Anonyme [1649], APOLOGIE OV DEFFENCE DV CARDINAL MAZARIN. TRADVITE OV IMITEE DE l’Italien de L. , françaisRéférence RIM : M0_117. Cote locale : A_2_5.
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APOLOGIE OV DEFFENCE DV
Cardinal Mazarin, traduite ou imitée de
l’Italien de L.

CE n’est pas d’auiourd’huy que le vice aussi bien que la vertu
paressant dans vn supreme degré, attire la hayne & l’enuie
des personnes inferieures : Ce n’est pas d’auiourd’huy que la
tyrannie ou le gouuernement absolu que l’on veut maintenir
sur les peuples, a souffert des obstacles & de la contradiction,
& ie n’ay pas si peu leu les Histoires, quoy que ie sois assez ignorant, pour
n’auoir pas remarqué des exemples qui ne m’asseurent que trop de cette
verité. La brutalité de Tarquin, & l’insolence de Sejan chez les Romains,
le Connestable de Lune chez les Espagnols, & le Mareschal d’Ancre, sur
lequel i’ay pris mon Prototype, dont la catastrophe est encore toute recente,
m’ont fait si sçauant dans cette matiere, qu’à l’exemple des pierres
qui retombent en terre auec precipitation, apres auoir esté quelque temps
éleuées en l’air par vne puissance accidentelle ; Ie tiens pour asseuré, que
puisque la vertu est le plus souuent persecutée, le vice à plus forte raison
n’ayant que de foibles fondemens ne peut pas long-temps subsister, & doit
necessairement estre accablé sous ses propres ruines. Il est vray que connoissant
à peine mon origine pour sa bassesse, ie me suis quelque temps admiré
moy-mesme sur ce theatre releué, où les yeux ne peuuent esleuer leurs
regards sans en estre ébloüis en quelque façon, mais cõme ceux qui ne sont
pas accoustumez à monter sur les eschaffaux de quelque bastiment, se troublent
aussi-tost qu’ils regardent la terre, i’ay tousiours apprehendé ma
cheute dés le point de mon éleuation miraculeuse, & si ce n’estoit que ie
me suis attaché fortement à la plus solide colomne de la France, que ie n’abandonneray
iamais si ie puis, i’aurois desia contenté la curiosité de toute
l’Europe, qui souhaitte passionnement ma decadence.

Cette haine estant causée par les raisons que i’ay deduites ne me peut apporter
aucun estonnement, mais ie ne sçaurois m’imaginer comme elle a
porté les esprits à vomir tant d’iniures, & controuuer tant de sanglantes
calomnies contre vne personne qui n’a iamais eu dessein d’en estre si mal
traitté, & qui ne croit pas en auoir donné de subjet. Ie ne vois tous les
iours que des Satyres & des Libelles diffamatoires contre la conduite de
mon Ministere, qui passent pour des veritez dans l’esprit des plus iudicieux,
les plus hommes de bien, & les moins mesdisans ont mes maximes en
execration, par le deffaut que i’ay fait iusques à present de me iustifier &
me purger des accusations de mes ennemis, ayant ouy dire à quelque Latins
cette sentence,qui tacet consentire videtur,que si i’ay differé iusques à
present mon Apologie, ce n’est pas que i’aye manqué de raisons à ma mode,

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mais comme ie n’ay iamais eu aucune teinture des bonnes lettres, i’ay
tousiours apprehendé de perdre en mettant mon ignorance au iour cette
reputation d’esprit, dont ma bonne fortune auoit pipé les opinions du
vulgaire.

 

Enfin me sentant tous les iours picqué iusques au sang, i’ay creu qu’à
moins que de crier l’on adioust eroit la qualité de ladre à toutes mes autres
Epithetes : Et comme vne boule à trauers d’vn ieu de quilles, ie me
suis emancipé sans considerer dauantage de raporter à quelque ordre
les principaux chefs, des accusations de mes aduersaires, pour les renuerser
en suitte par de meilleures repliques que mon esprit pourra fournir à
mon innocence.

