Anonyme [1651 [?]], LA REQVESTE DES TROIS ESTATS, Touchant le lieu, & les Personnes qu’on doit choisir pour l’Assemblée des Estats Generaux. Conforme à la proposition que son Altesse Royale en a fait à leurs Maiestez: Et aux sentimens de Messieurs les Princes, dont les Conseils doiuent estre principalement suiuis, & preferez à tous autres. , françaisRéférence RIM : M0_3495. Cote locale : B_14_25.
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LA
REQVESTE
DES
TROIS ESTATS.

Pvis que ce n’est que par vne pure continuation
des bontés de la Reyne, que les Estats
Generaux sont promis pour le mois prochain ;
& que la passion heroïque de reformer les abus
qui se sont glissez dans le Gouuernement, la rendit,
il y a quelque temps, complaisante à la iuste
poursuitte que la Noblesse faisoit ; ou pour en
obtenir le consentement, ou pour proceder à la
moderation de certains debordemens, par lesquels
l’ambition alloit desordonnant tout ce
qu’il y auoit de mieux reglé dans la Monarchie :
Ie pense que sa Iustice ne se lassera point de se signaler
genereusement par des coups de cette nature ;
& qu’afin de ne captiuer point la liberté
qu’on doit à ces Augustes Assemblées, pour la

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decision Souueraine de tous les points importants,
qui peuuent tomber dans des controuerses
d’Estat ; elle leur donnera la disposition du
lieu, que les Politiques desinteressez trouueront
le plus à propos, pour ne laisser point aucun doute
de la sincerité de ses intentions, dans le dessein
qu’elle a de r’apeller le calme, apres les secousses
de tant de tempestes passées, & d’ordonner ce dereglement
general, qui boule verse depuis tant
de temps le plus bel ordre de nos affaires, par la
confusion de mille conjonctures d’Estat.

 

Cette necessité de ne jetter point indifferemment
les yeux sur toute sorte de ville, pour en faire
le lieu de cette assemblée, est aujourd’huy principalement
si indispensable ; qu’il ne faut point
estre que fort legerement versé dans la politique,
pour ne voir pas, que ce seul choix doit estre l’infaillible
preiugé des bons, ou des mauuais succés
qu’on peut esperer des Estats Generaux : Et qu’il
n’est que trop asseuré par les iustes soubçons que
tant de defiances passées nous font conceuoir,
que toutes nos plus fortes esperances auorteront
mal-heureusement ; à moins que le choix qu’on
fera, pour en faire le lieu de cette Auguste Assemblée,
ne r’asseure plus probablement les esprits
des peuples dans les iustes attentes de leurs
premieres pretentions.

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Ie sçay bien que le iugement de ce choix, n’a
pas beaucoup exercé la Politique de nos Peres ; &
que si le lieu de cette Assemblée, n’a point esté
presque de tout tẽps regardé qu’auec vne entiere
indifference ; on a neantmoins iugé qu’il falloit
en laisser la disposition toute Souueraine, au seul
caprice des Roys ; & que c’estoit a leurs seules inclinations
qu’il falloit regler en cela la necessité
que ie pretends aujourd’huy faire examiner, auec
toutes les raisons de la Politique : Mais les diuerses
conjonctures, dont nos nouueaux intrigueurs
ont Pesle-mellé les affaires de la Monarchie, feront
qu’on ne me condamnera pas si facilement
dans le dessein que i’ay de faire iuger auec reflection,
ce qu’on n’a presque iamais regardé qu’auec
indifference : & les schismes d’Estat fomentez
aujourd’huy par la diuision de tout ce qu’il y a
de plus grand dans la Monarchie, feront consentir,
auec moy, les plus opiniastres, qu’en effet on
n’a point de dessein de regler les desordres de l’Estat,
à moins qu’on ne se resolue de tenir les Estats
Generaux dans Paris.

