Anonyme [1649], ADVIS SALVTAIRES Aux CITOYENS ET PEVPLE de la Ville de Paris. , françaisRéférence RIM : M0_539. Cote locale : A_2_21.
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ADVIS SALVTAIRES
aux Citoyens & Peuple de la
Ville de Paris.

MESSIEVRS, Les seruices que ma naissance
m’oblige de rendre au Roy, duquel i’ay l’honneur
d’estre né subiet naturel, l’amour que ie
dois auoir pour le bien & la liberté de mon pays, l’affectiõ
que i’ay pour le maintien & la conseruation d’vne Ville
dans laquelle i’ay pris naissance, & autres bonnes considerations
m’ont porté à vous donner dans l’occasion
presente, des Aduis que i’ay crû vous deuoir estre salutaires,
& desquels i’estime que vous debuez vous seruir.

PREMIEREMENT : Il est à supposer que l’enleuement
du Roy fait de nuict à trois heures du matin, le
iour & feste des Roys, sixiesme du present mois de Ianuier,
de sa bonne Ville de Paris, la plus zelée & affectiõnée
pour son seruice de toutes les Villes de France, &
dans laquelle il estoit en toute seureté, a esté proposé par
Iulle Mazarin Italien, Sicilien, subiet naturel du Roy
d’Espagne, pour se venger du dessein qu’a eu le Parlement
de luy oster les moyens sur le pretexte de la guerre,
de laquelle il ne veut iamais voir la fin, de continuer des
leuées de deniers sur le peuple, soit pour les transporter
hors du Royaume, afin de faire subsister à Rome & dans
l’Italie, dans l’opulence & abondãce vn pere, des beaux-freres
& des parens qui n’ont eu aucuns biens du patrimoine,
& estoient dans la necessité & l’indigence, y faire

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des acquisitions de Seigneuries de tres-grand prix, construire
des Palais somptueux, soit pour faire en France
vn fonds prodigieux de deniers, pour seruir, tant au mariage
de ses niepces (desquelles il y en a vne fiancée au
Prince Prefect de Rome, le plus riche party de l’Italie)
qu’à l’establissement de la maison d’vn sien nepueu, auquel
il destine les plus belles charges & les plus belles
terres de France, & pour entretenir ses Pensionnaires &
Creatures, & on peut dire de cet enleuement en la forme
qu’il a esté fait : Que c’est vne piece d’vne trahison
Italienne, vn rapt de la personne du Roy, honteux au
Roy, iniurieux à la France, scandaleux à tous les Estats
& Royaumes de l’Europe, qui rend coupable & criminel
de leze-Majeste celuy qui l’a conseille : Enfin que cét enleuement
est la rupture d’vne Paix establie par vne Declaration
du Roy, concertée pendant vn mois de temps
auec tous les Princes du Sang, & confirmée pat le retour
du Roy en cette Ville de Paris.

 

Ce que dessus supposé, la necessité d’vne iuste deffense
ayant armé la Ville de Paris, pour se deliurer de l’oppression
dans laquelle la veut reduire Iulles Mazarin, &
s’ouurir les passages des viures qu’il luy veut oster : Le
premier Aduis que i’ay à vous donner est, Qu’il est absolument
necessaire pour le maintien, conseruation & liberté
de la Ville de Paris, mais pour celle de tout le
Royaume, que la Ville de Paris demeure vnie au Parlement,
duquel la conduitte dans les affaires presentes a
esté iusques à present diuine & miraculeuse : car l’vnion
de plusieurs membres ensemble est le maintien de tous
les Estats du monde, c’est ce Lyon armé de fleches, ce
rempart inexpugnable, cette armée inuincible : Au contraire,

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la diuision est la perte & la destruction de tous les
Estats ; Et parce que Iulles Mazarin a iugé que cette vnion
seroit la ruyne de ses desseins : la premiere chose
qu’il a faict apres l’enleuement du Roy, a esté de publier,
que les mauuais desseins de quelques Officiers du Parlement
qui auoient attenté, non seulement contre son seruice,
mais mesme contre sa personne, l’auoient obligé
de se retirer de sa bonne Ville de Paris, se persuadant que
le peuple de la Ville de Paris se sentant incommodé de
viures, desquels il a faict en mesme temps fermer les passages,
se porteroit à se saisir des Officiers du Parlement,
les plus fidelles seruiteurs du Roy, & les plus zelez & affectionnez
au bien public : pour obtenir la liberté des
passages des viures & le retour du Roy, il s’est pareillement
persuadé que ces faux bruits par luy semez diuiseroient
les autres Cours Souueraines d’auec le Parlemẽt,
& mesme Messieurs du Parlement entr’eux, pour éuiter
le peril dont les vns & les autres ont esté menassez, & si
ce pernicieux dessein eust reüssi, il n’eust pas manqué en
suitte d’opprimer tous les bons Citoyens de la Ville de
Paris, & de l’obliger à rachepter son pillage d’vne somme
immense de deniers laquelle eust tourné à son seul
profit.