Bien que ces inuectiues & ces reproches soient en si grand nombre,
que ie pourrois estre accablé sous le faix des volumes qui les contiennent
les plus considerables toutefois attaquent ma Patrie, mon extraction, ma
naissance, mon education, les actions de ma ieunesse, mon introduction
dans la France, & la conduite de mon Ministere, à toutes lesquelles ie
pretens repondre en particulier, & l’vn apres l’autre,

Ie ne sçay dequoy ceux qui m’accusent d’estre Espagnol, peuuent appuyer
leur calomnie, veu que l’on sçait que la Scicile, où i’ay receu le
iour, n’est tout au plus que la moindre lisiere de l’Espagne, & quand mesme
les Sciciliens seroient necessairement Espagnols, ie pourrois estre
excepté de cette regle generalle, puis que ie n’ayme point l’ougnon, qui
fait les délices des plus frians de cette Nation.

Quelques-vns en me disant fils d’vn Chapellier, d’autres d’vn vendeur
de Chapellets & d’Almanacs, & la plus part d’vn Marchand banqueroutier
& cessionnaire, pretendent de me faire vne iniure irreparable, mais
quand ie serois obligé de ma naissance à quelqu’vne de ces illustres personnes,
ou quand mesme i’aurois autant de peres qu’il y a d’opinions differentes
sur ce sujet, se doit-on estonner, ou plutost ne doit-on pas tenir
pour vne maxime naturelle que pour faire vn grand homme il faut que
beaucoup de petits y contribuent, & que deuant estre vn second colosse
du Soleil, il falloit quantité d’artisans & d’ouuriers pour me former &
m’esleuer en vn estat si releué.

C’est ce qu’auoit siguré bien auparauant la mort eminente d’vn de mes
ancestres, qui souffrant persecutiõ pour la iustice, escalada le Ciel, & fit son
tombeau d’vne potence : il auoit peut-estre entẽdu dire que l’iniquité des
peres estoit punie sur les enfans iusques à la troisiesme generation, c’est ce
qui le fit resoudre d’expier quelques crimes legers par ce genre de supplice,
de peur que n’estant desia que trop chargé de mes debtes, ie ne fusse
encore obligé de satisfaire pour luy. Cette action me semble si genereuse
que bien qu’il ont este Palefrenier & voleur domestique, ma genealogie
n’en peut estre que tres honorée.

Mais qu’est-il besoin de deterrer les morts pour tirer des auantages de
la bassesse de mon extraction, qu’est il besoin d’épiloguer toutes les actions

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de leur vie, comme si la mienne ne pouuoit pas fournir assez de matiere à
la mesdisance, qu’il suffise de dire que tous les reproches que l’on peur
faire à leur memoire, sont les meilleures pieces de ma iustification, & que
si leurs crimes sont auerez, les miens doiuent estre excusables, estant
formé du mesme sang qui m’a laissé des inclinations toutes semblables.

 

Venons à mon education, dans laquelle si i’ay fait quelque faute de
celles dont on m’accuse, elle doit estre imputée à mes parens, qui deuoiẽt
auoir le soin de me corriger dans cét aage, où ie n’auois encore aucun vsage
de raison, puis que c’est à grand peine que ie le possede à present, il
seroit donc ridicule de me taxer de ces pitits tours d’enfance, mes parens
m’en ont assez donné le foüet, du moins il me souuient fort bien que l’on
a troussé le derriere de ma robbe quantité de fois.

Mais aussi tost que mon aage me permit de connoistre le mal d’auec le
bien, afin de n’estre plus sujet à ces corrections paternelles, ie sortis du
lieu de ma naissance & passay dans l’Italie, pour m’instruire dans l’vn &
dans l’autre. L’on a pû iuger les admirables progrez que ie fis en cette fameuse
escolle, par les actions que i’ay produites du depuis, & si mes accuseurs
veulent dire que ie n’appris que le mal, & que ie n’ay iamais pratiqué
le bien, d’où viennent donc tous les tresors, les palais & les villes
entieres que ie me suis acquis, qu’ils disent plutost que ie suis l’homme de
plus de bien qui soit dans toute l’Europe, & que ces autres mesdisans qui
mettent au iour les honteuses prostitutions que ie ne puis auoir faite
qu’en cachette, pour en amasser vne partie, voyent auparauant s’ils en
sont suffisamment informez, mais comment pourrois ils le sçauoir, puis
que i’oseray bien iurer que ie n’en ay rien veu moy-mesme, qui le doit
sçauoir mieux que personne.

