Anonyme [1649], APOLOGIE CVRIEVSE POVR LES IVSTES PROCEDVRES DV PARLEMENT DE PARIS Iusques au iour de la Conference. Et pour seruir de suppléement aux Motifs veritables. , françaisRéférence RIM : M0_99. Cote locale : A_2_1.
Section précédent(e)

APOLOGIE
CVRIEVSE
POVR LES IVSTES PROCEDVRES
DV PARLEMENT
DE PARIS
Iusques au iour de la Conference.

Et pour seruir de suppléement aux Motifs veritables.

A PARIS,
Chez CARDIN BESONGNE, ruë
d’Escosse, prés S. Hilaire,

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

-- 2 --

-- 3 --

APOLOGIE CVRIEVSE
POVR LES IVSTES PROCEDVRES
du Parlement de Paris,
Iusques au iour de la Conference.

Et pour seruir de suppléement aux Motifs veritables.

L’EXPERIENCE nous apprend qu’il n’y a presque
point de domination legitime de peu d’étenduë qui
n’ait quelque forme de conseil, où le Prince fait
proposer les plus importantes affaires qu’il veut
estre resoluës ; Et pour en parler comme il faut, il
est besoin d’examiner s’il est expedient que le Prince, outre ses
Ministres particuliers & Officiers ordinaires, ait quelques Ministres
plus specieux auec lesquels il communique plus particulierement
de ses plus grandes affaires.

Il y en a qui soustiennent que les conseils particuliers approchent
plus de la domination violente, laquelle estant odieuse
& suspecte à tous en se communiquant à tout le monde, que
de l’administration legitime, laquelle n’ayant point de suiet
de se deffier de ceux qui luy sont asseruis & à qui elle commande
selon les loix, se communique plus librement : mesmes en affaires
generales & ausquelles tout l’Estat est interessé.

Là dessus on dira, que nos Roys ont estably & entretenu des
Compagnies celebres composées de personnes les plus sensées
& plus qualifiées d’entre leurs Suiets, qu’ils ont appellez Senats
ou Parlemens, qui estoient proprement dans les premieres
races de la Maison de France. Les Conseils d’Estat, sans lesquels
les Roys ne resoudoient d’aucunes affaires, concernants
l’interest de la paix ou de la guerre, aussi estans presque toûjours
prés leur personnes, on les appelloit du nom de Parlement

-- 4 --

ambulatoire, qui a duré iusques à ce qu’il ait esté faict sedentaire
en la ville de Paris, capitale du Royaume, afin de rendre
au public la mesme iustice que le Conseil du Roy leur distribuoit,
sans pour ce estre priuez de la cognoissance des grandes
affaires de l’Estat, qui ne se resoudoient que par leur
Conseil.

 

L’on sçait qu’outre ces legitimes Conseillers d’Estat qui
composoient cét Auguste Senat, il y a eu des vsurpateurs qui
se sont laissez aller à la violence, & ont ruiné toutes ces illustres
Compagnies, ou du moins les ont tellement affoiblies qu’elles
estoient demeurées presque inutiles.

C’est ce que firent les trente Tyrans d’Athenes, & les dix de
Rome, aprés s’estre saisis de l’Estat, & l’auoir changé en vne
Olygarchie tres-insolente, & auparauant ces derniers, Tarquin
le Superbe, aprés auoir changé le gouuernement legitime
de ses predecesseurs en vne domination tyrannique & insupportable.

D’auantage, il est plus aisé de calomnier les actions d’vn
Prince qui conduit ses affaires par le conseil & ministere de peu
de gens & de quelques Officiers particuliers ; que celuy qui est
gouuerné par les auis & resolutions d’vn Conseil celebre, approuué
& composé des plus grands, des plus sages & experimentez
de son Estat.

On adiouste à cela, que les affaires estant entre les mains de
peu de personnes, il sera plus facile à vn Prince Estranger ou à
vn autre, qui aura des desseins contre l’Estat, de le trauerser,
que si elles estoient entre les mains d’vne Compagnie de Conseillers
composez de gens de bien ; estant beaucoup plus aisé
de pratiquer & corrompre vn petit nombre d’hommes que
tout vn grand Corps.

Outre cela, il est difficile de faire choix particulier de quelques-vns
pour leur confier ce que le Prince estime de plus grãd
poids, sans en mécontenter infinis autres ; & en ce faisant ietter
des semences de troubles, & quelquefois de sousleuement.
Car ce Conseil estroit ne peut estre composé que de peu de
personnes, c’est à dire du Prince ou de quatre ou cinq Ministres ;
car s’il y en a vn plus grand nombre, ce ne sera plus vn
Conseil estroit.

-- 5 --

Or dans vn grand Estat, tel qu’est celuy de la France, il y a
plusieurs Grands & encores de grandes Compagnies restablies
de longue main ; & qui par leur establissement ont part en l’administration
des grandes affaires : Que si on reduit & restraint
le maniement de telles affaires principalles à peu de personnes,
on mécontentera tout ce grand Corps de l’Estat, & exposera-t’on
le Conseil estroit à l’enuie de toute cette Compagnie ;
d’où peuuent naistre infinis inconueniens. Car ceux qui sont
dans les affaires, se veulent maintenir en dépit de tous ceux
qui le trouuent mauuais, pour cet effet ils cabalent ensemble,
& au lieu de penser aux affaires de leur maistre & du public, ils
tournent toutes leurs pensées à ce qu’ils croient pouuoir seruir
à leur conseruation, s’imaginant que tout le monde leur
est ennemy : Ils commencent aussi de leur part à hayr tout le
monde, notamment ceux qu’ils sçauent leur nuire, & delà ils
passent souuent à l’insolence & à la cruauté.

Que si le petit nombre des Ministres fait naistre ces inconueniens,
il y a apparence que tant plus on le reduira, tant plus on
se ressentira des incommoditez. Et partant si le Prince a quelque
Ministre special, qui ait plus de part aux affaires & dans la
confiance que les autres, il y a lieu de croire que les inconueniens
naistront beaucoup plustost & beaucoup plus grands.
Car il ne faut pas douter que les autres Ministres ne conçoiuent
de la ialousie à l’endroit du premier, & que delà ils n’entrent
bien-tost en mauuais ménage, ce qui ne se peut faire sans
que les affaires du Prince en reçoiuent du dommage.

