Anonyme [1652], APOLOGIE SVR LA PVISSANTE VNION des Princes, du Parlement, de la Ville & des peuples, pour bannir le Tyran de l’Estat, & pour redonner la paix generale à toute l’Europe. , françaisRéférence RIM : M0_131. Cote locale : B_16_61.
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APOLOGIE SVR LA PVISSANTE
Vnion des Princes, du Parlement, de la Ville &
des peuples, pour redonner la paix generalle à toute
l’Europe.

LA tyrannie est si odieuse à Dieu & aux
hommes, que ny son adorable bonté,
ny l’humilité de ses creatures quelque
grande & quelque extraordinaire quelle
soit, ne l’ont iamais peu souffrir en la personne
de qui que ce puisse estre. Si peu que la puissance
souueraine se destourne, ou à droit ou à
gauche, elle péche contre l’intention de celuy
qui la establie. Elle diuise ce que Dieu & la nature
ont vny : elle s’oppose aux loix de l’vniuers,
& finalement elle n’oblige plus le Ciel qu’à former
des foudres & des tonnerres, pour la punition
de ses crimes. A plus forte raison, que ne
doit il pas faire contre vn abominable estranger,
sorty de la lie du peuple, qui au preiudice des enfans
de la maison, & des legitimes successeurs
de la Couronne, veut faire le Souuerain, piller
l’Estat, & ruiner vniuersellement toute sorte de
personnes. En cela, sçachez que nous ne serions

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pas moins contables deuant Dieu de l’action
qu’il commettroit, si nous luy permettions de faire
à l’aduenir, comme il a desia fait par le passé,
à la honte & à la ruine de tous les peuples de
France. Nous sommes obligez en qualité de persecutez
de punir vn si diabolique persecuteur
& continuellement vnis de ne mettre iamais les
armes bas, que nous ne l’ayons sacrifié à nostre
vengeance.

 

Les Brutes l’ont bien exercé deux fois dans
Rome, contre vne personne dont Mazarin n’eut
pas esté digne d’estre le moindre de ses esclaues.
Timoleon, Dion, & Aratus l’ont bien pratiqué
autrefois dans toute la Grece, contre des tyrans
de plus haute importance. Et si l’on auoit fait
cela au commencement que le nostre s’est
émancipé de nous traiter de la sorte, il ne seroit
pas aujourd’huy à ce point de puissance redoutable
qui fait fremir de terreur toute l’Europe.

Le droit des gens est si iuste, qu’il ny a rien
sous le Ciel qui le puisse estre dauantage S’il se
trouue quelque esprit si depraué qui veüille nier
la loy Diuine & la loy naturelle, il porte d’abord
sa condemnation, en sa façon d’agir & son abomination,
en sa procedure. Il faut de necessité
que la chose soit iuste pour estre droit des gens,
car à moins de cela, il ne le sçauroit pas estre.

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Et ie ne croy pas qu’il y ait nul tyran qui ait aucun
droit de nous oster ou de nous rauir vne
chose qu’il ne nous a pas donnée, puis que le
Roy mesme ne le sçauroit faire sans iniustice.

 

Les plus cruels & les plus barbares vsurpateurs
des siecles passez, respectoient parmy leurs plus
outrageuses voleries, les Sacrificateurs de leurs
fausses diuinitez : mais celuy-cy n’espargne pas
mesme le sang des Oints Sacrez de celuy qui luy
donna l’estre. C’est pourquoy éternellement vnis ensemble,
prenons les armes, entrons dans la lice, & soustenons
l’espée à la main, & iusques à la derniere goute
de nostre sang, l’équité de nostre cause

Bannissons cét infidele Ministre de cét Estat,
& s’il est in digne de nostre chastiment, reduisons
le iusques au point d’estre le bourreau de
luy mesme. Ne souffrons iamais qu’vn miserable
valet, que la fourberie, la lascheté, & la trahison
ont esleué à la dignité de Cardinal, fasse la loy à
toutes les puissances de l’Europe. Il ne s’est pas
contenté de diuertir tous les deniers publics de
cét Estat, par l’vsage des comptans, pour les employer
à son profit : mais encore il a fait verifier
plusieurs Edicts & plusieurs Declarations, à l’oppression
de tous les peuples. Il ne s’est pas satisfait
de faire enleuer de Paris tout l’or & l’argent,
& les pierreries de la Couronne : Mais encore il a
esté si impudent que d’attenter à la personne des

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Princes, à l’abolition du Parlement, à la totalle
ruine de l’Estat, & à reduire tout Paris en cendre.
C’est pourquoy demeurons parfaitement bien vnis les vns
auec les autres, afin de nous deffaire de cette sang-suë
publique, & afin de remettre l’Estat en son ancienne
splendeur, par le moyen d vne paix éternellement inuiolable.

