Anonyme [[s. d.]], L'OVY-DIRE DE LA COVR. , françaisRéférence RIM : M0_2636. Cote locale : C_3_101.
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LOVY-DIRE
DE LA
COVR.

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L’OVY DIRE
DE LA COVR.

MONSIEVR,

Vous qui frequentez ordinairement la Cour,
qui estes continuellement auprés la personne
du Roy, qui auez l’oreille de sa Majesté, aussi
bien que celle des Ministres d’Estat : qui estes
affectionné de la Reyne, confident de ses secrets,
& parent du Chancelier : Que dit-on
maintenant à la Cour, quelles nouuelles nous
en pouuez vous apprendre ? & quelles sont les
affaires qui s’y traictent ? Pour respondre en
deux mots à ce que me demandez, & pour satisfaire
aux obligations que i’ay à l’ancienne
amitié que nous auons contracté ensemble, &
qui est inuiolable, Ie vous diray que la Cour de
France par vn catastrophe estrange, par vne funeste
metamorphose, & par vn changement
digne de larmes, est deuenuë vn Theatre où
l’on ne parle que de joüer de sanglantes Tragedies.
Vous qui auez leu, ou pour le moins,
vous auez ouy dire, que Neron, autrefois Prince
cruel & abandonné à toutes sortes de débauches,

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ne trouua point de diuertissement plus
agreable dans la violence de sa passion, & dans
le dessein de se vanger de ses propres Citoyens,
que de faire mettre le feu aux quatre coins de
Rome, & regarder cet embrasement au trauers
d’vne emeraude. Vous auez ouy dire encor
que Domitian protestoit que la charongne
puante d’vn ennemy mort, estoit vn parfum
mille fois plus odoriferant que les plus precieuses
senteurs du monde. I’ay ouy dire que la
Reyne auoit enuie d’en faire de même & qu’elle
vouloit reduire en reduire, & les Villes &
les personnes qui auoient choqué ses desseins &
contredit ses intentions. Si elle fait feu, vous
estes assuré que Monsieur le Prince sera la pierre
à fusil auec lequel on le battra ; Monsieur le
Duc d’Orleans seruira d’allumette, aussi bien
brusle il tousiours par les deux bouts, les chemises
des niepces à Mazarin seruiront de mesche :
& la calotte du Cardinal, de soufflet auec
lequel on allumera le feu par toute l’estenduë
de la France, & des os des pauures François brûlez,
on en doit composer vn musc que ceux de
la Cour, ou plustost de la faction de Mazarin,
porteront continuellement, & dont l’odeur ira
iusques en Espagne resiouyr sa Majesté Catholique,
auec qui il a grande enuie de faire amitié.
Mais qu’il prenne garde qu’il ne soit enseuelis

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sous les mesmes ruines des autres, & qu’ils considerent
que le feu est vn element aueugle qui
n’espargne personne, qu’il embrase aussi bien
les Palais des Monarques, que les pauures Cabane
des Bergers, & qu’il a aussi peu de respect
pour les Temples sacrez, que pour les lieux infames
& impudiques. Samson ne fut-il pas escrasé
sous les demolitions du mesme bastiment
ou ses ennemis se trouuerent morts. Siron Roy
d’Egypte ne fut-il pas tué de la mesme flesche
qu’il décocha contre vn Prince de son sang
qu’il vouloit percer. Et cet autre ne fut-il pas
malheureusement trompé, qui ayant mis auprés
de luy à table deux pommes, dont l’vne
estoit empoisonnée, & auec laquelle il vouloit
faire creuer son ennemy, la prit sans y penser, la
mangea, & en mourut. Neantmoins nous
sommes bien mal-heureux d’auoir des Princes
qui ayent si peu d’affection pour leur patrie, &
assez de cruauté pour vouloir déchirer les entrailles
de leurs propres enfans : Il ne s’en faut
pourtant pas estonner, puisque les Reynes Espagnolles
n’ont iamais que troublé la France ;
que les Italiens ont esté le poison des François,
comme l’Italie en a esté le cimetiere & le tombeau :
& que ceux de la maison de Condé, depuis
quatre-vingt ans en ça, n’ont fait que ruiner
l’Estat par leurs rapines, leurs auarices, leurs