Cela s’est veu en France depuis la mort du deffunt Roy
LOVIS LE IVSTE, que Dieu absolue : Vn estranger Sicilien
Espagnolisé, ignorant aux grandes affaires, ayant esté tiré
d’Italie & introduit dans le Conseil du Roy & de nostre Estat,
par la bonté de la Reyne Regente, & par la tolerance
de nos Princes abusant de leur bõ naturel, s’est rendu si absolu,
qu’il a entierement disposé, tant des personnes sacrées de leurs
Maiestez, que des Grands du Royaume, que luy seul a esté
administrateur des affaires de la guerre, des Finances & de toute
la France, & n’a si tost esté fait Ministre d’Estat, qu’il a fait
prendre le Duc de Beaufort, l’enfermer au bois de Vincennes,
chasser le Duc de Vandosme son pere hors de France, éloigner

-- 6 --

la femme & ses enfans hors la Cour, banny les Princesses, donné
des gardes aux autres qui estant nées Princesses du Sang ne
pouuoient souffrir vn estranger regner seul dans les Conseils,
& changé celles qui estoient admises au gouuernement de la
personne du Roy, & pour en disposer luy seul s’en fait dõner la
Sur-Intendance du gouuernement, afin d’auoir suiet de loger
dans la maison du Roy, luy donnant pour ses Gouuerneurs personnes
faites de sa main, ce qui ne se lit point auoir esté fait par
aucun Ministre tant absolu ait-il esté.

 

L’ambition & l’insatiable conuoitise d’vn tel homme a passé
iusqu’à vn tel excez, que par la profusion qu’il a faite des Finances
du Roy, il a ruiné toute la France, enrichy des Italiens,
& fait passer les monts à l’or & l’argent qu’il a tiré par tant de
vexations, imposts, surcharges, monopoles & autres oppressiõs,
n’y ayant sorte de parties qu’il n’ait accepté pour tirer le dernier
teston du Royaume, en sorte qu’il a rendu la France sans
commerce, les villes desolées, le plat pays exposé aux vols, aux
larcins & aux cõcussions des Partisans, les Marchands sans trafic,
les armées ruinées faute d’argent & de secours : & les ennemis
fortifiez de nostre misere dont luy seul a profité.

Et pour cõble d’insolẽce il s’est voulu prẽdre aux Cours Souueraines,
lors qu’il en a rendu semestres, pour y auoir des creatures
à sa deuotion, les ayans cõme interdits, il a voulu retrancher
les gages des Officiers, rendre la Noblesse roturiere & suiette
aux tailles, casser les priuileges des propres domestiques
de la maison du Roy, oster la plus seure garde de sa Majesté, en
cassant cette genereuse & fidelle compagnie de ses Mousquetaires
à cheual, pour en mettre d’autres à sa volonté : compagnie
qui auoit esté choisie & establie par le defunct Roy, pour
estre la plus seure de sa personne, & remplir la Cour Royale
d’Officiers Italiens, & les places mesmes des Officiers des armées
& de la guerre, & renforcer la garde de sa personne de
cent Caualiers, & Fuzeliers, dont il affoiblissoit celles qui
estoient necessaires, fait perir les Regimens & Compagnies,
tant de cheual que de pied dans les armées estrangeres, faute
d’argent & de viures.

Ce qu’ayant sceu le Parlement de Paris, que le mal alloit
croissant & deuenoit irremediable, si de bonne heure on n’y

-- 7 --

apportoit le secours necessaire, vnit en son adionction les autres
Compagnies Souueraines de Paris, comme la Cour des
Aydes, la Chambre des Comptes, le Grand Conseil, les Maistres
des Requestes de l’Hostel du Roy, les Tresoriers Generaux
& autres Corps, qui par deputation & assemblée trauaillent
& commencent à remedier aux abus par les voyes les plus
douces, sages & moderées possibles, comme par Remonstrances
tres-humbles à la Reyne, aux Princes du Sang, pour leur faire
entendre les maux que les desordres faisoient naistre dans le
Royaume, receut les offres des autres Cours Souueraines de
France, de seconder ses bonnes & iustes intentions, & de demeurer
constans dans ses deliberations, qu’ils suiuroient & feroient
obseruer par toutes les Prouinces pour le bien & seruice
du Roy, soulagement du peuple & conseruation de l’Estat,
neantmoins leurs procedures equitables ont esté mal interpretées
par ceux qui veulent continuer à viure dans le desordre &
s’enrichir de la ruine & de la misere du peuple, & se sont seruis
du nom & de l’authorité du Roy, pour faire proscrire & éloigner
aucuns desdites Cours Souueraines, & au milieu des actiõs
de graces faites à Paris pour la victoire signalée obtenuë contre
les Espagnols prez de Lens, faire prisonniers Messieurs de
Blansmenil President, & de Brousselles Conseiller au Parlemẽt,
l’vn conduit au Bois de Vincennes, l’autre pourmené en diuers
lieux, & autres qui eussent esté traitez de mesme, s’ils n’eussent
esté aduertis de la conspiration. L’Arrest de ces Messieurs fut
cause du sousleuement de la populace de Paris, qui alloit mettre
cette grande ville en grand desordre, si la Bourgeoisie n’eut
retenu la sedition par la prise des armes, cantonnemens & barricades
par toutes les ruës, & corps de garde establis dans tous
les quartiers, tous neantmoins resolus de ne quitter les armes,
iusques à ce que ces deux Messieurs fussent remis en liberté &
ramenez à Paris auec des allegresses tres-grãdes de tout le peuple,
à quoy faire se virent contraints le Cardinal Mazarin & les
autres autheurs des mauuais conseils qui auoient mesprisé le
Parlement, appellé cette Royale Compagnie seditieuse & refractaire
aux volontez & commandemens du Roy.

