Anonyme [1649], LA FVREVR DES NORMANS CONTRE LES MAZARINISTES. , français, latinRéférence RIM : M0_1460. Cote locale : E_1_57.
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DIALOGVE
DE LA NORMANDIE,
& de son Ange Tutelaire.

L’ANGE TVTELAIRE.

 


ILS espuisent d’or les Prouinces,
Farcissant leur auidité,
Et ne laissent, mesmes aux Princes
Que la seule mendicité.

 

Nunquam aduersus
immodicas
cupiditates
stat terminus.
Curt. lib 1.

 


Pluton auecque ses richesses,
Est tout l’objet de leurs caresses ;
Themis ne l’oublira iamais,
Quoy qu’on la traitte comme folle,
Car si l’on destruit son Palais
Elle n’en perd que la parole. >

 

Nullis muneribus
fortunæ
explentur quorum
cupiditates
ratio non
terminat.
Nazar. Paneg.

LA NORMANDIE.

Il est vray que les meschans montent toûjours
à la felicité par dessus les ruïnes de la Iustice,
car elle prescrit des bornes à leurs passions, &
captiue leurs desirs qui vollent iusques à la Royauté,
& leur insolence cherche à s’enrichir dans
la pauureté des autres, & n’a pas si tost fait vn
larcin, qu’elle en medite vn autre, & se perdant
dans le monde dans des entreprises infinies ; qui

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apportent la fin à toutes choses, marche tousiours
iusques dans l’Enfer.

 

Quid enim
sunt regna, remota
iustitia,
nisi magna
latrocinia.
D. Aug.

Auidis auidis
natura parum
est. Senec
Herc. Oet.

L’ANGE TVTELAIRE.

 


On voit la Iustice abaissée
Sous la Fortune & les Destins,
Et se voit, expirant, baisée
De ces infames assassins :
La Fortune ayant la Victoire,
Sur sa mort establit sa gloire,
Et se voit mille Adorateurs,
Qui semblent n’estre dans la Vie
Que pour en estre Destructeurs,
Et soûler de sang leur enuie.

 

 


Ils ruinent les Champs & les Villes ;
On voit vn pauure Laboureur
Vendre iusques à ses lentilles
Pour satisfaire à vn voleur :
Ce n’est pas pour luy qu’il trauaille,
C’est pour soûler cette canaille ;
Car aujourd’huy s’il a du pain,
Sans espoir de misericorde,
Pour ne pas perir par la faim,
Il est assuré de la corde.

 

LA NORMANDIE.

Helas nous auons iusques à present donné
tout ce qui nous pouuoit conseruer la vie, à ceux
qui ne viuoient que pour nous faire mourir, mais

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nous tascherons d’assurer nostre vie aupres de
leurs tombeaux, & de renuerser leurs desseins
pernicieux, quoy qu’ils taschent de les couronner
de la Couronne Royale ; & nous esperons de
voir ces cruels en Enfer, qui en nous rauissant
nos richesses ont mis dans nostre riche Prouince
le Purgatoire.

 

L’ANGE TVTELAIRE.

 


On voit des hommes sans figure,
Haues, maigres, & languissans,
Qui sans aucune nourriture
Meurent cruellement viuans ;
Leurs regards donnent de la crainte,
Leur voix finit dedans la plainte,
Et la cruauté de leur sort
Leur fait des yeux hideux & sombres,
Et mesme on voit pâlir la mort
Quand elle approche de ces ombres.

 

LA NORMANDIE.

Apres ces cruautez qui n’ont point d’exemple
parmy les Barbares, si le desir naturel de conseruer
nostre vie & nostre liberté nous fait prendre
les armes, son Eminence nous appelle rebelles :
nous voulons acheter nostre Roy au prix de
nostre sang, & chasser vn Tyran, qui embrasse
le Sceptre Royal, pour l’attirer dans sa ruine, on
nomme cela rebellion. Si l’on donnoit vn gouuernement
au Cardinal, qui ne peut pas se gouuerner

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soy-mesme, pour le recompenser du mal
qu’il nous a fait souffrir. Si on luy faisoit present
de la France, nous ne serions point rebelles,
ces malicieuses accusations excitent nostre fureur
& attirent nos vengeances sur luy ; mais
nous esperons qu’il veut faire penitence : car ce
bon Ministre d’Estat a fait de nos Villages,
Bourgs & Villes, autrefois riches & bien peuplés,
des vastes & affreux deserts.

 

O nomen
dulce libertatis.

Cic. in ver.
Omnes
homines
naturâ libertati
student, &
conditionem
seruitutis
oderunt
Cæs.
3. comm.

L’ANGE TVTELAIRE.

