Anonyme [1652], LE VERITABLE ENTRETIEN DE LA REYNE D’ANGLETERRE AVEC LE ROY ET LA REYNE à S. Germain en Laye, en presence de plusieurs Seigneurs de la Cour, & autres personnes de consideration. Ensemble les Particularitez de ce qui s’est passé de plus remarquable dans leurs Resolutions. Touchant les Affaires pressantes pour la Paix Generale. , françaisRéférence RIM : M0_3932. Cote locale : B_19_3.
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LE VERITABLE
ENTRETIEN
DE LA REYNE D’ANGLETERRE
AVEC LE ROY ET LA REYNE
à S. Germain en Laye, en presence de
plusieurs Seigneurs de la Cour, & autres
personnes de consideration.

Ensemble les Particularitez de ce qui s’est passé
de plus remarquable dans leurs Resolutions.

Touchant les Affaires pressantes pour la
Paix Generale.

A. PARIS.
Chez IEAN PETRINAL, ruë de la Bucherie.

M. DC. LII.

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LES VERITABLES ENTRETIENS
des Testes Couronnées à S. Germain en Laye,
pour le suiet de la Paix generale.

IL ne faut plus douter que nos malheurs ne cherchent leur
fin entiere, puis que le Ciel permet l’Assemblage de plusieurs
Testes Couronnées, accompagnées des plus sinceres
ames qui peuuent pour le present, & sans fin, maintenir
la Monarchie Françoise. Que si iusques à present
on nous l’a dépeinte penchante dans le Tombeau, c’estoit a fin
de luy donner la gloire de mieux resusciter, & parestre à nos
yeux aussi belle & reluisante qu’elle estoit durant le tres-heureux
regne de Henry IV. d’heureuse memoire, que Dieu absolue.
Il n’est besoin icy d’aucune preuue pour verifier cette
verité, puis qu’elle se fait connoistre elle-mesme ? Et mesme
tous les Astrologues sont d’accord ; Que quand les deux Luminaires
se conioigne sans défaillance de lumiere, c’est signe
de Bonheur, & de Paix, que nous deuons esperer ; en considerant
exactement la suite de ce Discours, lequel ne pourra
estre ennuyeux à ses Auditeurs.

Vous sçaurez que depuis que le Roy fut arriué à S. Germain
en Laye, qu’aussi-tost ie vis reluire deuant luy ses deux
Lumineux Flambeaux d’Angleterre, lesquels venoient faire
offre de leurs bonnes volontez à nostre genereux Monarque :
Nous esperions tous que cette Entreueuë nous donneroit la
Paix, & que dans bref nous retournerions viure doucement
à Paris, mais il n’en fut pas ainsi ; Car dans les Deuis de la
Reyne d’Angleterre auec la Reyne de France : Il s’y rencontra
de terribles contestations ; Les premieres pour le bien de la
Monarchie Françoise ; Les secondes toutes au contraire. Et

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voicy leurs Discours & Contestations, auec leurs Dialogues.

 

La Reyne d’Angleterre, entrant dans la Chambre de la
Reyne, aprés l’auoir salüée, luy dit, Madame, Dieu soit auec
vous, il y a long-temps que i’ay souhaitté de vous voir, mais
ie crains de vous importuner. Nullement, respondit la Reyne,
vous me faites plaisir. Approchez vous, ma Sœur : Alors
la Reyne d’Angleterre, luy dit :