 

Le trouble de Paris ne le fit point mettre à la raison, car peu
de iours apres ils enleuerent le Roy & Monsieur le Duc d’Anjou

-- 8 --

son frere, qu’il mena à Ruel, & de là à Sainct Germain en
Laye, où l’on trauailla à quelque accõmodement entre les Ministres
& le Parlement, se tindrent plusieurs assemblées au Palais
pour la descharge du peuple & l’abolition des Intendãs de
la Iustice aux Prouinces & des autres Officiers Maltotiers, vrais
sangsuës du pauure peuple, le tout par Declarations du Roy verifiées
en son Parlement de Paris, qui ne furent ni executées, ni
entretenuës, au contraire elles furent suiuies de contrauentiõs
manifestes au grand regret du Parlement, ce qui se continua apres
le retour du Roy à Paris, & apres la S. Martin l’on trauailla
à remedier à ces contrauentions & aux Assemblées tenuës
en Parlement, en plusieurs desquelles Monsieur le Duc d’Orleans
se trouua : ce qui laissa de bonnes deliberations sans execution,
leurs bonnes intentions estant tousiours trauersees par
le Conseil : Ledit Cardinal Mazarin secondé par autres Ministres,
continuans en leurs mauuais desseins de subsister & de se
maintenir sur les ruines du peuple, & sur tout de la ville de Paris,
qui se deffioit tousiours de ce qu’il luy arriua, se resolut
d’enleuer vne autre fois le Roy, sur les deux heures de nuit de la
Feste des Roys, & l’emmena à S. Germain, où il fut suiuy de la
Reyne, des Princes du Sang, de quelques Mareschaux & Officiers,
qui auoient assisté en ces pernicieux Conseils.

 

Le Parlement voyant que le masque estoit leué, & que Mazarin
auoit fait venir les Trouppes du Roy qui estoient en
Flandres & d’ailleurs, & mis és enuirons de Paris, pour reduire
par la prise des Passages & des Viures ce grand peuple à la famine,
afin qu’en suitte cette vrgente necessité deuenant extréme
se changeast en des tumultes, carnages, voleries, meurtres
& incendies, par ceux ausquels le pain eust manqué. Ce qui
donna sujet au Parlement de donner Arrest contre Mazarin,
le declarant criminel de leze-Majesté, à luy enjoint de sortir de
la Cour dans 24. heures, & du Royaume dans huictaine ; en
suitte dequoy il prit la defense de l’Estat & gouuernement des
affaires en main pour remedier aux inconueniens qui pourroiẽt
arriuer de là, non seulement dans Paris, mais par toute la France.
Et afin d’empescher le cours d’vne si pernicieuse entreprise
de ruyner Paris & tout le Royaume, resolut de prendre les
armes, d’élire des Generaux, des Capitaines & Officiers, & de

-- 9 --

faire contribuer eux-mesmes & tout le Corps tant pour la subsistance
des gens de guerre, que pour auoir le pouuoir de faire
venir les viures à Paris.

 

De là chacun peut iuger de l’imprudence de ce premier Ministre
& de ceux qui prennent interest en l’execution de ses
mauuais desseins, d’auoir voulu ruiner cet Auguste Senat, le tenir
pour seditieux & de s’entẽdre auec les Ennemis de cet Etat.
Luy qui est tres-interessé & porté à soutenir les Loix fondamẽtales
du Royaume, à faire valoir l’authorité du Roy, & à chastier
ceux, qui comme criminels de leze-Majesté y auroient la
moindre intelligence auec nos Ennemis, comme il a assez fait
paroistre en la punition de mort d’vn Connestable de France,
d’vn Sur-intendant des Finances. des Mairargues, des Lihostes &
autres Officiers de la Couronne qui auoient coniuré auec l’estranger
la ruyne de l’Estat.

Mauuais Conseil de vouloir faire perir les plus courageux
& fideles Officiers de cet illustre Parlement, pour s’estre auec
toute sorte d’integrité portez à la deffense de la Iustice, au seruice
du Roi & au soulagement du public, & prescrit ainsi qu’ils les
auoient aduertis d’vne telle coniuratiõ : veu que l’Histoire sçait
les grands biens qu’il a faits à l’accroissement de cet Estat &
splendeur de cette Couronne.

Que c’est le Parlement de Paris qui a fait perdre à l’Anglois
la Souueraineté qu’il pretendoit auoir de la Guyenne, en le
condamnant de pur crime de felonie.

Qui a maintenu la Loy Salique contre l’imprudente Declaration
du Roy Charles VI. qui adiugeoit la Couronne de France
aux Anglois.

Qui a declaré nulle la cession que le Roy François premier fit
à l’Empereur Charles V. qui le tenoit prisonnier à Madrit, de la
Duché de Bourgongne, aux droits de la maison d’Orleans sur
le Duché de Milan & au Royaume de Naples & de Sicile, &
rompu, les choses illicites à quoy il s’estoit obligé pour sa deliurance.

C’est le Parlement de Paris qui a reüny la Duché de Bar au
Roy sur le Duc Charles de Lorraine à faute de foy & hõmage.

Qui a resisté aux Papes ennemis de la France, comme à Iules
II. qui approuua l’vsurpation de la Couronne de Nauarre faite

-- 10 --

par Ferdinand Roy de Castille sur nos Roys.

 

Qui a chastié les Legats du sainct Siege qui venoient fulminer
des Interdits contre la France, comme celuy du Pape Boniface
sous le regne du Roy Philippes le Bel.

C’est le Parlement de Paris qui a puissamment deffendu les
droicts de l’Eglise Gallicane contre aucuns du Concile de
Trente qui les vouloient supprimer.

Sous le regne du Roy Henry le Grand & dans le temps de la
Ligue, le Roy d’Espagne fit proposer le mariage de l’Infante
Elizabeth sa fille auec vn Prince de la Maison de Lorraine, à
condition que ce Prince seroit reconnu Roy de France. Le Parlement
de Paris se roidit courageusement contre cette proposition,
& par vn Arrest solennel la rejetta, auec deffense à qui
que ce soit d’y entendre, comme tendante à oster la Couronne
au vray heritier d’icelle & s’emparer ainsi du Royaume.

Apres tant de preuues signalées de la fidelité du Parlement
de Paris, & de leurs iustes procedures pour la conseruation
des droicts de cette Couronne, & chastimens exemplaires
faits en execution de leurs Arrests contre les traistres
à l’Estat, & qui auoient intelligence auec les Ennemis de
la France, & tramé dans leurs conspirations. qui sera si
osé de mettre en auant, comme on a fait, de publier que
dans cette Illustre Compagnie il y en auoit qui conniuoient
auec les Espagnols & autres Ennemis de l’Estat, & que
pour ce sujet on auoit enleué le Roy hors de Paris pour le mettre
en plus grande seureté. Imposture manifeste qui se ruyne
d’elle-mesme, & est condamnée par l’Histoire de France qui a
si dignement escrit de l’integrité inuiolable de cet Auguste Senat,
que cela ferme la bouche à ses Ennemis mesmes & conuainque
les médisans d’imposture.

