vn Ministre qui machine vostre ruine par
de telles maximes ; & si au contraire vous n’estes pas
obligé de le preuenir & le faire tomber dans le fossé
qu’il vous a creusé ; Toute l’Europe attend de vostre
bras inuincible l’extirpation de ce monstre.

La France vous en prie par ses larmes, tous les gens
de bien, & particulierement ceux qui prennent part à
vostre gloire, & qui en souhaitent la durée & l’augmentation
vous en coniurent, la Iustice diuine & humaine
vous y obligent, & vous en solicitent.

Hastez vous donc inuincible Hercule d’abatre ce
prodigieux colosse, & d’estouffer cette idée engendrée
du plus noir limon du Cocite, auparauant qu’elle
multiplie ces testes, & quelle acquiere de nouuelles
forces par les alliances qu’elle premedite de faire.

Ne voyez-vous pas que sa finesse est de se rendre
puissant par le moyen des tresors qu’il a volez, & qu’il
se sert de la facilité de la Reine pour s’acquerir des
creatures en leur donnant les plus belles & les plus

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importantes charges de l’Estat ; Bref, qu’il veut esleuer
des personnes qui luy auront obligation, pour tascher
de perdre ou d’abatre celuy auquel il en a de si grandes :
Ie vous iure, Monseigneur, que ce n’est pas seulement
le petit peuple qui dit tout haut, Que le Mazarin
ne cherche de nouueaux protecteurs par le moyen
des mariages qu’il est sur le poinct de faire aux despens
& à l’opprobre de la France, que pour payer d’ingratitude
celuy qui a empesché qu’il ne fust deschiré par la
fureur des peuples trop iustement irrités : Ie vous iure,
Monseigneur, que les plus habiles Politiques ont les
mesmes sentimens, & mesme ils vont bien plus auant,
(& Dieu vueille que vous suiuiez leurs aduis), quand
ils font voir par beaucoup de raisons, qu’il faut que
vous perdiés le Mazarin, ou que vous courez fortune
de l’estre vous mesme, si vous luy laissez empieter
cette authorité absoluë que la Reine luy laisse prendre.
Quand il aura donné à ses alliés les plus importantes
charges de l’Estat, quand il aura mis ses plus affidées
creatures dans les meilleures places de la frontiere ;
Quand il sera le Maistre des Arsenaux, & qu’il
gouuernera les Finances à sa poste, en tenant sous sa
griffe ceux qui en sont les directeurs qui ne luy osent
pas contredire. Et qui plus est, quand il s’imaginera de
faire sa paix auec le peuple, en vous arrestant prisonnier,
ou en vous faisant mourir par fer ou par poison,
(car il est capable de tout, & ie crois de n’exagerer pas
encore assez pour vous representer l’execrable malice
d’vne ame si noire) : Quand dis-ie, sa dissimulation,
& les hypocrites respects, ioints aux promesses qu’il
vous fait de ne dependre iamais que de vos volontez,
vous auront assez amusé ; tout d’vn coup il se fera connoistre,
& vous vous trouuerez accablé sans l’auoir
preueu, & il ne sera plus temps d’y mettre remede.

 

Mais, Monseigneur, quand toutes ces considerations

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particulieres qui touchẽt de si prests vostre rang,
vostre gloire, vos interests, & méme vostre libertè &
vostre vie, & ne seroient pas suffisantes pour vous desabuser ;
La restauration de l’Estat, le soulagement de la
France desolée & accablée par le malicieux & ignorãt
ministere d’vn tel homme. Les souspirs & les gemissemens
des Peuples qui sont aux derniers abois, & en
vn mot, l’amour de vostre patrie ; pour la conseruation
& la gloire de laquelle toutes les Loix Diuines & humaines
vous obligent de viure, de combattre, & de
mourir, vous y doiuent porter auec les plus ardens
mouuemens de vostre cœur, & vostre ame heroïque
doit déployer toute sa prudence & toute sa valeur
pour venir à bout d’vne si haute entreprïse, & imiter
le vaillant Regule qui bracqua toutes ses machines,
& employa toutes les forces de son armée pour tuër
vn prodigieux serpent qui desoloit vne Prouince qui
estoit sous la domination des Romains.

