Anonyme [1652], ADVIS POVR LE TEMPS QVI COVRT. , françaisRéférence RIM : M0_549. Cote locale : B_19_9.
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ADVIS‚
POVR LE TEMPS
QVI COVRT.

PRINCES, qui a la veuë de vos grandeurs,
croyez estre à l’abry des d’isgraces du sort.

Manarques, qui par les faux respects que
quelques lasches flateurs s’estudient de rendre non pas
à vous, en consideration de vous mesme mais à vos
thresors, en leur propre consideration ; Vous persuadez
aisement que rien ne vous ose choquer n’y contre dire à
vos paroles, qui sont comme autant d’Arrests irreuocables,
& comme autant de foudres que vostre toute puissance
imaginaire vous fait lancer inconsiderement sur qui
bon vous semble Innocent où Criminel, n’importe vous
le voulez, soyez aujourd’huy des abusez.

Croyez Potentats, qu’il n’y à rien de si changeant ny de
si fragile que le trompeur esclat de vos grandeurs. Sçachez
que quand il vous paroistra plus bruslant ce sera pour
lors qu il faudra dauantage apprehender son peu de durée,
& si moins fier ; parce que la fortune veut dissimuler
par des faueurs extraordinaires sa rigueur prochaine, &
quelle comble pour l’ordinaire d’vne pompe merueilleuse
& d’vne magnificence incroyable les choses dont elle
machine la ruine, pour se faire voir Maistresse de tout ce
qu’il y a de plus beau & de plus releué icy bas.

Souuenez-vous, Fauoris, de vostre ancien estat & de

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vostre naissance, & que ce qui a esté la cause de vostre
glorieux esleuement a souuent esté à vn milliers d’autres
l’effet d’vne calamité espouuentable & d’vne tragique
mort ; car ce n’a esté que ou vne lasche duplicité en accordant
en apparence à vos Princes, pour leur plaire ce
que quelque reste de vertu, & peut estre les seules Loix
de la nature vous faisoiẽt abhorrer & des approuuer dans
vostre ame, ou vne criminelle coniuence à toutes leurs
pratiques bonnes & mauuaises, & que par consequent
le succez que vous auez fait sur les esprits de ces
Princes, qui premiers se sont esleuez à ces sublimes degrez
de splendeur, ou tout vn monde vous regarde auec
soumission ; Venant tout entier d’vn sort capricieux vous
ne deuez pas vous y asseurer ny vous y mesconnoistre,
puisque le sort ne prend plaisir que dans le changement
& qu’à renuerser par terre ce qu’il s’est pleu de desplacer
iusques sur le tronc.

 

Mais outre tout cela ce seroit tres-mal connoistre le naturel
ordinaire de ses nouueaux fortunez & de ses Gueux
enrichis, que de vouloir exiger deux l’égalité d’esprit, &
de la moderation dans vne si esclatante prosperité ; ils ne
peuuent qu’il ne s’emportent à des excez d’orgueil quand
ils se voyent s’esloigner de leur premiere condition, & à
des mesprits de ce qui estoit au dessus d’eux le voyant
sous leurs pieds, & en võt iusqu’a ambitiõner les respects
des grands de naissances. Ils se persuadent que puis qu’ils
ont les cœurs de leurs Roys, ils meritent bien aussi les
honneurs que l’on leurs rends ; Si qu’elqu’vn leur dénie
leur vaine gloire leur fait trouuer dans ce refus d’hommage,
plus de matiere de tristesse qu’ils ne rencontrent de

