Anonyme [1649], LA FVREVR DES NORMANS CONTRE LES MAZARINISTES. , français, latinRéférence RIM : M0_1460. Cote locale : E_1_57.
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LA
FVREVR
DES
NORMANS
CONTRE
LES MAZARINISTES.

Sur l’imprimé à Paris,

A ROVEN,

Chez IACQUES BESONGNE, dans la
Cour du Palais. 

M. DC. XLIX.

-- 2 --

AV LECTEVR.

 


Qviconque aime les Lys, aimera cet ouurage,
Qui les detestera, detestera l’Autheur,
Et qui veut des François se monstrer destructeur,
En lisant ce discours, il monstrera sa rage.

 

-- 3 --

LA FVREVR DES NORMANS
contre les Mazarinistes.

NOSTRE Prouince desolée qui donnoit
autrefois de l’enuie aux plus florissans
Royaumes, nos Villes desertes &
destruites qui portoient leur gloire auec
leurs murailles iusques dans les Cieux ; enfin
l’oppression & les gemissemens de tous les François,
sont de puissans motifs pour reueiller en nos cœurs
vne iuste fureur, qui chasse la misere de nos maisons,
la tyrannie de nostre pays, & qui cherche le repos
& la vie de toute la France dans la mort de tous ses
ennemis. Cette noble fureur qui portoit autrefois la
crainte dans les Prouinces, & le desespoir de vaincre
dãs les cœurs de nos ennemis, doit porter l’asseurance
dans Paris, & dans toute la Frãce de l’esperance de
la victoire. Cette fureur qui nous a fait triõpher dans
l’Italie, nous fera triompher des Italiens. Cette fureur
qui a arresté les conquestes des Grecs, qui les
portoient iusques dans les Pays assuiettis aux Saincts
Pontifes, arrestera le cours de nos miseres, & ira étoufer
les desseins des voleurs publics iusques dans
leur source. Cette fureur qui nous a fait quitter le
Nort, pour venir en France, qui a fait vn libre passage
par tout à nos conquestes, fera quitter la France
au Cardinal, & encore qu’il soit monté sur son Eminence,

-- 4 --

nous le contraindrons de dire, à furore Normanorum,
liber a me Domine. Diuine fureur ! tu es le
repos des bons & la terreur des meschans. C’est toy
qui portes les vengeances de Dieu sur les peruers.
C’est toy (s’il est permis de mesler les choses profanes
auec les diuines) qui as fait dire au Roy Dauid,
Domine ne in furore tuo arguas me. C’est toy qui animois
Alexandre dans les combats, & qui luy donnant
vne longue suitte de victoires, luy as donné
vn Royaume qui n’auoit point d’autres bornes, que
celles du monde entier. Puisque tu es fille du Ciel,
nous souspirons apres tes ardeurs, & nous faisons
gloire d’estre furieux, puisque tues le Soleil qui fais
naistre les Palmes ? Puisque tu nous rends inuincibles,
nous rendrons nos victoires Eminentissimes.
Ton feu eschaufant nos cœurs d’vn noble desir de
combattre, nous nous despoüillons de nos propres
intherests, comme d’vne chemise que nous
auons portée il y a long-temps, pour nous reuestir
de ceux du public, comme d’vne robe Royale :
Et nous quittons nos miseres dans nos maisons,
comme vn fardeau sous lequel nous gemissons il y a
long-temps, pour aller chercher nostre bon-heur
dans les combats, lesquels ont de plus fortes chaisnes
pour nous attirer, que nos familles pour nous retenir.
Nous estoufons l’amour de nos maisons dans
vne genereuse adoption de tout le Peuple de France,
à l’exemple de ces deux Romains, dont l’vn ne vouloit
point auoir d’autre qualité, que celle de Pere public,
& l’autre ayma mieux estre pere cruel, que Cõsul

-- 5 --

indigne, & dessus le tombeau de son propre
fils, erigea vn triste monument à la vengeance
de son pays, monstrant par cette aymable &
genereuse cruauté, qu’il faut estre cruel enuers
soy-mesme, pour ne l’estre point enuers les autres :
Et que pour donner tout à fait nostre affection
à nostre Patrie, il faut oublier nos familles,
& luy immoler nos enfans comme des victimes,
puis qu’ils la partagent, & font vne partie
de nostre cœur.