 

Nos mal-heurs font à leur crise, il ne faut quvne
petite saignée pour nous redonner nostre
premiere santé, & si Dieu est pour nous, comme
il n’en faut pas douter, qui pourroit resister à la
fureur & à la iustice de nos armes ? Apres la pluye
vient le beau-temps, & apres les grandes orages
viennent les grands calmes. Les affaires sont en
vn estat, ou pour si peu que nous leur donnions
la main, nous ne sçaurions que les bien faire. Le
Ciel & la Terre sont pour nous, & rien qu’vne
seule fuite ne le peut deliurer du chastiment que
l’on luy prepare. La des-vnion où nous auons
tousiours esté & les vns & les autres, est en partie
cause de tous nos desordres. Nos armes n’ont
rien à craindre, ny rien à redouter, ny au dedans
ny au dehors du Royaume ; & quand nos ennemis
auroient autant de Prouinces pour eux, que
nous auons des soldats, des peuples, & des nations
pour nous, nous serons tousiours en estat
de les surmonter, pourueu que nous demeurions
continuellement vnis, que nous conspirions tous

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à vne mesme fin, & que nous poussions viuement
l’affaire iusques au bout, auec la mesme ardeur
que nous l’auons commencée.

 

Ie ne sçaurois songer à cette prodigieuse grandeur,
où s’est autrefois veuë la Republique de
Rome, par les incomprehensibles effets de sa
parfaite vnion, sans entrer dans des transports
d’estonnemens, & sans vous coniurer au nom de
tout l’interest public d’en vouloir faire vn exemple.
Ce n’a pas esté le nombre de ses armées : ce
n’a pas esté l’inaccessibilité de ses remparts : ce
n’a pas esté les vniuerselles intelligences qu’elle
auoit auec ses voisins, qui l’ont renduë si grande,
si superbe, & si redoutable à toutes les autres nations
de la terre : ce n’a esté que la parfaite vnion
de toutes les parties dont elle estoit composée Il
n’y auoit point de Citoyen depuis le plus grand
iusques au plus petit qui ne fut tousiours en volonté
de se sacrifier pour le bien de sa patrie.

Que ne firent pas les plus grands de la Republique,
le Senat, & les peuples parfaitement bien
vnis ensemble contre Tarquin le Superbe, lors
qu’il se fut émancipé de tyranniser les vns & les
autres. Brutus Prince du Sang Royal ne fust pas
plustost reuenu du camp d’Ardée à Rome, qu’auec
vne poignée de Bourgeois il fust attaquer le
tyran qui tenoit la ville assiegée, & le contraint
de s’enfuïr, tant l’excellence de leur vnion se

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trouua in dissoluble en cette rencontre.

 

Non ie ne croy pas qu’il y ait des forces assez
puissantes pour vous nuire, pendant que vous serez
étroitement vnis ensemble Mais si vous vous
diuisez, prenez garde aux proscriptions & peut-estre
encore à quelque chose de plus funeste.
Cesar n’eut iamais osé porter les armes contre sa
propre patrie, s’il n’eut esté asseuré de la fidelité
des Tribuns, & de l’intelligence qu’il auoit auec
la pluspart des Senateurs qui l’appuyoient en
toutes ses entreprises Et ie puis dire pareillement
aussi que Mazarin n’auroit iamais osé entreprendre
ce qu’il a entrepris, s’il n’eut eu autrefois
quelque intelligence, auec quelques vns de cette
vnion tant desirée de toute sorte de personnes.

Ah ! mal-heureux interest qui porte les esprits
des hommes en des aueuglemens si estranges.
Tel l’a seruy dans ses abominables desseins, qui
apres auoir dessillé les yeux à sa propre perfidie,
sera contraint de s’en punir vn iour à luy mesme
comme d’vn grand crime. Ils verront que sans
auoir iamais gousté du fruict qu’ils esperoient de
leurs trahisons ils courroient risque de s’enseuelir
miserablement auec toute leur posterité dans
vne eternelle diuision de guerres ciuilles, dont
ils auroient esté la cause. Et sçachez que si nous
auons iamais deu parler hautement, & prendre
les armes contre la mesme tyrannie, que c’est à

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present, où il y va de nostre repos, de nostre bien
& de nostre vie.