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contentement dans leurs grandeurs : Ils enragent de se
voir fauorisez de leurs Roys, & de n’estre pas considerez
d’vn sujet ; Le mespris d’vn seul empoisonne toutes
les douceurs qu’ils pourroient gouster dans les sousmissions
d’vne infinité d’autres : Et enfin leur ambition ne
sert qu’à les rẽdre mal-heureux à l’heure qu’ils deuroient
estre les plus contens & les plus satisfaits du monde. Ha !
que vous estes insensez, que vous estes ennemis de vous
mesmes, quoy vous semblez auoir peine de suffrir vostre
propre felicité ; que ne iouyssez vous paisiblement de ce
que le hazard vous a donne, pourquoy pretendre à ce qui
sera cause que vous perdrez ce que vous auez des-ja ; Ne
voyez-vous pas que vostre bon-heur vous à fait des enuieux
qui taschent incessamment de vous perdre ; Ne
preuoyez-vous pas que si la faueur de vos Princes vous a
soustenus contre leurs attaques, vos souhaits ambitieux
& temeraires qui n’en veulent qu’a leur puissance, feront
ce coup que n’ont peu faire nos aduersaires : Les hõneurs
par leurs brislans éclat vous ont-ils aueugle de peur que
vous ne vissiez ce qui se trouue contre vous ; Vous ontils
hebeté par les voluptez que vous y prenez, de peur
que vous ne vous apperceussiez pas que vous allez perdant
les bonnes graces du Prince, & que vous ne vous
soumissiez pas, combien vous en auez veu qui ayant acquis
par leur courage, par la perte de leur sang & par
leurs vertus, ce que vous n’auez que du crime & du hazard
le perdirent mal-heureusement ; les vns par de faux
rapports comme il s’en fait tous les iours de vous, tel que
fust Sadredin grand Fauory d’vn Roy de Perse ; les
autres par trahison comme il s’en entreprend tous les

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iours contre vous, telles que nous en voyons mille &
mille dans les Histoires : Plusieurs par hayne de leur
Prince, qu’ils auoient attiré sur eux par moins que ce que
vous faites tous les iours ; comme vn certain dans l’Histoire
Romaine, pour vn ris qui despleust a l’Empereur :
Enfin par cens differentes manieres les vnes moins, les
autres plus cruelles : mais sur tout ie vous puis asseurer
qu’il n’y en a presque point dans les liure, qui ayent long-temps
iouy de leur felicité, & qui l’ayent poussee iusques
au bout, car comme toute chose tend à son centre, eux
aussi dont la naissance est obscure & roturiere, retournent
a leur neant ; & comme vne pierre ne peut durer en
haut, de mesme ils ne peuuent estant en ces supresmes
degrez qu’ils ne s’en precipitent de leur naturel.

 

Et vous Princes, bien que la naissance semble authoriser
vos sentimens & vous affranchir de l’empire de cette
infidelle Deesse, ayant tout ce qui compose vostre grandeur
de vous mesme, & rien de ses fallacieuses liberalitez,
apprenez qu’elle a tout au dessous de soy & rien au
dessus ; pas seulement les Roys, a qui quand bien elle ne
vous domineroit pas vos biens, vos trauaux & vos vies,
sont suiettes & entierement soumises, & desquels l’amitié
& les bonnes graces incertaines vous sont aussi necessaires
pour vous entretenir dans vostre rang que vous
auez eu besoin de vostre origine, pour y establir sans le
secours de cette inconstante Reyne du monde, qui si elle
ne peut venir à bout de sa propre puissance de vous perdre,
quand elle l’aura entrepris, se seruira de celle de vostre
Roy, ou suscitera des enuieux contre vous, ou inuentera
quelque autre moyen comme elle n’en manque point

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pour faire par artifice où par trahison le coup qu’elle
n’aura plus faire de plein pouuoir, & à force ouuerte. Et
de fait combien auons nous veu de grands Princes, que
la victoire suiuoit par tout, qui autant de fois auoient
semble defier la rigueur du sort, qu’ils auoient liuré de
bataille, en s’exposant a la teste de leur armée pour luy
donner plus beau, sans iamais par aucun mauuais accident
auoir reçeu la moindre petite blesseure, & qui autant
de fois estoient demeurez vainqueurs qu’ils auoient
combatus, estre enfin mal heureusement vaincus, non
pas dans les combats, car ils y estoient indomptable ;
Mais ce qui est encore plus digne de remarque & qui
vous doit donner de la terreur au milieu de vos plus fauorables
prosperitez dans les entrailles des mesmes
Royaumes qu’ils auoient conseruez & augmentez au peril
de leur propre vie, & dans les mesmes lieux où ils
auoient reçeu tant d’honneur & d’acclamations publiques,
non pas par leurs ennemis iurez, car ils n’en auoient
point qui seulement ozassent leur faire telle, & qui au
seul bruict de leurs noms ne se creussent deffaits auant
mesme que donner combat : Mais ce qui doit rendre vos
conditions odieuses & mesprisables dans leurs plus majestueux
esclat, chargés de chaisnes par les Roys, dont
ils auoient affermy les throsnes chancellans : Mais pour
monstrer qu’il n’y a rien icy bas en qui on se doiue asseurer ;
traisnez ignominieusement dans les cachots par ceux
qui peu de temps auparauant leurs auoient tant fait de
carresses, & tant donné de marques qu’ils n’estoient rien
moins qu’insensibles aux bons & fidelles seruices qu’ils
leurs auoient rendus : mais pour comble de mal heur