MADAME,

Il est maintenant temps que vous corrigiez vostre couroux
contre des personnes qui ne l’ont iamais prouoqué ; Vous deuez considerer
que vous estes Reyne, & par consequent Mere des François ;
si vous les faites mourir, de quels enfans vous æppellera-t’on Mere ?
Ce n’est pas enfanter que de détruire ; il vaudroit mieux n’auoir iamais
esté au monde que de rendre au neant ce qui y estoit aupararant
que nous en eussions veu la lumiere ? Permettez-moy, Madame, de
vous dire, si vn Peuple qui voit deuant les yeux oster son pain, peut
se rendre obeyssant ; ou s’il se void brûler, violer sa femme & ses
filles, & luy-mesme à la mercy des gens de guerre, s’il se mettra en
son deuoir ? Non, non, ne l’esperez-pas, Madame, vos suiets sont trop
genereux pour endurer de telles souffrances : Si vous les voulez châtier
(car sont vos enfans) ne leur brisez pas leurs foibles membres,
& ne mettez pas les armes aux mains à ceux qui ne sçauent les manier,
parce qu’il ne faut qu’vn moment pour les rendre incorrigibles,
& capables de secoüer le ioug de vostre obeyssance. Ie dis cecy sans
passion, vous y aduiserez ; Monstrez aux François que vous estes
leur Mere, & asseurément ils vous aimeront, car ie les connois pour
aimer leur Roy, & cherir ceux qui en font le semblable ; C’est, Madame,
ce que vous deuez meurement considerer, & croire que ie ne dis
point ces choses pour vostre mal, ains pour l’accroissement de vostre
authorité, & de vostre gloire.

Ces paroles finies, il y eut quelque petit murmure dans
l’Assemblée, où s’estoient trouuez plusieurs gens de qualité.
Ce que la Reyne obseruant, Elle dit tout haut ; Messieurs &

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Mes-Dames, Vous voyez bien que ma Sœur d’Angleterre
est contre moy ; & neantmoins ie la veux souffrir,
parce qu’elle a l’esprit assez bon pour conceuoir ce que
ie fais. La Reyne d’Angleterre ne fit pas semblant de
l’entendre : Et luy dit, Madame, il est temps que vous
vous mettiez en paix, non seulement vous, mais vostre
Peuple, qui souffre & gemit soubs le faids de la
Guerre. Voulez vous estre inexorable ? Non, respondit
la Reyne ; mais ie leur veux monstrer qu’ils ne sçauroient
borner ma volonté ; Dites-m’en vostre pur &
legitime sentiment. Madame, pardonnez-moy, ie
ne vous diray rien sur ces choses, car nous ne sommes
aussi bien que les autres que des creatures suiettes à
corruption ; & i’ay desia depuis long-temps experimenté
que ce que nous aimons & cherissons le plus,
c’est ce qui nous perd & nous détruit.

 

La Reyne se teut à ces paroles, & se leuant de son
siege, l’on luy vint annoncer que quelques Deputez
du Parlement luy venoient faire la reuerence, Elle dit,
ie ne les veut point entendre, Paris n’est pas mon azile ?
La Reyne d’Angleterre luy répondit : Que Paris estoit
pour Elle, & pour le Roy, & non pas pour son fauory.
A cette parole elle quitte la Compagnie, & ne donna
aucune audiance à ceux qui estoient venus pour pacifier
les affaires.

La Reyne d’Angleterre voyant cette froideur, son
esprit tousiours agissant vid bien qu’elle auoit quelque
dessein, la suiuit, & la rencontra qu’elle entroit en la
Chapelle ; Elle la salua, la Reyne receut le salut, & luy
rendit : Puis estant ensemble, elle luy demanda ; Ma
Sœur, pour quel party tenez-vous ? Voulez-vous estre
Reyne de France & de l’Angleterre ? Elle répondit à
ces paroles, ie ne suis rien, soyez quelque chose ? Le
silence fut grand, lors qu’vne quantité de Seigneurs,
Dames, & Gentils-hommes Anglois vindrent entourer
l’Imperiere, & la grand’Bretagne. La Reyne les

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voyant, se retira dans son cabinet, & ne luy peurent
parler ce iour là. Or ie vous veux bien faire sçauoir
ceux qui accompagnerent la Reyne d’Angleterre ;
Ce furent ;

 

Le Roy d’Angleterre son fils, qui fit aussi vne Harangue
qui est remarquable, au suiet de la submertion
des Empires & des Royaumes, que ie vous feray voir.