 


Leur cruauté va dans l’Eglise,
Cette chaste fille des Cieux
Se voit cruellement soubmise
A l’impieté de leurs vœux :
Ses chants ne charment plus l’ouye,
Mais on voit vne saincte pluye
Baigner ses yeux & ses Autels :
Pour se venger versant des larmes,
Elle prie pour ces cruels,
Dont elle reçoit ces alarmes.

 

 


On voit chargé de Benefices,
Et sous vne Mitre en repos,
Vn asne embourbé dans les vices,
Qui sçait mentir bien à propos.
On voit des cheuaux de carrosses,
Courbez sous le poids de leurs crosses :
Pourquoy trauailler nuict & iour ?
Puis qu’vne once de bonne mine

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A plus de poids dedans la Cour
Que deux cens liures de doctrine.

 

LA NORMANDIE.

Au lieu de faire chanter les Prestres, ils les
font pleurer, & le Cardinal croit estre assez eminent
pour abaisser sous son Eminence, & condamner
aux supplices vn Prelat, qui a esté assez
genereux pour ne la point flatter dans ses crimes ;
qui, parce qu’il tasche tous les iours à reparer
par la perte de ses biens la perte de nostre
Roy & de nos fortunes, merite l’airain de Corinthe
pour grauer ses actions, & les donner à
la posterité, comme des vertus que les Anciens
n’ont pas connuës. Si ses conseils eussent rencontré
vn autre esprit que celuy du Cardinal,
qui est naturellement ennemy des bons, nous ne
verrions point à regret tous nos Princes sacrifier
leurs vies à l’ambition de ce Tyran, & adorer sa
fortune, que leurs mains empeschent de choir ; &
qui portent vn bras pour la soustenir, & l’autre
pour la respecter. Si son Eminence auoit vn peu
moins de superbe & plus de prudence, il verroit
que ceux qui donnent des aîles à ses passions, ne
le peuuent regarder voler iusques aux throsnes
sans enuie ; & que la main qui le soustient le
peut laisser tomber. GRAND GENIE, quitte
pour vn moment ta fortune, & abaisse tes considerations
sur la misere qui t’attend au pied du
throsne où loge ton Eminence. Si les Princes

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te portent, c’est dans le precipice, s’ils t’eleuent
bien haut, c’est afin que ta cheute soit plus dangereuse ;
qu’est-ce qui les pourroit attacher si
estroittement aupres de ta personne pour te garder,
& opposer à nostre iuste fureur, le Roy,
comme vn rampart inuiolable ? seroit ce l’esperance
de la gloire ? Ils sçauent fort bien, que la
generosité degenere, quand elle conçoit des desseins
contre la Patrie, & les acheuant cesse d’estre
vertu, & ne merite pas la gloire, qui suit les
grands courages dans le tombeau, & les fait viure
heureusemẽt mesme dans le sein de la mort.
Si les Cesars eussent cherché la misere de Rome
dans les combats, & n’eussent esté genereux
qu’à destruire leur pays, ou leurs noms seroient
enseuelis dans l’obscurité du silence, ou en sortiroient
seulement auec infamie.

 

Monsieur le
Coadjuteur
de Paris,
pere temporel
& spirituel
du
Peuple.

Son merite
l’a fait nõmer
Archeuesque
de Corinthe.

Inuidos
facit fortuna.
Senec.
Imperium
habẽtibus
nihil medium
inter
præcipitia
aut sũma.
Tac. 2. hist.

Digression sur
la mort de Monsieur
de Chastillon,
dont les nobles
sentimens
excitent la fureur.

Cette pensée me fait déplorer le sort de cet Heros,
Monsieur de Chastillon, lequel ayant prouoqué
l’Espagne à donner à son merite vne
mort glorieuse, n’a peu l’obtenir par vn genereux
mespris de la vie, mais l’est venu chercher
dans vn fidele seruice rendu à Monsieur le Prince
de Condé, & l’a enfin rencontrée dans vne
par faite obeyssance. Ah grand courage, il falloit
estre moins genereux pour trouuer vn glorieux
tombeau dans la Flandre, ta vertu a trouué du
respect dans la haine qu’elle te portoit, ton courage
luy a rauy le courage, de t’oster vne vie, qui
luy donnoit la mort, & de faire voler d’vn coup