 

Ce n’est plus le temps où il faut vser de respect
puis qu’il y va du salut de toute la Monarchie.
C’en est fait, le masque est leué, & il n’est
plus besoin que de poursuiure viuement ce que
nous auons desia commencé, auec trop de raison
& trop de Iustice. Pleust à Dieu que nous eussions
la Paix comme ie la desire, & certes il n’y
peut auoir que les ennemis de l’Estat ou pour
mieux dire les mauuais François, qui puissent
demander à Dieu la continuation de la guerre :
Mais si l’on peut iuger de l’aduenir, par les choses
qui se sont passées, que pourroit-on esperer
de l’accommodement, qui se feroit auec ces
gens là, qu vne desolation entiere de toute la
France.

Vous pouuez croire qu’il n’y a point de pardon
ny pour les vns ny pour les autres, s’ils sont
iamais en estat de vous punir, comme ils souhaiteroient
bien de le faire. Receuons donc de grace
auec applaudissement, les lauriers que sa Diuine
bonté nous presente, puis qu’elle nous les
donne en nos plus extremes necessitez, & sur
le temps où nostre perte nous sembloit estre ineuitable.
Nous auons cent mille hommes dans
Paris qui ne font qu’attendre vos ordres sans
conter qu’il n’y a pas vne ville en France qui ne

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fasse vanité de vous assistez d’hommes & de viures,
en l’execution d’vne si glorieuse entreprise.

 

Le mespris qu’on a fait des deputez que vous
auez si souuent enuoyez à sa Majesté, fait bien
voir le mauuais dessein qu’ils ont contre vous, &
cette action ne vous instruit pas mal de celuy que
vous deuez prendre. Il est s’il me semble assez facile
d’aller querir le Roy à Saint Germain, & de
le ramener à Paris, comme on a fait autrefois,
auec moins de raison que nous n’en auons pas de
le faire. Lentulus ne veut pas qu’on vse d’aucune
espece de remission en leur endroit, parce qu’ils
n’ont iamais obserué pas vn de tous les traitez
qu’on a faits auec eux, & parce qu’ils ne demandent
iamais la paix que quand ils ne peuuent plus
faire la guerre.

Et puis qu’on ne leur sçauroit oster vne perfidie
qui leur est naturelle, il faut tascher du moins
à leur oster le pouuoir de nous nuire : car qu’elle
paix pourroit on faire auec des personnes qui ne
font iamais rien de ce qu’ils promettent, & qui
ne disent iamais rien de ce qu’ils veuleut faire.

Alexandre sixiesme de nom, & deux cens vint
& deuxiesme Pape, Machiauel semble vouloir
mettre au rang des hommes illustres apres auoir
fait la paix auec les Princes qui s’estoient liguez
contre luy, ne laissa pas de les attirer sous ombre

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de bonne foy, & de les faire apres cela cruellement
mourir quelque serment qu’il eût fait de
ne se plus souuenir des choses passées. Aussi
estoit il Espagnol de nation, & naturalisé Italien,
qui sont deux tres excellentes qualitez, pour faire
des coups de cette nature.

 

C’est pourquoy Messieurs ie vous prie de ne
vous fier iamais à des infracteurs de la foy publique,
puis qu’ils ne font iamais des traitez auec
qui que ce soit, que pour se venger des iniures
qu’ils s’imaginent en auoir receuës Point de foy,
point de seureté, point d’accommodement quelconque.
Et les Villes & les Prouinces qui sont
maintenant pour vous, que diroient elles, si l’on
entendoit que vous eussiez fait quelque espece
de paix auec des personnes de cette sorte. Ils ne
songent qu’à vous oster l’appuy que vous auez
& qu’à vous separer de l’Vnion, qui vous rendra
eternellement inuincibles, si eternellement vous
demeurez vnis ensemble. Et puis qu’il ny a point
de foy auec eux, il ne faut plus leur enuoyer des
nouuelles deputations, ny des nouuelles remonstrances :
car qu’est ce qu’à produit toutes les
submissions que nous auons faites par le passé, si
ce n’est vn mespris continuel de toutes les propositions
que nous leur faisons faire, quelques
legitimes & quelques raisonnables quelles fussent ?
C’est pourquoy il n’en faut pas esperer vn

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meilleur traittement à l’aduenir, tant ils sont naturellement
portez à mal faire.