Il est bien plus à craindre de confier les grandes affaires d’vn
puissant Estat à vn Estranger ignorant aux maximes, aux Loix,
aux Coustumes & aux mœurs des peuples naturels : car outre
la hayne qu’il s’acquiert il doit estre tousiours suspect, non sans
raison, qu’en gouuernant les affaires plus importantes, & cognoissant
les forces ou la foiblesse & les mãquemens de l’Estat,
il ne les fasse cognoistre aux Princes desquels il estoit vassal,
qui estans ou deuenans Ennemys en tirent profit & prennent

-- 11 --

leur auantage pour le troubler y iettant la guerre.

 

Secondement, la pluspart de tels Ministres estrangers estans
ainsi éleuez dans le gouuernement d’vn Estat, ne pensent qu’à
establir leur fortune, ou à s’enrichir d’or & de biens, afin que s’il
arriue quelque disgrace, mécontententement, ou changement,
ils ayent moyen de se retirer & mettre a couuert, ce qui va à la
ruyne d’vn Royaume & de son peuple.

En troisiesme lieu, tels Estrangers ainsi éleuez & protegez
deuiennent ambitieux, superbes & insolens, ce qui cause bien
souuent de grands troubles, procedans de la ialousie que les
Princes, les Grands & les Peuples leur portent, & qui se conuertissent
en de grandes guerres ciuiles, comme nous auons
maintefois veu en France.

Finalement la France, les Princes & les grands Corps de
Noblesse & de Police, feront croire aux Nations voisines, ou
qu’ils manquent de courage de souffrir vn Ministre Estranger
auoir la meilleure part en la conduite des affaires, qui enuoye
les Princes du Sang & les grands Capitaines à la guerre au peril
de leur vie, pour disposer seul & sans contredit du Gouuernement,
ou que nous sommes lasches & stupides, estimans qu’il
n’y a point d’hommes en France qui soient suffisans, capables
& experimentez pour manier les affaires tant de la Paix que de
la Guerre, & que la France se voye reduite à cette honte, pour
ne dire malheur, de faire venir vn Estranger, pour disposer non
seulement des affaires, mais des Finances, & de toute la substãce
du peuple, dont la meilleure partie est tournée à son profit
particulier sans esperance de rien repeter de tout ce qu’il a pris
& enuoyé hors le Royaume, au sceu & à la cognoissance d’vn
chacun sans oser s’en plaindre ? ô honte ! ô lascheté prodigieuse !
iusques à ce que l’insolence a monté iusques à tel excez, que
le Parlement de Paris pour aller au deuant d’vne reuolte generalle,
s’est veu comme obligé d’en prendre cognoissance, & de
proceder contre de tels Ministres, qui abusans de la bonté &
trop grande confiance de leurs Majestez, ont auec vne maudite
pepiniere de Partisans & voleurs espuisé presque toute la
substance du pauure peuple, & l’eussent priué de la vie mesme
si on ne leur eust tendu la main pour les soulager. Et afin de finir
comme i’ay commencé, il faut remarquer qu’il y a certaines

-- 12 --

saisons & rencontres d’affaires esquelles il est du tout necessaire
au Prince de confier vne partie de ses plus hautes & importantes
affaires à peu de gens, comme pour exemple, en vn païs
nouuellement conquis, ou qui ne fait que sortir de trouble :
que les fonctions & coniurations internes auoient excitées, &
ausquelles aucun des principaux membres de l’Estat auoient
trempé, il est certain que le Prince a subiet tres-iuste de ne
point commettre le maniement de ses affaires plus secrettes à
à toutes sortes de personnes, & n’est point tenu de suiure estroitement
toutes les formes que l’on auoit gardées auparauant,
encores qu’il conserue la face de l’Estat, au reste & entretienne
les Corps & les Compagnies qui ont esté establies d’ancienneté.

 

C’est ce que fit Auguste apres les guerres Ciuiles, tenant
pres de soy Agrippe & Mecenas, à qui il faisoit part de ses affaires
plus particulieres concernant sa personne ou son Estat :
en deliberoit auec eux, & quelquefois auec d’autres, & neantmoins
auec cette prudence & circonspection, qu’au mesme
temps non seulement il conseruoit le lustre du Senat, mais mesme
il adioustoit à sa splendeur, les deschargeans de ceux que
le desordre des guerres ciuiles y auoit jetté contre l’honneur de
ce grand Corps.

Que si cela s’obseruoit en France le Roy en seroit beaucoup
mieux seruy, l’Estat mieux policé & conserué, la Iustice maintenuë
en son integrité, le peuple deschargé & soulagé, & le
Royaume puissant pour s’opposer à toutes entreprises ennemies
& estrangeres, au lieu qu’il se void à present à la veille
d’en estre la proye, si le Parlement par sa preuoyance iudicieuse
ny apporte les remedes, que toute la France espere
de luy.

Qui voudroit s’arrester à lire l’Histoire de France & celle
de nos voisins, sçauroit que le trop grand pouuoir que les Souuerains
ont donné à leurs Ministres particuliers à cause des
grandes guerres & grandes ruynes & dommages en leurs Estats,
& puis qu’il est icy question d’vn Cardinal Ministre tel qu’est Iules
Mazarin.

Sous le regne du Roy Louys onziesme estoit le Cardinal
Balue & qui de cousturier auoit esté faict Thresorier

-- 13 --

par le Roy, & de Thresorier Euesque, & depuis auoit obtenu le
Chappeau de Cardinal du Pape Paul deuxiesme, lequel il luy
auoir accordé, partie à la priere du Roy, & partie pour le gagner
& l’empescher qu’il ne luy fit de mauuais offices enuers le
Roy son Maistre, comme auparauant il auoit fait) descouuert
auoir intelligence auec les ennemis du Roy. Lequel à cause de
ce, le fit mettre en prison en la Tour de Loches, où il fut douze
ans, & n’en sortit qu’à la priere du Pape Sixte IV.

 

Le Cardinal du Prat, pour semblables menées du temps du Roy
François I. décheut aussi de faueur & courut pareille fortune, n’ayãt
esté relasché de prison que sur la crainte que le Roy auoit, que le Pape
s’offençast ; il y mourut d’vne retention d’vrine, de laquelle il
fit croire à tous ses Medecins qu’il estoit malade beuuant son vrine,
sans que personne en peust rien decouurir.