Si i’ay seruy d’Estafier, & si i’ay passé dans toutes les conditions basses
& seruiles chez les Cardinaux & les Prelats, peut-on trouuer mauuais
qu’aspirant à ce mestier Illustre, i’en aye fait auparauant l’apprentissage,
puis que cette maxime est si commune, qu’il faut estre valet auant que
d’estre Maistre, & que l’on ne sçauroit bien commander si l’on ne sçait
parfaitement obeïr.

Ces jeux de hazards, ces bals, farces & mommeries, ausquels ie me suis
rendu tres-expert n’ont esté, que les instrumens pour attraper les dupes &
les faire sages à leurs dépẽs, & ie croy qu’il n’y a pas vn de ceux de qui i’ay
tiré quelque substance qui ne m’ayt de l’obligation pour l’auoir rendu plus
raffiné en les rendant plus indigent. Mais quitõs ces bagatelles pour parler
de mes grãdes actiõs, dont la premiere peut effacer toutes les autres, & fermer
la bouche à tous les Satyriques, cette fameuse paix de Casal que mon
esprit déploye tous ses artifices & ses moyẽs : n’est-elle pas capable d’étonner
la posterité, les courses que ie sis de part & d’autre auec tant de peine &
de fatigues, les pourparlers adrets, les zeles dissimulés pour tous les deux
partys, les bonadies, les reuerẽnces & les complimens, & tous les autres
moyens que i’employay pour en venir à bout, ont-ils merité d’estre si
si mal reconnus, qu’au lieu d’en tirer des celebres loüanges, il faut que i’entende

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des mesdisans qui font passer cet accommodement pour vne Paix
sourée qui n’estant qu’à mon auantage, fut à la ruyne de tous les deux
partys, il est vray qu’estant plus obligé de procurer mon interest que de
pas vn autre, i’ay pratiqué cette maxime en cette occasion ; mais si ie sçay
l’auantage de la Victoire aux François, qui leur estoit tres-asseurée, i’empesché
les conquestes qu’ils eussent pû faire ensuite dans l’Italie, qui leur
a tousiours esté funeste, ie palliay la honte des Espagnols d’vn specieux
pretexte, & leur fis abandonner leurs pretentions à raison de l’amitié
que ie porte à ma Patrie & la Duché de Mantoue demeura ruinée sans aucune
resources, dans la crainte imaginaire de l’estre encor dauantage : Enfin
n’estoit-ce pas vne adresse admirable, quand mesme i’aurois fait tort à tous
les partys, de leur faire croire que leurs interests estoient entierement
conseruez, il n’importe pourueu que l’on en vienne à bout.Dolus an virtus
quis in [1 mot ill.] requirat.

 

Ce coup d’Estat me fit le passage dans la France, & dans l’esprit du Cardinal
de Richelieu ; ce grand homme de qui l’approbation peut seruir de
bouclier contre la mesdisance, fit eslection de mon Genie pour s’en seruir
dans ses plus secrettes intrigues, sans que l’on ayt pû discuter durant quelques
années, si les principaux succez des affaires de la France se sont faits
par ses ordres ou par le mien, pendant le temps de son ministere.

Ie ne puis pas oster l’opinion que l’on a conceuë, que ie suis l’Autheur
de tous les maux & les miseres qui luy ont acquis, la haine generale de tous
les peuples, & que ie n’ayt esté que le partysan de ses mauuaises actions,
sans participer aux beaux desseins qui la fait quelquesfois reüssir : Mais ne
pouuois-je pas tout hazarder, puis qu’il n’y alloit rien du mien, & quelle
risque pouuois-je courir en le faisant hayr du peuple pour son tyrannique
Gouuernement, qui s’accoustumant petit à petit à souffrir, deuoit estre par
ce moyen plus disposé de patienter les violences de mon Ministere.