 

Normanni accensis
diuino
quodam spiritu
animis, acceptisque
à Guaimaro
oppidi
principe armis,
equisque, tanta
vi, tãtoque impetu
in Saracenos
irruunt, vt
plurimis peremptis
reliquis
in fugam versis
admirabili victoria
potirentur
Berthal. lib.
3. cap. 3.

Normanni [1 mot ill.]
Italicis aliquot
cohortibus fretos
immanibus
copiis Græcos,
qui Calabriam
omnem Apuliamque
S. Pontificibus
ereptã
inuaserunt, tribus
ingentibus
præliis, aciem
vincunt. Berthaldus
in Floro
Franc. lib. 3.
cap. 3.

La noblesse, &
effeti admirables
de la fureur.

Psal. 6.

Generosité sans
interest.

Consule cunctis
non tibi, nec tua
te moueant, sed
publica damna
Claud. ad honor.

Vt planè pubicus
parens in
locum liberorum
adoptasse
sibi populum
videretur Florus,
lib. 10.
cap. 9.

Exuit patrẽ, vt
Consulem ageret,
orbusque
viuere maluit,
quam publicæ
deesse vindictæ
Val. Max. lib.
5. cap. 8.

Gnatos pater
ad pœnam pulchra
pro libertate
vocabit.

Vincet amor
patriæ laudumque
immensa
cupido.
Virgil. 6.

La Iustice de nostre cause accompagne ces
nobles sentimens, car si nous prenons les armes,
c’est pour defendre la Iustice, mesme de l’oppression
d’vn Estranger qui la veut destruire,
pour viure iniustement : C’est pour arracher la
Paix à ce Ministre d’Estat, qui est de la nature
des vents qui ne peuuent subsister sans guerre,
& regner dans la tranquillité. C’est pour asseurer
la Couronne de nostre Roy, qui chancelle entre
les mains du Chancelier, & la Vertu de nostre
bonne Reyne, qui est en danger aupres d’vn
Ministre. Sont les Eglises pillées, Dieu foulé
aux pieds, les Vierges innocentes violées par des
sacrileges, qui attirẽt sur eux nos iustes vengeances.
Nous marchons donc sous les estendarts de
la Iustice, & nostre generosité a d’assez fortes
chaisnes, pour attirer toutes les autres vertus
dans nos desseins, puis qu’ils ne tendent qu’à
chasser de certains barbares, qui ont vendu leur
sang & leurs vies au Cardinal contre nostre Patrie.

-- 6 --

Outre cela, la nature nous donne des armes,
& la fureur qui nous est naturelle, nous fait
embrasser nostre defense. Furor arma ministrat.
Quoy, nous ne serions point furieux ? lors qu’on
veut rendre la France toute Barbare ? nous demeurerions
dans nos maisons, lors qu’on les
veut brûler. Enfin nous ne marcherions point
sur les pas de cét Heros, Monsieur de Longueville,
lequel sacrifie sa vie pour nostre salut, &
qui marchant sur les dangers, veut nous conduire
à la tranquillité.

 

Iustice de la fureur
& de la
guerre.

Apud veros Delcultores
bella
non cupiditate
& crudelitate,
sed pacis studio
geruntur, vt
mali coërceantur,
boni subleuentur. D.
August. lib. de
verb. Domini.

Bellum est iustum,
quod
propter nobis
captas, repetitas,
& non restitutas
res suscipitur. [1 mot ill.]
lib. [1 mot ill.]

Fortitudo [1 mot ill.]
per bella tue[1 lettre ill.]tur
a barbaris
patria, vel defendit
infirmos,
vel a latronibus
socios. Plena
iustitia. est.
D. Ambr. offic.
Communis vtilitatis
derelictio
contra naturam
est Cic.
3. de Off.

Arma armis irritantur.
Plin Paneg.
quam vtile
est ad vsum secundorum
per
aduersavenisse.
Plin Paneg.
Egregij duces
plura consilio
quam vi præfecerunt.
Tacit. 2. ann.
non minus est
Imperatoriscõsilio
superare,
quam gladio.
Cæs. lib. 1.
bell. Ciuit.