Le Cardinal d’Amboise estoit d’vne extraction tres-illustre &
d’vn genereux courage ; Et neantmoins és negotiations d’Italie &
particulierement de Rome, sa qualité & ses interests, luy firent
faire de grandes fautes, & tres preiudiciables aux affaires du Roy
Louys XI. son bon Maistre.

En Angleterre, s’il y eut iamais homme gratifié par son Maistre,
& comble de biens & d’honneurs, ce fut le Cardinal d’York : Il
estoit de fort vile & basse extraction, & n’auoit aucun merite, sinon
qu’il estoit broüillon & remüãt Le Roy d’Angleterre Henry VIII.
du nom(qui s’est autant trauersé soy mesme) qu’aucun autre Prince
creut que c’estoit vn homme tel qu’il luy falloit pour la conduite de
ses plus secretres & importantes affaires, Il auoit esté introduit à sa
Cour par l’Euesque de Vvincestre, & estoit vn de ses Aumosniers :
se voulant seruir de luy en de plus grandes. Il luy donna l’Euesché
de Lincolne, & en suitte l’Euesche d’York : Il le fit aussi Chancellier
d’Angleterre, & luy fit donner vn Chappeau de Cardinal, &
la Commission de Legat du S. Siege au Royaume. Si quelque chose
venoit à vacquer c’estoit pour luy, ou pour les siens : Tous les
Eueschez, outes les bonnes & opulentes Abbayes : Tous les meilleurs
benefices, rien ne luy eschappoit. Le Roy luy faisoit rendre
autant d’honneur qu’à sa propre personne. Il le faisoit seoir à sa table,
il vouloit que ses armes fussent en mesme lieu que les siennes :
bref il le traitoit comme son Compagnon. Tout ce bon ou plustost

-- 14 --

cét excessiuement bon traitement, & tel qu’on n’y pouuoit rien
adiouster, peut-il assouuir cét homme auare & ambitieux, & l’empescher
d’auoir l’œil ailleurs ? Rien de cela, mais tout le contraire.

 

Nous auons veu cela en la personne de Iules Mazarin, depuis
qu’il a esté appellé en France, par le feu Cardinal de Richelieu,
extraict de vil & bas lieu. Lequel par la bonté de la Reyne Regente,
dont il a si fort abusé, ne s’est pas si tost veu eleué à la dignité
de Ministre d’Estat, qu’il a voulu disposer absolument : Non seulement
des plus grandes affaires, mais encores de celle de la
Guerre, & des Finances, ayant rencontré ce qu’il desiroit sçauoir
des hommes accoustumez à voler & ruïner le peuple, & profiter,
non seulement des deniers du Roy, mais de toute la France, sous
pretexte de faire subsister la guerre, & entretenir les armées,
pour plus librement assouuir leur auarice, auec lesquels il a tellement
espuisé toute la substance des peuples que l’on ne void par les
Villes, & les Prouinces que misere, desolation, & ruyne, plus
grandes que si la guerre eust esté allumée au milieu, & aux quatres
coins du Royaume.

Mais son ambition a bien passé plus auant : car ne se contentant
point du gouuernement absolu de tout l’Estat ; d’estre logé prés le
Palais Royal, a fin que la mesme Garde de sa Majesté, fut celle de
son Palais, & d’auoir vne porte au derriere du Iardin, pour passer à
toutes heures ; & à couuert de sa maison en celle du Roy, il voulut
estre logé dans le mesme Palais Royal, pretextant cette sienne ambition
excessiue, de la charge qu’il se fit donner par la Reyne de
Surintendant conuerneur de la persõne du Roy, pour auoir moyen
de disposer absolument des volontez de leurs Maiestez, comme il
fait : Et qui conferre, & oste toutes les charges de la guerre, & de
l’Estat, ainsi qu’il luy plaist, pour y substituer des Italiens, & des
personnes qui caballent auec luy : & pour ce qui concerne les dignitez,
& les benefices Ecclesiastiques de la France, il les distribuë
à ses confidens, & retient les meilleurs, & les plus riches
Abbayes pour luy, obligeant ceux qui les possedent par merite
de s’en demettre, afin de ne ressentir les effets de sa disgrace, &
de la vengeance ordinaire d’vn cœur ambitieux. Il fait le mesme
des Officiers des Maisons du Roy, & de la Reine, qu’il change,

-- 15 --

& chasse, pour y mettre de ses creatures : Afin que leurs Maiestez
ne soient libres en leurs actions, & ayent de telles gens,
pour prendre garde à ceux qui les approchent, & qui ont l’honneur
d’estre pres leurs personnes.

 

L’Espagne nous fournit d’vn autre exemple de Iules Mazarin,
D. Pere François de Ximenés de Cisneros, personne de mediocre
maison : encores qu’aucuns escriuent qu’il estoit Gentilhomme.
Il se rendit Religieux de l’Obseruance de S. François, & en
tel estat il fut recogneu pour habile homme, par le Cardinal Mendoce
Archeuesque de Tolede, lequel estant malade le choisit,
pour luy succeder en son Archeuesché, eslection qui fut approuuée
par les Rois Dom Ferdinand & Isabelle. Il estoit fils de Tordelaguna,
nommé Alphonse Ximenés, apres ses estudes il fit
paroistre l’excellence de son esprit, & comme Confesseur de la
Reine, il demeura à la Cour, où il entra en faueur & credit par
dessus le reste des Courtisans.

Apres la mort de la Reyne D. Isabelle. il entra au seruice du
Roy D. Ferdinand son mary, qui luy obtint du Pape Iules II. vn
chapeau de Cardinal, & estant monté aux grandes dignitez,
tant de l’Eglise que de l’Estat, il monstra par ses desportemens
plus d’ambition que de prudence & de retenuë : car durant le bas
âge de Dom Charles fils aisné de Dom Philippe premier du
nom Roy d’Espagne, & de Dom Ieanne le Cardinal Ximenés
en l’absence du Prince Charles qui estoit en Flandres, ayant toute
l’administration & Souueraineté d’Espagne, il se rendit insupportable
enuers les grands & les petits : De sorte que cõme absolu
il se faisoit craindre & obeïr, n’y ayant aucun qui osast contreuenir
à ce qu’il vouloit, iusques à ce que les Espagnols lassez
de son administration voulans auoir leur Roy, crioyent hautement
qu’ils se reuolteroient. Ce que considerant le sieur de Cheves
Gouuerneur du Roy, & le peril de voir l’Espagne pleine de
reuoltes & de seditions contre ce Cardinal, il conseilla au ieune
Roy Charles d’enuoyer en Espagne vn autre Gouuerneur : & par
son Conseil y fut enuoyé le sieur de Laxaus, auquel fut donné
le troisiesme lieu au Gouuernement de l’Estat, auec les Cardinaux
Ximenés & Adrian, il fut receu auec grand contentement
& commun consentement de tout le peuple. Ce qui ne fut pas