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rebellions, leurs pratiques, & leurs factions.
Vous auez ouy dire comme les Reynes qui ont
eu trop de bonté pour des Ministre, ont causé
mille desordres dans les Royaumes, & comme
la vie des Roys n’a pas esté en assurance entre
les mains d’vne femme, quoy que mere & Reyne
tout ensemble. Auez vous ouy dire que la
Rey ne deffend le party du Cardinal plus que iamais ?
qu’elle luy fait des caresses extraordinaires.
Auez vous ouy dire que Monsieur le Prince
commẽce à estre ialoux de cela. Mais à quoy
croyez-vous qu’aboutiront tous leurs desseins,
sile Ciel & les Princes n’en diuertissent l’issuë,
sinon à perdre les gens de bien, & à ruiner le domaine
du Roy. Auez vous ouy dire qu’à la Cour
maintenant ce ne soit que masques, que feintise
que dissimulatios, la Reine cache sous le sien l’affection
qu’elle a pour vn seul, & la haine grande
qu’elle a conçeu contre plusieurs, le C. couure
soubs son bonnet de funestes vengeances, & de
malheureux desseins, le Prince de Condé dissimule
l’enuie qu’il a de perdre Mazarin, & de dépouiller
céte corneille qui s’est reuestuë des plume
de tout le mode, & de tous les Louys d’or de
la France, Madamoiselle tient secrette la passion
quelle a de se marier, & de n’estre plus fille, le
Chancelier n’ose dire qu’il en veut au Parlemẽt,
les Partisans n’osent non plus parler de leurs partis,

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crainte que leur argent ne les fassent perdre,
& qu’apres s’estre despouillez, on ne les destine
à la mort, comme des victimes engraissées du
sang des pauures, qu’il faut sacrifier aux plaintes
publiques d’vn peuples qui demande vengeance.
Enfin tout y est contrefait, iusques au Prince
de Conty qui a le corps bossu, & iusques au
Duc d’Orleans qui a l’ame de trauers, auec vous
ouy dire que la Cour de France ressemble celle
de Vespasian Empereur de Rome, ou la vertu
estoit mesprisée, & le vice en estime, ou les méchans
estoient fauorisez, & les gens de bien mal
reçeus, où l’on blasmoit ce qui estoit louable, &
où l’on loüoit les actions digne de blasme & de
reproche, où la fourberie passoit pour addresse
d’esprit, la vengeance pour iustice, la dissimulation
pour prudence, la chasteté pour foiblesse :
Auez vous ouy dire que les filles de la Reyne
s’ennuye que le Roy ne retourne à Paris, pour
voir reuenir en Cour tous les galands. Auez
vous ouy dire que le Grand Maistre est deuenu
passionne de Madame de Montbason, & s’il n’auoit
les gouttes qui l’empeschent de marcher
qu’il attraperoit cette Nymphe à la course, &
l’obligeroit à luy faire ciuilité : Enfin pour couper
court, vous auez ouy dire que la Reyne pour
gaigner tout le monde, & se faire des amis pour
appuyer sa Couronne, & maintenir son authorité,

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propose des mariages, ou des recompences
à vn chacun, elle fait les doux yeux à ceux qu’elle
veut perdre, & par des artifices que luy conseille
Mazarin, rend des complaisances à des
marosts qui ne meritent que des chastimens, &
qui passent pour suspectes dans l’esprit des
moins sages, ou des plus interessez, on n’entendit
iamais tant dire à la Cour & moins faire, que
si l’on y fait quelque chose, ce n’est rien qui vaille,
car les vns y font ce qu’ils ne deuroient pas,
les autres tout au contraire de ce qui leur est
commandé, & les autres contre les sentimens
de leur conscience, on parle de tout, & on n’en
dit que du mal, à leur dire Paris est trop puissant,
les Bourgeois trop resolus, les gueux trop
insolens, le Parlement trop irresolu, Monsieur
de Beaufort trop accomply & trop aymé, mais
que ne diroit la Cour des autres, puis qu’elle
mesdit d’elle mesme, & qu’ils se blasment les
vns des autres, la Reyne dit-on est trop passionnée,
le Cardinal trop heureux & trop ignorant,
le Prince de Condé trop vindicarif, le Prince de
Conty trop sçauant, de Granmont court trop
viste, & le Grand Maistre à trop mal aux pieds,
bref la Cour est vn écho, où vous n’entendez
que des ouy dires.

 

FIN.

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