Anonyme [1652], ADVIS D’VN BOVRGEOIS de Paris, veritablement des-interessé, à ses Confreres, SVR LES AFFAIRES presentes. , françaisRéférence RIM : M0_502. Cote locale : B_17_5.
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ADVIS
D’VN BOVRGEOIS DE PARIS,
à ses Confreres, Sur les affaires
presentes.

MES chers Amis & Compatriotes, ie ne sçay plus
à qui en escrire, i’estime que nous sommes tous
perdus, i’ay veu tant de choses depuis peu, & des
éuenemens si tragiques, que si nous n’y apportons
le remede, & l’ordre necessaire, ie crains que dans peu de
temps on dira, Voila le lieu où estoit Paris : quelle pitié, si ce
malheur arriuoit ? & ce qui nous seroit encores plus sensible,
c’est que si nous tombons dans cette disgrace, ce ne sera que
par nostre foiblesse, & par nostre lascheté.

Deux choses peuuent ruiner Paris : L’vne, l’irruption du
commerce, qui faisant manquer le moyen de viure aux petites
gens, les fera infailliblement resoudre à l’abandonner,
pour chercher fortune ailleurs. L’autre, les imposts, qui sont
deuenus à telle extremité, que les denrées y sont hors de
prix, ce qui est suffisant pour faire quitter les aisez & les commodes,
& par ce moyen ruiner tout le reuenu de Paris ; plus
de loyer de maisons, soit de la ville, soit de la campagne ;
plus de marchandise ny de trafic, & ainsi Paris de la plus belle
ville du monde, deuiendroit incontinent la plus vilaine & la
plus incommode de toutes les autres, n’y ayant rien de plus
laid ny de plus desagreable qu’vne multitude de logemens
sans Habitans ; tout y déperit fort promptement, & de cette
façon Paris ne seroit plus qu’vne vieille couuerte de haillons ;
le peu de temps qu’il y a que ce desordre est auec nous, commence
desja bien fort à produire vne partie de ces choses ; &
par effet, ne voyons nous pas que nos petites possessions diminuent

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tous les iours, que les viures deuiennent chers à l’extremité,
qu’il faut beaucoup d’argent pour en auoir peu, que
nostre trafic est interrompu, que nos loyers & nos rentes ne se
payent plus, que la Iustice s’est retirée, que la populace insensiblement
deuient maistresse, & que bien-tost si nous n’y
apportons le remede, nous serons sousmis à la canaille, qui
nous pillera quand il luy plaira ; par l’eschantillon on peut iuger
de la piece, voyez comme elle a commencé vers Messieurs
du Parlement, & comme elle a continué à ces Messieurs de
l’Assemblée de l’Hostel de Ville : Donnons y ordre, mes chers
Freres, donnons y ordre, & le plustost sera le mieux.

 

Pour y apporter le remede necessaire, il me semble, si
mes Aduis sont bons, qu’il faudroit s’assembler nombre d’honnestes
gens en chaque Quartier, non par l’ordre de ces Quarteniers
interessez, & la plus part pensionnaires, mais chez vn
bon & notable Bourgeois. Que cette Assemblée fust composée
de gens de bien, qui ne fussent point embarassez auec
Messieurs les Princes, ny auec Mazarin, & là que la question
du temps fust proposée & decidée, & selon la decision à la
pluralité des voix, faire à chaque Quartier vne deputation de
deux de l’Assemblée, qui en composeroient vne autre generale
pour toute la ville, laquelle par l’ordre de chaque Quartier
decideroit les affaires : & afin que ces deputez ne peussent
estre corrompus ny gagnez, qu’ils seroient changez de mois
en mois, ou de tel autre temps qu’il seroit aduisé.

De cette façon, mes chers Confreres, nous sortirions du
mauuais pas où nous sommes, le Roy remonteroit sur son
Trône, auec la possession du cœur de ses Sujets, nous reuerrions
la veritable relation qu’il y a du Roy au Peuple, & des
Peuples au Roy : Sa Majesté, comme nostre veritable Pere,
nous traiteroit comme ses enfans, & nous le respecterions
comme nostre Roy & nostre Pere, & ainsi nous passerions nos
iours dans les delices de la Paix & de l’abondance.

Autrement, que pouuons nous esperer de l’estat des choses,
nous sommes sous la conduite d’vn Estranger, lequel s’est
emparé de l’authorité Royale & de la personne du Roy mesme :
il a fait plus, car il obsede sa Majesté en telle sorte, qu’il

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n’est pas permis de parler au Roy que par son organe ; & on
peut faire comparaison du Roy en l’estat qu’il est à present
auec le iugement de l’homme : ce iugement ne voyant rien
que par les sens ; s’il determine mal les choses, cela n’arriue pas
par sa faute, mais par celle des sens qui luy en font le rapport
autrement qu’elles ne sont. Aussi le Roy obsedé qu’il est par le
Cardinal Mazarin, ou par ses gens appostez, ne void que par
eux, n’entend que par eux, & par consequent ne iuge que par
eux. Le Cardinal veut ruiner Paris, pour satisfaire à sa vengeance ;
il fait voir au Roy Paris rebelle ou desobeissant, le
Roy obsedé croit ce que le Cardinal luy dit, sans l’examiner ;
donc Paris est rebelle dans l’esprit du Roy, puis que le Cardinal
luy a dit : Hé comment ! le Roy en iugeroit-il autrement,
qui luy diroit le contraire ? Tout ce qui vient de nos Ennemis
nous est-il pas suspect, le Cardinal luy donne à entendre que
nous sommes ses ennemis, comment croira-t’il nos Remonstrances,
& comment ne les tiendra-t’il pas suspectes ? On a
beau en faire de raisonnables & de tres-justes à sa Majesté, elle
ne le croit pas, car on luy dit auparauant ; Sire, ne les faut
pas croire, ce sont des meschans : On a beau dire, le Cardinal
est vn mauuais Ministre, il a volé la Finance, trahy l’Estat, &
tout le reste de ce qui se peut dire de veritable, comme il sçait
ce que l’on a ordre de dire à sa Majesté, il preuient son esprit,
apres quoy tout ce que l’on peut dire de luy ne fait plus aucune
impression dans l’esprit de sa Majesté.

