LE TROISIESME COMBAT
donné entre les Troupes du Mareschal
d’Hoquincourt, & celle de son Altesse
Royale, commandée par le Comte
de Tauanne, & le Baron de
Clinchamp.

Les membres qui composent vn corps, ont
tant de rapport & vne liaison si estroitte auec
leur chef, qu’ils ne peuuent faire aucune fonction
qui ne luy soit subordonnée & absolument dependante
du libre vsage des siennes ; de sorte que suiuant
la santé ou mauuaise disposition de celuy-cy,
les membres ont leurs actions vigoureuses ou languissantes :
C’est vne verité dont personne ne doute,
que le Cardinal Mazarin est le chef & le premier
moteur de tous les desordres dont à son malheur
la France fait depuis si long-temps l’espreuue,
& que ceux du ministere desquels il se sert, sont
comme les membres, dont les actions dependens
de la bonne ou mauuaise disposition de ce chef :
mais comme toutes ses entreprises, qui ont pour
principe l’injustice & l’imprudence, sont autant
de preuues de sa mauuaise temperie, il ne se peut
que ceux dont il se sert pour les executer ne soient
participans de ses deffauts en leur conduite.

-- 4 --

C’est ce que deuoit sçauoir le Mareschal d’Hoquincourt,
tant par sa propre experience, que par
l’exemple du Mareschal de Turenne, & ne pas
s’exposer derechef à faire voir la foiblesse & le malheur
du chef dont il est le bras droit, & esleuer aux
vrais protecteurs de la Monarchie, de nouueaux
trophées sur les ruines de son Collegue, ce qu’il a
fait toutesfois deuant la ville d’Estampes en cette
sorte.

La nuict du 29. au 30. de ce mois, ce Mareschal
esperant plus de bon-heur que n’auoit eu le Mareschal
de Turenne le jour precedent en l’attaque
des troupes d’Estampes, s’auança iusqu’à la Chapelle
de Saint Lazare, dite la Maladerie, accompagné
des Regimens de Caualerie & Infanterie de
Nauaille, du sieur du Chil commandant quinze
cens Polonnois, & des cinq cens Caualiers volontaires
portans l’escharpe verte, que l’on nomme
les braues du Mazarin. Ce qu’ayant esté rapporté
à Messieurs de Tauanne & Clinchamp, ils
enuoyerent en mesme temps quatre cens Dragons
pour reconnoistre leur posture, mais le Mareschal
d’Hoquincourt voyant l’ardeur auec laquelle approchoient
ces Dragons, fit reculer ses troupes, à
la reserue de quelques Caualiers qu’il laissa pour
obseruer le nombre & le dessein des nostres, faisant
auec eux le coup de pistolet, ce qu’ils firent, mais
au dommage du sieur de Chil qui y fut grieuement blessé,
& à la honte du Mareschal d’Hoquincourt,

-- 5 --

à la barbe duquel ledit sieur du Chil fut
emmené prisonnier par nos Dragons.

 

Les sieurs de Tauanne & de Clinchamp ayans
esté asseurez de l’estat où estoient les ennemis, prirent
resolution de sortir de la Ville, à la teste d’vn
corps d’enuiron cinq à six mil hommes, composé
des Regimens de Mademoiselle, des nouueaux de
Champagne & de Bourgogne, des Cheuaux legers
de Monsieur de Beaufort, des Gardes de Monsieur
de Nemours, de la Caualerie enuoyée par la ville
d’Orleans, des quatre cens Dragons qui auoient
esté reconnoistre les ennemis, & des Regimens
d’Infanterie de Tauãne & de Clinchamp : les deux
derniers ayant toûjours demeurez pour garnison
à la Ville, & n’ayant point encore esté au choc,
voulurent auoir part au peril aussi bien qu’à la
gloire de la deffaite des Mazarins. Suiuant cette
resolution, la Ville ayant esté laissée sous la garde
du Baron de la Chese, commandant le Regiment
de Caualerie du Duc de Valois, auec les Regimens
de Condé & de son Altesse Royale : (ce Baron
estant obligé de prendre cét employ, à cause
de la blessure dont il fut estropié à la bataille de
Chastillon, qui l’empesche de faire voir l’effet ordinaire
de son courage en l’execution) lesdits sieurs
de Tauanne & de Clinchamp auancerent en bon
ordre iusqu’à la Maladerie ; ce qu’ayant apperceu le
Mareschal d’Hoquincourt, il rangea ses troupes en
bataille, ce que nous fismes en mesme temps des