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mis à mort par ceux qui auoient aduoüez leurs estre redeuable,
& de leurs Prouinces & de leurs vies. La fortune
cette ennemie irreconciliable des longues felicitez, ne
pouuant rien sur eux par les voyes ordinaires, inspiroit
a leurs Roys qu’ils en vouloient à leurs Sceptres, qu’ils
tourneroient contre-eux les forces auec lesquels ils
auoient si facilement domptez les ennemis les plus redoutables,
& que sans difficulté ils les detrosneroiẽt. Dans
ces apprehensions chimeriques, ces Roys sans iustice,
comme sans iugement commandoient que l’on se saisit de
ces innocens coupables, faisoient enfermer & languir
miserablement dans les prisons ceux a qui ils deuoient
faire part de leurs trosnes, & le plus souuent donnoient la
mort à ceux qui leur auoient sauué la vie. D’ou vient ce
subit changement de vos felicitez Illustres Conquerans,
auioud’huy dans vn char de victoire, demain dans la
fange ; auiourd’huy dans le sein du bon-heur, demain
dans l’horreur des miseres, auiourd’huy sur le siege
Royal, demain sur vn gibet, & sans estre coupables dequoy
que ce soit ? Ha ! vous l’estes assez puisque vous
auez la fortune pour ennemie ; Ie pourrois icy vous rapporter
de mille sorte de façons dont s’est seruy cette Ingenieuse,
pour se deffaire de ceux qui s’esleuoient trop
haut, comme la trahison & l’enuie par qui nous en voyons
de momens en momens perir : Mais passons aux Monarques,
à qui ie pretens principalement remonstrer la caducité
& l’inconstance des plus grandes choses du monde,
afin qu’ils ne s’asseurent pas tant sur leurs puissances qu’ils
ne songent qu’ils sont domptables ; qu’ils ne tyrannisent
pas tant leurs sujets qu’ils ne les fassent se reuolter contre

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eux ; & qu’enfin ils ne s’estiment pas si fort releuez au dessus
de tout le reste des hommes qu’ils ne pensent qu’ils
ayent par dessus eux la prerogatiue de l’immortalité.

 

C’est donc à vous à qui ie parle Monarques redoutables,
qui par vos cruautez vous estes rendus semblables
à des Nerons, vous faisant apprehender de ceux dont
vous ne deuez rechercher que l’amour & les obeyssances
volontaires : tremblez dans vos Royaumes si vous
n’y estes cheris de vostre peuple, tremblez au penser de
ce qui arriua au grand Maurice. Cét Empereur ayant par
auarice refusé de rachepter des Soldats qui auoient esté
pris dans vne bataille qu’il auoit donné, & qu’on luy offroit
pour vne rançon tres-peu considerables se rendit
odieux à toute son armée, dont vne troupe enragée contre
son peu de charité esleut Empereur en sa place vn simple
Centenir, qui auec l’ayde du reste des Soldats destrona
ce Prince auaricieux & luy fit oster la vie sur vn eschafaut
public, apres luy auoir fait voir la mort de cinq de
ses enfans.

Ie parle à vous Souueraines puissances de la terre, qui
vous persuadez que tout vous est inferieur, & que rien
n’est au dessus de vos trosnes, puis que quand vous n’auriez
point de rebelles dans vos Estats, & que vous sçaurez
l’art de vous assujettir paisiblement les nations ; vous
n’estes pas seuls Roys en ce monde ; & qu’il ne faut qu’vn
voisin puissant vous declarer la guerre pour vous chasser
honteusement & vous despoüiller de toute vos Prouinces ;
comme fit Alexandre au plus grand Roy qui à iamais
gouuerné la Perse, i’entends le miserable Darius.
Et que quand bien les Roys de la terre vous seroient sousmis,

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vous estes vous mesmes sujets d’vn Mornarques a
qui toutes les testes couronnées sont redeuables de leurs
pouuoirs, & qui a plus de droit & de domination sur
elles qu’elles n’en ont sur leurs sujets.