Vita principis
censura, eaque
perpetua, ad
hanc conuertimur,
nec tam
imperio nobis
opus est, quam
exemplo.

Plin. Paneg. Facere recte ciues
suos Princeps
optimus
docet, cum imperio
fit maximus
exemplo
maior esse debet
Vell. lib. 2.
Hoc veri Principis, populos non imperio magis, quàm ratione compescere, velocissimi
syderis instar omnia inuisere, omnia audire, & vnde quaque inuocatum, velut numen
adesse & adsistere. Plin. Paneg.

Grand Prince, nous suiuons tes conseils, qui
ont plus merité de lauriers, que les armes des
autres : Nous suiuons tes armes, que la prudence
conduit.

 


Consiliis belloque potest, que copula rara est,
Aus in epist.

 

Les cœurs les plus lasches apprennent à estre genereux
par ton exemple, ils confondent heureusement
leurs volontez auec les tiennes, &
les poussent à vne mesme fin pour acquerir le
mesme bon-heur. Ta vie est vn Soleil qui les
échauffe par ses ardeurs : C’est vn bel œil qui les
attire par ses doux regards, les captiue pour leur
donner la liberté. Ta presence qui les rend sans
crainte pour te voir, & t’inuoquer dans leur misere :
ta prudence que les dangers respectent, les
fait adorer vn esprit vrayment diuin dans vn

-- 7 --

corps humain. Ouy, Noble Defenseur des
Roys, nous embrassons ta conduite, dans laquelle
nous trouuons vn singulier exemple de
vertu : & nous sommes assez heureux de te couronner
de la gloire que tous les Citoyens de Paris
te donnent, parce qu’ils rencontrent leur
conseruation dans ta generosité, & dans la noble
fureur que ton exemple allume dans nos
cœurs, & que tes discours allumeront dauantage,
lors qu’apprenans la cruauté de nos ennemis,
nous apprendrons à estre cruels enuers
eux. Escoute donc, GRAND PRINCE, la
misere sous laquelle ces barbares ont fait gemir
toute la France, afin que rechauffant nostre
generosité dans la narration de nos desastres,
nous tesmoignions à tout le moude que nous
auons encor les bras de nos ayeux, pour confondre
ceux qui dans la minorité de nostre Roy,
abusent de sa puissance Royale, par laquelle, &
pour laquelle nous viuons, & que nous maintiendrons
iusques à la derniere goutte de nostre
sang.

 

Nullum ornamentum
principis
fastigio
dignius, quam
illa corona ob
ciues seruatos.
Senec. de clem.

LA NORMANDIE AV CARDINAL.

 


IVLES, songe à ce nom conjoint à MAZARIN,
Tu verras ce qu’en toy toute la France espere ;
Car le considerant, tu sçauras qu’à la fin,
Elle te doibt trouuer VNIA LA MIZERE.

 

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DIALOGVE
DE LA NORMANDIE,
& de son Ange Tutelaire.

L’ANGE TVTELAIRE.

 


ILS espuisent d’or les Prouinces,
Farcissant leur auidité,
Et ne laissent, mesmes aux Princes
Que la seule mendicité.

 

Nunquam aduersus
immodicas
cupiditates
stat terminus.
Curt. lib 1.

 


Pluton auecque ses richesses,
Est tout l’objet de leurs caresses ;
Themis ne l’oublira iamais,
Quoy qu’on la traitte comme folle,
Car si l’on destruit son Palais
Elle n’en perd que la parole. >

 

Nullis muneribus
fortunæ
explentur quorum
cupiditates
ratio non
terminat.
Nazar. Paneg.

LA NORMANDIE.

Il est vray que les meschans montent toûjours
à la felicité par dessus les ruïnes de la Iustice,
car elle prescrit des bornes à leurs passions, &
captiue leurs desirs qui vollent iusques à la Royauté,
& leur insolence cherche à s’enrichir dans
la pauureté des autres, & n’a pas si tost fait vn
larcin, qu’elle en medite vn autre, & se perdant
dans le monde dans des entreprises infinies ; qui

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apportent la fin à toutes choses, marche tousiours
iusques dans l’Enfer.