 

Et ce qui vous y doit obliger par-dessus tout, c’est
l’authorité Royalle qui crie vengeance durant la
minorité de nostre Roy, d’estre & de demeurer toute
entiere & absoluë en des mains si indignes de la
posseder. Est il possible qu’en pensant la conseruer
vous la renuersiez, & que vous ne connoissiez pas que
les Peuples ont perdu le respect & la crainte qu’ils
sont obligez de porter à la Reyne & aux Princes.
Pource que ceste bonne Princesse & vous laissez la
conduite de l’Estat à vn homme infame, dont ils connoissent
& esprouuent tous les iours la malice, la lacheté
& la barbarie ; & lequel ils sont obligez d’auoir
en execration, puis qu’ils ne sçauent que trop qu’il est
la source de tous leurs maux, & que subsistant dans
ce pouuoir absolu où vous le maintenez, il va jetter
ce Royaume, & mesme toute la Chrestienté dans
vn abysme de miseres & de desolations extrémes.

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Ne temporisez-donc plus, heureux Prince, mettez
la main à l’œuure à bon escient, declarez-vous pour
la Iustice, & tout incontinent vous verrez que tous
les Grands de la Cour, toute la Noblesse, tous les
Parlemens & tous les veritables François qui gemissent
à present, & qui n’osent pas se descouurir, vous
suiuront tous à la foule, & deslors vous serez non
seulement comme vous estes Prince du Sang des
Dieux par vostre naissance : Mais vous vous acquerriez
mesme durant vostre vie l’admirable tiltre de
Heros & de demy Dieu, & toute la Terre vous esleuera
des Statuës perdurables & eternelles, pour auoir
osté de la plus belle partie d’icelle la guerre, la peste,
la famine & la pauureté, en estouffant comme vous
pouuez l’execrable Autheur, & la cause funeste de
tous ces mal-heurs.

Helas ! vous voyez que toutes nos conquestes
sont sur le poinct de se perdre ; & quoy qu’il n’y ait
pas vne bricque dans toutes les places, que la valeur
des François a iointes à ceste Monarchie, qui ne soit
destrempée par le sang des plus vaillans, & qu’elle
ne couste plus d’vn escu d’or, sans que nous en ayons
iamais receu aucun aduantage ; pourtant nous sommes
à la veille de les abandonner au premier occupant,
pour ne les pouuoir pas conseruer ; Et l’ignorance,
& l’ambition de ce perfide Ministre, (qui n’employe
l’argent de l’Estat qu’à sa conseruation & à ses
plaisirs) nous veut reduire à vne si grande foiblesse,
qu’en trompant & desobligeant tous nos Alliez, &
ne pouuans contenter les troupes auxiliaires, qui nous
ont tant rendu de seruices durant la guerre ; Nous
courons fortune, non seulement de perdre ce que
nous auons conquis, mais aussi nostre propre patrimoine :
car encore que les ennemis ayent leurs foiblesses
aussi bien que nous ; ils ne sont pourtant pas si