 

Il vaut bien mieux combatre genereusement
ses ennemis, que viure laschement le reste de
de nos iours sous vn perpetuel esclauage. Il n’est
point de bon François qui n’aime mille fois
mieux exposer sa vie & son bien pour sa liberté
& pour le salut de l’Estat que de languir continuellement
dans vne misere publique. Les Arrests
d’vn Auguste Senat que les nostres aussi
bien que les sainctes intentions des Princes &
des peuples doiuent estre inuiolables.

Vous sçauez combien la Politique de ce miserable
auorton de la lie du peuple, est pernicieuse
à toute la France ; Vous l’auez declaré criminel
de leze Maieste : vous l’auez iuge comme vn perturbateur
du repos public : Vous l’auez condemné
comme vn ennemi du Roy & de l’Estat, auez
confisqué ses biens, & vous auez mis sa teste à
prix, quelle seureté pourriez vous trouuer apres
cela enuers vne personne qui ne veut pas estre
esclaue ny de sa parole, ny de ses sermens, ny de
ses promesses, & qui fait gloire de se venger du
moindre outrage qu’il croit auoir receu, quelque
leger qu’il puisse estre. Sçachez que s’il estoit
criminel en ce temps là, iusques à vous obliger
à faire toutes ces procedures contre luy, qu’il
l’est bien plus encore du depuis, veu qu’il a toûjours

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continué à faire de pis en pis, en tout ce
qu’il luy a esté possible. Ainsi de quelque costé
que vous tourniez les yeux, il n’y a point de paix à
où il n’y aille de vostre perte.

 

Deux contraires ne sçauroient subsister en vn
mesme sujet selon les documens du Prince de la
secte peripatetique, principalement auec vn faquin
qui veut disposer des plus grands de l’Estat,
ainsi que les Romains disposoient autrefois de
leurs esclaues. Principalement dis je encore vn
coup auec vn homme qui ne promet que des
rouës & des gibets à tous ceux qui l’ont contrarié
dans les desseins qu’il auoit de faire de tout cét
Estat, comme on pourroit faire d’vne terre nouuellement
conquise par la force des armes. Les
traits de la necessité sont si cuisans qu’ils se rendent
insupportables, & tel se voit maintenant
obligé de faire des choses, qu’il n’auroit pas autrefois
eu le courage de songer à cause du mauuais
traitement qu’il en auroit peu receuoir par
le ministere de ceux qui conduisoient les affaires.

Le Roy & la Reyne ne voyent pas qu’on leur
fait risquer le tout en des rencontres de cette nature,
& que s’ils ne chassent bien tost ce monstre
de reprobation de l’Estat, qu’ils courent eux
mesmes fortune de n’y estre pas receus auec tout
le respect qu’on leur deuroit rẽdre C’est marque
d’vn grãd changemẽt, quãd les peuples semblent

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auoir perdu le respect qu’ils doiuent à leurs souuerains,
& que les souuerains les mettent tous
au pis faire.

 

Denis le Tyran eust bien voulu changer de
dessein, quand on luy fut dire que ses peuples se
sousleuoient contre luy & qu’ils ne se soucioient
plus ny de ses cruautez ny de ses menaces : mais
il n’estoit plus temps de relacher quelque chose
de sa seuerité, il fut miserablement abandonné
à la mercy de ses ennemys, despoüillé de ses
Estats, & finalement reduit à l’esclauage où il
vouloit reduire les autres.

La tyrannie quelque redoutable qu’elle soit,
ne met pas les couronnes à l’abry des coups de
la rebellion de ses sujets, & moins encore à couuert
de la Iustice etenelle. Vn Roy ne se sçauroit
faire aimer par force, & le diadéme qui ne subsiste
que par vne violẽce outrageuse, est bien pres
de sa cheute. C’est vne maxime tres pernicieuse
a l’Estat que de porter les Roys à faire tout
ce qui leur plaist, plustost que de les porter à ce
qu’ils doiuent. Vne authorité sans bornes ne
fut iamais fort legitime, & si elle ne protege ses
sujets selon les loix de Dieu & les ordonnances
de ses Estats, elle court risque d’estre fort mal
satisfaite de l’vn & de l’autre.

Les sujets ne sot obligez au Roi que pour en estre
protegez cõtre tous ceux qui pourroiẽt troubler

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leur repos, infere de là à quoy ils peuuent
estre sujets s’ils le troublent eux mesmes. Il n’est
point de puissance en toute l’Europe, qui ne
fasse vanité d’assister des peuples oppressez, lors
qu’ils implorent leur assistance. Il est vray Messieurs,
que si vous empeschiez d’oresnauant,
qu’il ny eut iamais plus vn premier Ministre d’Estat,
& que les fauoris des Roys ne prissent aucune
connoissance des affaires, que nous ne serions
iamais plus dans les desordres où il nous mettent
assez souuent par leur tyrannie.