 

Et qui subiugue sans peines & sans combat tous les plus
heureux conquerans, les vns dans le fort de leur Royaume
par des maladies, comme cét Alexandre le vainqueur
de toute la terre, les autres par des punissions corporelles,
comme le superbe Nabuchodonosor qui fut
beste vn grand nombre d’années, comme plusieurs autres
qui sont demeurez impotens de leurs membres, &
tous enfin sans esgard de leur pourpre par la mesme
voyes que le reste des hommes, qui est la mort.

Ie parle à vous Tyrans de biens & de vies de vos peuples,
qui croyez que le titre de Monarque ne consiste
que dans la seruitude & l’aneantissement des sujets, que
dans les iniustes sentences de mort, que dans les exactions
est la disposition de biens qui ne vous appartiennent
que par cette loy maudite de la terre & des Cieux,
que vous faites à vostre mode ; qui porte que les Roys
ont vn droict legitime & vn pouuoir absolu de trancher
de tout ce qui est en leur Monarchie. Ie vous aduertis
que vous deuez espargner vos peuples que de les irriter
par vos tyranniques barbaries ; c’est les forcer que de se
sousleuer contre vous, & d’employer contre leurs Roys
des forces dont ils ne deuroient sçauoir l’vsage que contre
les ennemis de la Patrie ; Ie vous auouë que vous leur
deuez accorder de vostre bon-gre la liberté de peur qu’ils
ne la prennent d’eux-mesmes, que vous les deuez traitter
auec iustice & auec clemence pour les retenir dans

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l’obeïssance qu’ils vous donnent, & qu’ils ne vous desnirõt
pas si vous ne les y contraignez par vos cruautez ; Ie
vous asseure qu’il n’y a rien tant à redouter qu’vne populace
mutinée, qu’elle n’a consideration ny de la pourpre,
ny du baston Royal : Qu’il n’y a point de regnes de
tyrans qui ayent este exemptes de reuoltes & de seditions
que ceux qui ont esté rudes & violens, ont tous
esté fort cours & extremement troublez, qu’il n’y a point
eu de Prouince plus barbares qu’elle ayent esté que la
douceur des Roys n’ayt assujeties au gouuernement, &
que c’est le seul frain dont se doiuent seruir les Princes,
pour retenir en bride les plus farouches.

 

Ie parle enfin à vous imprudens arbitres & dispensateurs
de disgraces & de felicité, qui auec si peu de iustice
chastiez & recompensez ; qui auec tant de facilitez
vous laissez aller a hayr ceux qui peut-estre vous sont les
plus affectionnez ; & a honnorer de vos bonnes graces
ceux qui le plus souuent vous sont traistres & infideles,
ou du moins qui ne vous seruent que parce qu’ils y rencontre
leur aduantage : Sçaches que les Roys doiuent
contre leur aduantage : Sçaches que les Roys doiuent
faire tout ce qu’ils font auec vne extréme circonspection
qu’ils doiuent tout mettre dans la balance de l’equité,
& que sur tout ils ne doiuent pas estre si prompts à chastier
quand mesme il y auroit du crime, n’y a prendre
tousiours pour leurs confidens ceux qui semblent estre
les plus assidus à leur rendre des respects & des hommages ;
puis que de ses deux points & de punir & de recompenser
à propos, dépend le plus pesans fardeau de
la Royauté, & que c’est-là où se font ordinairement
les plus d’angereux naufrages des Princes : Car ie vous