-- 16 --

sans mettre bien auant la ialousie en la teste du Cardinal Ximenés,
qui ne voulant auoir de compagnon, ne luy voulut rien ceder,
desirant tenir tousiours le premier lieu dans le maniement
des affaires, ainsi qu’il leur fit paroistre. Car vn iour ledit sieur
de Laxaus & le Cardinal Adrian ayans signé quelques despesches,
& laissé placeau Cardinal Ximenés pour signer, en les luy
presentant, il les mit en pieces, & en fit refaire d’autres, qu’il signa
seul, sans permettre que les autres les signassent.

 

En ce mesme temps l’Empereur Maximilian arriua à Bruxelles,
sous pretexte de conferer auec le Roy Charles sur son voyage
en Espagne, ce qui mit le Cardinal Ximenés en grande peine,
craignant que cette Conference reüssist à son prejudice, & que ce
fut pour enuoyer l’Empereur Maximilian commander en Espagne
en l’absence du Roy. Mais les Espagnols voyans que cette
entreueuë duroit trop long temps à leur gré, & que le Roy ne
parloit point de venir en Espagne, firent de grandes plaintes, disans
que l’Espagne estoit entre les mains des Flamans, & que
tous les grands tresors que le Cardinal Ximenés auoit accumulez
estoient pour assouuir son auarice. Et sur cela ils firent plusieurs
assemblées pour y remedier ; & par Decret public, ils ordonnerent,
que le Roy estant en Espagne n’auroit puissance de
conferer aucun Office, Charge ni Estat du Royaume aux Estrangers.
Tout cela fut suiuy de plusieurs libelles diffamatoires &
iniurieux contre ledit Cardinal.

En outre tout les Grands d’Espagne se resolurent de ne plus
luy obeïr, lequel(comme Viceroy en l’absence du Roy) fut si temeraire
que de se vouloir vanger d’eux, & les contraindre de luy
obeïr, leur disant ; Qu’il auoit le pouuoir de faire executer les volontez
du Roy contre qui que ce soit, Et voicy ce qu’il fit ; C’est
qu’apprehendant que l’Infant Dom Ferdinand, par le conseil de
ceux qui le gouuernoient, allast en Arragon, pour s’en faire Roy ;
ce qui luy eut reüssi à cause de l’extreme affection que les Arragonois
luy portoient. Pour preuenir ce coup, le Cardinal fit chasser
tous ceux en qui ce Prince se confioit dauantage, & changea
tous les Officiers de sa Maison, & principalement Dom Pedro
Nugnez de Guziman son Gouuerneur, & Dom Aluaro Osorio
Euesque d’Astorega son Precepteur, sõ premier & plus particulier

-- 17 --

Conseiller : Ce qui desplut grandement à l’Infant, & vsa de menaces
enuers ce Cardinal. Car comme il disposoit de tout l’Estat,
il sceut tellement faire aggreer au Roy Charles, qui estoit en
Flandre, ce qu’il auoit fait par ses raisons artificieuses, qu’il fut
mandé à l’Infant d’en donner aucun empeschement aux intentions
de ce Cardinal, puis qu’elles estoient conformes à la volonté
du Roy.

 

Enfin le Roy Charles estant arriué en Espagne accompagné
de la Reine Leonor de Portugal sa sœur, le Cardinal Ximenés
l’alla trouuer en chemin, & luy conseilla d’aller tout droit en
Castille. Ce qui ne plut point aux Flamans, qui retenans assez
long-temps sa Majesté, desiroient qu’il allast premierement en
Arragon auant que d’entrer en Castille. Le Cardinal persistant
en sa premiere resolution d’esloigner l’Infant, escriuit au Roy,
luy remonstrant le danger qu’il y auoit de suiure ce Conseil à aller
en Arragon : & qu’il eust à enuoyer au plustost l’Infant son
frere à l’Empereur Maximilian, leur ayeul en Allemagne. Voulant
aussi éloigner d’aupres du Roy tous ceux qu’il voyoit nuire
à ses desseins violens, & l’empescher de gouuerner sur les personnes
du Roy & son Estat. C’est l’eutraict de l’Histoire de ce
Cardinal, choisi pour faire connoistre la sympathie qu’il y a entre
le Cardinal Ximenés & Iules Mazarin : lequel venu de parensignobles,
fut par le defunct Cardinal de Richelieu, tiré d’Italie
en France, & le presenta au defunct Roy Louïs XIII. d’heureuse
memoire, comme personne capable de le seruir, pour estre
fait aux intrigues de Rome & de toute l’Italie, non point à la politique
de laquelle il est ignorant : cét esprit estant en France, se
nourrit & se fit aux maximes ambitieuses du Cardinal de Richelieu,
& se conforma à ses artifices : & comme il luy succeda au maniement
des affaires, il fit le mesme à ses premiers desseins.

Apres la mort du defunct Roy (luy ayant esté auparauant
recommendé par son successeur) la Reine se voyant Regente,
se laissa persuader d’auoir vn homme suffisant pour la soulager
en la conduite d’vn grand Estat tel qu’est celuy de France : sa
bonté luy fit oublier les mauuais traittemens que le Cardinal de
Richelieu luy auoit faits, & que Iules Mazarin estoit vn instrument
de ses maximes qu’il laissoit à la France, & que disciple d’vn

-- 18 --

tel maistre, ne pouuoit faire qu’il ne continuast ses mesmes desseins
de continuer & troubler : Sa Maiesté n’en fit point ce iugement :
car elle le croyoit porté à la paix, & qu’en la procurant à toute la
Chrestienté, il seconderoit ses bonnes intentions. Mais comme il
sçauoit les moyens desquels le Cardinal de Richelieu s’estoit seruy
pour s’enrichir & se rendre absolu & redoutable ; sçauoir ceux d’auoir
de l’argent par la continuation de la guerre, il a sceu tres-bien
l’imiter en cela, non point en ses maximes politiques, qui regardent
le gouuernement, & preuoir les dangers qui exposent vn
Estat en proye à ses ennemis, c’est vne leçon qu’il n’auoit point
apprise ; mais seulement celle de l’auarice, des plaisirs, des festins, &
des jeux, en espuisant la France de finances, & de moyens de
subsister, ayant enleué les millions d’or pour s’enrichir & entretenir
ses intelligences auec les Estrangers à la ruine de l’Estat.