 

Quid enim
sunt regna, remota
iustitia,
nisi magna
latrocinia.
D. Aug.

Auidis auidis
natura parum
est. Senec
Herc. Oet.

L’ANGE TVTELAIRE.

 


On voit la Iustice abaissée
Sous la Fortune & les Destins,
Et se voit, expirant, baisée
De ces infames assassins :
La Fortune ayant la Victoire,
Sur sa mort establit sa gloire,
Et se voit mille Adorateurs,
Qui semblent n’estre dans la Vie
Que pour en estre Destructeurs,
Et soûler de sang leur enuie.

 

 


Ils ruinent les Champs & les Villes ;
On voit vn pauure Laboureur
Vendre iusques à ses lentilles
Pour satisfaire à vn voleur :
Ce n’est pas pour luy qu’il trauaille,
C’est pour soûler cette canaille ;
Car aujourd’huy s’il a du pain,
Sans espoir de misericorde,
Pour ne pas perir par la faim,
Il est assuré de la corde.

 

LA NORMANDIE.

Helas nous auons iusques à present donné
tout ce qui nous pouuoit conseruer la vie, à ceux
qui ne viuoient que pour nous faire mourir, mais

-- 10 --

nous tascherons d’assurer nostre vie aupres de
leurs tombeaux, & de renuerser leurs desseins
pernicieux, quoy qu’ils taschent de les couronner
de la Couronne Royale ; & nous esperons de
voir ces cruels en Enfer, qui en nous rauissant
nos richesses ont mis dans nostre riche Prouince
le Purgatoire.

 

L’ANGE TVTELAIRE.

 


On voit des hommes sans figure,
Haues, maigres, & languissans,
Qui sans aucune nourriture
Meurent cruellement viuans ;
Leurs regards donnent de la crainte,
Leur voix finit dedans la plainte,
Et la cruauté de leur sort
Leur fait des yeux hideux & sombres,
Et mesme on voit pâlir la mort
Quand elle approche de ces ombres.

 

LA NORMANDIE.

Apres ces cruautez qui n’ont point d’exemple
parmy les Barbares, si le desir naturel de conseruer
nostre vie & nostre liberté nous fait prendre
les armes, son Eminence nous appelle rebelles :
nous voulons acheter nostre Roy au prix de
nostre sang, & chasser vn Tyran, qui embrasse
le Sceptre Royal, pour l’attirer dans sa ruine, on
nomme cela rebellion. Si l’on donnoit vn gouuernement
au Cardinal, qui ne peut pas se gouuerner

-- 11 --

soy-mesme, pour le recompenser du mal
qu’il nous a fait souffrir. Si on luy faisoit present
de la France, nous ne serions point rebelles,
ces malicieuses accusations excitent nostre fureur
& attirent nos vengeances sur luy ; mais
nous esperons qu’il veut faire penitence : car ce
bon Ministre d’Estat a fait de nos Villages,
Bourgs & Villes, autrefois riches & bien peuplés,
des vastes & affreux deserts.

 

O nomen
dulce libertatis.

Cic. in ver.
Omnes
homines
naturâ libertati
student, &
conditionem
seruitutis
oderunt
Cæs.
3. comm.

L’ANGE TVTELAIRE.

 


Leur cruauté va dans l’Eglise,
Cette chaste fille des Cieux
Se voit cruellement soubmise
A l’impieté de leurs vœux :
Ses chants ne charment plus l’ouye,
Mais on voit vne saincte pluye
Baigner ses yeux & ses Autels :
Pour se venger versant des larmes,
Elle prie pour ces cruels,
Dont elle reçoit ces alarmes.

 

 


On voit chargé de Benefices,
Et sous vne Mitre en repos,
Vn asne embourbé dans les vices,
Qui sçait mentir bien à propos.
On voit des cheuaux de carrosses,
Courbez sous le poids de leurs crosses :
Pourquoy trauailler nuict & iour ?
Puis qu’vne once de bonne mine

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A plus de poids dedans la Cour
Que deux cens liures de doctrine.

 

LA NORMANDIE.

