Anonyme [1649 [?]], DIVERSES PIECES DE CE QVI S’EST PASSÉ A S. GERMAIN EN LAYE, Le vingt-troisiéme Ianvier 1649. & suiuans. , françaisRéférence RIM : M0_1160. Cote locale : A_1_5.
SubSect précédent(e)

Suite de ce qui s’est passé à S. Germain en Laye.

LE Roy veut que le Parlement sorte de Paris, parce
qu’il ne croid pas y pouvoir estre en seureté,
tant que les Factieux de la Compagnie y conserveront
la puissance qu’ils ont vsurpée.

Les Factieux veulent que le Parlement demeure dans
Paris, parce qu’ils craignent s’il alloit ailleurs, que le Roy
n’eust plus de facilité de reprimer les attentats qu’ils continuent
de faire sur son Auctorité, dautant qu’ils ne pourroient
pas alors étouffer les sentimẽs des bien-intentionnez
de la Compagnie, cõme ils font aujourd’huy dans Paris,
par la crainte qu’ils leur impriment des mouvemens du
peuple, s’estans rendus maistres absolus de son esprit par
divers artifices.

Voila veritablement en quoy consiste tout le differend
qui menace la desolation de tant de Familles, & dont necessairement
s’ensuivra, s’il est poussé aux extremitez ou la
ruine de Paris, le Roy ayant le dessus, ou le bouleversemẽt
general de la Monarchie, le Parlement devenãt le Maistre.

Voila la question qui est à decider, sçavoir, qui du Roy ou
du Parlement sera obey en France.

Sçavoir, si le peuple de Paris aymera mieux ou favoriser
la desobeïssance d’vn petit nombre de particuliers pour
les avoir avec soy, soustenant pour eux vne guerre à ses despens,
& s’exposant mesme à mourir de faim, ou bien se ranger
en son devoir, & jouyr de la presence de son Roy, & de
la Maison Royale, & de toute la Cour, avec vn plein repos
& toute sorte de felicité.

Enfin sçavoir, s’il est plus juste que le Roy desloge de sa
Ville capitale, ou que quelquesvns de ses subjets s’en retirent
pour quelque temps, jusques à ce que leur sejour y soit
compatible avec celuy du Roy.

Le Parlement reconnoissant cõbien il se rendroit odieux,
s’il s’engageoit ouvertemẽt dans vne contestation si extravagante,

-- 10 --

vous a donné le change (mes chers Parisiens) & a
mis en jeu le Cardinal, dont il n’estoit nullement question,
vous faisant à croire que c’est luy qui vous affame, & que
tous ces mouvemens-cy ne sont excitez que pour son interest,
& par son caprice : mais ne vous appercevez-vous
point, pauvres abusez, que cette cause là mesme ne seroit
pas plus plausible, ny meilleure à soustenir que l’autre.

 

Ie n’entreprens point icy de deffendre le Cardinal ; supposons
mesme que sa conduite ne soit pas bonne, qu’il soit
noircy de plus de crimes que ne disent tous nos Libelles,
qu’il soit vn perfide, vn violent, vn interessé, qu’il ait fait
envahir le tiers de la France par les Espagnols, que ses services
soient autãt de trahisons : Mais en quel endroit de ses
Registres le Parlement trouvera t’il qu’il puisse prescrire à
son Roy le choix de ses Ministres ? Quelles loix du Royaume,
ou quel vsage luy donnẽt l’auctorité d’obliger le Souverain
à les éloigner, quãd ils ne luy sont pas agreables ? Quel
droit a le Parlement, n’estant institué que pour rendre la
justice aux particuliers, de mettre la main au gouvernement
de l’Estat ? Sommes-nous en quelque Republique,
& le Roy n’est il plus que nostre Doge ? S’il faut changer
le Ministere, n’est-ce pas à la Reine, conseillée par le Duc
d’Orleans & par le Prince de Condé, à le faire, & non pas
au Parlement ?

Le Roy voyant que le Parlement attaque son Authorité
& met tout en confusion, luy commande de sortir de Paris,
le Parlement refuse d’obeir à son Maistre, & ordonne
vn Arrest, que le Cardinal, sur qui il n’a point de pouuoir,
sortira du Royaume.