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imprudens que ioüyssans encore comme ils font de
la crainte & des affections de leurs Peuples, ils ne facent
tous leurs efforts pour se reuancher de leurs
pertes, & pour porter le fer & le feu dans nos familles
comme nous auons fait dans les leurs ; Il n’y a point
de montée qui n’ait sa descente, ny point de foire
sans retour, il faut croire qu’ils se vangeront s’ils peuuent,
& que les Allemans, les Flamans, les Lorrains
& les Espagnols à qui nous auons tant fait de maux
ne nous laisseront pas impunis, s’ils peuuent à leur
tour nous contraindre à leur donner le couuert, & à
mettre la nappe ; La Comette qui parut au commencement
des guerres d’Allemagne auoit la teste tournée
de ce costé là, & son dos menassoit l’Angleterre,
à present nous sommes sur le poinct de sentir les rudes
coups de foüet de sa funeste chevelure ; n’y ayant
que Dieu seul qui nous en puisse garãtir, car il semble
que ceux desquels nous deurions esperer toute sorte
d’aide & de support, & qui y sont obligez par les Loix
de leur conscience & de leur honneur, sont entierement
aueuglez & incapables de preuoir les maux qui
sont sur le poinct de nous accabler, & de les entr’aisner
eux-mesmes dans vne honte & desolation extréme.
La pauure Reyne est ensorcellée, & les suppots de
Mazarin qui l’obsedent incessamment luy deguisent
tellement la verité, & luy ont fait conceuoir vn si
grand desir de vengeance qu’elle n’escoute rien auec
tant de plaisir, que ce qui luy peut donner l’esperance
d’assouuir sa colere à quelque prix que ce soit ; Le peu
d’emotion & de compassion qu’elle a tesmoigné de
voir la Champagne & la Picardie entierement ruinées
par les Estrangers ; Mais plustost les risées qu’elle
a fait des gemissemens de tous les Peuples, des
cruautez & des barbaries que ces troupes barbares
& heretiques ont exercées contre les Prestres, contre

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les Vierges sacrées, & generalement contre ce qu’il
y a de plus sainct & de plus foible dans le monde ; font
bien voir que son cœur est entierement endurcy, &
que Dieu est sur le poinct de la chastier d’auoir mesprisé
ses graces ; Et il semble qu’ayant esté aymée &
reuerée par tous les Peuples de l’Europe, lors qu’estant
dans l’impuissance de pouuoir faire la paix du
viuant du feu Roy, elle la souhaittoit ; à present elle
soit sur le poinct de tomber dans la haine & dans
l’opprobre de toutes les Nations, de ce qu’ayant eu
deux ou trois fois le pouuoir de la faire, elle a eu tant
de foiblesse que de s’en laisser diuertir par les subtiles
trahisons de son auare Ministre, qui n’a pas manqué
de persuasions apparentes pour l’obliger à continuer
la guerre ; & ainsi ceste pauure Princesse s’est
renduë coupable de tous les crimes & de toutes les
ruines qu’elle entr’aine apres soy ; Et vn iour apres
qu’elle aura suby les iustes reproches du Roy son fils,
& les plaintes de tous les gens de bien, elle tombera
entre les mains vangeresses de Dieu viuant, qui luy
demandant conte de tant de sang. Chrestien respandu ;
la iugera selon ses œuures, & la pesant à la balance
de sa Iustice, n’exercera sa misericorde enuers elle,
que de la mesme façon qu’elle l’aura exercée enuers
les pauures peuples sur lesquels elle est establie.

 

Il ne faut pas estre grand Prophete ny grand Politique
pour preuoir le mal qui nous talonne ; Et pour
voir les precipices & les abysmes où nous sommes sur
le poinct de tomber ; car la cause de ce mal subsistant,
les remedes qu’on nous donne ne font que pallier &
diuertir la douleur pour quelque temps, mais il est à
craindre que reuenant elle ne soit pire que la premiere
fois, & il est tres-dangereux qu’elle ne surmonte
le malade, & que sa guerison ne soit sans resource ;
Tant que le Mazarin demeurera dans le Ministere,

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les Peuples ne payeront la taille que par force, & ceste
force les irritera de telle sorte qu’ils se sousleueront
vniuersellement par toutes les Prouinces, & assoumeront
tous les Estrangers ausquels il se fie plus
qu’aux François. Tant que la Reine protegera ce Ministre
estranger, qui a tousiours esté plustost l’artisan
de sa honte que de sa gloire, les François & notamment
les Parisiens auront sujet de se meffier d’elle, &
ils ne luy porteront iamais tant de respect ny d’amour
comme ils faisoient auparauant. Et en vn mot, tant
que l’vn & l’autre fomenteront la guerre, tous les
Peuples de l’Europe les maudiront, & ils seront en
execration à tous les viuans.