Il semble premierement qu’on ne pourroit
s’opiniastrer de les tenir ailleurs, sans donner vn
iuste sujet de se defier du dessein qu’on a de brasser
encor quelque mauuais party ; & cette resistance
qu’on fait pour n’en honnorer point la capitale

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de la Monarchie, n’appuye que trop probablement
se soubçon de ceux, qui n’ont iamais
remarqué de la sincerité dans le gouuernement,
depuis que les soupplesses d’Italie s’y sont glissées,
par les detestables intrigues du Cardinal
Mazarin : Car si le dessein de tenir les Estats Generaux
est sincere ; si la reforme des abus qui dereglent
auiourd’huy toute la conduitte des affaires,
en est la principale fin ; si les intelligences
de cét Estat n’ont point de plus ferme dessein,
que celuy de remettre les affaires dans l’admirable
posture du siecle d’or de Henry le Grand, si
leurs intentions ne sont point contraires, à celles
qu’ils pretendent que nous considerions en leurs
personnes ; pourquoy n’ont-ils point cette complaisance,
pour la passion generalle de tous les
peuples, qui demandent vnanimement par les
illustres bouches de son Altesse Royale, & des
Princes du Sang, qu’on ne choisisse point d’autre
lieu, pour en faire celuy de cette Assemblée generalle,
que la ville capitale de la Monarchie.

 

La principale raison, qui fait que les moins
oculés se deffient de cette opiniastreté, n’est empruntée
que de la connoissance qu’on a, que ce
iugement de tenir ailleurs les Estats Generaux,
que dans Paris, est directement contraire à celuy
de toute la France ; & qu’il n’est que les seuls interessez

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pour le party du Cardinal Mazarin, qui
roidissent leurs Majestez contre les instantes supplications
que l’Estat leur fait, de ne vouloir pas
frustrer la Iustice de ses esperances, du plaisir qu’il
aura de voir tenir cette Assemblée generalle dans
leur bonne ville de Paris.

 

Afin que les Mazarins ne puissent que faussement
m’accuser, que ie procede contre eux auec
trop d’animosité, dans la creance que ie veux
faire conceuoir aux peuples, que c’est par leurs
seules intrigues, que leurs Majestez reculent de
complaire, à cette inclination generalle de tous
les Estats : Ie pense que ie n’ay, qu’à leur faire voir,
que c’est par le motif de leurs interests particuliers,
qu’ils opiniastrent leurs Majestez à ce changement
de lieu ; & qu’ils pressentent assez probablement,
qu’ils seroient trop foibles dans la
plus sorte ville de la Monarchie, pour faire reüssir
les secrettes menées, qu’ils continuent encor
de Brasser sous main, pour le restablissement du
Cardinal Mazarin.

Comme le dessein general ; & la derniere &
premiere fin des Estats Generaux, n’est autre que
de pouruoir aux desordres qui se sont coulez
dans le gouuernement, par la mauuaise conduite
des Ministres : Et comme il est vray que toute la
decadence de nos affaires, ne doit estre imputée

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qu’à l’incapacité, ou à la malice du Cardinal Mazarin,
qui en a presque souuerainement gouuerne
le timon. Il ne faut point douter que les Estats
Generaux ne lancent derechef autant de foudres
sur la teste de ce mal-heureux, qu’ils troueront à
reformer de desordres causez par son imprudence ;
& qu’ils ne ietteront pas plus souuent les
yeux sur la mauuaise posture de nos affaires, qu’ils
se sentiront obligez par vn genereux instinct de
vengeance, de renouueller contre luy toutes leurs
premieres indignations, pour acheuer de luy rauir
entierement la resource, ou faire auorter l’esperance
qu’il a de restablir encor vn iour sa fortune,
par les intrigues de ses creatures.

 

Ainsi tout le monde consent, autant que tous
les bons François le desirent, que Mazarin doit
infailliblement receuoir le coup de grace dans
l’assemblée des Estats Generaux : Et que c’est à
cette illustre occasion, que les bons destins de la
France se sont reseruez, pour ne laisser plus de
fondement, à l’apprehension de son retour ; lors
que la Iustice prononçant ses Oracles, par la bouche
de tous les demy-Dieux de la Monarchie, fera
retentir vn Arrest, sans appel, contre ce proscrit ;
tant pour en décrier à iamais la memoire dans les
Annales, que pour mettre mesme les Souuerains
dans l’impuyssance de le pouuoir restablir, sans
choquer les Loix fondamentales de cét Estat.