Si le Cardinal estoit Ministre du Parlement, il pourroit
le chasser ; mais pour chasser le domestique d’vn autre, il
me semble que la bien seance, la coustume & la raison,
veulent que nous nous adressions à son Maistre, autrement
il est inutile & mesme ridicule de luy donner congé, & à
plus forte raison, si ce Maistre là est aussi bien le nostre que
le sien.

Le Parlement n’enseigne pas fort l’obeissance. Peut-il

-- 11 --

trouuer à dire que le Cardinal n’execute pas ses ordres, si
luy mesme méprise ceux de son Maistre ?

 

Mais sur tout cecy, n’est point le fait dont il s’agit : Que le
Cardinal soit dans les affaires, ou non, tousiours faudroit-il
decider quelle des deux Authoritez doit prevaloir, ou
celle du Roy, qui a regy heureusement la Monarchie douze
cens ans durant, ou celle que le Parlement a envahie depuis
huict mois, & qu’il veut se conserver aujourd’huy par
la prise des armes contre le Souuerain ? Tousiours faudroit
il voir si le Duc d’Orleans, & le Prince de Condé souffriroient
d’estre dégradez, & que le Parlement devenãt Roy,
divers marchands, confituriers, & artisans, pour appartetenir
de prés à des Officiers de ce Corps-là, vinssent à tenir
le rang des fils de France & des Princes du Sang.

On nous fait accroire (mes chers Compatriotes) que le
Roy veut nous exterminer, qu’il veut nous affamer : il ne
veut que ce à quoy nous l’obligerons ; il ordonne au Parlement
de sortir de Paris ; le Parlement veut y demeurer
par vne desobeissance sans excuse (n’y en ayant aucune legitime,
quand le Maistre commande ;) & nous sommes si
aueuglez que de prendre les armes pour appuyer sa rebellion.
Quel autre party restoit à prendre au Roy, s’il vouloit
se conseruer cette qualité, que de nous reduire tous
deux par la faim dans nostre deuoir ; ainsi ce n’est pas le
Roy qui nous affame, c’est nous qui le voulons bien estre,
ce n’est pas le Roy qui nous attaque, c’est nous qui sommes
les agresseurs, si nous obligeons le Parlement à sortir
de Paris, le Roy nous asseure qu’il nous viendroit voir le
mesme jour.

Si le Parlement ayme le bien public autant qu’il le veut
faire croire, si sa principale visée, cõme il proteste, est nostre
soulagement & nostre repos, que ne nous en donne-t’il vne
preuue qui luy est si facile ? Nostre trãquillité dépend de sa
sortie, nous serõs heureux dés qu’il aura obey : nous auriõs
l’abondance de toutes choses, & n’entendrions plus parler
de gens de guerre, ny dans Paris, ny aux environs : cependant
il veut que nous souffrions, il aime mieux que nous

-- 12 --

soyons envelopez dans son chastiment, nous qui n’avons
eu aucune part à ses fautes passées, est-ce là avoir eu passion
pour nostre bien ?

 

Le Roy nous promet vn oubly general de tous nos excez,
s’il nous reste dans l’esprit quelque scrupule là dessus,
& que nous ayons peine à croire qu’on ait pour nous tant
de bonté apres de si grandes fautes : envoyons nos Escheuins,
& des Deputez des six corps des Marchands à Saint
Germain, stipuler toutes nos seuretez, on nous asseure
qu’elles ne nous seront pas refusées, & qu’on ny desire rien
de nous, si ce n’est que nous ne nous meslions pas de l’affaire ;
refuserons-nous nostre indifference à nostre Maistre,
pour qui nous serions plustost obligez de respandre jusques
à la derniere goutte de nostre sang ? Il faut que Dieu
veüille bien nostre chastiment, puis qu’il ne nous donne
pas seulement la force de consentir à nostre bon-heur.

Remettons-nous vn peu en memoire les crieries & le
vacarme que le Parlement a fait tout l’Esté & tout l’Automne,
contre la violence de la Regence, contre la dissipation
des Finances, & pour faire soulager le pauvre peuple ;
c’estoit là les trois points principaux où sembloient aboutir
toutes ses clameurs, les pretextes specieux, & en apparence
desinteressez, par lesquels il nous a artificieusement
engagez à suivre à tastons tous ses moindres mouuemens
comme des oracles : cependant, qui ne void aujourd’huy
que nostre conduite, sous sa direction, canonise celle de la
Reyne, & l’administration de la Regence, puis qu’il est cõstant
en premier lieu, que nous dissipons plus d’argent en
vne Semaine pour faire au Roy vne méchante & impuissante
guerre, & pour enrichir des Princes, que le Roy n’en
dépensoit en deux mois, soustenant la guerre en tant d’endroits,
& auec tant de gloire & d’avantage contre toute
la Maison d’Austriche.

