Anonyme [1649], APPARITION MERVEILLEVSE DE TROIS PHANTOSMES DANS LA FOREST DE MONTARGIS, A VN BOVRGEOIS de la mesme Ville. , françaisRéférence RIM : M0_143. Cote locale : A_2_18.
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APPARITION MERVEILLEVSE DE
trois Phantosmes dans la Forest
de Montargis à vn Bourgeois
de la mesme ville.

DIEV ne nous chastie iamais
que par vn secret de sa prouidence
infinie, & des traits
de sa bonté enuers les hommes,
qu’il ne fasse paroistre
auparauant quelque signe euident de sa colere
afin que nous l’euitions. Lors qu’il fut
question de punir les desbordemens & les
impietez des mortels abandonnez à toutes
sortes de vices, par les eauës d’vn deluge
Vniuersel, Dieu fit commandement à

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Noé de bastir vne Arche l’espace de cinquante
ans entiers, afin que durant ce long-temps
les pecheurs venant à sçauoir que
Dieu auoit resolu de les punir, ils s’amendassent,
& par ce moyen euitassent le chastiment
qui leur estoit preparé. L’histoire
remarque que la Ville de Hierusalem estant
sur le point d’estre renduë à la discretion
des ennemis plusieurs signes parurent
qui tesmoignerent son mal-heur : &
que l’on entendit mesme des voix dans le
temple qui crioient confusement : Sortons
d’icy, sortons d’icy. Combien de signes
parurent du temps que les Goths prirent
la Ville de Rome, l’on veit pleuuoir des
pluyes de sang. La nature de Iupiter
Dieu tutelaire de ce lieu tomba par terre
& se brisa en mille pieces, bien qu’elle
fut de cuiure, qui est vn metail tres-fort.
Celle de Iunon qui estoit dans le Capitole
fut mise en poussiere & comme
aneantie par vn coup de tonnere : Celle
de Pallas ietta des larmes de sang, & apres
vn horrible tremblement de terre,
toutes les Diuinitez adorées en ce lieu temoignerent

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euidemment qu’elle vouloient
abandonner vn ville dont la ruyne estant
infaillible. Sans aller plus loing tout le
monde sçait qu’auant la mort funeste de
Henry [2 lettres ill.] le plus grand, le plus aymé,
comme le plus aymable Prince du monde,
vn phantosme qu’on appelle encore
auiourd’huy le grand Veneur parut dans
la forest de Fontaine-bleau, lors que ce
Prince y chassoit, qui parlant à quelques
Seigneurs de sa suitte leur dit assez confusement
amendez vous : où allez vous :
d’où venez vous : & tout le monde sçait
qu’il y a trente ans qu’vne Comette espouuantable,
se fit voir à l’entour de cette
ville de Paris, & que moy mesme i’ay
veu plusieurs fois qui passast vne grande
queuë enforme de verges pour marquer
que le Ciel nous vouloit chastier, en effet
outre qu’en suite nous eusmes de grandes
pestes, ce fut encore le commencement
de tous les mal-heurs que nous esprouuons
tous les iours, & dont nous
n’attendons la fin que de la main de Dieu.
C’est ce qui m’a obligé de vous faire recit

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d’vne vision tres-particuliere & tres-espouuentable
qui est nouuellement arriuée
à vingt cinq lieuës de Paris. Vn honeste
Bourgeois de Montargis homme
en reputation tres-grande, de probité
& de vertu : apres auoir fait toutes ses
deuotions Ieudy derniere iour de l’octaue
du saint Sacrement, & mesme communié,
comme il fait assez souuent ; s’auisa
sur les cinq heures du soir de s’en aller
promemer dans la forest qui est proche
de la ville, & pour mieux s’entretenir
dans ses propres pensees s’escarra
assez loing du chemin, & s’enfonça
inopinement dans le plus profond du
bois, où en mesme temps il apperçeut
d’assez loing deux hommes venir droit à
luy, dont l’vn estoit armé de pied en cap,
& l’autre tout nud : cét homme muny de
la foy, & assuré sur son innocence apres
auoir leué les mains au Ciel, & s’estre recommandé
à Dieu en qui il mettoit toute
sa confiance ; s’approcha aussi d’eux, iugeant
par leurs demarches qu’ils auoient
dessein de luy parler & qu’ils n’estoient