 

Les personnes ainsi choisies & appellées aux charges eminentes
à la Cour des Rois, & venans de bas lieu, deuroient principalement
prendre garde de plus prés à toutes ces choses. Que si la
volonté des Maistres qu’ils seruent en la dignité de leur charge,
les excite d’en vser autrement ; ce seroit prudence à eux de monstrer
qu’ils n’y sont volontairement portez. En cela le Cardinal
Ximenés au commencement de sa fortune se porta tres-bien : car
il fit voir sa modestie au refus qu’il fit d’accepter la dignité d’Archeuesque
de Tolede ; iugeant que s’il le faisoit, il attireroit sur
luy l’enuie de tous les Grands du Royaume, sous le faix de laquelle
il succomberoit : de façon que pour s’asseurer de ce costé-là,
la Reine D. Ieanne fut contrainte de le faire prier par tous les
Grande de sa Cour d’accepter cette charge ; ce qu’il fit enfin apres
plusieurs refus : mais il demeura quelque temps sans vouloir croistre
ni son train ni sa despense quelque remonstrance qu’on luy
fist-que cette dignité requeroit qu’il changeast de façon de viure,
& fallut que l’authorité & le commandement expres du Pape y
interuint, auquel en fin il obeït, & ainsi il éuita l’enuie d’vne grande
dignité desirée de tous les Grands d’Espagne, & du fast d’vne
despense qui égaloit, voire surmontoit celle des Princes.

Le Cardinal Mazarin ne s’est point miré sur cette forme de
proceder au chemin des grandeurs. Le Cardinal Ximenés ; au
contraire non seulement il obeït aux volontez de la Reine, qui le

-- 19 --

vouloit faire premier Ministre d’Estat ; Mas il employa tous ses
soins & toute son industrie pour monter à cette eminente charge,
de laquelle il estoit indigne : & y estant instalé il commença à
tailler du Souuerain dans les affaires, & dans la distribution des
charges, comme de celle de Gouuerneur de la personne du Roy,
dont il se donna la surintendance, & voulut auoir sous luy le Mareschal
de Villeroy, & les sieurs de Sainct Estienne & du Mont,
creatures du defunct Cardinal de Richelieu, pour n’auoir d’autre
Palais que celuy du Roy, il cassa la plus belle & fidele compagnie
de sa Maiesté, celle de ses Mousquetaires à cheual, & appella pour
la sienne cinquante Gentils hommes, & cent hommes de caualerie
pour plus grande ostentation de son ambition excessiue.

 

La deuxiesme chose en quoy il imita le Cardinal Ximenés
fut en la conduite des affaires, & au gouuernement dont il vouloit
estre Souuerain. Il a fait le mesme ; car sans se seruir d’autres
conseils que des siens, il a voulu nourir la guerre, que son deuancier
auoit allumée dans la Chrestienté, & en faire d’autres nouuelles
& irraisonnables, si les Princes du Sang ne s’y fussent opposez,
tant pour s’agrandir en Italie, que pour s’enrichir de tant
de millions, que luy & ses Partisans ont tiré en France : afin de
disposer luy seul des affaires il enuoya Messieurs les Duc d’Orleans
& le Prince de Condé à la guerre hors de France, à dessein
de ne mettre des obstacles aux conseils qu’il acueilloit, pour accroistre
son credit & son authorité partout.

Le Cardinal Ximenés changea la Maison de l’Insant Dom
Ferdinand, pour y mettre des Officiers à sa deuotion, & éloigner
sa personne, afin de gouuerner & ordonner des affaires à sa volonté,
sans empeschement : C’est ce qu’a fait le Cardinal Mazarin,
enuoyant Monsieur le Duc d’Orleans à la guerre de Flandres,
& Monsieur le Duc d’Anguyen, à present Prince de Condé, en
Allemagne, & le Comte d’Harcour en Catalogne, & tout ce
qu’il y auoit de genereux courages en Italie & ailleurs, afin que
nul d’eux ne trauersast ses desseins, n’ayant pour confident que
des Partisans, sangsuës du peuple, a fin que par leurs partis il eust
moyen de tirer le dernier teston de France : Il fit ce qu’il pust
pour oster d’aupres les Princes leurs plus chers Conseillers &
ruiteurs, & iusques aux Princesses, desquelles il fit éloigner

-- 20 --

de ceux qu’il croyoit luy estre suspects, afin de disposer des vns &
des autres à son plaisir, & y en mettre d’autres faits de sa main.

 

Le Cardinal Ximenés estoit loüable en cecy. C’est qu’apres
la mort de la Reine D. Isabel, cette Princesse l’ayant recommandé
au Roy Dom Ferdinand, il luy rendit de grands seruices en la
pacification des troubles suscites par les Grands de Castille, qui
par ses aduis & conseils, furent appaisez, & la guerre concluë contre
les Maures d’Afrique. Le Cardinal Mazarin au contraire
apres la mort du defunct Roy Louïs XIII. d’heureuse memoire,
la Reine Regente luy ayant mis en main la disposition des plus
importantes affaires, au lieu de luy donner des conseils de paix &
de seconder, ou plustost fortifier les bons desseins que sa Maiesté
auoit de faire iouyr la Chrestienté d’vn solide repos, il ne luy inspiroit
que des conseils de guerre, songeant plus à profiter des troubles
qu’à faire la paix, qui luy osteroit les pretextes & les moyeus
de faire de grands amas d’or & d’argent, & n’a tenu qu’à luy seul
que la paix generale n’ait esté concluë fort auantageusement pour
la France, se souciant peu du repos de la Chrestienté, pourueu qu’il
puisse tousiours trouuer dequoy assouuir son auarice insatiable,
aimant mieux voir les Chrestiens se ruiner dans leurs guerres ciuiles,
que de penser aux moyens de liberer l’Empire Chrestien des
troubles que les Turcs y nourrissent, pour profiter de nos querelles
& dissentions particulieres.