Pour ce qui est des violences, en peut on imaginer aucune
qui puisse égaler celle d’attaquer vn Roy mineur, lors
qu’il a sur les bras d’autres Ennemis tres-considerables,
vouloir abatre son authorité, diuiser l’Estat, & donner lieu

-- 13 --

par ce moyen aux Espagnols de reprendre en peu de temps, &
auec facilité, ce qui a cousté la vie à tant de braues gens, &
épuisé la plus pure substance des peuples.

 

Y a-il de plus grande violence que de tenir en captiuité des
Ambassadeurs contre le droict des gens ? que d’emprisonner
des Evesques, & les empescher d’aller dans leurs Dioceses, contre
le droict Diuin ? que de retenir par force tãt de gens de bien
qui sont au desespoir de se voir enfermez dans vne Ville rebelle,
& qui hazardent leur vie à tous momens pour secoüer le
joug de cette tyrannie, témoin l’Evesque d’Authun ?

Y en a-il de plus étrange que d’oster jusques à la liberté
de la voix & des plaintes à des miserables qui souffrent ?
Que de menacer de mort ceux qui seroient si hardis que d’ouvrir
la bouche pour parler du bien & du repos de Paris ? Que de
remuër jusques aux cendres de nos peres, & foüiller dans les
sepultures pour trouver de l’argent ? que de songer à vendre les
Calices, à dépoüiller les Eglises, & les Reliques de leur argenterie
& de leurs richesses, comme si le Turc estoit à nos portes ?
Enfin de remplir les cachots de la Bastille d’Innocens, sans en
interroger aucun depuis plus d’vn mois, apres tant de diligences
que le Parlement à fait luy-mesme aupres du Roy, pour faire
regler qu’on fust obligé d’interroger chaque prisonnier dans
les vingt-quatre heures de sa detention, conformément aux
Ordonnances, dont il se mocque lors que l’obseruation le regarde,
& non pas le Roy.

Pour ce qui est du soulagemẽt du peuple. Haique nous éprouuõs
bien à nos dépens, si le Parlemẽt l’a eu à cœur pour le procurer
en effet, ou seulement à la bouche, pour nous entrainer
à le servir dans les autres desseins qu’il formoit. Qui ne touche
au doigt aujourd’huy que toutes les charges que le peuple a suporté
jusqu’icy, étoient incomparablemẽt plus douces & plus
legeres, que ce que le Parlement luy-mesme nous fait souffrir
presentement, de capitations, d’extorsions & de violences ? N’at’il
pas fait plus payer aux seuls habitans de Paris en quinze
jours de ces desordres, que ne monte la décharge d’vne année
entiere que le Roy leur auoit accordée, quoy qu’elle fust tres
considerable ? Et cét argent-là est employé à faire la guerre à
nostre Souverain, & l’autre l’estoit à abattre la puissance des
Ennemis de cét Estat.

-- 14 --

On nous forge chaque jour cent impertinences & cent chimeres,
pour nous obliger à souffrir nos maux sans nous plaindre.
On nous dépeint la Cour affamée elle-mesme dans Saint
Germain ; le Roy sur le point d’en partir pour aller à Chartres,
le Duc d’Orleans toûjours à la veille de nous venir trouver, le
Prince de Condé en dessein de se retirer dans son Gouvernement,
connoissant la foiblesse du party où il est engagé ; le Cardinal
tenant toûjours ses chevaux sellez pour prendre la fuitte.
On nous repaist d’esperances, d’enleuemens de Quartiers, de
deffaites de Gens de Guerres du Roy, de leur debandement
faute d’estre payez : On nous dit que le Roy n’a pas vn sol ny
moyen d’en avoir, qu’il n’a presque point de troupes, & n’en
peut assembler ny lever en aucun lieu. On nous amuse d’ouverture
des Passages pour les vivres, de jonctions de Parlemẽs,
de Declarations d’Armées pour nostre party, de secours considerables
qui viendront de Normandie, de Revoltes de Villes
& de Provinces entieres : Et enfin, on nous jure que le feu alumé
dans Paris, suivra indubitablement tout le Royaume.