-- 6 --

nostres : mais comme la proximité de la Ville ostoit
l’enuie aux Mazarins de nous venir attaquer, nous
fusmes obligez de nous en esloigner & nous approcher
d’eux pour les attirer au combat, ce qui nous
fut d’autant plus aisé qu’ils n’auoient point de canon
non plus que nous. Nostre armée les ayant
approché de cinq cens pas ou enuiron, ils firent
vne partie de leurs descharges, ausquelles nous respondismes
à l’instant, nous tenans dans le mesme
ordre de bataille qu’ils estoient, sçauoir en deux
aisles, dont les deux des ennemis estoient commandées
par le Mareschal d’Hoquincourt, & Broglio,
celle d’Hoquincourt, où estoient les Regimens de
Caualerie & d’Infanterie de Nauaille, les troupes
du sieur de Chil, & les quinze cens Polõnois ; celle
de Broglio estoit composée de son Regiment, des
Suisses, & des escharpes vertes, qui furent les premiers
qui commencerent l’attaque, & vinrent
fondre sur l’aisle de Monsieur de Clinchamp, suiuis
de Broglio & des troupes susdites, le Regiment
d’Anguien qui auoit la pointe de nostre aisle soûtenu
par nos Dragons, & ceux de Clinchamp soustinrent
le premier effort auec beaucoup de courage ;
mais les Broglio, & les Echarpes vertes faisant
aussi merueille de leur costé, l’auantage auroit esté
long-temps balancé si le Regimẽt d’Anguien animé
de sa valeur ordinaire, & les Dragons échauffez
de leur fraische Victoire, n’eussent chargez les
ennemis auec telle impetuosité qu’ils rompirent

-- 7 --

leurs escadrons, & les obligerent de se retirer en
desordre.

 

Cependant l’aile d’Hoquincourt estoit aux
mains auec celle de Tauanes, ayant commancé
son attaque auec Nauaille & les Polonois, contre
lesquels le Regiment de Tauanes voulant monstrer
son coup d’essay, & qu’il estoit participant du
courage de celuy dont il porte le nom, fit ferme
& repousa Nauaille auec tant de roideur, qu’il
ne se peut ralier pour reuenir au combat, les Polonois
faisant front à la place dudit Regiment ne
souurirent pas si facilement, & disputerent la Victoire
auec beaucoup d’opiniastreté ; mais le Regiment
de Mademoiselle & les trouppes d’Orleãs
qui estoient de reserue & n’auoient point encore
combattu, auec la Caualerie d’Anguien fondirent
si vertement dessus, qu’ils rompirent non seulement
& mirent en fuitte lesdits Polonois ; mais
firent vn carnage beaucoup plus grand qu’il n’y
en auoit eu en toutes les attaques precedentes.

Les morts & prisonniers de marque, de cette
aisle, sont vn Colonel du Regiment de Nauaille
tué, trois Capitaines de Caualerie aussi tuez, &
trois d’infanterie faits prisonniers.

L’aisle de Broglio s’estãt raliée, vint derechef à la
charge ; mais auec plus de perte & de honte que la
premiere fois, deux quartiers du Regiment dudit
Broglio ayant esté emportez d’abord & luy fait
prisonnier, le reste prenant la fuitte, pour tâcher de

-- 8 --

rejoindre le Mareschal d’Hoquincourt, ce que ne
purent faire quatre cens fantassins de plusieurs Regimens
qui sont demeurez prisonniers, & que les
nostres ont traitté auec vne douceur dont les Mazarins
ne donne point d’exemple.

 

Le nombre des morts & prisonniers dans toutes
les attaques qui ont duré depuis sept heures jusqu’à
vnze, se monte à six cens trente trois prisonniers,
& enuiron pareil nombre de morts ; mais ce
qui nous confirme de plus en plus l’assistance particuliere
de Dieu enuers ceux qui s’exposent pour
la deffence de la juste cause, c’est qu’en ce combat
nous n’auons pas perdu au plus que cent cinquante
ou hommes.

FIN.