 

Nous voyons tant de prodiges menassans, qui seruent
de funestes auant-coureurs de la colere de Dieu ;
qu’il faudra que nostre sagesse soit bien grande, & sa
misericorde bien infinie si nous en pouuons éuiter
l’effet ; tant d’Eglises pillées, non seulement â la campagne
par les Polonois & Alemands : mais aussi à Paris
par des Catholiques, les Sanctuaires prophanés,
les Autels rompus, les Hosties consacrées dispersées
par les Eglises, les Prestres attaquez & renuersez durant
le sainct Sacrifice ; & en vn mot tant de choses
extraordinaires & estonnantes, que les plus libertins
en fremissent d’horreur ; Que si nous estions tels que
nous deurions estre, nous-nous abbatrions deuant
la face de nostre Dieu, nous prendrions le sac & la cendres
comme les Niniuites, & tacherions par nos gemissemens,
par nos prieres, par nostre repentance &
par nostre penitence d’appaiser la colere du Ciel, & de
diuertir les Torrens de son indignation.

Et comme il est bon & mesme necessaire d’agir, &
de ioindre la vertu guerriere auec la pieté. Il faut croire
que lors que nous serons regenerez par son sainct

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Esprit, nous combattrons nos ennemis auec vn miraculeux
succez, & qu’il nous donnera, & le courage
& les forces pour les vaincre, & pour les confondre
en leurs entreprises ; pourueu toutesfois que nous ne
soyons point portez de haine & de vengeance, & que
la gloire de Dieu, le bien de l’Estat, l’authorité Royalle
& le repos vniuersel de la Chrestienté, soient les
seuls ressorts qui nous fassent agir, & que nous les
preferions à nostre interest particulier.

 

Mais comme Dieu n’opere le plus souuent que par
des causes secondes, & qu’il suscite tousiours quelque
grand personnage pour seruir d’instrument à sa
gloire, & à la deliurance de son Peuple qui est dans
l’oppression ; Nous le prions du plus profond de nostre
cœur qu’il luy plaise de vous élire, Monseigneur,
& de vous donner les sentimens de pitié, de generosité
& d’amour, que vous deuez auoir pour vos Concitoyens,
& qu’abandonnant, ou plustost estouffez
le Tyran qui nous opprime, vous remettiez par vostre
prudence & par vostre valeur l’authorité Royalle
dans les legitimes bornes, & que redonnant aux
Loix fondamentales de l’Estat leur premiere force
durant la minorité de nostre ieune Roy, il vous puisse
remercier vn iour de luy auoir conserué sa Couronne
& affermir son Sceptre, & d’auoir empesché que
la tyrannie & la barbarie estrangere n’ayent accablé
la veritable Royauté, & esloigné les affections & les
cœurs que les François ont tousiours eu pleins de tendresse
pour leurs legitimes Souuerains.

Venez donc Illustre Prince, secourez nous au besoin,
rendez ce seruice important au Roy & à ses Peuples,
empeschez le globe de la France de tomber en
ruine, chassez en les humeurs peccantes qui le corrompent,
estouffez le dragon qui tasche à le deuorer,

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& redonnez luy sa premiere felicité ; Et ainsi les bons
& les meschans qui restent parmy nous, changeront
la haine qu’ils ont eu sujet de vous porter en affection
& en action de graces & de loüanges, & vous esleuans
des Autels dans leur cœur, ils vous erigeront
aussi des statuës perdurables & eternelles, & feront
retentir la gloire de vostre nom iusques à la fin des
siecles.

 

FIN.

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Anonyme [1649], ADVIS D’ESTAT A MONSIEVR LE PRINCE POVR LA SEVRETÉ de sa personne & de sa vie, & pour l’augmentation de sa gloire. , françaisRéférence RIM : M0_499. Cote locale : A_2_29.