Premieremẽt, faisons vn peu reflexion quelle doit estre nostre
impieté & nostre fureur, de demeurer dans vn party qui met
tout son salut en l’embrasement general de l’Estat, & qui le
desire avec autant d’ardeur que tous les bons François, & tous
les gens de bien ont d’horreur seulement d’y songer. Croirons-nous
que Dieu puisse jamais benir nos desseins & nos actions
si nous faisons de si detestables souhaits ?

Que vous estes abusez (mes bons Compatriotes) mais je veux
avoir la charité de vous détromper en vous apprenant ce que
j’ay veu moy-mesme à S. Germain, dans vn voyage que j’y
ay fait travesty par curiosité pour sçavoir la verité des choses.

Sçachez donc que toute la Cour est en ce lieu là, avec toutes
les commoditez qui nous manquent icy, qu’elle est plus remplie
de Princes, de Grands Seigneurs & de Noblesse, qui y
accourt en foule de toutes les Provinces qu’elle n’a jamais
esté, qu’elles s’y tient en pleine seureté, ayant outre ses propres
forces des quartiers avances, que toute nostre milice & trente
fois autant n’oseroit affronter.

Que le Roy ne fait point estat de partir de là que pour rentrer
à Paris, ou de vostre bon gré, ou par force.

-- 15 --

Que le Duc d’Orleãs ayme trop l’Estat, & a trop d’interest au
soustien de l’authorité Royale, pour prendre jamais le party de
ceux qui la veulent abattre, & que d’ailleurs il sent trop son
cœur & sa naissance, pour s’abaisser si fort, que de venir prester
serment de fidelité au Parlement.

Que le Prince de Condé a tant-d’horreur, & outre cela si
mauuaise opinion de tout ce que nous faisons, qu’il ne parle jamais
que du restablissement de l’authorité du Roy, & de la
mettre mesme en plus haut point qu’elle n’a jamais esté, que
comme d’vne chose aussi infaillible que juste ; jugez si c’est là
vne disposition à quitter le party où il est.

Que le Cardinal se porte mieux que ne voudroyent ses ennemis :
qu’il ne se met nullement en peine des Arrests qu’on a
donnez contre luy, parce qu’estant égallement injustes & impuissans,
il est asseuré que s’ils laissent quelque tache, ce sera
plustost à l’honneur de ceux qui l’attaquent sans sujet avec tant
de rage, qu’à sa reputation qui se treuve assez establie par les
services qu’il a rendus à l’Estat.

I’ay sceu d’ailleurs qu’aucun Parlement du Royaume n’a
donné d’Arrest semblable, & qu’il n’y a point de Presidial dans
le ressort du Parlement de Paris qui l’ait enregistré, nonobstant
les ordres expres qu’ils en avoient receus de luy : Oüy qu’ils
ont verifié la Declaration du Roy, qui leur attribuë le pouvoir
de juger souverainement ; ce qui les a de nouveau engagez, &
toutes les villes ou ils resident, à suivre aveuglément les volontez
du Roy.

Que c’est vn amuse badaux que les deffaites des troupes du
Roy, & les enleuemẽs de quartiers qu’on nous fait esperer, nous
n’avons osé les regarder dans le commencement du Blocus
lors qu’il n’y auoit dans chacun que quelques compagnies, &
l’on veut que nous les emportions maintenant qu’ils sont fortifiez
des meilleures troupes de l’Europe.

De plus i’ay bien trouvé qu’il passe chaque jour quantité de
soldats de Paris à l’armée, mais nul de l’armées à Paris ; Et il ne
faut pas s’en estonner, veu que les butins qu’ils font dans les
cõvois qu’ils détroussent à chaque moment, sont des charmes
bien plus puissans pour attirer & arrester la soldatesque, que le
peu d’argent qu’on luy donne icy au jour la journée.

-- 16 --

I’ay remarqué en outre, que vray-semblablement le Roy ne
manquera pas d’argent. I’en ay veu arriver estant à la Cour
des voictures considerables, qu’on disoit estre suivies d’autres
de divers endroits, à quoy il y a grande apparence, les Provinces
estans comme elles sont dans le calme, & d’ailleurs le fonds
de nos rentes, qui ne se payeront plus ici, ne sçauroit luy manquer.
I’ay veu aussi que l’argent ne s’employe là qu’aux dépences
necessaires, & encores avec grand’œconomie, & icy nous le
jettons avec prodigalité pour les superfluës : Leurs Princes
avancent de leur propre pour soustenir les affaires, & nous ne
sçaurions assouvir la convoitise des nostres, & ce n’est pas
merveille, puisqu’ils ne se sont jettez avec nous que pour remplir
leurs bourses.