 

N’y a t’il pas lieu de s’estonner, de voir que
vous, qui auez le plus d’interest à toutes ces choses
ne songez pas seulement à vous opposer à la
naissance de leurs iniustes tyrannies ? N’est ce
pas à vous à chastier les fourbes, les tyrans, & les
perturbateurs du repos public, & à leur faire
rendre cõpte des mal vexations qu’ils ont faites ?
Deuez vous iamais approcher des Roys sans leur
dire la verité de ce qu’ils doiuent sçauoir, & sans
vous opposer courageusement à des iniustices si
manifestez ? estes vous moins affectionnés pour
la France, que le Philosophe des Garamantes
pour son pays, où moins genereux que Calisthenes
en faueur de ceux de Macedoiné.

Vous n’estes pas Dieu-mercy en estat de craindre
ny la prison, ny lexil, ny la mort des mains
de la tyrannie. Elle est trop foible, pour s’oser

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prendre à la force d’vne vnion qui doit faire sa
perte : & comme il ny a point d’honneur à viure
ainsi dans des continuelles aprehensions, poussez
les affaires iusques au bout, & ne cessez iamais
de vaincre ou de mourir en combattant vos
ennemys, iusques à ce que vous ayés consacré le
tyran qui nous a si fort persecutés à la fureur de
vos armes. Toute l’Europe vous tend les bras
à cela, & il n’est rien dans l’vniuers, que la cabale
Mazarinique, qui ne vous en coniure de tout son
cœur, & qui ne le desire du meilleur de son ame.

 

Aristote dit que le tyran suiuant l’impetuosité
de ses desirs, ne fait que violer les loix, & peruertir
tout l’ordre de la Iustice. Voyez apres celà,
ce qu’on doit esperer de la conduite du nostre
si on le laisse faire, ne donne t’il pas assez à connoistre,
que pour satisfaire à sa desordonnée ambition,
il ne craint pas de reduire toute l’Europe
à la mendicité, & de perdre vn nombre infini de
pauures gens ou par le fer, ou par le feu, ou par la
famine, afin de profiter de leurs despoüilles ?

Superbe vsurpateur de l’authorité Royale :
perturbateur du repos public, de la substance
duquel tu te nourris il y a longues années : ennemy
de Dieu & de la nature, c’est à ce coup qu’il
faut que tu songes à ta cõsciẽce. Tu n’es plus que
comme vne idole chancelante qui se veut souler
du sang des François auant de mourir, & de laquelle

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Dieu veut par sa prouidence infinie confondre
toutes les entreprises.

 

Taschez donc genereux Alcides armé pour
la deffence de la liberté publique de faire choir
ce monstre de tyrannie, dans le precipice qu’il
auoit creusé, pour nous y enseuelir tous ensemble.
Repoussez promptement auec des armes
de iustice & des boucliers de salut, les dards
que ce demon a preparez pour nostre ruine.
Leuons le masque de cette lasche crainte qui
nous a retenus iusques icy dans la souffrance, &
allons attaquer ces loups charnez contre nous,
iusques dans leurs tanieres les plus reculées de
nostre ville affligée.

Reparons les ruines de l’Estat, & rendons à
nostre Dieu donné le trosne que ses ayeuls luy
ont laissé, aussi ferme & aussi esclatant qu’il le
trouua au commencement de son Regne. Ce
n’est pas imiter Dieu de qui ils se disent les Lieunans
sur terre, que de faire gemir vn nombre infini
d’innocens sous le ioug d’vne estrange seruitude,
que de marcher sur le debris des villes reduittes
en cendre, & que de dresser des gibets sur
toute l’estenduë de leur Empire, les thrônes ne
sont soustenus que par l’amour des peuples, &
c’est hazarder l’ouurage de douze siecles, & de
soixante & quatre Roys, que d’hazarder cette
Couronne.

Nous auons supporté pres de trente ans la pesenteur
d’vn ioug, que d’autres peuples n’eussent

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pas voulu souffrir trente iours, pour ne pas sortir
du respect qu’on doit au nom du Roy : Mais comme
les pernicieux conseils du tyran de l’Estat se
sont portez à des extremitez sans exemple, nous
auons esté contraints de prendre les armes, pour
nous opposer aux desseins qu’il auoit de maistriser
les grands, & d’auoir les dernieres despoüilles
de toute cette Couronne.