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de canon ta teste & ton nom dans les Cieux.
Cette cruelle a remporté vne plus illustre victoire
en te respectant, qu’en te poursuiuant, car elle
sçauoit qu’au milieu de ses poursuites, & de sa
cruauté, tu mourois comme le Phenix au milieu
des palmes. Que te restoit il, apres auoit cherché
tant de fois dans les combats vne playe d’où sortist
auec ton sang ta gloire, & celle de ton pays ?
Apres que les ennemis de la France l’ont refusée
à tes vœux ou par crainte ou par respect, il a fallu
que ta foy te fist mourir, puis que ta generosité
te rendroit immortel. Ah, tu deuois estre
moins fidele, pour estre moins cruel enuers toy
& ta Patrie. Mais que dis ie ? tu as partagé ta fidelité
à ton Prince & à ton pays : tu as porté les
armes contre elle pour satisfaire à son ennemy,
& dans cette satisfaction tu as cherché la mort,
parce que tu sçauois que tes cendres troubleroient
les ennemis du repos public, & que tu emporterois
leur bon heur & leurs victoires dans le
tombeau. Tu sçauois qu’en tombant, ton pays
regarderoit tomber leurs pernicieux desseins,
qu’en t’emportant dans le Chasteau de Vicennes,
ils emporteroient toutes leurs forces, & enfin
en t’enseuelissant ils enseueliroient toutes
leurs esperances.

 

Nihil grauius
se ferte fortes
viri dictitant,
quam cum inter
fortissimos
viros mori nõ
possunt seruati
non ad vitæ
iucunditatem,
sed ad ludibrium
calamitatis.
Iust. lib. 19.

Apologie de M.
de Chastillon.

C’est vn traict d’vne prudence consommée,
que de contenter deux partis contraires. Monsieur
de Chastillon marchant contre sa Patrie,
faisant marcher les desseins de ses ennemis bien

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loin, & portant les armes contre elle, portoir
leurs esperances iusques à sa ruine : mais aussi en
mourant il a tesmoigné qu’il luy estoit plus glorieux
de la laisser triompher de sa mort, que d’eleuer
de son debris vn monument à l’ambition
de ses ennemis : car il estimoit que c’estoit vn
malheur que de vaincre, & de ne vaincre pas, &
qu’il falloit aller chercher le trespas & l’embrasser
comme son bon-heur au milieu de ces deux
extremitez, qui partageoient mutuellement
son cœur, & qui ne pouuoient luy presenter vn
bien sans vn mal, & luy donner la victoire sans
le déplaisir d’auoir vaincu : toutes fois il est allé
au combat, car sa foy l’y engageoit ; il y a laissé
la vie, parce que l’amour qu’il portoit à sa Patrie,
ne pouuoit souffrir qu’il l’employast contre celle
qui luy auoit liberalement donnée. Cecy paroist
euidemment dans les bons sentimens, qu’il
estouffoit dans l’obeyssance qui l’attachoit au
seruice du Prince de Condé, & qu’il a fait paroistre
auec éclat vn peu auant mourir, semblable
à ces flambeaux qui iettent plus de lumiere
au poinct qu’ils se consument, & à ces cygnes
qui semblent attirer la mort par les charmes de
leurs chants, & l’appeller à haute voix.

 

Miserum est
ciuili vincere
bello. Lucan.
lib. 7.

Omnia sunt
in bellis ciuilibus
misera,
sed nihil miserius,
quam
ipsa victoria.
Cic. 1. 4. ep. 9.
Calamitosum
est cum eo
confligere,
qui eiusdem
gentis.
Xiphil. in
Antonin.

Cette approbation, que la Iustice de nostre
guerre a arrachée à nos ennemis, doit inspirer du
courage à la lascheté mesme, & nous rendre furieux,
puisque nos ennemis confessent, que nous
le serons iustement : Il ne faut pas que la temerité

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triomphe d’auantage de nostre lascheté, elle
a jetté desia tout son feu, & croyant auoir vne
generosité accompagnée de bon heur, elle reconnoist
qu’elle a vne folie accompagnée de
malheur, & ayant comme certains petits animaux
jetté son aiguillon, deuient lasche & sans
vigueur.

 

Temeritas
præter quam
stulta est etiã
infelix.

Liu. lib. 22.

Vbi primum
impetum effudit,
sicut quædam
animalia
amisso aculeo
torpet.

Cur. lib. 3.

Paris, attens donc ta victoire de nostre iuste
Fureur, nous portons les Esperances de la France
auec nos Armes, & nous sommes assez glorieux
de pouuoir vaincre auec toy. Nos forces vnies
arracheront des Palmes a l’Enuie, & l’approbation
de nos desseins à la Fortune, & nostre colere
legitime trouuera parmy les Nations, & la posterité,
des Admirateurs sans imitation, & non
pas des Imitateurs sans admiration, & nous ouurant
vn chemin à la gloire, nous conduira heureusement
à la tranquillité.

Calli virtute
belli omnibus
gentibus præferuntur,
quippe per insaniam
pugnant
ad gloriam
Cæsar.
in Com.

FIN.

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