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Les moins politiques conçoiuent bien, que les creatures
de ce proscrit, qui n’ont point encor perdu les
esperances de son restablissement, ne donneroit point
le loisir à cette Assemblée generale de fulminer auec
tant d’importunité sur la teste de leur Maistre ; si la petitesse
du lieu leur faisoit esperer que leurs monopoles
secondez de la vigueur auec laquelle ils le pousserõt,
& de l’authorité Souueraine qui les protegeroiẽt,
pourroient facilement triompher de toutes les plus
iustes poursuites des sinceres zelateurs du progrez
des affaires d’Estat, sans crainte qu’ils peussent estre
forcez par aucune puissance domestique à se soûmetre
aueuglement malgré leur resistance à toutes les
decisions des Estats generaux.

C’est pour cette raison principalement que ie soustiens
que tous les peuples doiuent viuement interesser
leurs tres-humbles suplications enuers Leurs Majestez,
pour les prier de n’exposer pas les belles esperances
des Estats generaux, à l’évidence des troubles
qui doiuent s’en ensuiure, Si ces broüillons aussi descriez
par l’infamie de leur nom, que par les fourbes
de leurs deportemens, se trouuent en estat de pouuoir
faire triompher leur party, par l’inpuissance que la
ville ou les Estats se tiendront, aura de les ranger à leur
deuoir ; & par l’impunité qu’ils presenteront eux-mesmes
dans les resistances criminelles qu’ils opposeront
à toutes les decisions qui ne fauoriseroient pas le

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dessein de disposer les affaires au restablissement du
Cardinal Mazarin.

 

N’est-il pas vray, & n’auons nous pas trop iuste
fondement, de craindre que ces broüillons abusans
insolemment de l’authorité Souueraine de Leuss
Majestez, dont ils ont malicieusement surpris les
bontez par les souplesses de leurs artifices ; captiueront
à tel point la liberté des Estats generaux, par l’aprehension
qu’ils leur feront auoir d’vne force ouuerte ;
que cette illustre Assemblée se verra tiranniquement
reduite à la funeste necessité de ne pouuoir
rien resoudre que ce qui flatera leurs inclinations, ou
qui ne choquera du moins pas le dessein qu’ils ont de
rebastir leur fortune sur les debris de la Monarchie.

S’il arriue neantmoins que les Deputez de toutes les
Prouinces, ayent encor assez de fermeté parmi tant
de menaces, pour proceder en des-interessez à la reforme
des abus de l’Estat : doit-on croire que les assassinas
qui sont les plus ordinaires resources des Mazarins,
ne ramoliront pas cette vigueur des plus determinez ;
& que la liberté que ces tiranneaux auront d’interpretes,
des coups mesme de generosité pour des attentats
manifestes sur les droicts de l’authorité Royale, ne
leur permete de tenir tousiours le fer brillant sur
les reins de ceux qui seront pour opposer hardiment
à l’iniustice de leurs pretensions.

S’il est vray, cõme il n’est que tropt constant

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par les authentiques Declarations de Leurs Majestez,
& par les Arrests de toutes les Cours souueraines
de la Monarchie que la seule conduire
du Cardinal Mazarin a porté la desolation dans
l’Estat depuis qu’il en a eu le timon entre les
mains ; il est encor vray par mesme consequence
que ses creatures & ses Partizans en ont esté
les complices, & que c’est auec leurs mains qu’il a pillé
toute la France, qu’il a ruiné tous les Peuples, qu’il
a mis le feu aux quatre coings de la Monarchie, &
qu’il a malheureusement commencé d’ébranler le
trone, sans esperance de le pouuoir iamais r’affermir
comme il estoit auparauant, à moins que les Estats
Gener. ne soient en liberté de retrancher vigoureusement
tous les abus, pour r’asseu-er auec plus de fermeté
les fondemẽs du trône François sur le bel ordre
& sur la symmetrie Monarchique des affaires d’Estat.

 

Faut-il estre beaucoup preuoyant, pour iuger que
cette assemblée generalle des Estats de la Monarchie,
se verra reduite à l’impuissance de reformer les desordres
qui sont prouenus de ces fatales sources, par
celle qu’elle aura de ne pouuoir point resister aux
monopoles de tout le Party : & que les Mazarins
appuyés de l’authorité Souueraine, renforceront si
puissamment leur cabale, de tout ce qui pourra la
rendre inuincible dans la foiblesse du lieu ; que les
Estats Generaux ne prononceront peut-estre pas

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d’autres Arrests que ceux qui leur seront dictés par
les purs caprices de ces ennemy du repos public.