Sonescarlate estoit d’vne si bonne teinture, qu’à force de me frotter contr’elle
ma Soutane en prit la couleur, & mon Chapeau rougit de honte de
me voir esleué par son moyen dans cet Eminente splendeur, que ie n’aurois
osé iamais esperer ; en effet, i’aduouë que cette haute faueur estoit
bien au dessus de mes merites : Ie fus donc fait Cardinal moy indigne, &
dés aussi-tost mon extrauagance me fit croire que rien ne m’estoit impossible,
sa mort fortifia cette creãce apres m’auoir laissé en bonne posture dans
l’Esprit du feu Roy, à qui ie persuaday facilement par mes adrettes complaisances,
qu’il n’auoit rien perdu au chãge qu’il auoit fait ; mais comme i’auois
quelque peine à posseder entierement son Esprit, la maladie qui l’emporta
bien-tost apres, & que quelques malicieux ont osé dire que i’auois
auancée, me laissa tout à fait absolu. La bonté de la Reyne crut que ie la pouuoit
beaucoup soulager dans sa Regence, & me laissa sans contredit exercer
le Gouuernement, quelques-vns l’approuuerent d’abord, mais la pluspart
en formerent des plaintes qui ne furent point escoutées : Il est vray
qu’elles estoient iniustes, & l’on ne me pouuoit accuser de violence ; puisque
ie ne suiuois que les ordres que m’auoit laissez le deffunt Cardinal, que si

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pour les auoir mal interpretés, i’ay fait quelque qui pro quo, c’est plustost
par ignorance que par malice.

 

Les exemples de sa conduite m’inuiterent à son imitation, de m’asseurer
de la personne de Monsieur de Beau-fort, dont la vertu me portoit ombre,
l’on sçait bien les motifs qui me pousserent à cette action, que ie fis assez
timidement, mais pour fermer la bouche à ceux qui l’ont blasmée, n’ont-ils
pas reconnu depuis que ie leur ay conserué par ce moyen cet Heros dans
vn temps, ou sa generosité l’auroit infailliblement fait perir dans les occasions
de la guerre.

Tout le peuple de la France se plaint generalement, de la continuë d’vne
guerre fascheuse, qui les a mis dans vn estat desplorable, & qui les menace
encor tous les iours d’vne ruyne totale, l’on n’entẽd que les cris des Prouinces
desolées, qui me reprochent d’auoir empesché la conclusion de la
Paix, lors qu’ils la pouuoient auoir tres-auantageuse, que les Plenipotentiaires
que i’auois Deputez à Monster n’ont fait qu’abuser le tapis, par ce
qu’ils estoient retenus par mes ordres, & qu’enfin ie fomente les occasions
de l’esloigner tousiours, afin de pescher en eau trouble, & continuer sous
ces pretextes les violences de ma tyrannie ; Ces reproches à la verité ont
quelque apparence de raison, mais ces importuns ne considerent pas que
cette vie n’est qu’vn cõbat perpetuel, & que c’est vne folie de pretendre d’y
trouuer du repos, que ie ne leur puis accorder cette Paix, sans entreprendre
sur la Diuinité, & que c’est vne piece dont sa liberalité seule nous peut faire
present, outre qu’en continuant le diuorce de la France & de l’Espagne, ie
me purge euidemment de la tache d’estre Espagnol, dont i’ay tant de peine
à me lauer.

Quelques autres souffriroient disent-ils la guerre, si les conquestes de nos
armes augmentoient la gloire & l’estenduë de cet Estat ; Mais qu’au lieu de
nous signaler par de nouuelles victoires, nous perdons de iour en iour les auantages,
que nous nous estiõs si glorieusement acquis, que l’occasion des
affaires de Naples si mal mesnagee, les deffaictes en Catalogne, comme
souffertes à dessein, les villes d’Armentieres, Courtray & Landrecy, si laschement
abandonnées, & tant d’Armees florissante mal-heureusement déperies
me conuainquent necessairement, ou d’intelligence auec nos ennemis,
ou d’ignorance dans la conduite des affaires, i’aduouë quelles ont
changé deface depuis deux ou trois ans ; mais on ne doit pas s’en estonner ny
s’en plaindre, on a bien veu quelles ont esté en assez bonne posture, tant que
i’ay suiuy les memoires laissez par le feu Cardinal, mais au bout de l’aune
faut le drap, dés aussi-tost qu’ils m’ont manqué ie me suis trouué au bout
de mon rollet, & reduit à faire mes escritures moy-mesme, c’est alors
que l’on a remarqué cette difference, de maniere que i’ay fait voir à dessein,
pour faire recõnoistre ma methode d’auec la sienne, outre que retenant les
affaires dans vn estat mediocre, i’ay destourné les mal-heurs que l’excez de
la prosperité pouuoit apporter dans cette Monarchie, & rabatu la gloire
des Generaux, pour les retenir tousiours dans vne basse obeyssance.