Le Cardinal Ximenés prit ombrage de l’entreueuë de l’Empereur
Maximilian auec le Roy Charles à Bruxelles : mais son
voyage en Espagne, rompit ce coup. Ce qui fut cause que les Espagnols
voyans que le Roy ne parloit plus de venir en Espagne,
s’esleuerent & crierent hautement, que ce Cardinal ne desiroit
pas sa venuë, & que l’Espagne durant son absence estoit entre les
mains des Flamans. C’est ce que nous auons veu en France depuis
six mois que le Cardinal Mazarin a enleué par deux fois le Roy
de sa bonne ville de Paris, pour le gouuerner comme il voudroit, &
mettre la France entre les mains des Italiens, dont il remplissoit
les Charges & les Offices non seulement de la Maison du Roy &
de la Reine ; mais aussi ceux des armées, ayant quantité de Regimens
d’Estrangers qu’il y entretenoit, & d’autres gens de guerre,
dont il vouloit remplir les gardes de sa Maiesté, & en éloigner les

-- 21 --

François. Ce mauuais mesnage ayant resueillé les Cours Souueraines
de France, notamment le Parlement de Paris, ayant pour
luy les voix & les cœurs de toute la France, c’est porté auec courage
aux resolutions pressantes d’aller au deuant de la ruine entiere
de l’Estat & des Princes, & des mauuais desseins de ce Cardinal,
en maintenant neantmoins leur fidelité inuiolable enuers le Roy
nostre vnique & legitime Monarque, faisant connoistre à tous les
impostures meschantes de Iules Mazarin, qu’il a fait semer par
des libelles sans nom depuis quelques iours en diuers lieux de
Paris par le Cheualier de la Valette, pour descrier les loüables,
sainctes & iustes intentions de cette auguste Compagnie ; & par
mesme moyen faire sousleuer le peuple contr’elle, qui est le premier
dessein de ce Cardinal auec celuy de faire inuestir la ville
de Paris auec quantité de gens de guerre François & Estrangers,
qu’il a fait venir de Flandres, & fait mettre aux lieux & passages de
cette grande ville, pour luy empescher l’arriuée des viures, & de
contraindre la populace affamée de courir sus au Parlement, & de
faire vn cruel massacre de ses habitans. Mais, graces à Dieu, de ce
ce que iusques à present on a veu qu’il n’y a si petit dans Paris,
quoy qu’incommodé de la cherté des viures, qui ne louë ces Venerables
Testes, & qui ne soit prest d’espandre son sang pour leur
fense, puis qu’on le reconnoist n’auoir autre plus chere intention
que de faire valoir l’authorité du Roy, maintenir cét Estat, & faire
rendre à sa Maiesté ce seruice naturel que tout bon subiet doit à
son Prince legitime, & sans autre interest que de viure & mourir
dans son obeyssance ; & d’oster d’autour de sa personne sacrée
toutes ces guespes pestillentielles, qui ne bourdonnent à ses oreilles,
qu’interdictions, proscriptions, supplices, & mort des gens de
bien, que de mettre toute la France en proye aux Estrangers, &
exposer ses peuples aux abois, & dans vne extreme misere : & au
lieu de ce meschant Conseiller, appeller prés d’elle des hommes
exempts de tous interests & passion, que de bien seruir sa Maiesté,
nourrir la paix entre ses subiets, rendre la iustice à tous, & de veiller
sur tous ceux qui ne cherchent qu’à troubler le repos public, &
à continuer la guerre, pour s’enrichir de la misere de tant de pauures
familles ruinées par tels voleurs. Ce sont ces sages Argus à
cent yeux, qui doiuent estre les vrais Conseillers de nos Rois, qui

-- 22 --

sçauent preuenir les choses qui pourroient donner eschet à la gloire de
cette Couronne : chastier les meschans, mettre les bons dans l’estime, &
reietter les pernicieux conseils, qui tendent à la ruine de tout l’Estat. Et
le Conseil d’Estat estant composé de tels Catons & de Nestors, on verroit
à la Cour la vertu reprendre son lustre, le vice banny ; & ceux qui
portent la marque de Noblesse deuenir des Lycurges, des Themistocles
& des Epaminondes, aussi vaillans de l’espée qu’eloquens de la langue,
pour la defense de toute la France.

 

Le peuple impatient lors qu’on n’execute si promptement ce qu’il desire,
s’est souuent plaint des longueurs que le Parlement apportoit aux
remedes necessaires du temps, sans considerer que le premier Mobile ne
se conduit pas par les mouuemens des Cercles inferieurs, mais ceux-là
par le sien. Ainsi le Parlement, qui est le premier Mobile de la prudence,
ne se laisse point emporter par les agitations d’vn peuple inconstant,
qui doit receuoir la forme de sa conduite de ce premier Moteur, a
sceu sagement peser & digerer toutes les difficultez qui se presentoient :
en telles rencontres d’affaires, où il y alloit de faire valoir l’authorité du
Roy, sans y laisser chose qui y pust donner eschec, & maintenir le peuple
dans la retenuë, sans luy donner suiet de prendre la sedition pour le plus
mauuais conseil ; & ainsi ç’a esté vne grande prudence au Parlement
d’auoir arresté ces torrens grondans par la digue d’vne retenuë loüable,
sans pour cela n’auoir rien oublié de ce qui concernoit la seureté de la
ville de Paris, & de preuenir vn plus grand mal, qui eust peu arriuer par
les gens de guerre qui la tenoient comme inuestie de tous costez, attendant
qu’il plust à Dieu toucher les cœurs de leurs Maiestez & les porter à
redonner le repos à leur bonne ville de Paris ; ce qu’il a fait ; & à ce suiet
s’est seruy du mesme Parlement, pour par ses humbles remonstrances
amener la Reine à consentir vne Conference indiquée au Bourg de
Ruel, pour y choisir les moyens plus raisonnables d’appaiser ces apparances
d’vn plus grand trouble, à quoy les Deputez trauaillent auec les
Princes du Sang & les Ministres.

-- 23 --

Section précédent(e)


Anonyme [1649], APOLOGIE CVRIEVSE POVR LES IVSTES PROCEDVRES DV PARLEMENT DE PARIS Iusques au iour de la Conference. Et pour seruir de suppléement aux Motifs veritables. , françaisRéférence RIM : M0_99. Cote locale : A_2_1.