 

Les apparences n’en sont pour le moins pas que
trop raisonnables : Car qui est-ce qui pourra s’opposer
à l’iniustice de leurs pretentions ? qui sera le hardy
qui voudra heurter genereusement leur pouuoir,
pour opiner en desinteressé contre les abus, que leur
mauuaise conduite a fait glisser dans le gouuernement ?
Les plus determinés ne seront-ils pas obligés
de caler voile dans le dessein qu’ils auroient de fulminer
genereusement sur les testes de la fortune du
Card. Mazarin ; lors qu’ils remarqueront que ses
creatures appuyées de l’authorité Souueraine, seront
incessamment aux escoutes ; & qu’ils seroient pour
s’irriter dangereusement de leurs suffrages, s’ils ne
fauorisoient du moins pas l’indifference, dans laquelle
ils pretendent faire languir les esperances du
restablissement de leur Maistre, pour les faire puis
apres éclater dans les effets auec plus de triomfe. La
Fronde ne sera-t’elle pas obligée de succomber honteusemant
à toutes les poursuites de ce mal-heureux
Party, lors qu’estãt destituée du secours de S. A. R. &
des Princes du Sang, qui ne s’y trouueront point, elle
n’aura plus qu’vn reste de voix, qui ne luy permetra
seulement pas d’eclater auec assez de vigueur,
pour signaler vne pasmoison genereuse, par vne
sincere confession de sa Captiuité.

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Politiques des-interessez, c’est de vos jugements
que ie pretends authoriser la verité de ces Propositions :
On s’en va tenir les Estats Generaux,
ou à Blois, ou à Tours : Leurs Majestez y seront
accompagnées de tout ce que le Party Mazarin
a de plus fort & de plus rigoureux dans l’Estat ;
leurs bontez y seront malicieusement obsedées, comme
elles ont esté malheureusement surprises par les
artifices de ces imposteurs : Son A. R. ne s’y trouuera
point, de peur que sa presence ne le rendit complice
dans la creance des Peuples, de tous les desordres,
qu’il preuoit deuoir estre les in faillibles effets de cette
Assemblée, & par les presentiments desquels, il
a iugé, que la qualité de Lieutenant general de
l’Estat, l’obligeoit de n’y donner point son suffrage,
& de faire tous ses efforts pour en diuertir le
conseil de leurs Maiestez : Si les Princes de Condé
& de Conty veulent s’exposer à la mercy de leurs
ennemis, ils n’ont qu’à s’arracher d’entre les bras
des Parisiens, qui les considerent comme les sinceres
Protecteurs de leur liberté ; pour aller faire
triompher les passions enragées des Mazarins, par
vne maudite vengeance qu’ils ont premedite de
longue-main contre ceux qui ne sont coupables
que de n’auoir point voulu seulement complaire

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au dessein, que ces malheureux brassent secretement
pour le rétablissement du Cardinal Mazarin.

 

Ie ne puis pas croire que le Duc de Beaufort,
quelque genereux qu’il soit, doiue estre si prodigue
de sa vie & de sa reputation ; que de se mettre au
hazard, ou d’espouser trop honteusement toutes
les passions du party, qu’il a si constamment combatu,
ou de s’exposer, en les choquants, de se voir
égorgé, par les attentats de ceux qui se flateront
dans l’absence des Parisiens, de l’esperance d’vne
impunité. Si le Duc de Nemours ne s’en absente
point, la creance publique sera bien frustrée ; & le
genereux attachement, que ses inclinations toutes
heroïques luy ont donné, & que la Iustice luy fera
conseruer inuiolablement pour les interests de Monsieur
le Prince, c’est à dire, du Roy, & de son Estat,
ne luy permettra sans doute pas, d’aller accroistre
les suffrages des Mazarins par la necessité des complaisances,
que les plus vigoureux seront obligez
de donner, à la violence de ces tyrans.