 

Tant plus vous differez à bannir ce monstre
d’auprez de vous, tant plus vous trauaillez à ruiner
vos affaires. Les campagnes en pleurent, les
villes en soûpirent, toutes les affaires en ont cessé
leur cours, tous les commerces en sont interrompus,
& les peuples ne s’accoustument plus
qu’a blasphemer contre vostre conduite. On
punit assez souuent les esprits remuans, quand
on leur accorde le pretexte pour lequel ils remuent.
Enfin la pluspart des maladies se retranchent
de leur cause. Les Ministres sont ambulatoires,
& Vostre Maiesté les doit changer,
selon les occurrences des affaires, mais vostre
peuple est tousiours à vous, & c’est ce qui fait
que vous auez vn throsne.

Le salut de vos sujets est la loy fondamentalle
de vostre Empire, & celuy qui s’esloigne de ce
principe met tout en confusion, & se rend indigne
d’en estre Monarque. Si les paroles des Rois
sont irreuocables, vostre Maiesté ne sçauroit
plus restablir le Cardinal Mazarin, puis qu’elle
s’est imposée elle mesme vne necessité indispensable

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de le pouuoir plus remettre dans le Ministere :
outre que les loix de l’Estat ne le peuuent
pas permettre en façon quelconque. C’est pourquoy,
prenons les armes, & sans nous amuser à souffrir
dauantage ces tyrannies, courrons à la deffaite du
tyran qui nous outrage.

 

En matiere de sousleuement on n’est coupable
que de trop de moderation, si l’on ne se porte
pas courageusement à la fin qu’on s’est proposée.
Il ne faut iamais esbranler vn estat, que
pour enseuelir tous ses ennemis, sous les ruines
de ceux qu’ils ont mis à la besace. Nous auons
trop bien commencé pour ne pas finir de mesmes.
Ce seroit vne folie qui nous cousteroit bien
cher de s’arrester dans vn si beau chemin, & de
refuser les lauriers, que le Ciel & la iustice de
nostre cause nous representent. Et ce seroit encore
vne plus grande folie, de nous laisser suçer
iusques à la derniere goute de nostre sang, pendant
que nous sommes en estat de nous engraisser
de celuy de nos aduersaires.

Laschons donc hardiment la bride à nos passions, &
allons deliurer le Roy des mains de la tirannie qui l’oppresse.
Faisons main-basse de ses ennemis, & donnons
la paix generalle à toute l’Europe.

Mettons donc promptement la main à l’œuure,
d’autant de momens que nous retardons,
d’autant de moments de bien faire serons nous
responsables à Dieu & à ses creatures. Tout crime
qui tend à sedition, ne sçauroit estre mieux

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puny que par ce à quoy il a voulu tendre. Quiconque
veut sacrifier tous les peuples d’vn estat
à la fureur de ses passions, doit estre sacrifié luy
mesme à la fureur de toutes les passions des peuples.
C’est pourquoy prenons les armes, & sans nous
amuser à souffrir dauantage des tyranies de cette importance,
courons à la deffaite du tyran qui nous veut perdre.

 

Les Declarations du Roy & les Arrests du
Parlement nous enioignent de courre sur luy, &
promettent cinquante mille escus de récompense
à celuy qui leur liurera sa teste. Quiconque
ne se portera donc pas à l’obeïssance qu’il
doit à des Oracles si iustes, doit estre puny comme
vn infracteur des loix souueraines, puis que
la necessité des affaires publiques le luy commande.
C’est offenser Dieu, trahir le Roy, liurer
l’Estat, mépriser la Iustice, & se declarer ennemy
des Princes & des peuples, que de ne pas
prester la main à l’execution de leurs ordonnances.
C’est à la vertu qu’il se faut attacher, & non
pas à la fortune, le Roy ne sera pas toûjours ieune,
& s’il fait maintenant tout ce qu’on veut, il
viendra vn temps qu’il ne fera que ce qu’il faudra
faire. C’est pourquoy prenons les armes, & sans
nous amuser dauantage à souffrir des tyrannies de cette
importance, courons à la deffaite du tyran qui nous veut
perdre, pour sauuer l’Estat, & pour redonner la paix generalle
à toute l’Europe. Ainsi nous deliurerons le
Roy de l’esclauage où il est, & nous redonnerons
la vie à toutes les creatures de la terre.

FIN.

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