Enfin ie n’ay plus à respondre qu’aux reproches sanglans que l’on me

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fait au sujet de mes dernieres actions, d’auoir attaqué le Parlement apres
auoir entierement espuisé les Finances, d’auoir enleué furtiuement le Roy
pour la seconde fois, & d’auoir embarassé dans mon party la Reyne, & tant
d’autres Princes & Seigneurs, dont i’employe le pouuoir & les armes
pour ruyner le cœur de la France, assieger sa Ville principale, & par vn
desir de vengeance porter le fer & le feu dans le sein de ses habitans, par
les mains de ceux qui les deuroient proteger & deffendre, ie n’ay pas veritablement
assez d’imprudence pour ne demeurer d’accord de la verité de
ces Chefs : Mais les raisons pour lesquelles i’ay suiuy ces maximes, sont si ie
ne me trompe assez suffisantes pour me iustifier, ce seroit vne merueille s’y
n’estant qu’estranger, i’auois iusques icy pris la conduite de cet Estat, par le
seul desir de le rendre florissant, sans mettre mon interest en ligne de compte,
veritablement i’ay tousiours aymé le bien de la France, & si ie me le
suis approprié à droit ou à tort, n’estoit-il pas raisonnable que ie me payasse
de mes peines, & des despences excessiues de ballets & de comedies necessaires
pour amuser les dupes qui pouuoient nuire, & s’opposer à mes desseins,
l’effort que i’ay fait sur le Parlement estoit pour éprouuer leur vertu,
qui n’esclatte iamais que dans la persecution, la reputation que s’est acquis
Monsieur de Broussel, & tant d’autres inuiolables Senateurs, par la
resistance qu’ils ont faite à suiure mes ordres, est si digne d’enuie que ie ne
suis pas à me repentir de m’estre porté à cette violence, il est vray que mes
voyant si mal voulu dans Paris, sans en auoir donné de sujet, i’ay cherché ma
seuretés vn peu plus loin, & si l’on me veut blasmer d’auoir emmené la personne
du Roy, c’est vouloir faire passer la vertu pour vn vice, & si ie ne l’auoit
fait, outre la consideration de mon interest, ne me pouuoit-on pas reprocher
de l’auoir abandonné dans le fort de l’affaire, apres l’auoir tenu de
si prés iusques icy. Pour ce qui est de la Reyne, comme elle n’est pas obligée
de rendre raison de sa conduite ; ce seroit vne temerité de vouloir iustifier
son procedé, les Princes n’ont-ils pas raison de me soustenir, puisque ie
les paye si bien des violences qu’ils exercent, & ne suis-je pas prudent de
me seruir d’eux à l’imitation du Singe, qui se sert de la patte du Chat. Enfin,
quoy qu’ils soient aueuglez dans vne affaire, qui ne leur peut estre que funeste,
nesera ce pas vne eloge à leur memoire de s’estre portez si genereusement,
freres contre freres, pour la deffense d’vn Estranger, qui leur deuoit
estre in different ; Quant à moy ie serois vn fat de refuser le bien de leur
protection, en les retirant de cet aueuglement, ny relascher encor moins de
mes interests, puis qu’ils les portent auec tant d’ardeur, quelques yssuë que
prenne cette affaire importante, d’où dépend absolument ma fortune, ie ne
sçaurois que retourner au neant d’où ie suis venu, & i’auray cette satisfaction
que ma ruyne attirera celle de beaucoup d’autres.

 

FIN.

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