Si la prudence doit conseiller à tous les ennemis
du Mazarin, c’est à dire, à tous les bons françois
de ne s’y trouuer point ; & s’il est vray toutefois
que la iustice de l’Estat exige de cette Assemblée

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Generale, que toute sorte de résources soient
entierement ostées au rétablissement de ce Proscrit,
la France a-t’elle raison d’en esperer vn si fauorable
succez ? Si les Protecteurs de la liberté des Peuples
n’y sont point, qui brizera les fers qui nous
captiuent depuis si long-temps soubs la tyrannie
des Emissaires du Mazarin ? Si le Lieutenant General
de l’Estat iuge qu’il a raison d’en apprehender
le succez, qui sera ce déterminé qui ne le redoutera
point ? Si la Politique oblige les Princes
du Sang de s’en absenter, que doit-on présentir
du succez de cette Assemblée, si ce n’est vne continuation
des desordres qui seront d’autant plus
mortels à la tranquillité des Peuples, que plus
leur accommodement semblera deuoir estre impossible,
aprés l’impuissance apparente des Estats Generaux ?
Qui parlera contre Mazarin & contre
les Complices de ses déportements, s’il n’y doit
auoir que des Mazarins, ou si la liberté de ceux qui
pourroient encor auoir assez de generosité pour en
parler, se trouue captiuée par la tyrannie de ses Partizants ?
Et n’est-il pas à presumer que les Mazarins
reformeront l’Estat au gré de leurs caprices ; que
toutes les conclusions des Estats Generaux ne seront
que des pures complaisances à l’iniustice de

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leurs desseins, & qu’on y disposera si parfaitement
les affaires, qu’on n’en fera paroistre le visage que
soubs vn nouueau masque artificieusement déguisé,
pour en amuser pendant quelque temps de desir
insatiable de la passion des Peuples.

 

Toutes ces reflexions Politiques ne laissent
point douter de la necessité que les besoins de
l’Estat imposeroient à leurs Majestez de faire
le choix de la Ville Capitale pour y tenir l’Assemblée
des Estats Generaux, si leurs bontez ne
se trouuoient méchamment surprises par les artifices
de ces ennemis du repos public, qui présentent
trop infailliblement que tous leurs monopoles
seroient impuissants dans cette grande
Cité, & que les poursuittes de la Fronde venant
à préualoir victorieusement sur toutes les iniustices
de leur party, il seroit à craindre qu’il ne fut
enfin reduit hors d’esperance de toute resource,
par la necessité que l’honneur imposeroit à
tous les veritables zelateurs de la tranquilité de
l’Estat, de fulminer entierement sur toutes les
esperances, que les Emissaires de ce Proscrit,
ne laissent pas encor de conseruer pour le rétablissement
de sa premiere fortune.

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En effet lors que les soins de l’Estat font conclure ses intelligences
à la necessité de ces assemblées. S’il est vray,
comme personne n’en doute point, que la reforme
generale de tous les abus qui sont entrez dans le
Gouuernement par la corruption des loix, est la
seule & la derniere fin des Estats ; Il est encor plus
vray, que le seul & l’infaillible moyen de paruenir
à cette fin, n’est autre que la resolution & la bonne
intelligence de ceux qui sont Deputez, pour y porter
les besoins des peuples & les necessitez des Prouinces.
Car comme cette Assemblee generale de
tout ce qu’il y a de plus choisi dans l’Estat, c’est vn
corps à plusieurs testes, il est absolument impossible,
que les deliberations en puissent estre bien concertées
au soulagement des peuples, à moins que la
concorde ne soit la presidente de leur conseil, &
que la discorde ne soit en impuissance d’y pouuoir
semer aucune pomme de diuision, pour en bannir
le repos & la tranquillité de la paix.

Puisque ce n’est que la seule mes-intelligence qui
puisse faire auorter les esperances que les peuples
conçoiuent du succez des Estats Generaux, il me
semble que, pour obuier à cette funeste des-vnion, il
seroit à propos de ne choisir point les personnes qui
sont obligées de les fomenter, par la necessité qu’ils
ont de s’interesser pour la gloire de leur party ; & que
les Maisons de Villes & les assemblées des Prouinces
particulieres, ne doiuent point auoir aujourd’huy de
plus grand soin, que celuy d’examiner serieusement

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le genie & l’attachement des personnes qu’ils sont
en dessein de nommer, pour en faire les entremetteurs
& les Anges tutelaires des necessitez publiques
dans l’Assemblée des Estats Generaux : Et puis qu’il
n’est que trop constant par la funeste experience de
toutes les calamitez passées, que les Mazarins sont
les veritables Lutins de nostre repos, & les Anges
Apostats de la Monarchie, n’est-il pas vray que les
Prouinces & les Maisons de Villes, qui tireront leurs
Deputez de cette pepiniere de broüillons seront
tombées ou dans l’aueuglement ou dans le sens reprouué ?
Puisque, les besoins de l’Estat, exigeant necessairement
pour vn premier coup de Iustice, qu’on
restablisse les loix que ces corrupteurs ont impunement
débauchées, il n’est pas pessible d’en esperer
cét aduantageux succez, si les Mazarins mesme sont
en estat de pouuoir empécher cette reforme, en ne
lui donnant seulement pas leurs suffrages.