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prie, qui a-t’il de plus redoutable à vn Roy que de condamner
à mort vn innocent, & que de porter des Arrests
de prison & de bannissement iniustes ; Puis que par les
exils de ses fidels seruiteurs il fait murmurer contre soy
le reste des bons ; par l’emprisonnement des innocens
ils attirent sur soy les imprecations & les haines de son
peuples, & que par des sentences iniustes de mort, souuent
il fait reuolter contre soy son peuple, qui ne peut
souffrir que les personnes d’integrité soient si iniquement
mises à mort dans la crainte qu’il ne luy en arriue
autant s’il donne cours à cette tyrannie. Non non, les
Roys ne doiuent pas apprehender que leur trop de douceur
& de clemence mesme enuers les coupables n’affoiblissent
leurs Trosne : mais plustost qu’ils redoutent tous,
que les cruautez & les violences qu’ils exercent indifferemment
sur le bon & le scelerat ne les brisent. Et pour
le second poinct, qu’est-ce que les Monarques doiuent
tant craindre que d’auoir des Fauoris traistres, puisque
nous ne lisons autre chose dans les sacrez Cayers & dans
les Histoires prophanes, que des Empires ruynez, que
des Couronnes enuahies, & que des Roys mal-heureux
par l’infidelité & l’ingratitude de ses enragez qu’ils
auoient faits tout ce qu’ils estoient ? Qu’est-ce qu’ils
doiuent plus apprehender que de donner l’accez de leur
personne libre à toute heure à ses barbares vsurpateurs
qui ne leur paroissent si zelez que pour n’estre point
soupçonnez du pernicieux dessein qu’ils ont de les perdre,
& pour l’executer auec moins de difficulté, qu’est-
ce qu’ils doiuent plus redouter que de remettre leur pouuoir
entre les mains de ses seruiteurs sans foy, qui s’en

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seruent pour s’agrandir eux-mesmes & qui souuent l’employent
pour deposseder ceux qui le leur ont confié.
Et neantmoins, Grands Roys, vous punissez & vous
recompensez auec si peu de raison, vous faites mourir
sur vn simple soupçon vos meilleurs sujets, & pour le
moindre seruice qui aura agrée à vostre humeur capricieuse
vous fauorisez vos ennemis desguisez. Vous
hayssez & bannissez de vous ceux qui vont iusqu’à vous
adorer & qui vous seruent fidellement : & vous affectionnez
& retenez aupres de vous ceux qui ne vous respectent
qu’à cause de vos grandeurs, & qui espient tous
les iours l’occasion de vous trahir.

 

C’est pourquoy concluons que pour l’ordinaire les
choses sont en effet toutes autres qu elles ne vous apparoissent,
que vous estes presque tousiours trompez tres-lourdement
dans tous vos choix, dans vos sentimens &
dans tout ce que vous faites ; Roys, Princes, Fauoris,
Potentats, que vos splendeurs vous esbloüissent qu’elles
ne vous permettent pas de iuger sainement de quoy que
ce soit, qu’elles vous font donner vostre estime à ce qui
ne merite que du blasme, & vous attacher à ce que vous
deuriez bannir bien loing de vous ; Lesquels accidens
dangereux à vos biens dommageables, à vos grandeurs,
ennemie de vos fortunes & de vos vies, afin que vous
éuitiez tous.

Mesprisez, Potentats, mesprisez genereusement ce qui
vous rendra recommendables dans les siecles futurs, si
vous le rejettez & que si vous l’estimez, il vous rendra
vous mesmes mesprisables ; abandonnez volontairement
vos dignitez de peur qu’estant si fragiles elles ne

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vous quittent malgré-vous ; faites-vous vn genereux
effort, & vous parant de l’ignominie que vous receuriez
d’auoir esté abbatus du sort ; acquerez vne gloire immortelle
de l’auoir surmonté en vous vainquant vous mesmes.

 

Ne vous oubliés pas Fauoris, dans vos fresles prosperitez,
ne vous fies pas sur vn bon-heur qui n’a pour
fondement que le caprice inconstant d’vn homme : Souuenez-vous
que les Princes abusez vous le procureront
auec bien peu de suject, qu’ils peuuent vous l’oster de
mesme : Songez que vous ne deués pas mespriser ceux
que voyez au dessous de vous, puisque pour vous entretenir
dans ce degré éminent, & ne descendre pas à vne
condition plus raualée que n’est celle de pas vn de ces inferieurs,
vous estes obligées à des seruitudes & à des
complaisances infames, qui dans le plus sublime esclat
de vos grandeurs vous rendent les plus abjects de tous
les mortels : Songez que si vous estes asseurés du costé
de vos Roys, vous ne l’estes pas du costé de vos ennemis,
& que vous deués dans les plus charmantes douceur, de
vos fortunes, craindre la mort que vos enuieux taschent
de vous donner tous les iours.