Monsieur le Mareschal de Schomberg qui presenta
leurs Maiestez Britanniques à leurs Maiestez Françoises,
& donna suiet de la Harangue de la Reyne d’Angleterre.

Monsieur le Duc d’Vzez qui ne faisoit que paroistre,
ne parla point.

Monsieur le Comte de Tonnerre qui fut si hardy
de dire à la Reyne qu’il falloit bander la playe, & estancher
le sang des seruiteurs du Roy, & des bons François.

Monsieur de Liancourt ne fit que des Paix là, Paix là ;
car on faisoit grand bruit.

Monsieur le Marquis de Mortemarte, dit que la
Reyne d’Angleterre auoit bien ordonné ses Conseils,
& que malheureux seroient ceux qui ne les suiuroient
pas : Qu’vn Peuple aimoit mieux viure sous les Loix de
la Paix, que de la Guerre, & que ce que les Princes faisoient,
n’estoit qne pour se faire aimer & cherir des
Peuples ; & que si le Roy faisoit le semblable, il se trouueroit
en repos, & grandement heureux ; Ces paroles
le firent mal venir auprés de la Reyne.

Monsieur Tubeuf dit qu’il falloit soulager le peuple,
& luy donner le repos & la paix ; mais qu’il falloit
amoindrir l’authorité des princes : Cette parole
fut reiettée, & on luy fit commandement de se taire.

Monsieur de la Basiniere remonstra à la Reyne que
la force ne pouuoit pas dompter l’ardeur des parisiens,
qu’en ostant Mazarin de parmy eux, ils souffriroient

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ce que le Roy voudroit, & s’humilieroient à ses volontez.

 

Puis l’on demanda au Millord Kermain son sentiment :
Il dit (parlant à la Reyne) Madame, prenez
garde au reuers de la fortune : La Reyne luy dit, acheuez ;
mais il ne dit plus mot, & [1 mot ill.] du Conseil.

Le Marquis d’Ormont écoutoit tout lors qu’il luy
fut dit, Que vous semble de toutes ces choses ? Il respondit
sagement à la Reyne, Madame, il vaut mieux
la Paix que la Guerre, & vous vous ferez aimer ; au
lieu que vous vous faites hayr.

Le Millord Gerard qui faisoit le dormeux (mais il
apparut bien qu’il auoit tout entendu ce que les autres
auoit dit) comme reuenant d’vn profond sommeil, il
dit ; La France ne sera iamais en repos, tandis qu’vn
Cardinal Italien regnera en icelle. Et con me on luy
dit que ce n’estoit point sur ses affaires que l’on l’auoit
réueillé ; Il sçeut bien respondre que ce n’estoit pas son
esprit qui dormoit, mais son corps, & qu’il ne falloit
pas se flater soy-mesme : Chacun fit son profit de cette
parole.

Le dernier qui parla fut le Milord de Millemotte :
Iceluy ne fit pas grand discours, mais (en Anglois)
il dit ; Il vaudroit mieux, Madame, vne bonne Paix,
qu’vne rude Guerre : Les Guerres intestines ne vallent
rien ; & l’on ne deuroit iamais porter les armes contre
les suiets, ny leur apprendre à les porter, parce que
d’apprentifs ils deuiennent maistres : & ainsi ils feront
la loy à ceux qui de tout temps auront suiuy les Loix ;
Il finit en disant : Vne bonne Paix vaut mieux que la
Cuerre.

La Reyne entendant ces choses, ne sçauoit ce qu’elle
deuoit respondre ; mais quittant la Compagnie, elle
demanda où estoit le sieur Mazarin ? Il luy fut respondu
qu’il estoit en son Oratoire, & qu’il estoit mal disposé :
C’est ce qui causa qu’elle entra aussi en son Cabine,

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laissant l’Assemblee sans Response, ne leur donnant
pour toute recompense qu’vn adieu.

 

Nous auons chez nous des Deputez de la Ville de
Paris, dont nous esperons qu’ils auront Audiance au
plus tard mardy ou mecredy, nous vous annoncerons
ce qui se pourra passer de plus particulier.

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