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pas Citoyens de ce bas monde : mais
comme il estoit sur le point de les ioindre
la crainte se saisit de son esprit, &
luy fit rebrousser chemin vers la ville, où
cheminant il apperçeut vne femme mal
vestuë, maigre & défigurée, qui mangeoit
auec vne auidité extréme quelques racines,
& quelques fueilles qu’elle ramassoit
dedans ce bois. Cét homme estonné de ce
spectacle luy demanda d’où elle venoit,
d’où elle estoit, qui luy causoit cette faim
enragée, qui l’obligeoit à manger comme
les bestes, s’il y auoit long-temps qu’elle
estoit en ce lieu, & si par hazard elle
n’y auoit point rencontré deux hommes
qu’il venoit d’apparceuoir, & qui sans
doute estoient quelques Phantosmes, elle
respondant de point en point à toutes
ces demandes, luy repartit qu’elle venoit
de fort loing d’icy, qu’elle estoit d’vn païs
estranger, & qu’elle auoit vne faim si prodigieuse
qu’elle deuoroit tout ce qui le
presentoit à ses yeux. Mais que pour luy
il estoit homme de bien & de conscience ;
puisque Dieu luy auoit fait voir ces

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Phantosmes qui pronostiquoient les mal-heurs
qui deuoient arriuer à la France : &
apres l’auoir asseuré qu’ils ne luy feroient
aucun mal, au contraire qu’ils seroient
rauis de l’entrenir, elle le prist par la main
& le mena à eux, & trouua encore comme
ils marchoient dans le bois. S’estans saluez
les vns les autres, l’homme armé prit la parole
& dit : sçache Chrestien, que ie signifie
la guerre, mon compagnon que tu vois,
signifie la mortalité & la peste, ceste femme
la famine : trois fleaux dont Dieu veut affliger
son peuple s’il n’en detourne les coups
par les coups d’vne rude pœnitence, & les
larmes ameres d’vne parfaite conuersion.
Priez sa Maiesté qu’elle apaise ses coleres &
qu’elle prenne pitié de ses pauures creatures,
ce qu’ayant dit, ils disparurent en mesme
temps, & laisserent cét homme dans
vn estonnement extréme ; qui s’en estant
retourné chez luy tomba malade à l’instant
de frayeur d’auoir veu ce prodige, & d’auoir
appris que la France n’estoit pas encore au
bout de ses mal’heurs, si les hommes n’en
cherchoient les remedes. Maintenant quelqu’vn

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me demandera deux choses : La premiere
s’il est vray qu’il reuienne des esprits :
La seconde si les fleaux dont Dieu nous menace,
tomberont infailliblement sur nos
testes. Pour le premier, ie dis auec les Histoires
saintes, qu’il est constant qu’il reuient
des esprits, & nous auons des preuues
certaines de cette verité dans tous les Liures
presque où nous lisons, dont les plus
sages ne doutent aucunement : Pour le second
ie dis auec le Prophete que ces signes
que Dieu fait paroistre aux hommes, ne
sont pas tousiours des marques qu’il ait enuie
de nous chastier, mais de nous pardonner :
comme il pardonna autrefois à Niniue,
bien qu’il en eut ce semble resolu la perte
dans quarante iours, & en tout cas supposé
qu’il vueille nous enuoyer les punitions
que meritent nos pechez, ne vaut-il
pas mieux qu’il nous chastie en ce monde
qu’en l’autre, puisque les chastimens d’icy
bas sont doux, & que nous n’auons point
de preuues plus asseurées de l’amour de
Dieu que lors qu’il nous fait du mal. Mais
pour reuenir à nostre Histoire, le lendemain

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que cét homme eu veu cẽs phantosmes
dans la forest, il se souuint qu’il en
auoit apperçeu vn troisiesme qui s’estoit
euanoüy de ses yeux, & voyant par experience
que cette vision ne luy auoit causé
aucun mal, mais qu’elle estoit seulement
vn aduertissement du Ciel, dés le matin
qu’il fut leué s’en alla à la Messe aux Peres
Barnabites, qu’il entendit auec deuotion,
& apres auoir communiqué ses desseins,
ses secrets, & ses visions à son pere Confesseur,
retourna dans le bois en intention
d’y rencontrer ce phantosme qui auoit eschappé
à ses yeux le iour precedent. Arriué
qu’il fut dans la forest, il se prosterna à deux
genoux deuant vne Croix qui est entre le
chemin de Ferriere & celuy de Montargis,
& apres mille larmes repanduës, & mille
vœux faits au Ciel, supplia instamment sa
diuine Maiesté qu’elle eut assez de bonté
pour luy declarer qu’elles estoient ses volontez,
& ce qu’elle demandoit de ses sousmissions
& de l’obeissance de ses pauures
creatures. Alors le phantosme venant à
luy, le saluant & le traittant auec beaucoup

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de respect, luy dit qu’il le vouloit entretenir
de plusieurs choses importantes à
la gloire de la France ; ce qu’il fit dans l’espace
de plus de quatre heures qu’il conuerserent
ensemble dans l’endroit le plus obscur
du bois : mais de sçauoir ce qu’il luy à
dit, & dequoy il l’a entretenu c’est ce qu’il
n’a pas encore declaré, & qu’il ne veut declarer
qu’à son Confesseur. En attendant ces
particularitez esperons du Ciel qu’il nous
deliurera de ces maux, & que nous ne serons
pas si mal-heureux que les Elemens,
& les Visions nous le promettent.

 

FIN.

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