 

Quel remede donc, puis que le Roy ne peut desormais
plus estre qu’insensible à nos maux, tant que Mazarin sera prés
de sa Majesté, point d’autre, sinon, que de le chasser à force
ouuerte sans esiter : Si vous le chassez, on donnera au Roy vn
meilleur Conseil, qui sera compose de gens de bien, qui [1 mot ill.]
sa Majesté de nostre fidelité, de nos obeïssances ; & de
nos respects ; & alors ces sens qui l’obsedent : estans changez,
& son esprit esclairé d’vne veritable lumiere, & non d’vne
fausse, comme il l’est à present, sa Majesté nous donnera la
Paix, qu’il y a si long-temps que nous souhaitons, estant tres
certain, que si vous le laissez dauautage aupres du Roy, &
qu’il nous surmonte, soit par la force, ou par l’artifice, qu’aussi

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tost qu’il sera pleinement le maistre, il quittera sa peau de Regnard,
pour reprendre celle de Lyon, qu’il nous égorgera
tous, prendra nos biens sans compte ny mesure, remettra
les taxez d’aisez, les soliditez des Tailles, supprimera les rentes,
retranchera les gages, & les mettra peut-estre à neant ; le
tout pour se vanger & satisfaire à son auarice insatiable. Pourquoy
n’en vseroit-il pas de la sorte, il a receu des affronts, à ce
qu’il pretend, il s’en vengera, à quelque prix que ce soit, & par
des voyes estranges & funestes. Quelque amnistie qu’il fasse
publier, il se moque de tout, il n’a point de parole, il ne fait
& n’agist que pour son vtile, & se moque de l’honneste. Il
tient cette maxime bien haute, que les Rois n’ont point d’obligation
à la parole qu’ils donnent à leurs Sujets : En fin s’il
demeure tout est perdu, c’est vn Italien, c’est à dire, vn vindicatif ;
il est de basse extraction & Italien, c’est à dire, vn
cruel vindicatif. Point de pardon auec les lasches, ils ont
tousiours peur, & ne pardonnent iamais. Mes chers Freres, ne
nous laissons pas piper à cette Sirenne, qui promet beaucoup,
pour ne nous vouloir rien donner ; c’est vn Loup, qui
veut que nous chassions nos Protecteurs, pour nous deuorer
apres à son aise ; ne nous laissons donc pas dupper : au contraire,
ioignons nous, mais viuement auec Messieurs les Princes,
pour l’expulsion du Mazarin, mais aussi auec cette protestation
solemnelle, qu’aussi-tost que l’ennemy commun du Royaume
en sera sorty, que chacun ira au Roy luy rendre ses humbles
respects, & ses obeïssances, selon son rang & sa dignité,
qu’il n’y aura plus de caballes, plus d’vnion, que chacun reprendra
son ouurage, les Ecclesiastiques prieront Dieu dans
leurs Eglises, la Iustice reprendra son train ordinaire, & la
marchandise de mesme ; ainsi le Roy comme vn bon pere de
famille, par l’aduis d’vn bon & sage Conseil, nous gouuernera
auec iustice & equité, les Declarations solemnellement verifiées
seront gardées & obseruées, nous ne verrons plus de ces
Intendans qui ruinoyent les Prouinces, plus de Partisans &
Maltotiers, plus de vols par les Ministres cachez dans les
Comptans ; en fin il ne se fera plus rien contre les Peuples,
tout sera couuert du manteau de la Iustice, & nous les enfans

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de ce Roy, nous luy rendrons incessamment nos respects &
nos sousmissions ; alors nous verrons les Princes à la Cour, les
Sages & les gens de bien au Conseil du Roy, les Iuges chacun
en leurs Sieges, & les Peuples faisans leurs profession, ne
se plus mesler des affaires d’Estat, & s’en rapporter entierement
au Roy & à son Conseil ; & si ce bon-heur nous peut arriuer,
ce siecle d’or dont on a parlé autres sois, se trouuera
encores dans nos iours.

 

Prions Dieu, mes chers Confreres, qu’il luy plaise d’illuminer
nostre ieune Monarque, qu’il nous fasse cette grace
d’oster d’aupres de luy cette malheureuse Vipere, qui nous
ronge les entrailles, & nous reduit à l’extremité, & si Dieu
ne l’oste à nos prieres, c’est asseurément qu’il approuuera la
voye forte que nous prendrons pour y paruenir, ayant dit luy
mesme, Que son Paradis estoit la recompense des Forts Ne craignons
donc point mes chers Confreres, d’entrer au Nauire
de l’Vnion, apres que nous aurons reconneu que nos dernieres
prieres n’auront tien obtenu : Entrons-y, disje, entrons,
pour y aller chercher ce Mazarin par mer & par terre,
pour l’accabler & le perdre pour iamais, & de son desbris faisons-en
le premier pas de l’escalier par où sa Majesté remonstra
sur son Trône, que ce miserable a si fort esbranlé ; & apres
y auoir remis sa Majesté, & auoir auec vn ton d’allegresse fait
retentir sa bonne Ville de Paris d’vn Viue le Roy public, nous
irons accompagner sa Majesté, auec actions de ioye & de réjouïssance,
en son Eglise principale, y remercier Dieu de la victoire
obtenuë sur nos ennemis.

FIN.

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