Nous dépensons cinquante mil francs par jour, croyans d’avoir
prés de cinq mil chevaux & douze mil hommes de pied :
on trouve bien ce nombre, ou à peu pres, dans les reveuës de la
Place Royale, où nos Generaux font les Rodomons, & veulent
tout engloutir ; mais à la campagne, il est toûjours diminué
des deux tiers.

Voulez vous sçavoir comment, faisant vne si prodigieuse
dèpence, nous demeurons toûjours foibles, & sõmes batus par
tout ; C’est parce qu’à Paris nous payons vn soldat quatre fois,
& qu’à la campagne quatre soldats ne se battent pas pour vn.

Nous entretenons plus de Generaux pour trois ou quatre
meschans mil hommes que nous avons, que le Roy ne fait en
toutes les armées qu’il est obligé de tenir sur pied.

Il est certain que la dépense que nous faisons tyrannisant le
tiers & le quart, & prenant l’argent à tort & à travers, où il se
trouve, sans autre forme ny raison que la volonté de nos nouveaux
Seigneurs ; & cela pour faire vne guerre au legitime
Souverain. Il est sans doute, dis-je, que cette dépẽse suffiroit au
Roy pour entretenir toutes les armées de terre & de mer, & cõtraindre
les ennemis à faire vne paix glorieuse pour la France.

Comment accordera-t’on ce qu’on nous presche coutinuellement
de l’armée du Roy, auec ce qui se passe chaque jour ?
Nous voyons que cette armée là est necessairemẽt separée en
divers quartiers fort esloignez les vns des autres, & cependant
ils ne sont pas seulement tous en entiere seureté ; mais nous ne

-- 17 --

sçaurions faire sortir toute nostre cavalerie de Paris, qu’on ne luy
coure sus aussi-tost, & qu’on ne l’oblige à la retraite, ou à la fuite.

 

Chacun de leurs Quartiers est toûjours prest à combattre toutes
nos Forces, & on nous veut persuader que le Roy n’a point de
troupes ; Il faut bien, ou que les Nostres soient bien foibles, ou
qu’elles ne valent rien, ou que nous soyons trahis, ou que les autres
soient en plus grand nombre qu’on ne nous veut dire.

Pour les ouvertures des Passages, si nous reüssissons toûjours
comme à Corbeil & à Charenton, nous pouuons bien nous-recommander
à nos magazins du Louvre, & voir combien de jours
encore ils nous empescheront de mourir de faim. Hors de cela, ie
ne voy pas grande resource aux exploits de nos braves Combatans ;
on vient leur en lever sur la moustache en plein jour vn poste
retranché, & qu’on avoit incessamment fortifié depuis quinze
jours, muny de tout jusqu’à quantité de feux d’artifice, & cela à
la veuë de Paris, & qui plus est de toutes nos Forces, & sans avoir
eu que les troupes d’vn de leurs Quartiers, & elles ne laissent pas
de nous presenter le combat au mesme temps qu’elles envoient
de l’autre costé à l’assaut, & elles emportent des fortifications
défenduës par trois mil hommes, que nous avions choisis pour les
meilleurs, & qui l’étoient en effet, sans qu’vn seul des nostres ait
evité la mort, ou la prison ; & tout cela ne peut obliger nos troupes
à s’avancer vn seul pas, ny à quitter le poste qu’elles avoient
choisi pour s’enfuyr en seureté dans nos portes.

Monsieur, & Monsieur le Prince, ne manquent jamais à monter
à cheval des que nous sortons ; ils se trouvent en personne à
cette execution ; ils y hazardent leurs vies, & nous sommes encores
si idiots & si foibles que de nous laisser siffler, qu’ils sont au
desespoir d’estre à Saint Germain, que le Cardinal les a enlevez
avec le Roy, qu’il n’y demeurent que pour empescher la suite des
mauvais conseils dudit Cardinal, qu’ils brûlent d’envie de faire
que le Roy satisface le Parlement. Cependant les prieres de la
Reyne, de Madame, de Mademoiselle, de Madame la Princesse,
& de toute la Cour, ne peuvent obtenir qu’ils n’aillent en personne
en tous les lieux où il y a occasion de battre nos troupes, &
nous serons toûjours si dupes de croire qu’ils n’agissent que molement
& contre leur gré.