 

Mais neantmoins ie soustiens que dans cette precaution
necessaire pour ne deputer point aucun Mazarin,
il faudroit principalement ietter les yeux sur
les Partisans venaux, & sur les Frondeurs peruertis,
afin de les regarder auec dédain, comme estant marquez
au caractere des reprouuez, & de se garder bien
de leur confier le sang des peuples, qu’ils mettroient
infailliblement à l’enchere pour l’abandonner au
plus offrant. Il peut estre arriué que la passion, ou la
consideration innocente de l’interest particulier, aura
fait grossir le party du Card. Mazarin, lors que ce

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voleur n’auoit encore succé nostre sang qu’auec ses souhaits,
& qu’il estoit en estat de continuer ses soins, aussi
genereusement qu’il auoit commencé pour les interests
de la France : & ie pense que ceux qui se sont deuoüés à
luy depuis cette innocence de sa conduite, auroient du
moins en apparence plus de raison de iustifier l’attaches
ment qu’ils ont témoigné pour la deffense de son party.

 

Mais ceux qui cabalent pour luy, apres auoir genereusement
frondé ; ceux qui veulent le receller, lors qu’ils le
voyent chargé de toutes les plus riches dépoüilles de
l’Estat, ceux qui se rendent ses Apologistes, lors que
tous les Parlements de France concluent à sa condemnation :
ceux qui le mettẽt à l’abry, lors que la iustice du
Ciel & de la terre foudroye sur l’insolence de ses deportements,
& qui ne s’attachent à luy que par le lien honteux
de l’interest, & sur l’esperance qu’ils ont d’éleuer
leur fortune, ou de la couurir du moins d’escarlate par
la faueur de son restablissement ; ceux là, dis ie, doiuent
estre censez parmy les plus redoutables, & les Prouinces
ou les Maisons de Villes qui les deputent, ont tousiours
assez de raison pour en retracter la parole, sans qu’on
les puisse blasmer pour ce changement, que de s’estre
enfin reconnus.

Vn esprit qui ne fait que voltiger par tous les partis,
qui se donne à prix d’argent ; qui se laisse gaigner pat
l’esperance d’vn beau chapeau, qui met sa faueur à l’encan ;
qui est auiourd’huy Frondeur demain Mazarin, qui
fait tantost le passionné pour le seruice de S. A, R. & qui
s’en éloigne puis apres pour le choquer ; qui s’engage

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par affection auec les Princes de la Fronde & qui s’en
dégage par interest ; qui fulmine contre les iniustes emprisonnements,
& qui les pratique puis apres. Celuy-là,
dis ie, ne doit estre choisi que pour aller presider dans
l’assemblée des intrigueurs, & pour aller semer les schismes
de la diuision, mesme dans la plus forte tranquillité
de la paix : Et si le malheur vouloit que quelque Prouince
ou quelque Maison de Ville se fut assez oubliée pour deputer
des esprits de cette nature, ie ne doute pas que les
Estats Generaux ne deussent commencer leurs sceances
par les iustes oppositions qu’ils formeroient à ce
choix.

 

Ainsi ie conclus, que si leurs Maiestez condescendent
à la proposition que S. A. R. a fait, de tenir les Estats
Generaux dans paris ; & si les Prouinces prennent garde
de n’enuoyer que des Deputez qui soient reconnus
pour leur constance & pour leur generosité : Toute la
France a iuste suiet de considerer les Estats Generaux,
comme la seule & derniere ressource de tous ses malheurs.
Comme au contraire il ne faut point douter que
ce dernier remede des maladies mortelles de cét Estat,
ne soit entierement affoibly par les iniustes & tiranniques
cabales des Mazarins, si la petitesse du lieu secondée
de l’assistance criminelle de certains Deputez, les
met en estat d’en pouuoir tellement brider les suffrages
par l’aprehension des assassinats ; qu’on n’y puisse rien
determiner qu’au gré de leur ambition.

FIN.

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