Au lieu de faire chanter les Prestres, ils les
font pleurer, & le Cardinal croit estre assez eminent
pour abaisser sous son Eminence, & condamner
aux supplices vn Prelat, qui a esté assez
genereux pour ne la point flatter dans ses crimes ;
qui, parce qu’il tasche tous les iours à reparer
par la perte de ses biens la perte de nostre
Roy & de nos fortunes, merite l’airain de Corinthe
pour grauer ses actions, & les donner à
la posterité, comme des vertus que les Anciens
n’ont pas connuës. Si ses conseils eussent rencontré
vn autre esprit que celuy du Cardinal,
qui est naturellement ennemy des bons, nous ne
verrions point à regret tous nos Princes sacrifier
leurs vies à l’ambition de ce Tyran, & adorer sa
fortune, que leurs mains empeschent de choir ; &
qui portent vn bras pour la soustenir, & l’autre
pour la respecter. Si son Eminence auoit vn peu
moins de superbe & plus de prudence, il verroit
que ceux qui donnent des aîles à ses passions, ne
le peuuent regarder voler iusques aux throsnes
sans enuie ; & que la main qui le soustient le
peut laisser tomber. GRAND GENIE, quitte
pour vn moment ta fortune, & abaisse tes considerations
sur la misere qui t’attend au pied du
throsne où loge ton Eminence. Si les Princes

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te portent, c’est dans le precipice, s’ils t’eleuent
bien haut, c’est afin que ta cheute soit plus dangereuse ;
qu’est-ce qui les pourroit attacher si
estroittement aupres de ta personne pour te garder,
& opposer à nostre iuste fureur, le Roy,
comme vn rampart inuiolable ? seroit ce l’esperance
de la gloire ? Ils sçauent fort bien, que la
generosité degenere, quand elle conçoit des desseins
contre la Patrie, & les acheuant cesse d’estre
vertu, & ne merite pas la gloire, qui suit les
grands courages dans le tombeau, & les fait viure
heureusemẽt mesme dans le sein de la mort.
Si les Cesars eussent cherché la misere de Rome
dans les combats, & n’eussent esté genereux
qu’à destruire leur pays, ou leurs noms seroient
enseuelis dans l’obscurité du silence, ou en sortiroient
seulement auec infamie.

 

Monsieur le
Coadjuteur
de Paris,
pere temporel
& spirituel
du
Peuple.

Son merite
l’a fait nõmer
Archeuesque
de Corinthe.

Inuidos
facit fortuna.
Senec.
Imperium
habẽtibus
nihil medium
inter
præcipitia
aut sũma.
Tac. 2. hist.

Digression sur
la mort de Monsieur
de Chastillon,
dont les nobles
sentimens
excitent la fureur.

Cette pensée me fait déplorer le sort de cet Heros,
Monsieur de Chastillon, lequel ayant prouoqué
l’Espagne à donner à son merite vne
mort glorieuse, n’a peu l’obtenir par vn genereux
mespris de la vie, mais l’est venu chercher
dans vn fidele seruice rendu à Monsieur le Prince
de Condé, & l’a enfin rencontrée dans vne
par faite obeyssance. Ah grand courage, il falloit
estre moins genereux pour trouuer vn glorieux
tombeau dans la Flandre, ta vertu a trouué du
respect dans la haine qu’elle te portoit, ton courage
luy a rauy le courage, de t’oster vne vie, qui
luy donnoit la mort, & de faire voler d’vn coup

-- 14 --

de canon ta teste & ton nom dans les Cieux.
Cette cruelle a remporté vne plus illustre victoire
en te respectant, qu’en te poursuiuant, car elle
sçauoit qu’au milieu de ses poursuites, & de sa
cruauté, tu mourois comme le Phenix au milieu
des palmes. Que te restoit il, apres auoit cherché
tant de fois dans les combats vne playe d’où sortist
auec ton sang ta gloire, & celle de ton pays ?
Apres que les ennemis de la France l’ont refusée
à tes vœux ou par crainte ou par respect, il a fallu
que ta foy te fist mourir, puis que ta generosité
te rendroit immortel. Ah, tu deuois estre
moins fidele, pour estre moins cruel enuers toy
& ta Patrie. Mais que dis ie ? tu as partagé ta fidelité
à ton Prince & à ton pays : tu as porté les
armes contre elle pour satisfaire à son ennemy,
& dans cette satisfaction tu as cherché la mort,
parce que tu sçauois que tes cendres troubleroient
les ennemis du repos public, & que tu emporterois
leur bon heur & leurs victoires dans le
tombeau. Tu sçauois qu’en tombant, ton pays
regarderoit tomber leurs pernicieux desseins,
qu’en t’emportant dans le Chasteau de Vicennes,
ils emporteroient toutes leurs forces, & enfin
en t’enseuelissant ils enseueliroient toutes
leurs esperances.