Pour la jonction des Parlemens, nous laisserons-nous toûjours
surprendre à cet artifice grossier dont on nous bufle, lors qu’on
fait aller au Palais & à la Maison de Ville, des personnes apostées,

-- 18 --

comme s’ils estoient deputez des autres Parlemens, & ayans
charge d’eux de poursuivre l’Vnion avec celuy de Paris. On les
appelle en presence de beaucoup de monde : On leur fait dégoiser
ce qu’il a esté concerté qu’ils diroient : Et on sort apres avec
des exclamations au peuple comme s’il ne manquoit plus rien à
son bon-heur, & qu’il deust estre asseuré pleinement de l’heureux
accomplissement de tout ce qu’il souhaite.

 

I’ay apris bien loin de cela, que le Parlement de Dijon a fait
vne enqueste curieuse pour trouver vn Seditieux & le faire pendre,
qui avoit affiché là nuict aux portes d’vne Eglise l’Arrest
donné icy contre le Cardinal, & que toutes les Compagnies
Souveraines de Bourgogne ont envoyé à Saint Germain, protester
de leur obeissance par leurs Deputez.

Le Parlement de Dauphiné a donné ordre aux siens, de dire au
Roy qu’il deteste la conduite de celuy de Paris, & qu’il mourra
pour son service, s’il est necessaire.

Le Parlement de Bordeaux avoit resolu d’envoyer cachetée
à la Reyne, la Lettre de celuy de Paris, si elle luy eust esté presentée.

Il n’y a rien de si faux que l’Arrest imprimé & publié dans Paris,
comme donné par le Parlement de Bretagne contre le Cardinal ;
on y devoit plûtost publier les défenses tres-expresses qu’il
a faites de lever des gens de guerre dans la Province, autrement
que sur les Commissions du Roy qu’il a en mesme temps envoyé
asseurer de sa parfaite obeïssance : Cependant la plus veritable
consequence qu’on puisse tirer à mon advis de cette suposition
d’Arrest, aussi bien que de l’autre, qu’on fait de faux Deputez des
autres Parlemens : c’est qu’il faut que nos affaires soient bien desesperées,
puis qu’elles ne sont appuyées que sur de si foibles fondemens,
& que nostre cause soit bien mauvaise puis qu’elle a besoin
d’estre soustenuë par tant de faussetez & d’artifices.

Le tumulte arrivé à Aix pour vn soufflet donné au laquais d’vn
Conseiller, a esté aussi tost appaisé qu’esmeu, & semble mesme
n’estre arrivé que pour vn plus prompt accommodement de l’affaire
des deux Semestres, afin de faire cesser non seulement le desordre ;
mais toute occasion de broüillerie à l’advenir. Cependant
le Parlement a envoyé vn Courrier expres au Roy pour l’asseurer
de son entiere obeïssance.

Le Parlement de Thoulouze a fait dire & escrit au Roy, qu’il
maintiendroit tout le Languedoc dans vn plein calme, & qu’il

-- 19 --

donneroit en cette occurence des preuves d’vne fidelité inviolable.

 

Il n’y a eu que Roüen seul, que les cabales du Duc de Longueville
ont porté à nous imiter ; mais quel secours pouuons-nous
en attendre ? Croirons-nous que Roüen seul puisse plus à
trente lieuës, pour forcer les quartiers du Roy, que Paris qui n’en
est qu’à vne heure de chemin, & qui a dix fois autant d’habitans
& de richesses ? I’ay apris mesme que le Comte d’Harcourt est en
cette Prouince là, avec vn corps de Cavalerie capable de dissiper
ou de battre tout ce qui voudroit s’assembler ; & d’ailleurs on m’a
assuré qu’il arrivoit de tous costez tant de troupes pour l’armée
du Roy, qu’on avoit dépesché sur leur marche pour les envoyer
autrepart comme y estant inutiles. Quel effort peut faire apres
cela le Duc de Longueville ? Cependant nous fondons toute nostre
resource sur cette chimere.

Le Duc de Boüillon nous promet aussi qu’il disposera de son
frere & de son armée : Mais on ne nous dis pas icy ce que i’ay trouué
à Saint Germain, que le Mareschal de Turenne a escrit au Roy
& à la Reine, pour les assurer de sa fidelité, y adjoustant mesme
qu’il seroit inconsolable si on l’avoit creu capable d’adherer au
crime du Duc.

