Anonyme [1649], ADVIS SALVTAIRE DONNÉ A MAZARIN, POVR SAGEMENT VIVRE A L’ADVENIR. , françaisRéférence RIM : M0_536. Cote locale : A_2_19.
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ADVIS SALVTAIRE DONNÉ
à Mazarin, pour sagement viure
à l’aduenir.

MONSIEVR,

Celuy qui fait tout pour l’honneur, pour la gloire,
& pour la grandeur du Roy, ne gagne rien s’il se
produit au monde en masque, & dérobe son vray
Estre à la cognoissance du public. Vostre zele par
le passé faisoit croire que veritablement vous faisiez
party auec le bien de cét Estat : que vous portiez
le cœur sur la langue, & que vous n’auriez iamais
sur le cœur, que VIVE LE ROY : mais tout d’vn
coup d’extréme lascheté, vous auez fait auorter vos
belles esperances aux ruines de vostre renom. Il falloit
plustost que de faire ce coup, distinguer subtilement
les desirs bornez de ceux qui viennent du déreglement,
s’en dispenser à piller la Iustice, l’vsage
& condition de chacun, estendre leurs appartenances
jusques à la raison du masque & de l’apparence,
n’en faire pas vne essence réelle, n’offencer les Loix
vniuerselles & indubitables, & ne faire de l’estranger
le propre ; mais cherir plus la peau que la chemise.
Ie sçay, Monsieur, ce que vous deuez au Roy ; Et veritablement

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c’est auoir bien peu d’honneur & encores
moins d’affection, de se reuolter contre l’authorité
& la grandeur de son Roy : & en cela vos entreprises
fraudent l’esperance qu’on auoit de vostre bon
zele, vous ne deuiez pas ainsi tourner le feüillet comme
vous auez fait ; Vous auez agrandy vostre maison
aux despens des pauures, & vous n’auez la dignité de
Cardinal plustost par brigues, que par le merite qui
ait esté dans vos Ancestres, ny qui soit en vostre propre
personne. Ainsi tant de faueurs que vous auez
receu de la France, vous deuoient retenir d’estre si
insolent de n’abuser de vostre prosperité, & de ne
vous esleuer contre l’authorité du Roy ; N’est ce pas
soubs pretexte d’honneur, d’amour & de zele, vouloir
en rabaissant son authorité atterrer insensiblement
ce jeune Roy, & le soubmettre aux Loix des
hommes ? luy qui ne releue que de Dieu ? C’est faire
comme les Libiens, brusler la tige & le branchage
du Ladauon apres auoir cueilly la gomme aromatique :
mais vous trouuerez chausseure à vostre pied, &
vous verrez comme ce jeune Roy a vn braue second,
qui sera fidel protecteur de sa grandeur, de sa gloire
& du repos de son Estat ; Non, iamais ce braue Prince
par le vice d’vne mauuaise honte & d’vne lascheté,
ne sera si mol que de souffrir ce qui sera au desaduantage
de son Roy ; Non, il ne cherchera iamais
à sauuer les apparences comme vous faites, pour
trahir cependant ses vrayes intentions, & ne permettra
pas qu’il soit dit qu’aux despens de cette genereuse

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famille de Bourbon, & de la franchise Françoise, on
ruine la gloire & la grandeur de son Roy. Vous ne
deuez pas vous laisser ainsi emporter au delà de vostre
deuoir, ny allonger vostre passion au delà des affaires.
La sagesse est vn maniement reglé de nostre ame,
qui conduit les actions auec mesure & proportion ;
& toutes actions, qui sont hors les bornes ordinaires,
sont suietes à sinistre interpretation. Permettez-moy
encore que ie vous die, que vous manquez en la
conduite de vos actions, autant de bon sens naturel,
que de solide iugement. Cette belle monstre,
que vous donniez à l’entrée de vostre Ministere,
tesmoignoit recompenser vos defauts, & faisoit
esperer que vous seriez plus moderé par vn bon naturel,
& que si vous n’estiez de vous mesme bien
sage, du moins vous presteriez l’oreille à ceux
qui le sont ; & ne sçachant point le chemin, vous
vous laisseriez conduire à ceux qui le sçauent. Mais
vos actions temeraires feront que cet auguste Parlement
portera vn grand coup au des-auantage
de la bonne opinion que l’on auoit de vous. Cette
derniere insolence, que vous auez commise à la face
du Roy, fait croire à tout le monde que vous estes
de ceux qui sont nez en la quatriesme Lune, & que
vous auez quelque malheur en vostre bonnet, puis
que vous succombez si honteusement sous le faix de
vos entreprises. Certes, Monsieur, si vous ne pouuiez
faire de grands coups de Maistre, vous ne deuiez pas
faire de grands pas-de-Clerc : Car les aduentures des

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presomptueux sont suiettes à mille choppemens ; &
pour ne prendre le loisir de les préuoir, ils n’ont pas
l’addresse de les euiter, mais bien le temps de s’en repentir.
Encore vous diray-ie, que s’il est vray que la
nature, pour la consolation de nostre miserable condition,
ne nous a donné en partage que la presomption,
certes, au rencontre de tant d’accidens, vous
auez suiet d’vne belle consolation de vostre infirmité ;
car vous auez bonne part de vostre presomption,
& outre que vous n’auez rien si proprement vostre,
que l’vsage de vos fantaisies, vous n’aurez aussi en
vos entreprises que du vent & de la fumée en partage ;
& comme vous semez vos souhaits au vent, vous
ne moissonnerez que du vent. Vous auez, ie le sçay,
beaucoup de desseins cõtre le Roy, mais peu de force ;
& desirez le plus ce que vous pouuez le moins. Croyez
que vous vous trouuerez tousiours au dessous de
vous, lors que plus vous pẽserez estre au dessus de luy ;
toûjours rabatu d’enhaut, lors que vous pousserez plus
en haut, & que par vos fourbes & supercheries vous
penserez attirer sur luy l’indignation de son peuple :
car le Ciel ne fauorise iamais que la pieté & les intentions
qui sont droites & iustes. Ainsi, Monsieur, n’allez
iamais à Rome ; car on dit en commun prouerbe,
que qui fol y va, fol en retourne : & faites plustost vn
vœu de donner vne chandelle ou deux à sainct Mathurin,
afin qu’il luy plaise rappeller vos esprits esgarez
dans la confusion de vostre infirmité, & remettre
vostre teste sous vostre bonnet ; & le prier instamment

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auec moy, qu’vn tel bonnet ne soit iamais
donné à vne teste sans ceruelle : Sur tout souuenez-vous
que iamais Iesus-Christ n’entreprit sur le tribut
de Cesar, & que les François plus sages que les Grenoüilles,
qui pour auoir demandé à Iupiter vn changement
de Roy, leur donna la Cigoigne qui les deuora
toutes. Ne faites point de changement de superiorité,
de peur que par admonitions, puis par excommunications,
puis par declaration d’ennemy de l’Eglise
Romaine, on ne vint allumer à ces sacrées cruches
de nostre repos, le feu, ce feu funeste d’Erostrate.
Adieu, ayez soin de la santé de l’esprit, & si vous
beuuez à mes bonnes graces, mettez force eau dans
vostre vin.

 

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