Et que ayant à apprehender de toutes parts, vous n’en
deuez iouyr qu’auec resolution de les abandonner, afin
que leur perte qui vous est infaillible vous soit supportable
& moins fascheuse quand elle vous arriuera.

Iugez, Princes, du mal heur de vos semblables, ce
que vous deuez attendre dans vos Palais ; souuenez-vous
que l’on n’entend parler que de Prouinces rauageés,
que de Grands descheus, que de Puissances aneanties ;
& faites reflexion pour mespriser vos naissance, pour

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blasphemer contre elles, & pour les accuser de vous estre
beaucoup plus mal faisantes que fauorable, à combien
de dangers elles vous exposent, à estre pris de vos ennemis
dans les combats, comme vn Empereur Valerien,
du dos duquel Sapor Roy de Perse son vainqueur se seruoit
comme d’vn estrier lors qu’il vouloit monter à cheual,
comme Tombejus Saldan d’Egypte, qui apres auoir
esté traisné les mains liez derriere le dos sur vn vieux
Chameau, fut estranglé & pendu en vn crochet pour seruir
d’exemple à la posterité : Et comme vn infortuné
Baazeth Empereur des Turcs, qui fut enfermé dans vne
cage de fer, où apres auoir demeuré plus de vingt-ans
sans trouuer aucun moyen de finir ses regrets auec sa vie,
il se perça enfin le gozier d’vn os de poisson qu’il aiguisa
auec ses dents. Souuenez-vous qu’elle vous met en but
aux trahisons des enuieux dans la paix & dans la guerre,
auec assassinats, & à la hayne de vos Roys, que l’on offre
de la moindre action, & qui vous mettent à mort pour
vostre trop de reputation & vostre trop de merite, de
peur qu’estant plus dignes du Trosne qu’eux vous ne les
en depossediez.

 

Et vous Roys, craignez d’autant plus que vous estes
plus esleuez ; les plus hautes mantagnes sont plus proches
des tempestes, & plus souuent frapées des foudres que
les vallées. Mesprisez vos Royautez, puis qu’elles n’ont
que des douceurs meslées de milles alarmes, que leurs
charmes sont troublez par d’effroyable soucis : abandonnez
les, puisque la mort vous y prend sur la teste à tous
momens, puis qu’elles vous causent mille secrets ennemis,
& qu’enfin vous n’y estes iamais en repos asseuré.

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Mesprisez vostre pouuoir puis qu’il ne vous rends pas si
absolus sur vos peuples, qu’il ne vous laisse dans d’eternelles
apprehensions de les choquer. Ne vous estimez
pas si Souuerains, puisque vous auez tant de rebelles
dans vos Estats, qui tous les iours sont tous prests de tenir
l’estendart de la reuoltes, puisques vous auez tant
d’esgaux sur la terre qui s’en vont vous declarer la guerre,
& que vous estes entierement sousmis au Dieu des Monarques ;
Ne vous imaginez pas que vos puissances s’estendent
iusques à ordonner des biens & des vies de vos
sujets comme bon vous semble. Craignez à l’exemple
de mille tyrans qui ont esté massacrez pour leurs trop
barbares cruautez ; songez long-temps auant que de prononcer
des Arrests de mort, de peur que vos iniustices
ne vous perdent : & ne vous attachez pas tant que vous
faites ordinairement à ces Courtisans flateurs & dissimulez,
puisque mille & mille Roys s’y sont perdus ; comme
dans le Texte sacré ; Roboam qui pour s’estre trop fié à
Ieroboam, se vit reduit à deux de ses moindres tributs
par l’infidelité de ce Fauory : Enfin vsez de vos Empires,
ou comme Sylla, pour vostre gloire, ou comme
Auguste, pour la conseruation de la Patrie, de peur
que vous n’en vsez comme Cesar, pour vostre malheur,
ou demettez-vous en comme Sylla, afin que vous
vous pariez de mille assassinats qui se commettent tous
les iours contre vostre tyrannie, afin que vous changiez
en amour la hayne de vos peuples, ennemis de la domination
aspres & cruelle, & que vous viuiez tranquille.

 

FIN.

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