Pour conclusion on ne nous amuse que de chimeres & d’illusions,
& nous sommes si peu advisez que nous nous payons de
cette monnoye, & nous disposons mesme à souffrir les dernieres
extremitez pour des gens qui apres avoir bien extenué nos corps
& nos bourses, nous sacrifieront à la fin pour se sauver, si nous n’avons
la prudence de les prevenir : Tirons-nous de tant de miseres
par vne genereuse resolution ; Nostre Roy nous tend les bras &
& ne veut qu’vne bien petite marque de nostre amour, pour nous
donner des preuves solides du sien, & venir rendre Paris heureux
par ses bien faits & par sa presence : Nous voyons qu’il prend plus
de soin de nous témoigner sa tendresse, à mesure que nos affaires
prennant vn plus mauvais train : Il a eu mesme la bonté pour nous
sauver, de relascher beaucoup envers ceux du Parlement taschant
encore vne fois de les reduire à leur devoir par la douceur, & applanissant
les chemins pour les y porter ; Tesmoin les Declaratiõs
qu’il a enuoyées à eux & à nous. Serons-nous si aueuglez que de
resister encore à tant de graces ? Et ne faut-il pas croire que nostre
ruïne est resoluë dans le Ciel si nous resistons plus long-temps à
la voix qui nous appelle.

-- 20 --

Ie m’assure que plus des deux tiers d’entre nous ont horreur de
nostre rebellion, & des cruautez qu’on nous contraint d’exercer
cõtre nous mesme, Qui est celuy qui se peut vanter d’avoir quelque
chose de propre ? Tout est à vous, Messieurs, qui nous tenez
le pied sur la gorge, & qui prenez nostre bien ; nous voila enfin
dans vos fers, nous n’avons pû supporter des charges ordinaires
establies depuis quinze ou vingt années, & nous souffrons aujourd’huy
qu’on nous mette tous à la faim, que nos petits enfans
courent risque de mourir à la mammelle de leurs meres, ne trouvant
plus que succer, & nous ne l’endurons pas seulement, nous
l’approuvons, nous le loüons, & croyons faire des merveilles :
Prenons courage (mes chers Compatriotes) obligeons le Parlement
à obeïr au Roy & à sortir de Paris, les gens de bien de la
Compagnie beniront vne si douce violence qui les affranchira
de la tyrannie des Factieux qui les entraisnent dans leurs detestables
resolutions.

Ie voy bien que vous estes de mon advis, mais que personne
n’ose encore s’en expliquer à son compagnon : Il y a quatre cens
mille homme dans cette pauvre Ville, qui n’attendent que l’heure
de voir quelque bon François qui ait la generosité de se declarer
le premier pour se joindre aussi-tost à luy.

Si vous ne jugez pas qu’il soit encore seur de s’assembler en public
pour concerter la chose, que chacun en confere avec ses
amis en secret : Qui nous empesche apres allant à la garde ou
dans l’occasion de quelque sortie de prendre le chemin du Palais,
& de declarer à nos nouveaux Maistres, qu’il faut qu’eux & nous
reconnoissions l’ancien & le legitime, & qu’ils sortent de Paris.

Le Roy a eu la bonté de leur envoyer donner pleine seureté,
qu’il ne sera point touché à leurs personnes ny à leurs biens, sans
excepter mesme d’vne si grande grace les plus factieux & les plus
Criminels d’entr’eux : Persisteront ils apres cela à nous vouloir
encore enseuelir dans leurs ruines ? & s’ils le font le souffrirons-nous ?
Courage donc (mes braues Concitoyens) & n’attendons
pas les dernieres extremitez à prendre vne resolution qui sera
alors necessaire, mais sans merite aupres du Roy, parce qu’elle ne
dépendra plus de nostre volonté, & que nous y serons absolument
contraints.

Par cét écrit l’on peut iuger de l’intention qu’ont les Ennemis du Parlement.

SubSect précédent(e)


Anonyme [1649 [?]], DIVERSES PIECES DE CE QVI S’EST PASSÉ A S. GERMAIN EN LAYE, Le vingt-troisiéme Ianvier 1649. & suiuans. , françaisRéférence RIM : M0_1160. Cote locale : A_1_5.