 

Nihil grauius
se ferte fortes
viri dictitant,
quam cum inter
fortissimos
viros mori nõ
possunt seruati
non ad vitæ
iucunditatem,
sed ad ludibrium
calamitatis.
Iust. lib. 19.

Apologie de M.
de Chastillon.

C’est vn traict d’vne prudence consommée,
que de contenter deux partis contraires. Monsieur
de Chastillon marchant contre sa Patrie,
faisant marcher les desseins de ses ennemis bien

-- 15 --

loin, & portant les armes contre elle, portoir
leurs esperances iusques à sa ruine : mais aussi en
mourant il a tesmoigné qu’il luy estoit plus glorieux
de la laisser triompher de sa mort, que d’eleuer
de son debris vn monument à l’ambition
de ses ennemis : car il estimoit que c’estoit vn
malheur que de vaincre, & de ne vaincre pas, &
qu’il falloit aller chercher le trespas & l’embrasser
comme son bon-heur au milieu de ces deux
extremitez, qui partageoient mutuellement
son cœur, & qui ne pouuoient luy presenter vn
bien sans vn mal, & luy donner la victoire sans
le déplaisir d’auoir vaincu : toutes fois il est allé
au combat, car sa foy l’y engageoit ; il y a laissé
la vie, parce que l’amour qu’il portoit à sa Patrie,
ne pouuoit souffrir qu’il l’employast contre celle
qui luy auoit liberalement donnée. Cecy paroist
euidemment dans les bons sentimens, qu’il
estouffoit dans l’obeyssance qui l’attachoit au
seruice du Prince de Condé, & qu’il a fait paroistre
auec éclat vn peu auant mourir, semblable
à ces flambeaux qui iettent plus de lumiere
au poinct qu’ils se consument, & à ces cygnes
qui semblent attirer la mort par les charmes de
leurs chants, & l’appeller à haute voix.

 

Miserum est
ciuili vincere
bello. Lucan.
lib. 7.

Omnia sunt
in bellis ciuilibus
misera,
sed nihil miserius,
quam
ipsa victoria.
Cic. 1. 4. ep. 9.
Calamitosum
est cum eo
confligere,
qui eiusdem
gentis.
Xiphil. in
Antonin.

Cette approbation, que la Iustice de nostre
guerre a arrachée à nos ennemis, doit inspirer du
courage à la lascheté mesme, & nous rendre furieux,
puisque nos ennemis confessent, que nous
le serons iustement : Il ne faut pas que la temerité

-- 16 --

triomphe d’auantage de nostre lascheté, elle
a jetté desia tout son feu, & croyant auoir vne
generosité accompagnée de bon heur, elle reconnoist
qu’elle a vne folie accompagnée de
malheur, & ayant comme certains petits animaux
jetté son aiguillon, deuient lasche & sans
vigueur.

 

Temeritas
præter quam
stulta est etiã
infelix.

Liu. lib. 22.

Vbi primum
impetum effudit,
sicut quædam
animalia
amisso aculeo
torpet.

Cur. lib. 3.

Paris, attens donc ta victoire de nostre iuste
Fureur, nous portons les Esperances de la France
auec nos Armes, & nous sommes assez glorieux
de pouuoir vaincre auec toy. Nos forces vnies
arracheront des Palmes a l’Enuie, & l’approbation
de nos desseins à la Fortune, & nostre colere
legitime trouuera parmy les Nations, & la posterité,
des Admirateurs sans imitation, & non
pas des Imitateurs sans admiration, & nous ouurant
vn chemin à la gloire, nous conduira heureusement
à la tranquillité.

Calli virtute
belli omnibus
gentibus præferuntur,
quippe per insaniam
pugnant
ad gloriam
Cæsar.
in Com.

FIN.

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