 

Le second Aduis est, que dans l’occasion presente personne
ne doibt espargner, ny sa bourse, ny sa vie, pour
faire reüssir les armes du [1 mot ill.] contre les ennemis de son
Estat, parce que si elles ont vn bon succez, comme on le
doibt esperer, elles donneront moyen au Parlement de
faire reuiure la liberté des siecles passez, de remedier aux
desordres presens, d’empescher à l’aduenir la dissipation
des Finances, de restablir l’authorité Royalle vsurpée

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par des fauoris, de le remettre en la possession de son
Domaine alliené & d’aduancer la Paix : Mais si l’entreprise
de Iulles Mazarin a son effect, elle produira le pillage
& la perte de la Ville de Paris, la ruyne totalle du
Royaume, & appuyera l’oppression & la violince des
Partisans : car la cause de Iulles Mazarin est la cause de
tous les Traittans & Monopoleurs de France, de ces infames
& cruelles sangsues du peuple, ces glorieux coquins,
qui en dix années de temps sans sortir de leur cabinet
gagnent des terres & heritages, qui leur donnent
autant de reuenu qu’aux plus aysez Princes d’Italie, &
qui donnent à leurs enfans en mariage autant de biens
que les plus grands Monarques de l’Europe.

 

Le troisiesme Aduis est, de ne point perdre de temps
dans vne occasion si pressante, & de trauailler incessamment
à la leuée des gens de guerre, parce qu’en semblables
rencontres les momens sont precieux, il les fant
compter pour des heures, les heures pour des iours, les
iours pour des sepmaines, & les sepmaines pour des
mois, & pendant qu’on delibere Iulle Mazarin fait aduancer
des trouppes aux enuirons de Paris, lesquelles
grossissent d’heure en heure.

Le quatriesme Aduis est, de regler les viures & denrées,
& faire en sorte que le menu peuple en soit partagé
pour entretenir vne vnion necessaire des pauures auec
les riches : Et pour cet effect il est expedient, en attendant
vn ordre plus general, Que presentement il soit fait visite
de tous les grains & farines qui sont dans les maisons
dea Boulangers de la Ville & Faux-bourgs de Paris, par
de uotables Bourgeois d’vne probité cognuë, & qu’il
leur soit enioint sur de grosses peines, mesmes à peine

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de la vie de faire cuire du pain sans discontinuation, iour
& nuict, pour estre distribué au peuple à vn prix raisonnable,
& que dans la distribution on soulage & considere
les pauures le plus que l’on pourra.

 

Le cinquiesme Aduis est, Que dans le choix qui a
esté faict des Generaux des Troupes contre les ennemis
de l’Estat : Il faut principalement considerer & prendre
confiance aux personnes de Messieurs les Duc d’Elbeuf,
Duc de Boüillon, & Mareschal de la Motne-Hodancour,
& sur tout en celle de Monsieur le Duc d’Elbeuf,
parce que dans les premiers iours de nostre affliction, il
a tesmoigné vne ardante passion de seruir le Parlemẽt, &
a receu auec vne ioye & satisfaction nõpareille la Commission
laquelle luy a esté offerte : car pour ce qui est de
Monsieur le Prince de Conty, quoy que fa qualité le rende
considerable, neantmoins on sçait qu’il ne s’est rendu
aupres du Parlement pour des raisons que chacun
peut s’imaginer qu’apres auoir appris que Monsieur le
Duc d’Elbeuf auoit accepté la charge de General des
Troupes : De plus il est frere de Monsieur le Prince de
Condé, qui commande celles lesquelles occupent les
passages des viures, & pillent, tüent, volent & bruslent
iusques aux portes de Paris : enfin on est bien aduerty
qu’il craint pour l’interest commun de sa maison la iuste
colere du Parlement auquel feu son pere auoit de si
grandes obligations.

Le dernier Aduis est que Messieurs du Parlemẽt & de
l’Hostel de Ville de Paris, quoy qu’ils ayent tout suiet de
se fier en leurs Generaux, ils doiuent neantmoins s’asseurer
autant qu’ils pourront de leur fidelité, & mesmes
des Chefs particuliers des Trouppes, parce que quoy

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que tous ceux qui les composent soient tirez de la Ville
de Paris, neantmoins l’esperance d’vn butin & autres
considerations leur peuuent faire changer de volonté :
Comme aussi ils doibuent mettre dans les places qu’il
sera necessaire de reduire pour la seureté de la Ville de
Paris, & de l’estat des personnes non suspectes, desquels
la fidelité & probité leurs soient connues, se reseruer le
pouuoir de nommer aux places vaccantes des Chefs &
Officiers, soit par le deceds ou autrement, employer au
payement des Trouppes des personnes de haute probité,
lesquels sans profit & interest exercent ces emplois :
& enfin faire tout ce qu’ils iugeront necessaire & expedient
pour le bien & seureté de leurs personnes, de la
Ville & de l’Estat, parce que nous deuons estre sages par
l’exemple de nos voisins.

 

Se sont les Aduis que i’auois à vous donner, lesquels si
vous obseruez, i’ose vous asseurer d’vne victoire entiere
contre vos ennemis & ceux de l’Estat : car vous deffendez
vostre liberté iniustement attaquée, & vous combatez
pour le Roy & le bien de son Royaume, & la deuise
que vous deuez prendre dans les enseignes de vos
Trouppes doit estre, pro Rege & regno.

Courage donc, chers compatriotes, renouuellez en
vous le courage de vos peres, auec lesquels les Roys de
France ont resisté & dompté les plus belliqueuses Prouinces
du Royaume, & s’en sont rendus les Seigneurs &
Maistres ; Continuez genereusement & constamment
dans vn dessein qui doit apporter la conseruation de
l’authorité Royalle, le bien & seureté de tout l’Estat, &
le repos de vos familles, Adieu.

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